Le livre à l'heure numérique

5 novembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La numérisation massive d'ouvrages entreprise par Google interpelle les pouvoirs publics, en France et en Europe. Il était temps : c'est une nouvelle révolution qui s'est engagée.

La numérisation des contenus culturels serait « l'une des priorités » du ministre de la Culture. Aussi Frédéric Mitterrand a-t-il installé le 26 octobre une "commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques".

Appels du pied

Présidée par Marc Teissier (ancien directeur général du Centre national de la cinématographie, ancien président de France Télévisions, aujourd'hui directeur général de Vidéo futur), elle devra évaluer « la pertinence d'un accord entre la BNF et Google du triple point de vue du partage et du rayonnement des contenus français sur Internet, de l'intérêt économique et financier pour l'État et le contribuable, du message politique à adresser à la communauté internationale ».

Incapables d'assumer le coût d'une numérisation massive et rapide de leur fonds documentaire, les bibliothèques sont sensibles aux appels du pied du géant américain de l'internet, qui se propose de prendre en charge ce vaste chantier. Dans un entretien accordé à Frédérique Roussel, Robert Darnton, le directeur de la bibliothèque universitaire d'Harvard, révèle qu'en vertu d'un accord conclu en 2005, Google a numérisé 800 000 ouvrages, « aujourd'hui disponibles pour tout le monde », mais dont les fichiers ne seront pas exploitables par l'établissement avant 2050 ! Bruno Racine, le président de la Bibliothèque nationale de France, exigerait quant à lui des conditions plus favorables : « Dans le cas des discussions préliminaires que nous avions eues avec Google, la proposition était que les œuvres [...] soient également accessibles à travers [les sites Internet] Gallica et Europeana. » (Libération, 14/10/2009)

Se saisissant d'un sujet connexe, la Commission européenne avait publié le 19 octobre les conclusions de consultations relatives "au droit d'auteur dans l'économie de la connaissance". « Partout dans le monde, d'importants programmes de numérisation ont d'ores et déjà été lancés », observe Viviane Reding, le commissaire luxembourgeois responsable de la Société de l'information et des Médias.

Un défi mondial

« Si nous agissons rapidement », poursuit-elle, « des solutions européennes créant un environnement concurrentiel pour la numérisation des livres pourraient fonctionner plus tôt que celles qui sont actuellement envisagées aux États-Unis avec l'accord sur Google Books. » Un accord dont l'application pourrait mettre à la disposition des Américains les copies numériques d'ouvrages européens inaccessibles sur le Vieux Continent. « S'assurer que les Européens disposent d'un accès à leur propre patrimoine culturel, tout en garantissant que les auteurs européens perçoivent une juste rémunération est donc un sujet d'une actualité brûlante », souligne la Commission. Au cœur de ses préoccupations : le statut des œuvres orphelines, dont les ayant-droit sont inconnus. Naturellement, « l'avènement de la culture en ligne du partage et de l'échange de fichiers [...] oppose ceux qui souhaitent aller vers un système de droits d'auteur plus permissif et ceux qui tiennent au maintien du statu quo ».

Nouveaux usages

Le "piratage" des livres est encore un phénomène marginal : moins de 1 % des ouvrages disponibles en France au format papier seraient susceptibles d'être téléchargés illégalement ; cela représenterait entre 4 000 et 6 000 titres, dont une grande partie de bandes dessinées, selon l'étude Ebookz réalisée pour l'Observatoire du livre et de l'écrit en Île-de-France. L'offre illégale se développera vraisemblablement avec le demande, suspendue aux ventes des terminaux de lecture électronique. Amazon vient de commercialiser en France son Kindle, tandis que Sony proposera courant novembre une version tactile de son Reader, facilitant notamment les annotations (le prix devrait avoisiner les 300 euros). Mais les technophiles sont loin d'être les seuls concernés par cette révolution numérique : d'ores et déjà, trente-trois années de publication de L'Action Française quotidienne sont disponibles en téléchargement gratuit sur Gallica.

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