Le Parlement européen joue des coudes

1 avril 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Innovation majeure du traité de Lisbonne, la création du Service européen pour l'Action extérieure se prépare sur fond de rivalités institutionnelles. Le Parlement européen entend bien conforter ses prérogatives...

Le Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité continue de faire jaser. Selon Jean Quatremer, Mme Catherine Ashton aurait refusé une rencontre le 18 avril avec les ambassadeurs du Conseil de Sécurité des Nations unies, « tout simplement parce que ce jour-là est un dimanche et que la baronne passe tous ses week-ends à Londres, là où résident son mari et ses enfants » (Coulisses de Bruxelles, 18/03/2010).

Architecture du SEAE

Les critiques sont d'une autre nature depuis qu'elle a révélé son projet d'architecture du futur Service européen pour l'Action extérieure (SEAE) – « un bureau autonome de l'UE, séparé de la Commission et du secrétariat général du Conseil, avec la capacité juridique nécessaire pour accomplir ses tâches et atteindre ses objectifs ».

Il serait dirigé par un secrétaire général placé sous l'autorité du Haut Représentant, prenant « toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du SEAE ». L'administration centrale serait organisée en directions générales comprenant des bureaux géographiques ou thématiques. Les organes de gestion de crises, civils et militaires, dépendraient directement du Haut Représentant.

Du côté des gouvernements, on reconnaît à demi-mot la difficulté des négociations en cours : « La présidence espagnole est déterminée à ne pas ménager ses efforts pour parvenir à un accord », précise un communiqué du secrétariat général du Conseil. À travers le transfert au SEAE (suivant un principe de neutralité budgétaire) de services rattachés jusqu'alors tantôt au Conseil des ministres, tantôt à la Commission, l'équilibre institutionnel pourrait se trouver modifié. Or, le Parlement européen entend bien tirer la couverture à lui.

Un projet inacceptable

Ce projet d'architecture, qui ne devrait pas dépayser les diplomates français, est jugé « inacceptable » par une majorité de députés. Fustigeant tout particulièrement l'ampleur des pouvoirs conférés au secrétaire général –  un fonctionnaire –, ils réclament « un service autonome lié à la Commission aux niveaux administratif, organisationnel et budgétaire » qui serait « responsable devant le Parlement aux niveaux politique et budgétaire ».

Forte de sa mainmise sur le budget européen, l'assemblée n'a pas caché sa volonté d'« intensifier la pression sur les autres institutions de l'UE ». Elle l'a réaffirmée le 10 mars, en votant, par 633 voix contre 13 (Le Point, 10/03/2010), une résolution « sur la transparence et l'état d'avancement des négociations ACTA » (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Mandatée par les gouvernements, la Commission participe à la négociation d'un accord multilatéral censé renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle. Or, les parties sont convenus d'une clause de confidentialité. Les députés le tolèrent d'autant moins que les fuites nourrisent moult inquiétudes quant au contenu de l'accord. « Les douanes pourraient fouiller lecteurs MP3, téléphones et ordinateurs portables de tout citoyen suspecté d'avoir téléchargé illégalement un quelconque fichier », prévient Bruno Gollnisch.

Le souverainisme piégé ?

La résolution adoptée condamne une telle perspective, invitant par ailleurs la Commission et le Conseil « à assurer l'accès des citoyens et des organes parlementaires aux documents et aux synthèses relatifs à la négociation de l'ACTA ». Le Parlement « attend de la Commission qu'elle présente des propositions avant le prochain cycle de négociations qui se tiendra en Nouvelle-Zélande en avril 2010, qu'elle exige que la question de la transparence soit inscrite à l'ordre du jour de cette réunion et qu'elle communique au Parlement le résultat du cycle de négociations immédiatement après sa conclusion ». Enfin, le texte « souligne que, s'il n'est pas informé immédiatement et intégralement à tous les stades des négociations, le Parlement se réserve le droit de prendre les mesures appropriées, y compris d'intenter une action auprès de la Cour de justice afin de défendre ses prérogatives ».

Le cas échéant, si la Cour donnait raison au Parlement, l'Europe serait-elle contrainte de trahir la confiance de ses partenaires internationaux ? S'exprimant au nom du groupe "Europe, libertés, démocratie" où siège Philippe de Villiers, le Britannique Derek Roland Clark n'a pas manifesté davantage de réserve que le porte-parole du Front national dans son explication de vote en faveur de la résolution. Le souverainisme révèle ici son ambiguïté : en effet, à travers l'exigence de transparence, c'est, en définitive, l'influence des gouvernements sur le fonctionnement de l'Union qui nous semble contestée.

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