Charles Maurras et le "triple A"

15 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand Charles Maurras se trouve convoqué pour appuyer un libre commentaire de la crise des dettes souveraines...

La soumission du politique aux "lois du marché" relève d'un lieu commun largement dénoncé. De fait, la réforme des retraites fut vraisemblablement décidée sous la pression des investisseurs, afin de prévenir un renchérissement des emprunts d'État.

Politique d'abord

Y a-t-il matière à scandale ? Sans aucun doute aux yeux des gaullistes, pour qui « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » – autrement dit, à la bourse. En pratique, alors que la charge de la dette constitue le deuxième poste budgétaire de l'État, les fluctuations des marchés obligataires ne sauraient indifférer les responsables politiques. La tentation est grande, pour les royalistes, de s'inscrire dans le sillage du général De Gaulle – quitte à s'abriter derrière le "politique d'abord" cher à Maurras.

Mais « quand nous disons "politique d'abord" », expliquait-il dans Mes Idées politiques, « nous disons la politique la première, la première dans l'ordre du temps, nullement dans l'ordre de la dignité » : « Autant dire que la route doit être prise avant que d'arriver à son point terminus ; la flèche et l'arc seront saisis avant de toucher la cible ; le moyen d'action précédera le centre de destination. » Des considérations à l'opposé de la maxime gaullienne selon laquelle « l'intendance suivra » !

À la quête d'une grandeur virant à l'esbroufe, nous préférons celle, patiente et discrète – somme toute capétienne ? – de la puissance et de la prospérité. Dans cette perspective, l'économie peut apparaître « plus importante que la politique ». Maurras lui-même le proclamait. En conséquence, écrivait-il, « elle doit [...] venir après la politique, comme la fin vient après le moyen, comme le terme est placé au bout du chemin, car, encore une fois, c'est le chemin que l'on prend si l'on veut atteindre le terme ».

Travers volontariste

La mondialisation a-t-elle changé les règles du jeu ? Beaucoup le prétendent, poussés par le romantisme ou la démagogie. Tel Arnaud Montebourg évoquant, au micro d'Hedwige Chevrillon, « les dettes incommensurables » que les marchés financiers auraient « imposées » aux peuple européens (BFM Business, 01/12/2010). Mise au pilori, la spéculation vient rappeler les politiques à leurs responsabilités. D'ailleurs, elle n'est pas seule en cause : « Il faut bien voir qu'une partie [des banques] n'a pas d'autre choix que de vendre les obligations de certains pays », souligne Jean Quatremer (Coulisses de Bruxelles, 29/11/2010). « En effet, les règles prudentielles les obligent à avoir en portefeuille, en fonds propres, des emprunts d'État très bien notés afin qu'elles disposent d'un matelas solide. [...] Donc ce qui peut apparaître comme de la spéculation contre la dette souveraine de la part des établissements financiers européens n'est que la résultante d'une réglementation inadaptée. » En Grèce, ce ne sont pas des traders, mais bien les politiques, qui ont maquillé les comptes publics, précipitant leur pays dans l'abime. Quant à l'État américain, il a joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la crise des subprimes.

Washington était-il soumis aux lois du marché, alors qu'il encourageait les banques à prêter à des ménages insolvables afin d'élargir l'accès à la propriété ? Sans doute s'est-il davantage montré coupable de les négliger ! En dépit du scepticisme que lui inspiraient les économistes libéraux, Maurras n'excluait pas l'existence de lois économiques. Il appelait même à leur obéir. C'est à cette condition, disait-il, « que nous commanderons aux choses ». Aussi leur stigmatisation est-elle une ânerie – la conséquence d'un fourvoiement volontariste.

« En matière économique, plus encore qu'en politique, la première des forces est le crédit qui naît de la confiance », observait encore Maurras. Or, la parole d'un Trichet vaut davantage que celle d'un Sarkozy : tandis que la Banque centrale européenne maintient son cap, l'Élysée navigue à vue... « En fait, les gouvernements européens perçoivent mal ce besoin d'avoir un instrument capable d'interagir en temps réel avec les marchés pour enrayer le plus vite possible les menaces », analyse Anton Brender, directeur des études économiques chez Dexia AM (Les Échos, 03/12/2010). « Ils ont aussi du mal à comprendre que les marchés soient si sensibles aux messages qu'ils envoient et qu'ils puissent si vite paniquer. Les marchés ont besoin de messages clairs et d'interventions décidées. » Ce dont les gouvernements démocratiques se montrent peu capables.

2 commentaires pour "Charles Maurras et le "triple A""

  1. Catoneo

    Le 15 décembre 2010 à 19 h 22 min

    Les souverains de ce début du siècle 21 ne sont pas à chercher où le disent les corans politiques de référence. Bill Gates, Warren Buffet, le sultan de Bruneï et quelques autres sont indépendants de tout, dès lors qu'ils sont leur propre banque et gèrent des budgets "étatiques".
    Les gouvernements, démocratiques ou pas, sont pendus à des convergences éphémères qui parfois les étranglent.
    La première souveraineté des pays c'est la force économique, le reste est du domaine comique.

  2. Marcilhac

    Le 27 décembre 2010 à 18 h 47 min

    Un rapport parlementaire sur la spéculation vient de paraître. Peut-être serait-il bon, pour une fois, de prendre au sérieux, certaines de ses remarques.

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