« La servitude volontaire »

12 janvier 2010

Les gouvernements des Vingt-Sept rechignent à augmenter le traitement des fonctionnaires européens suivant des règles établies de longue date ; la Cour de Justice devra leur forcer la main. Pourquoi les États lui ont-il conféré un tel pouvoir ?

Les fonctionnaires européens exigent que leur traitement soit augmenté de 3,7 %. Une requête déplacée ? Jean-Philippe Chauvin stigmatise leur « indécence ». « Mais voilà », explique Jean Quatremer : « Il ne s'agit que de l'application d'une règle votée par les États membres, pour la période 2004-2012, qui prévoit que le salaire des eurofonctionnaires est indexé sur celui de la fonction publique de huit pays [...] et sur le coût de la vie à Bruxelles. »

La Commission européenne a porté l'affaire devant la Cour de Justice de l'Union européenne, dont on devine le verdict. Celui-ci s'imposera aux vingt-sept États membres, en dépit de leur accord apparemment unanime. C'est ici que devrait résider le vrai scandale, du moins aux yeux des souverainistes. Face aux juges, en effet, les politiques témoigneraient d'une « servitude volontaire », selon l'analyse de Paul Magnette (Le Régime politique de l'Union européenne, Presses de Science Po). « Pourquoi les gouvernements se sont-ils laissés faire ? » À ce « faux mystère », il y aurait plusieurs réponses.

« On peut rappeler, d'abord, que l'action de la Cour protège souvent les intérêts des gouvernements eux-mêmes. [...] En effet, en l'absence de contrôle juridictionnel, les gouvernements seraient fortement tentés de se soustraire à leurs obligations et de se livrer une concurrence déloyale. Chacun des gouvernements pourrait en pâtir à son tour et le régime dans son ensemble s'en trouverait affaibli. Dans leurs conflits avec la Commission, les gouvernements ont aussi, le plus souvent, trouvé dans la Cour un arbitre impartial. [...] Le formalisme qui irrigue nos cultures politiques est aussi fréquemment invoqué pour expliquer la docilité des gouvernants. Enfin, et peut-être surtout, la structure du régime de l'Union elle-même explique la résignation des dirigeants nationaux. Les rapports entre les gouvernements et la Cour sont définis de telle sorte que les juges peuvent se prévaloir de fortes marges d'indépendance, tandis que les gouvernements sont privés de tout pouvoir  de rétorsion. Cette asymétrie fondamentale – due aux gouvernements eux-mêmes, auteurs des traités – est la source essentielle des relations particulières qui se sont établies entre les juges et les politiques dans l'Union. »  

« Formellement », les gouvernements « restent libre de modifier les traités – et donc les pouvoirs de la Cour. En pratique, la nécessité de réunir l'unanimité pour ce faire rend la menace peu crédible : la jurisprudence de Luxembourg affectant différemment les intérêts des gouvernements, il se trouvera toujours au moins l'un d'entre eux pour opposer son veto à une révision du traité. »

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