Le nucléaire militaire en débat

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que nos voisins veulent "dénucléariser" l'Europe, la France renforce sa coopération avec le Royaume-Uni et vante son exemplarité en matière de désarmement, confirmant par ailleurs son soutien aux usages civils de l'atome.

À l'approche de la conférence d'examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se tiendra à New York du 3 au 28 mai, des voix se sont élevées pour réclamer, à l'image de Barack Obama, un monde « sans armes nucléaires ». Faisant écho au discours prononcé l'année dernière par le président américain, la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Norvège ont proposé d'inscrire la politique nucléaire à l'ordre du jour d'une prochaine réunion de l'Otan (Bruxelles 2, 28/02/2010).

Permanence à la mer

« La Guerre froide est terminée. Il est temps d'adapter notre politique nucléaire aux circonstances nouvelles », ont proclamé quelques personnalités belges (Le Soir, 19/02/2010). Selon Willy Claes, Jean-Luc Dehaene, Louis Michel et Guy Verhofstadt, « les armes nucléaires tactiques américaines en Europe ont perdu toute importance militaire ». Considérant qu'elles stimulent indirectement la prolifération, et minent de ce fait la sécurité de leur pays, ils demandent leur retrait. Cette perspective semble inquiéter Jean-Pierre Chevènement : « Une "Europe sans armes nucléaires" créerait un vide stratégique étant donné que la Russie, puissance eurasiatique, con-serve un arsenal très important, tout comme les États-Unis, et que le Moyen-Orient n'est pas une zone dénucléarisée », affirme-t-il dans un rapport déposé au Sénat le 24 février.

Dans ce contexte, selon les révélations du Guardian (19/03/2010), la France aurait proposé au Royaume-Uni un partage des patrouilles sous-marines censées garantir la dissuasion nucléaire. Un projet surprenant, sinon surréaliste, naturellement rejeté par Londres. Le Premier ministre britannique n'en a pas moins confirmé sa volonté d'accroître sa coopération avec Paris. En effet, « il est possible de se parler et de se dire beaucoup de choses », souligne notre confrère Jean-Dominique Merchet (Secret Défense, 19/03/2010). « Notamment en aidant les Britanniques à conserver un certain nombre de savoir-faire... sans l'aide des Américains. En partageant quelques technologies complexes et coûteuses. Ou pour éviter que nos sous-marins ne naviguent dans les mêmes eaux au même moment. On se souvient qu'en 2009, deux SNLE [sous-marins nucléaires lanceurs d'engins] étaient entrés en collision en pleine mer. »

Craignant de se trouver isolée en Europe, la France chercherait peut-être à se prémunir d'un hypothétique abandon du nucléaire militaire outre-Manche. En septembre dernier, Gordon Brown avait envisagé de réduire le nombre de sous-marins britanniques, au risque de compromettre la permanence à la mer. « Chaque année, la dissuasion nucléaire coûte aux Français la moitié du budget de la Justice ou de celui des transports », avait estimé le président de la République en 2008. « Mais je suis déterminé à assumer ce coût », avait-il assuré, arguant que « ce n'est ni une affaire de prestige ni une question de rang, c'est tout simplement l'assurance vie de la nation ».

Stricte suffisance

Les restrictions budgétaires conduiront-elles le chef de l'État à renier son ambition ? C'est d'autant moins probable que la France peut se targuer, selon ses propres mots, d'« un bilan exemplaire » en matière de désarmement nucléaire. Et de louer alors « la France, premier État, avec le Royaume-Uni, à avoir signé et ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires ; la France, premier État à avoir décidé la fermeture et le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles à des fins explosives ; la France, seul État à avoir démantelé, de manière transparente, son site d'essais nucléaires situé dans le Pacifique ; la France, seul État à avoir démantelé ses missiles nucléaires sol-sol ; la France, seul État à avoir réduit volontairement d'un tiers le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins ».

La France compterait désormais 348 têtes nucléaires, selon l'estimation reprise par le sénateur Jacques Gautier – chiffre que le président entendait ramener à trois cents, soit la moitié du maximum détenu pendant la Guerre froide. Outre les bons sentiments, la fiabilité accrue des charges et la meilleure précision des tirs plaident en faveur d'une réduction des arsenaux. « Dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, les forces nucléaires françaises ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus de négociation multilatérale de désarmement », avertit Jean-Pierre Chevènement. « La disproportion est telle entre les arsenaux des deux premières puissances nucléaires (22 400) et tous les autres réunis (environ 1 100) que l'effort de désarmement nucléaire doit porter en priorité sur les États-Unis et la Russie. » Lesquels ont annoncé la prochaine signature d'un accord bilatéral de réduction de leurs armes stratégiques offensives, faisant suite au traité Start. Depuis le pic de la Guerre froide, ils ont éliminé les deux tiers de leurs têtes nucléaires. La Chine en détiendrait quatre cents, la Grande-Bretagne moins de deux cents, Israël entre cent et deux cents, l'Inde et le Pakistan une petite centaine, et la Corée du Nord moins d'une dizaine.

Consensus au Sénat

Le 23 mars, lors d'un débat au Sénat – le premier du genre depuis la création de notre force de frappe nucléaire selon Mme Michelle Demessine – Mme Dominique Voynet n'a pas manqué de stigmatiser la France « qui a été l'un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ». « Sauf à renoncer à voir advenir un monde sans armes nucléaires de notre vivant, nous ne pouvons plus nous contenter de discours convenus », a-t-elle lancé, exprimant son soutien à ses collègues communistes. En leur nom, Mme Demessine a appelé la France à « montrer l'exemple » en renonçant à déployer le missile stratégique M51. À ses yeux, il serait « davantage un héritage de la Guerre froide qu'un instrument de défense adapté aux menaces d'aujourd'hui ». Le "tir d'acceptation" devrait néanmoins intervenir au début de l'été en baie d'Audierne, dans le Finistère, et marquer l'arrivée effective du missile dans la Force océanique stratégique (Secret Défense, 20/03/2010).

En dépit de quelques voix discordantes, le rapport de Jean-Pierre Chevènement « fait désormais autorité », a observé Jean-Paul Gautier. Un consensus politique semble se dessiner en faveur du statu quo national, et si le rêve d'un monde dénucléarisé n'est pas exclu, il est poursuivi sans angélisme. D'autant qu'« il n'y a pas de lien univoque entre désarmement et prolifération », martèle l'ancien ministre. C'est pourquoi « il est essentiel d'agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire, qui s'enracine beaucoup moins dans la lenteur du désarmement des pays dotés que dans les crises politiques régionales ».

Sans nier la fragilité du TNP, M. Chevènement y voit « un instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ». Il con-viendrait dorénavant de promouvoir, entre autres : la réduction des arsenaux américain et russe jusqu'à un niveau de quelques centaines d'armes nucléaires ; la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par les États-Unis et tous les autres États qui n'y ont pas procédé ; l'ouverture rapide et sans condition de la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire. Autant de perspectives que la France soutiendra vraisemblablement en mai prochain.

Une carte à jouer

Intervenant devant la chambre haute, le ministre des Affaires étrangères a réaffirmé « le choix déterminé » de la France en faveur du nucléaire civil, « en pleine renaissance ». Paris se dit disposé à aider tous les pays voulant s'engager sur cette voie. En conséquence, a annoncé Bernard Kouchner, lors de la conférence d'examen du TNP, « nous ferons valoir l'exigence qui accompagne notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération ».

À court terme, précise Jean-Pierre Chevènement, il apparaît « indispensable » de concrétiser le projet de "banque du combustible" : un mécanisme international garantirait l'approvisionnement en combustible nucléaire de tous les États demandeurs respectant les normes de non-prolifération. À plus long terme devraient être mises en place des installations d'enrichissement ou de retraitement à caractère multilatéral. « Une approche régionale mériterait d'être privilégiée, avec notamment la création d'une telle installation sous la responsabilité de l'AIEA [l'Agence internationale de l’énergie atomique], dans un État du Moyen-Orient, où les projets de réacteurs civils sont nombreux. » Le moment venu, il appartiendra aux industriels français de remporter les appels d'offre...

Laissez un commentaire