Le football, un miroir du village global
17 juin 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
La grand-messe du football mondial s'est ouverte vendredi dernier. L'événement se prête naturellement à de multiples tentatives de récupération. Sa démesure économique, aussi bien que le sort des laissés-pour-compte, témoignent des dysfonctionnements de notre "village global".
Nul ne peut échapper à la déferlante footballistique. Nos colonnes elles-mêmes n'échappent pas à quelques embruns... Comme toujours, nos lecteurs se diviseront selon qu'ils soient emportés par la ferveur populaire ou exaspérés par les hordes de supporters, le vacarme des vuvuzelas retransmis depuis l'Afrique du Sud, et les inévitables récupérations politiques.
La mayonnaise aurait-elle tourné ?
Ici ou là, on ne manquera pas d'agiter le drapeau râpé de la France black-blanc-beur, tandis qu'Alain Finkielkraut stigmatisera avec une conviction renouvelée une équipe « black-black-black ». Cela au grand dam d'Éric Besson : découvrant la sélection de Raymond Domenech, le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire avait regretté « qu'il n'y ait pas au moins un des Benzema, Ben Arfa ou Nasri » – autrement dit, un joueur d'origine maghrébine. La mayonnaise de la "diversité" aurait-elle tourné ?
Depuis le 26 mai, et jusqu'au 11 octobre, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration consacre une exposition au ballon rond. « Pratique originaire d'Angleterre, le football se diffuse en France à la fin du XIXe siècle, à la faveur des déplacements et migrations », rappellent les organisateurs. « Joueurs étrangers en clubs amateurs du début du XXe siècle, vedettes étrangères en clubs professionnels du championnat de France, joueurs naturalisés ou, plus fréquemment, d'origine étrangère endossant le maillot tricolore lors des compétitions internationales, relations entre supporters, joueurs et clubs, entre médias et joueurs : le football révèle nombre d'enjeux de la société d'aujourd'hui. "Facteur de rapprochement entre les peuples" pour les uns "creuset" de l'immigration pour les autres, ou encore sport pouvant générer xénophobie et racisme, le football et sa pratique constituent à leur manière un miroir de la société française. »
Audience record en Chine
Voilà une époque révolue. Dorénavant, en effet, ce miroir reflète, dans une large mesure, l'image du village global, en dépit du désintérêt des Américains pour le soccer. Lors des deux premières journées de la compétition, c'est dans l'empire du Milieu, selon la Fédération internationale de football (FIFA), qu'a été enregistré le record d'audience nationale, 24 millions de Chinois ayant suivi la retransmission du match opposant la Grèce à la Corée du Sud.
Aussi les "récupérations" débordent-elles largement du périmètre hexagonal. Samedi dernier, 12 juin, le colonel Kadhafi a vigoureusement condamné la FIFA, une « mafia mondiale » qu'il accuse d'organiser un « trafic d’êtres humains ». Force est de reconnaître qu'il n'a pas tout à fait tort. Le mois dernier, Maryse Ewanjé-Epée a justement publié, aux éditions du Rocher, une enquête consacrée aux Négriers du foot. « Ils sont des centaines chaque mois, les enfants foot qui embarquent pour le voyage sans retour vers d'illusoires carrières », annonce la quatrième de couverture. « En Afrique, le football suscite des passions sans bornes : il est le ticket pour l'ascenseur social. Trafic d'identités, chantage, ruines familiales, disparitions, le phénomène a bouleversé la vie de milliers de familles. Un exilé africain sur mille, en moyenne, fait carrière dans le football. Les autres finissent dans les statistiques des associations comme Foot Solidaire ou Manifootball, qui recensent plus de 200 cas de maltraitance et d'escroquerie chaque année. En France, plus de 1 200 cas d'enfants foot et de footballeurs sans papiers ont été identifiés »
En revanche, ce sont de jeunes gens présents sur le sol national depuis leur naissance qui suivront non pas le parcours de l'équipe de France, mais celui de la sélection algérienne. Les "Verts", comme on les appelle eux aussi, n'avaient plus participé à la phase finale de la Coupe du monde de football depuis vingt-quatre ans. Mais parmi eux, seuls deux joueurs évolueraient dans un club local. « Pour les Algériens, c’est une équipe importée », apprend-on sur le site Internet de RFI. Peut-être le malaise identitaire n'est-il pas une spécificité française...
Une réponse à la crise...
"Footeux" (comme Philippe de Villiers) ou feignant de l'être, les politiques défileront à l'antenne de Public Sénat, qui lance une émission censée les mettre aux prises avec les enjeux des matchs à venir. Dans les bureaux élyséens, enfin, on se réjouit à l'annonce de la reprise économique : « Le sport, c'est une réponse à la crise », avait déclaré le président de la République, alors qu'il plaidait pour que la France organise l'Euro 2016. Bank of America estime à 0,5 points de PIB l'apport de la Coupe du monde à l'économie sud-africaine. « Mais la question du bénéfice de l'accueil de ce type de manifestation pour le pays reste entière sur le long terme », tempère notre consœur Sandrine Cassini (La Tribune, 11/06/2010).
Dans l'immédiat, peut-être Nicolas Sarkozy caresse-t-il l'espoir qu'un exploit sportif des Bleus galvanisera le moral de la nation. À moins qu'il formule l'hypothèse selon laquelle la distraction des traders apaiserait la tension régnant sur les marchés financiers. En tout cas, on est loin du temps où le chef de l'État nous promettait qu'il irait chercher la croissance avec les dents.