Députés contre eurodéputés

1 juillet 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Sur fond de rivalité avec leurs homologues européens, les députés français accueillent sans grand enthousiasme la création d'un Service européen pour l'Action extérieure (SEAE). Aperçu des discussions en commission.

Réunis le 17 juin, les représentants du "triangle institutionnel" européen (Conseil des ministres, Commission et Parlement) sont convenus d'un accord ouvrant la voie à la création du Service européen pour l'Action extérieure (SEAE).

Satisfecit fédéraliste

L'eurodéputé belge Guy Verhofstadt, chantre d'une Europe plus fédérale, a exprimé sa satisfaction : « Il y avait initialement, avant l'intervention du Parlement européen, un petit service de type intergouvernemental. Mais nous avons réussi à changer la philosophie du service », a-t-il proclamé (Toute l'Europe, 23/06/10). Mme Catherine Ashton, Haut Représentant de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a assuré aux parlementaires qu'ils bénéficieraient, sur le budget propre du service, d'un droit de regard équivalent à celui dont ils disposent à l'égard de la Commission. Les députés devront « être informés à l'avance des décisions stratégiques et politiques », nous apprend Euractiv (23/06/2010).

Quelques jours plus tôt, emboîtant le pas au Sénat, la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale avait dénoncé le chantage exercé par le Parlement européen. Hervé de Charette fut le seul à fustiger « l'hostilité traditionnelle » de la France à son encontre, tandis que ses collègues examinaient un rapport présenté par Nicole Ameline et Gaëtan Gorce. Lesquels n'ont pas mâché leurs mots : « À aucun moment il n'a été question, ni dans la lettre ni dans l'esprit du Traité [de Lisbonne], de modifier dès aujourd'hui, dans le champ de l'action extérieure, les pouvoirs du Parlement européen, ni de permettre à ce dernier de s'immiscer dans le dialogue entre la Commission et les États membres quant à la décision fixant l'organisation et le fonctionnement du SEAE. Or les députés européens ont, sitôt consultés conformément au Traité, entendu peser sur la configuration même du SEAE en "prenant en otage" – osons l'expression – la décision du Conseil » – autrement dit, les gouvernements. Et d'ajouter « qu'il serait fallacieux de prétendre que l'on crée, avec le SEAE, une situation dans laquelle le Parlement européen serait seul en mesure d'exercer un contrôle démocratique que les parlements nationaux n'exerceraient plus à leur échelle : nous ne sommes pas dans un cas de transfert de compétences des États membres vers l'Union européenne ».

En effet, comme l'a relevé Élisabeth Guigou, l'innovation tient à « la capacité d'unifier la direction de l'action extérieure de l'Union », jusqu'alors scindée entre deux piliers, communautaire (Commission) et intergouvernemental (Conseil des ministres). Ainsi est-il possible, selon les rapporteurs,  « d'imaginer une nouvelle opération [navale] en Somalie et au Yémen, qui mêlerait contrôle de la piraterie avec déploiement de troupes, reconstruction de l'État somalien, assorti d'une aide au développement et d'assistance sous forme d'ingénierie administrative... soit toute la palette des instruments placés sous la responsabilité politique de Mme Catherine Ashton – les modalités de mise en œuvre concrète, budgétaire en particulier, différant toutefois. »

Euroscepticisme

Les parlementaires français n'en ont pas moins exprimé un certain scepticisme quant aux perspectives ouvertes par l'institution du "service diplomatique européen". Hervé de Charette s'est dit « très surpris par les chiffres avancés » : « Doter ce nouveau service de 8 000 personnels alors que tous nos ministères rencontrent des difficultés pour conserver leurs effectifs me paraît étonnant. Le ministère français des Affaires étrangères compte entre 12 et 13 000 personnels tout compris : avons-nous besoin d'en créer un second sans compétence bien définie ? » « Ce processus ne doit pas conduire à l'affaiblissement de la diplomatie française », a prévenu Robert Lecou. D'autant qu'« il n'y a pas de diplomatie européenne » – ce qu'a confirmé Jean-Claude Guibal : « Les représentants de l'Union européenne que j'ai rencontrés à l'étranger se contentaient de distribuer des crédits et de faire un peu de coordination. Le nouveau service ne change rien à cela. » De toute façon, a conclu Jean-Michel Boucheron, « personne ne souhaite réellement que ce projet aboutisse. Aucun État n'est prêt à se dessaisir de sa politique étrangère et c'est heureux. »

Deux thèses en présence

Les rapporteurs sont-ils du même avis ? « Les capitales des États membres, et en particulier des grands États, continueront probablement à jouer un rôle incontournable », ont-ils écrit. « Symétriquement, l'Union risque fort de parvenir pendant encore un certain temps à "se taire d'une seule voix" – comme, hélas, encore tout récemment à propos de l'arraisonnement en haute mer d'une flottille qui voguait vers la bande de Gaza. » De fait, « l'Union européenne n'a jamais été aussi visible sur la scène internationale que dans sa réaction aux crises survenues au cours de la présidence française du deuxième semestre de 2008... sous le régime du traité de Nice ! » Preuve, selon eux, que « la clef du succès de la future diplomatie européenne sera la capacité des grandes capitales à faire converger leurs approches ».

Se distinguant par un relatif optimisme, Marie-Louise Fort s'est demandé « si le nouveau service européen ne renforcera pas, finalement, la voix des États européens dans le monde ». « Deux lectures sont possibles en effet », selon Gaëtan Gorce : « On peut certes voir dans l'avènement de ce nouveau service un risque d'affaiblissement de notre diplomatie ; on peut aussi le considérer comme un renforcement de la capacité de faire prendre en compte nos préoccupations au sein de l'Union européenne. » Quoi qu'il en soit, les députés participant au débat ont témoigné d'un relatif réalisme dont on les imaginait peu coutumiers. Sans doute y ont-ils été poussés par leurs homologues "européens" convoitant leurs prérogatives institutionnelles.

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