Effet d'annonce en Afghanistan

3 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que le Charles de Gaulle apporte son soutien à la Force internationale d'assistance à la sécurité, l'Otan et ses alliés lancent officiellement le processus de transition censé transférer aux Afghans la charge de leur sécurité. L'heure du retrait a-t-elle sonné ?

Le Charles de Gaulle croise actuellement au large du Pakistan, moins d'un mois après avoir quitté Toulon. Jeudi dernier, 25 novembre, son groupe aérien embarqué (GAE) a conduit ses premiers vols en appui de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS ou ISAF) en Afghanistan. Ce faisant, la Marine ne répond pas à des considérations strictement opérationnelles, en vertu desquelles ses appareils seraient vraisemblablement basés à Kandahar, au plus proche des zones d'intervention. Il s'agit plutôt d'entretenir un savoir-faire.

Un Rafale s'abime en mer

Si l'on en croit l'état-major des Armées, ce groupe aérien s''intègrerait parfaitement dans le dispositif allié : « La première mission a été réalisée par un avion de guet aérien Hawkeye qui a opéré pendant cinq heures au-dessus du territoire afghan pour coordonner et contrôler les vols d'une centaine d'aéronefs de la coalition. En coordination avec un Hawkeye américain, l'appareil français a notamment géré les circuits de ravitaillement des avions de combat. [Le] 26 novembre, les avions de combat Rafale  et Super Etendard modernisés (SEM) ont réalisé leurs premières missions d'appui aux troupes engagés au sol (CAS ou close air support ). Les avions ont éclairé l'itinéraire d'une patrouille britannique dans le sud de l'Afghanistan, appuyé une évacuation sanitaire et ont assuré une alerte CAS, prêts à être engagés en cas de combat au sol. En deux jours, les aéronefs du GAE ont réalisé une dizaine de sorties totalisant environ vingt-cins heures de vol. » Deux jours plus tard, hélas, un Rafale s'est abimé en mer après que son pilote se fut éjecté. Un problème de jauge de carburant serait à l'origine de cet accident, selon notre confrère Jean-Dominique Merchet.

Les pilotes français devraient néanmoins continuer de survoler l'Afghanistan, un mois durant, alors que les chefs d'État ou de gouvernement de l'Otan ont annoncé, lors du sommet de Lisbonne des 19 et 20 novembre, que les Alliés entraient « dans une nouvelle phase » de leur mission. En effet, selon la déclaration finale, « le processus de transition, qui verra les Afghans assumer la responsabilité totale de la sécurité et le plein leadership dans certaines provinces et certains districts, devrait commencer début 2011 ». En vérité, le transfert des responsabilités est déjà entamé. Il est même très avancé dans la région capitale. « La montée en puissance de l'ANA [l'Armée nationale afghane] lui permet désormais de participer à 85 % des opérations menées par la FIAS et à toutes les opérations menées en RC-Est où est déployée la Task Force La Fayette », soutient l'état-major des Armées.

« La transition sera soumise au respect de conditions, pas d'un calendrier, et elle n'équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS », ont tempéré les Alliés. Cependant, ont-ils promis, « à l'horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble de l'Afghanistan ». « C'est un message très important pour nos compatriotes », a prétendu le chef de l'État. Sans doute l'est-il plus encore pour les électeurs américains... Ne l'oublions pas : quoi qu'on pense de cette guerre, elle se joue, dans une large mesure, devant les opinions occidentales. « Pour des sociétés postmodernes enclines au relativisme et dépourvues du sens de la durée, la guerre d'Afghanistan est une épreuve de vérité », commente Jean-Sylvestre Mongrenier sur le blog de l'Alliance géostratégique (AGS).

« Premier test de ce changement », annoncé par Nicolas Gros-Verheyde : le retrait des troupes canadiennes, en dépit duquel sera maintenue une mission d'instruction forte de 950 hommes. « Cette solution permet de respecter la décision prise en 2008 de retirer les troupes mais ne mécontente pas les alliés de l'Otan », commente notre confrère. « Au passage, comme nous l'expliquent les médias canadiens, cela permet de se passer de l'autorisation du Parlement, la présence en Afghanistan ne relevant plus d'une "mission de combat". » Du moins, officiellement.

Une armée mal préparée

« Une fois intégré par tous, qu'un retrait immédiat est difficilement envisageable, l'envoi de formateurs est vu comme la solution ayant un rapport coût-bénéfice dans le temps le plus sensé », observe Florent de Saint Victor, interrogé par l'AGS. « Et cela, malgré le fait que le rôle des OMLT à la française [operational mentoring and liaison teams, ou équipes de liaison et de tutorat opérationnel] est loin d'être sans risque. Il est possible de voir dans cela une forme d'incohérence, camouflée par la communication stratégique, qui régulièrement fait un effort particulier pour convaincre de l'importance de l'ANA dans la sortie de crise. » Selon cet analyste, « c'est au niveau local que l'action des OMLT se fait le plus ressentir. L'autonomie de l'ANA dépendant largement de l'expérience acquise au contact de la coalition. Les OMLT françaises ne peuvent rougir de leurs résultats. Les unités afghanes mentorées par les Français sont souvent appelées dans les Quick Reaction Force (QRF) de niveau national et ont participé à la dernière grande opération de l'ère McChrystal, l'opération Moshtarak lancée en février 2010. »

Dans ces conditions, la transition annoncée est-elle promise à la réussite ? L'armée afghane semblerait « enfermée dans une manière de faire la guerre (à l'américaine, à l'otanienne) qu'elle ne pourra assumer à terme. On ne s'improvise pas en une dizaine d'années un monstre froid de planification, de normes, de processus. Cet échafaudage construit par la coalition, quoique critiquable, est pourtant incontournable. Décoller progressivement l'ANA de la coalition est le défi du transfert des compétences exécuté district par district. D'ailleurs, et quoique ayant commencé depuis des mois, il ne fait que depuis récemment les gros titres à l'approche du sommet de l'Otan de Lisbonne. C'est d'ailleurs étrange que l'Otan ne communique pas plus sur l'application de ce plan déjà mis en place et qui semble donner, en particulier dans la capitale Kaboul, des résultats probants. » En dépit des effets d'annonce, la France n'est pas encore sortie du bourbier afghan.

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