La Poste et la loi

10 novembre 2009

Le Sénat a donné son feu vert au changement de statut de La Poste. Un nouveau pas vers la liquidation du "service public" ? Pas forcément. Aperçu de quelques dispositions légales encadrant les activités postales.

Le Sénat a adopté hier soir, 9 novembre, le projet de loi « relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales ». Au préalable, Pierre Hérisson s'en était saisi au nom de la commission de l'Économie de la chambre haute. Son rapport, dont nous avons lu l'exposé général, nous a réservé quelques surprises. En effet, nous ignorions l'existence des barrières érigées par le législateur contre le "tout libéral", y compris au niveau européen.

« La Poste imprègne notre univers quotidien et notre imaginaire collectif », souligne le sénateur. « Le bureau de poste symbolise la vie communale, au même titre que la mairie ou l'église, et traduit l'ancrage territorial de l'entreprise. La figure du facteur, immortalisée par le septième art et plébiscitée par nos compatriotes, constitue un lien de proximité et de sociabilité central jusque dans les zones les plus reculées. Les fonctions assurées, porteuses d'une dimension universelle – relier les hommes, faire circuler l'information, transmettre des biens –, méritent au premier chef la qualification de service public. » En conséquence, la loi définit quatre missions faisant l'objet d'un contrat entre l'État et La Poste : le service public des envois postaux et le service universel postal ; le service public du transport et de la distribution de la presse ; la mission d'accessibilité bancaire ; la mission d'aménagement du territoire.

Service universel

Une directive européenne de 1997 impose au prestataire du service universel de « garantir, tous les jours ouvrables et pas moins de cinq jours par semaine, au minimum une levée et une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale. En France, la loi du 20 mai 2005 [...] met à la charge de La Poste [...] des obligations qui vont au-delà [...] et fait de la France l'un des pays européens bénéficiant du service universel le plus large. [...] Il comprend ainsi, notamment, un service de levée et de distribution six jours sur sept, des envois de colis postaux jusqu'à 20 kg, des envois recommandés et des envois à valeur déclarée ainsi que des envois de journaux et imprimés périodiques pesant au plus 2 kg. Les critères d'accessibilité au réseau de points de contact [...] prévoient  "qu'au moins 99 % de la population nationale et au moins 95 % de la population de chaque département soit à moins de 10 km d'un point de contact et [que] toutes les communes de plus de 10 000 habitants disposent d'au moins un point de contact par tranche de 20 000 habitants". »

La loi du 2 juillet 1990 « dispose que "La Poste contribue [...] à l'aménagement et au développement du territoire national". [...] Le réseau de La Poste se compose, pour ce faire, de 17 091 points de contact répartis dans environ 14 000 communes [...] : 10 778 bureaux de poste détenus en propre par La Poste, dont 4 000 dans des communes de moins de 2 000 habitants ; 4 446 agences postales communales et intercommunales, situées dans des mairies, un demi-emploi étant financé par La Poste ; 1 758 relais Poste chez des commerçants, ces derniers étant rémunérés par La Poste au moyen d'un forfait et d'une commission sur les activités. Au titre de sa mission d'aménagement du territoire, La Poste entretient un réseau de points de contact dans les zones dites "prioritaires" : zones de revitalisation rurale, zones montagneuses, zones urbaines sensibles et départements d'outre-mer. »

« Le surcoût occasionné par ce réseau est estimé, en tenant compte des efforts engagés par La Poste en termes de productivité et d'adaptation de son réseau, à 250 millions d'euros environ. [...] Or, La Poste, désormais soumise à la pression concurrentielle sur la totalité de son domaine d'activité, ne pourra pas contribuer de manière indéfinie au financement d'une mission qui ne pèse pas sur ses concurrents, notamment les grands établissements postaux européens, chargés seulement de la mission de service universel. Votre rapporteur souligne en conséquence qu'il est temps de trouver une solution de financement à la mission d'aménagement du territoire de La Poste et que l'État [...] ne saurait en être absent. »

La peur de la liberté ?

Cela soulève des inquiétudes légitimes. Cependant, on s'étonne des réflexes "étatistes" animant certains royalistes. Leur réaction tranche avec les partis pris de Maurras, fustigeant jadis « l'État français qui se mêle de tout [...], même de faire des écoles et de vendre des allumettes ». Pourquoi faudrait-il, par principe, s'en remettre à lui pour livrer des gadgets high tech commandés sur la Toile ? La distribution des lettres relève certes davantage du "service public". Mais « l'avenir du marché "courrier" ne semble pas porter à l'optimisme. [...] Les spécialistes auditionnés par la commission Ailleret ont évoqué des réductions de volume de l'ordre de 20 à 40 % à l'horizon 2020. » Si « des opportunités de croissance » existent, elles sont « recelées par l'ère numérique »

Aussi La Poste est-elle « confrontée à un bouleversement majeur de son environnement rendant son avenir incertain ». Elle se trouve « acculée dans une impasse », estime Pierre Hérisson : « l'insuffisance de ses fonds propres l'empêche de procéder aux investissements nécessaires pour affronter ses concurrents les plus directs. [...] Or, son statut actuel d'établissement public ne l'autorise pas à accéder à des sources de financement élargies. Pour y remédier [...], une modification de sa forme juridique est aujourd'hui indispensable. C'est l'objet principal du présent projet de loi, qui donne explicitement à La Poste le statut de société anonyme. » « S'il existe un risque en toute chose », poursuit le sénateur, « le pire risque serait aujourd'hui de ne rien faire ».

La tentation de l'immobilisme apparaît pourtant manifeste. Il est vrai que La Poste est le premier employeur de France après l'État... Nos compatriotes seraient-ils effrayés par la liberté ? C'est l'hypothèse avancée par Yves Daoudal, qui dénonce le tabou du "service public à la française" : « Peut-être faudrait-il se demander s'il ne s'agit pas plutôt de services publics "à la soviétique", expression traduite par les communistes par "à la française" et imposée comme telle aux Français au moment où le Parti communiste avait une très grande influence. Ainsi la SNCF a-t-elle été créée par le Front populaire, EDF-GDF et la Sécurité sociale en 1946. Certes, La Poste, quant à elle, est devenue monopole d'État en 1793. Mais c'est aussi une date de dictature d'extrême gauche. » Voilà qui pourrait interpeler ces royalistes devenus des chantres de l'État-providence !

Pour une approche complémentaire du sujet, nous renvoyons nos lecteurs à l'article de Royal Artillerie, ainsi qu'à cette évaluation des effets de la privatisation du service postal suédois.

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