La fronde des parlementaires européens

21 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Le Parlement européen a entamé l'audition des personnalités choisies par les gouvernements pour former la nouvelle Commission. Sans doute va-t-il en profiter pour affirmer son pouvoir à leurs dépens.

Le Parlement européen a entamé lundi 11 janvier l'audition des personnalités désignées pour former la nouvelle Commission. Présidée, comme la précédente, par le Portugais José Manuel Durao Barroso, celle-ci sera soumise à un vote d'approbation qui interviendra probablement le 26 janvier. Ensuite, seulement, les chefs d'État ou de gouvernement pourront entériner officiellement sa nomination.

Annonce fracassante

Sans doute leurs projets seront-ils en partie contrecarrés. À l'automne 2004, la vindicte des parlementaires avait eu raison de la candidature de l'Italien Rocco Buttiglione, coupable de « penser que l'homosexualité est un péché ». Cette fois-ci, prendront-ils pour cible la Britannique Catherine Ashton ? Elle avait été choisie à la surprise générale pour devenir le Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, par ailleurs vice-président de la Commission.

Dans le résumé officiel de son intervention, on relève cette annonce fracassante au sujet du Proche-Orient : « La prochaine étape est d'aller là où nous pensons que nous pouvons apporter le plus et formuler ensemble les solutions appropriées. » À la décharge de Mme Ashton, on rappellera qu'elle se doit de tenir un discours suffisamment consensuel pour satisfaire vingt-sept États membres... En tout cas, son insistance sur le poids des initiatives nationales et le rôle de l'Otan en matière de défense n'aura pas froissé ses compatriotes. Marquant quelque réserve à l'égard du droit-de-l'hommisme, elle a observé que « parler aux gens sans médiatisation [était] parfois plus efficace ». Évoquant le Service européen pour l'Action extérieure (SEAE), elle a concédé aux députés qu'il ferait « l'objet d'un droit de regard complet de la part du Parlement », refusant toutefois de soumettre ses ambassadeurs à une audition. En définitive, son intervention a tempéré les critiques sans vraiment les dissiper. Mais sa candidature faisant l'objet d'un consensus entre les gouvernements européens, les institutions de l'Union et les groupes politique du Parlement, celui-ci ne se risquera pas à la mettre en échec.

Barnier fait du "social"

Il ne s'attaquera pas non plus à Michel Barnier, censé travailler « à mettre le marché intérieur au service du progrès humain, à lutter contre le dumping social et à protéger les services d'intérêt général ». "Européen" convaincu, l'ancien ministre de l'Agriculture s'est pourtant risqué à paraphraser les souverainistes : « Dans un monde instable, fragile, dangereux, nous devons nous doter d'une Europe de la défense. Mais nous n'avancerons pas contre les États membres en menaçant de fragiliser leur souveraineté, nous avancerons avec eux. »

Le "grand oral" de Rumiana Jeleva s'avéra plus mouvementé. Le ministre des Affaires étrangères de la Bulgarie était désigné pour devenir commissaire en charge de la Coopération internationale, de l'Aide humanitaire et de la Réponse à la crise. « L'audition avait bien commencé, avec une déclaration politique initiale [...] applaudie par les eurodéputés », raconte Nicolas Gros-Verheyde. « Mais arrive une question prise de haut, de trop haut », portant sur sa déclaration d'intérêts. Parmi les inquisiteurs figuraient des députés bulgares : l'assemblée européenne offre un terrain propice aux règlements de compte nationaux. Déstabilisée, la candidate aurait ensuite multiplié les erreurs. Répondant, par exemple, à une question sur l'aide humanitaire dans le golfe d'Aden, « elle se montre "prête à aller sur place..." sans mesurer qu'il s'agit de la Somalie dont on parle, un État déliquescent, où le moindre occidental est aussitôt considéré comme une proie à ravir ou... à tuer ». (Bruxelles 2, 12/01/2009)

« De fait, son audition, mardi dernier, a été catastrophique », confirme Jean Quatremer. « Mais, à ce petit jeu, elle est loin d'avoir été la seule dans ce cas. [...] Il est clair que Jeleva est surtout victime d'une volonté du Parlement européen de rappeler à la Commission et aux États membres qu'il est un acteur majeur du jeu européen. » (Coulisses de Bruxelles, 19/01/2010)

Les Socialistes et Démocrates réclament sa tête. En réaction, le PPE s'est lui aussi cherché une proie. Son dévolu s'est jeté sur le Slovaque Maros Sefcovic, suspecté d'avoir tenu des propos désobligeants à l'encontre des Roms. L'attaque semble avoir échoué. Quoi qu'il en soit, ces querelles illustrent, à nos yeux, tout l'intérêt des auditions organisées par les commissions parlementaires.

Sur un pied d'égalité

Les gouvernements doivent pourtant compter avec le Parlement européen. Lequel entend bien le faire savoir. Depuis le 4 janvier, rapporte encore Jean Quatremer, il exige que leurs ambassadeurs à Bruxelles (les "représentants permanents"), ainsi que tous les fonctionnaires du Conseil, se fassent accréditer comme n'importe quel visiteur pour pénétrer dans ses bâtiments. L'assemblée réclamerait l'application d'un principe de réciprocité.

« De fait, les fonctionnaires du Parlement se rendant au Conseil des ministres doivent s'annoncer à l'entrée du Justus Lipsius, dire avec quelle personne ils ont rendez-vous, obtenir un badge provisoire, se plier aux contrôles de sécurité et enfin être accompagnés. » Cela serait donc en passe de changer. « Mais il ne s'agira que d'un armistice », poursuit notre confrère : « Le prochain clash, déjà programmé, est celui de l'accès aux réunions. » (Coulisses de Bruxelles, 17/01/2010) Les gouvernements pourraient regretter d'avoir accru les pouvoirs du Parlement européen en négociant le traité de Lisbonne.

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