La défense européenne entre utopie et réalisme
18 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Tandis que le Royaume-Uni envisage une coopération accrue avec ses partenaires de l'UE, le ministre allemand des Affaires étrangères veut mettre sur pied une « armée européenne ». La France, quant à elle, doit ratifier un traité portant création de la Force de gendarmerie européenne.
L'Otan figure en tête des menaces extérieures identifiées par la nouvelle doctrine de défense russe, approuvée le 5 février par le président Medvedev. Moscou s'inquiète, entres autres, d'un élargissement potentiel de l'Alliance à la Géorgie et l'Ukraine. Une perspective à laquelle la France s'est opposée jusqu'à maintenant. Ce veto ne fut pas étranger à l'accueil bienveillant que la presse russe réserva à son retour dans le commandement militaire intégré de l'Otan sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy (Courrier International, 13/03/2009).
Albion croit en l'Europe de la défense
Justifiant sa politique atlantiste, le président de la République avait déclaré, le 11 mars 2009 : « En mettant fin à une ambiguïté [...], nous créons la confiance nécessaire pour développer une défense européenne forte et autonome. » Ses arguments auraient-ils convaincu outre-Manche ? « Le retour de la France [...] offre l'occasion d'une coopération accrue avec un partenaire clef », peut-on lire dans le "livre vert" britannique publié le 3 février. « L'Otan demeure la pierre angulaire de notre sécurité », rappellent ses auteurs. Cependant, « le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence si nous et nos partenaires européens parlons et agissons de concert ». Et d'affirmer que « lors des opérations de stabilisation en Bosnie et en Afrique, lors des opérations antipiraterie au large de la Somalie [...], l'UE a démontré qu'elle peut jouer un rôle important dans la promotion de notre sécurité ». Eurosceptique, Albion ?
Plus radical, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, voudrait édifier une « armée européenne » placée « sous plein contrôle parlementaire ». C'est « l'objectif à long terme », a-t-il affirmé le 6 février lors de la conférence de Munich sur la sécurité. Objectif à nos yeux irréaliste, dont la poursuite pourrait néanmoins mobiliser réflexions et moyens. À la lumière des faits, en tout cas, ce rêve – ou ce cauchemar ! – apparaît bien lointain.
Inutiles, les GT 1500 ?
La création d'un quartier général européen, promue par la France, suscite toujours des réticences. Or, « le dispositif actuel tient du bricolage » selon notre confrère Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 14/02/2010). « Le dispositif des QG excentrés à Potsdam (pour le Congo), à Paris (pour le Tchad), à Londres (pour Eunavfor) ne montre pas sa pleine efficacité. Ce sans compter la difficulté qui existe à pourvoir les postes – les forces nationales ne s'empressant pas toujours de pourvoir les postes d'état-major d'autant plus quand l'opération dure... »
Soulignons également l'immobilisme d'un embryon d'armée européenne formé par les groupements tactiques. Forts d'environ 1 500 hommes, ils sont censés fournir à l'Europe une capacité de réaction rapide. Pleinement opérationnels depuis le 1er janvier 2007, ils n'ont jamais été utilisés, bien que des États membres se succèdent tous les six mois pour assurer la disponibilité permanente de deux battlegroups. « Jusqu'à présent, au moins deux situations ont répondu à tous les critères de déploiement des groupements tactiques », au Tchad et en République démocratique du Congo, selon l'analyse de Caroline Henrion publiée le 18 janvier sous l'égide du GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité). « Ces exemples montrent que non seulement les Européens ne s'accordent pas sur les situations dans lesquelles il faut intervenir, mais hésitent également à envoyer des troupes sur le terrain. » Pourquoi s'en étonner ? Obtenir le consensus des vingt-six États participant à la Politique de sécurité et de défense commune n'est pas une sinécure ! (Vingt-six, et non vingt-sept, car le Danemark fait l'objet d'une dérogation.)
Six États dans la FGE
La Force de gendarmerie européenne (FGE), quant à elle, regroupait seulement cinq États à l'origine : la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal, rejoints depuis par la Roumanie. Selon le gouvernement, sa création répondait à la nécessité « de combler le vide opérationnel [...] entre le moment où les forces armées entrent sur le théâtre des opérations et le moment où les forces de police parviennent à y remplir normalement leurs fonctions ». La FGE comporte un état-major permanent implanté à Vicence, en Italie, où la France est représentée par six officiers. Chaque opération donne lieu à une "génération de force", sur la base d'un catalogue recensant des capacités déclarées par les États. Opérationnelle depuis 2006, la FGE est engagée depuis 2007 en Bosnie-Herzégovine, où elle arme une partie de l'Unité de police intégrée de l'opération européenne Eufor Althéa. Depuis décembre 2009, elle contribue également à la formation de la police afghane au sein de la mission de l'Otan, où la France a engagé 132 gendarmes.
En marge de l'UE
Son fonctionnement repose actuellement sur une "déclaration d'intention". Le 18 octobre 2007, les États fondateurs ont signé un traité confortant son existence. Afin d'autoriser sa ratification, un projet de loi a été enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 3 février. Fallait-il passer par ces lourdeurs juridiques ? Le gouvernement se justifie dans son "étude d'impact" : « Par rapport à la déclaration d'intention du 17 septembre 2004 et aux textes qui la complètent, le traité [...] permet de clarifier un certain nombre de points relatifs aux droits et obligations des personnels de la force ainsi qu'au droit applicable dans le cadre d'opérations extérieures : conditions d'entrée et de séjour sur le territoire de l'État hôte (État sur lequel se trouve le quartier général permanent : Italie) ; privilèges et immunités ; juridiction pénale et disciplinaire ; dommages ; assistance médicale ; aspects juridiques et médicaux en cas de décès. »
« Comme le suggèrent l'intitulé même de la force et son insigne bleu, la FGE est un projet européen », martèle le gouvernement, qui tient à saluer « une étape importante de la construction de l'Europe de la défense ». La FGE n'en reste pas moins une force autonome : peut-être s'agit-il d'une « avancée concrète en matière de gestion de crise », mais, le cas échéant, ces progrès auront été accomplis en marge de l'UE.