La France dans le bourbier afghan

2 septembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que les soldats français continuent de tomber en Afghanistan, les autorités semblent vouloir se prémunir de la défiance de l'opinion publique... Du reste, la coopération civile n'est-elle pas « une coûteuse illusion » ?

Lundi dernier, 30 août 2010, l'adjudant Hervé Enaux, du 35e régiment d'infanterie de Belfort, est décédé en Afghanistan, après que son VAB (véhicule de l'avant blindé) fut tombé dans un ravin dans la vallée d'Uzbin. Âgé de trente-cinq ans, il était marié et père d'un petit garçon de trois ans. Sept jours plus tôt, le lieutenant Lorenzo Mezzasalma et le caporal Jean-Nicolas Panezyck, appartenant au 21e régiment d'infanterie de marine de Fréjus, avaient été tués par balles au sud de Tagab. Tandis qu'il prononçait leur hommage funèbre, le président de la République a affirmé qu'il portait en lui « la tragédie de chacune de ces vies interrompues dans la fleur de l'âge ». Il a assuré  que leur souvenir renforçait « en chacun de nous la détermination à poursuivre notre engagement au service de la France », qui restera en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire ».

Discours de fermeté

Ce discours de fermeté semble s'inscrire dans une contre-offensive médiatique entamée par les autorités militaires après la "sotie" du général Desportes. Il faut compter, en effet, avec la défiance de l'opinion publique : alors que les Néerlandais ont opéré leur retrait le mois dernier, la tentation de les imiter gagnerait du terrain en Finlande (Bruxelles 2, 24/08/2010). La crainte d'une "contagion" à la France explique peut-être l'intensification de la communication observée sur les sites Internet de la Défense nationale, où les opérations humanitaires sont d'ailleurs quelque peu éclipsées par des articles traitant de questions plus militaires. Le 17 août, par exemple, l'État-major des armées a mis en exergue, vidéo à l'appui, « trois tonnes de munitions saisies grâce à la population ». Le 24, il a rendu compte du quotidien des soldats engagés en Kapisa : « Dans la matinée deux soldats sont blessés, l'un assez sérieusement doit être brancardé. Sur plus d'un kilomètre d'un vrai parcours du combattant, refaisant le chemin dans l'autre sens, transportant leur camarade blessé qui fait bonne figure dans son brancard souple, les soldats grimacent dans l'effort en sautant fossés et murets, se relayent, se postent quand des rafales claquent  puis repartent au milieu des vergers ne cessant jamais leur effort. Dans l'extrême chaleur de midi, les fronts ruissellent, les chemises ne sont plus que sueur sous les gilets pare-balle qui semblent un peu moins lourds depuis qu'ils ont sauvé la vie de deux camarades. »

La preuve est ainsi donnée que tous nos soldats n'ont pas été reconvertis au service des ONG ! Sans doute sont-ils d'ailleurs en partie destinataires de ces messages. Faut-il, cependant, mépriser  la coopération civile en Afghanistan ? Le budget que lui consacre Paris est passé de 20 à 40 millions d'euros environ entre 2008 et 2009. Autant d'argent investi dans des programmes censés « faciliter la reprise du dialogue entre les population locales [...] et les autorités nationales » et « concourir à l'acceptation de la présence des troupes, en répondant rapidement aux besoins essentiels de personnes habitant des zones à caractère essentiellement rural et agricole », selon les explications d'Amaury de Féligonde, auteur d'une étude publiée par l'IFRI.

Efficacité limitée...

Sont combinées actions à impact immédiat (distribution à grande échelle d'intrants agricoles, programme de santé infantile) et opérations à moyen ou long terme (lancement d'activités avicoles ou piscicoles d'une part, assistance des conseils municipaux ou infrastructures lourdes d'autre part). « Leur efficacité est toutefois limitée par la persistance au sein de la communauté internationale, d'une triple illusion, selon laquelle l'aide serait toujours bénéfique et souhaitée par une population considérée à tort comme homogène et à laquelle on prétend imposer des normes ou des "bonnes pratiques" censées résoudre le problème de la corruption. »

Moult acteurs négligeraient la "capacité d'absorption" des bénéficiaires de l'aide au développement. Laquelle « introduit systématiquement des déséquilibres, potentiellement destructeurs », et suscite souvent des tensions. Ainsi le contrôle des tracteurs fournis par un projet de coopération français a-t-il provoqué des altercations entre chefs tribaux... L'auteur met en garde contre la multiplication « des mendiants corrompus » et fustige « un ministre qui, médecin, insiste pour que des projets de santé soient systématiquement financés dans les régions qu'il visite ». « Dans ce contexte instable, où le futur n'est pas garanti », il lui semble « étonnant de constater que deux errements ont la vie dure. L'un concerne la volonté de créer à tout prix des unités industrielles. [...] L'autre erreur a trait aux exportations, qu'il faudrait s'efforcer de favoriser. [...] Il se trouve ainsi que nombre de produits agricoles [...] sont achetés sur pied par des intermédiaires pakistanais, et stockés au Pakistan, faute de circuits, d'organisation, de capacités de stockage locaux, le temps d'être revendus, hors saison, en Afghanistan. »

Il conviendrait de favoriser au maximum l'"afghansiation" des projets. En la matière, la France fait plutôt figure d'exemple, puisque les équipes qu'elle déploie comptent 95 % de personnels locaux, y compris parmi les chefs de projet. Pour la construction de petites infrastructures, « la solution idéale est d'utiliser la main d'œuvre issue des villages bénéficiaires, afin de maximiser les revenus allant directement aux communautés visées, mais aussi de bénéficier d'ouvrages construits par la population, et donc préservés par elle ». Il a été constaté à Kandahar que des ouvrages construits suivant ce modèle communautaire n'avaient pas fait l'objet de destructions largement observées ailleurs.

La démocratie, ennemie du temps

Certes, « dans les districts de Kapisa et Surobi, l'expérience semble montrer qu'il n'y a aucun rapport de cause à effet direct, ou immédiat, entre aide civile ou civilo-militaire, et acceptation de la force ; entre les projets de développement et la reconnaissance de l'État afghan par les populations ». Mais « les actions de développement ne sont en effet qu'une des nombreuses composantes des opérations de stabilisation. Les actions de sécurisation [...] et de gouvernance [...] sont tout aussi cruciales. » Pour preuve, il est reconnu « que l'attrait que les mouvements insurgés, et les "talibans", peuvent exercer sur les populations est en partie lié à la capacité de ces derniers à rendre une justice relativement efficace et équitable, quoique souvent expéditive, ce dont n'est pas toujours capable le gouvernement afghan ».

Bien que son constat soit sévère, Amaury de Féligonde récuse en définitive tout défaitisme. « Encore faudrait-il que les acteurs civils et militaires poursuivent leur action dans la durée [...] en n'abandonnant pas trop rapidement des forces de sécurité afghanes encore faibles. » N'en déplaise à Ségolène Royal, « notre action au service de la paix ne doit pas être soumise à des calendriers artificiels », « ni aux humeurs médiatiques », selon l'expression du chef de l'État, intervenu le 25 août devant les ambassadeurs. Mais n'est-il pas lui-même le prisonnier de l'opinion ? On croit seulement lui donner des gages en dissertant sur un retrait hypothétique. Hélas, comme l'a souligné  Romain Mielcarek, « c'est également un jeu dangereux pour les hommes et les femmes d'armes qui participent aux opérations sur le terrain, partagés entre deux réalités. Eux-même constatent la dualité des discours. Quand ils sont en France, ils entendent les politiques parler de départ. Quand ils sont sur le théâtre d'opérations, ils ne peuvent que constater que leur présence sera nécessaire encore longtemps. » (Alliance géostratégique, 22/08/2010) Cela n'est pas de nature à conforter le moral des soldats, déjà fragilisé par la rigueur des règles d'engagement.

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