La DGSE communique

12 octobre 2010

La DGSE communique, par la voix de son patron et celle de son directeur technique, à la recherche de nouveaux ingénieurs. Aperçu de la "doctrine officielle" primant dorénavant en matière de renseignement.

« La connaissance et l'anticipation », dont le renseignement est « un élément essentiel », sont appelées à devenir « le cinquième pilier de la défense et de la sécurité nationale », avec la prévention, la dissuasion, la protection et la projection, annonce Érard Corbin de Mangoux, dans un entretien accordé à Isabelle Lasserre. Nommé à la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il a entamé « une petite révolution intellectuelle » : « Pour la première fois, on intègre le renseignement, au plus haut niveau de l'État, dans la panoplie d'outils dont disposent les décideurs de la politique étrangère, de sécurité et de défense. C'est le sens de la création du Conseil national du renseignement qui, sous l'autorité du président, définit les orientations stratégiques en la matière. » (1)

Quelles menaces ?

« Les services français ont développé des coopérations d'abord avec leurs partenaires étrangers, avant de comprendre tout l'intérêt qu'ils avaient à resserrer les liens avec les autres services nationaux qui sont leurs premiers partenaires naturels. » Le monde dans lequel ils opèrent « a profondément changé depuis vingt ans. Les menaces sont devenues beaucoup plus diverses, diffuses et changeantes que naguère. Elles émanent de groupes terroristes, d'organisations criminelles, d'États, de réseaux proliférant et de pirates. Elles prennent leur source dans des conflits déstabilisateurs et des États faillis, sans parler des cybermenaces – nouvelles et en plein développement – et de l'espionnage, toujours aussi actif. »

Mais « contrairement au tableau très sombre que certains médias ou analystes étrangers brossent de la société française, les valeurs démocratiques et laïques qui la fondent, l'habitude qu'a notre pays d'accueillir des populations étrangères depuis plus d'un siècle, le modèle intégrationniste » rendraient la France « moins exposée que d'autres à cette dérive pathologique qu'est le radicalisme violent ». On voudrait le croire ! Quoi qu'il en soit, « on sait que quelques individus seulement peuvent causer des dommages insupportables pour nos concitoyens. Même si la société française en produit infiniment peu, c'est déjà trop, et il faut donc les repérer assez tôt pour les empêcher de nuire. »

Selon son directeur, « le mode de fonctionnement de la DGSE est assez atypique ». Seuls les Allemands seraient organisés de la même façon : « Nous sommes un service intégré, qui réunit à la fois la partie technique, les capacités d'analyse et les opérations plus offensives. Les Britanniques [...] ont trois agences différentes : une agence technique qui travaille pour tout le monde ; un service de renseignement extérieur qui collecte l'information ; et un service d'analyse qui mouline le tout. Plus, bien sûr, un service intérieur. C'est un modèle qui marche bien, mais qui est plus vorace que le nôtre en hommes et en argent. Le système français permet une meilleure coordination et une efficacité accrue. En gros, nous sommes capables de mobiliser l'ensemble de nos équipes sur un thème donné et de traiter tous les aspects d'un dossier, y compris l'analyse. »

Appel à candidatures

Entre autres faiblesses,  Érard Corbin de Mangoux pointe des difficultés de recrutement : « Nous cherchons à recruter des agents qui fassent preuve, dans leur travail, de retenue et de discrétion. Mais parfois nous n'avons pas le choix : certaines langues sont difficiles à trouver sur le marché ou ne sont pratiquées que par des personnes qui ne présentent pas toutes les qualités requises. Dans ce cas, il faut faire des compromis. »

Entre cent et cent cinquante postes d'ingénieurs seraient à pouvoir chaque année jusqu'en 2014. « La plupart des membres de la direction technique effectuent les mêmes tâches que dans le privé », rapporte notre confrère Rémy Maucourt. « On pourrait presque croire qu'ils travaillent pour une société comme une autre, mais les enjeux restent fondamentalement différents. La pression est importante, venant de la hiérarchie mais surtout de la nature des missions. Les contraintes de confidentialité sont extrêmes : un agent ne parle pas de ses activités, ni à ses proches ni à sa famille. Au public, il ne donne que son prénom. Il ne consulte pas ses mails personnels au bureau : pour des raisons de sécurité, son réseau est fermé. »

Si certains jugent « valorisant » de travailler pour le pays, d'autres soulignent que »le patriotisme n'entre pas en ligne de compte dans le recrutement ». Des conditions avantageuses compenseraient l'interdiction de se syndiquer ou de faire grève... « Aujourd'hui, la défense des intérêts de la nation n'est plus le principal argument pour attirer les candidats vers les services secrets. » Selon Bernard Barbier, directeur technique, ceux-ci offriraient simplement « un bon début de carrière ». Une perspective exaltante, sans doute à la mesure de lépoque.

(1) « Le Conseil national du renseignement (CNR) définit les grandes orientations et fixe les priorités assignées aux six services de renseignement français : la DGSE  ; la DRM  (Direction du renseignement militaire) qui traite le renseignement d'intérêt militaire et opérationnel ; la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense) qui veille à la sécurité des informations et du personnel relevant de la Défense nationale ; la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), issue de la fusion de la DST et des RG ; la DNRED (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et financières) qui dépend du ministère de l'Intérieur ; enfin, le TRACFIN, service s'occupant des circuits financiers clandestins et de´pendant du ministère du Budget. Le CNR est anime´ par un coordonnateur national, l'ambassadeur Bernard Bajolet, placé sous l'autorité du président de la République. »

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