Lutte d'influence en Europe

6 mai 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Le création du Service européen pour l'Action extérieure suscite des tensions au cœur du triangle institutionnel européen. Après s'être accordés entre eux, les gouvernements doivent compter avec le Parlement et la Commission...

Réunis en Conseil des ministres le 26 avril, les Vingt-sept ont dégagé une « orientation politique » sur un projet de décision instituant le Service européen pour l'Action extérieure (SEAE) – une innovation majeure du traité de Lisbonne.

La "parité" pour les ambassadeurs

« Cela n'a pas été facile », selon le témoignage du ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Ángel Moratinos, qui présidait la réunion. Celui-ci a confirmé la volonté des gouvernements de prendre en compte les équilibres géographiques, mais aussi l'égalité des sexes dans la nomination des chefs de délégation de l'UE. Cela rendra les désignations d'autant plus complexes... Les ministres sont également convenus d'un compromis, vraisemblablement entre "grands" et "petits" États, « permettant aux délégations communautaires d'offrir un service consulaire dans certaines limites et dans la mesure où ces services ne supposent pas de frais budgétaires supplémentaires ».

Cet accord informel ouvre la voie à la conclusion d'un arrangement entre les principales institutions de l'UE. En effet, l'organisation et le fonctionnement du SEAE sont fixées par le Conseil des ministres, qui statue sur proposition du Haut Représentant après consultation du Parlement européen et approbation de la Commission. Confrontée aux foudres des députés, Mme Catherine Ashton avait révisé son projet d'organigramme, en substituant au secrétaire général trois responsables placés, sous son autorité, sur un pied d'égalité. Cela suffira-t-il à satisfaire les parlementaires, qui partagent désormais avec le Conseil le pouvoir budgétaire ?

Les présidents des principaux groupes politiques ont confirmé qu'ils conditionneraient l'approbation du budget du Service et de sa dotation en personnel à celle des projets de composition définitifs. Parmi les instigateurs de ce chantage figure l'UMP Joseph Daul. Preuve que, dans le cas présent, le tropisme fédéraliste inhérent au statut de parlementaire européen éclipse les allégeances partisanes. « Le Parlement tient particulièrement à ce que le SEAE soit un instrument entièrement européen et non un instrument intergouvernemental », souligne un communiqué.

Utopie fédéraliste

Le député Alain Lamassoure, président de la commission des budgets, ne veut pas d'un vingt-huitième service diplomatique s'ajoutant aux services des États membres. « Notre objectif doit être de remplacer les vingt-sept autres services pour, d'ici vingt-trente ans, n'avoir qu'un seul service extérieur », a-t-il proclamé au cours d'un débat parlementaire.

Dans un entretien accordé à la fondation Robert Schuman (03/05/2010), Philippe Étienne, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, dessine aux antipodes les contours du SEAE : « Il ne se substituera pas aux diplomaties nationales mais prendra en charge les tâches de la présidence tournante au titre de la Politique étrangère et de sécurité commune et permettra de développer une culture diplomatique commune en rassemblant en son sein des personnels venus des institutions européennes et des administrations nationales. » Michel Foucher, directeur de la formation à l'IHEDN, critique ouvertement l'attitude des parlementaires : « Ceci risque de retarder l'entrée en fonction du Service, qui ne devrait sans doute pas arriver avant l'automne », a-t-il confié à notre confrère Marek Kubista (Euractiv, 28/04/2010) « Le Parlement commet une erreur en estimant que des politiques communes pourraient être bâties en court-circuitant les États. C'est l'inverse : il faut faire converger des politiques nationales pour édifier des lignes de force d'intérêt collectif européen. [...] Je ne crois pas du tout qu'à Pékin, Washington ou Moscou, la vieille diplomatie soit complètement obsolète, bien au contraire. Les positions communes européennes ne peuvent exister que si les États, et particulièrement les grands, l'élaborent à partir de leurs positions nationales. »

Barroso en embuscade

Dans les coulisses, les gouvernements devront compter, également, avec la Commission. C'est avec Catherine Day, son secrétaire général, que les discussions auraient été les plus difficiles jusqu'à maintenant, si l'on en croit un diplomate cité par Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 30/04/2010).

José Manuel Barroso entendrait se réserver certaines prérogatives. D'ailleurs, il manifesterait peu d'égards envers le Haut Représentant, par ailleurs vice-président de la Commission, et placé en tant que tel sous son autorité. « Ce sentiment se reflète dans le partage des tâches au quotidien », révèle notre confrère : « À la Haute Représentante [sic] de recevoir les ministres des affaires étrangères, au président de la Commission d'entretenir des relations avec les Premiers ministres ou présidents. Une sorte de répartition naturelle qui n'avait pas cours avec le premier Haut Représentant, Javier Solana ayant pris l'habitude de recevoir qui il voulait... et, surtout, de téléphoner à qui il voulait. » Dans ce contexte, le Daily Telegraph annonce la démission prochaine de Mme Ashton. De fait, tiraillée entre plusieurs institutions, elles se trouve dans une position délicate, plongée au cœur de rivalités dont les différends idéologiques ne sont visiblement qu'un paravent.

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