Le Renseignement français en mutation

13 février 2011

Deux ans et demi après son entrée en fonction, Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement, a dressé un premier bilan de ses activités. Extraits de son audition par une commission de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2011.

« Point d'entrée privilégié des services auprès du président de la République [...], le coordonnateur doit prendre le recul nécessaire pour lui transmettre les meilleures informations possibles et rester à l'écart de la politique intérieure. [...] Il garantit la prise en compte de la fonction renseignement au sein de l'État. » Occupant ce poste depuis sa création en juillet 2008, Bernard Bajolet assure que « la principale avancée réside dans le fait que les services se parlent et travaillent ensemble ». « Désormais, affirme-t-il, le risque que nous manquions quelque chose par rétention d'information entre les services est quasi inexistant. »

Le spectre terroriste

DCRI et DGSE travailleraient même « en étroite concertation, là où il n'y a pas de frontière entre menace intérieure et menace extérieure. La menace intérieure, quant à elle, est croissante : elle se nourrit d'un phénomène nouveau d'auto-radicalisation qui existe dans la plupart des pays européens ainsi qu'aux États-Unis. [...] L'incident qui s'est récemment produit en Suède montre que le risque d'attentat commis par des individus qui se sont radicalisés eux-mêmes est bien réel. » En revanche, il faudrait « relativiser la relation entre la problématique de l'intégration et celle de la menace terroriste. Ainsi, dans le cas récent de la tentative d'attentat suicide à Stockholm, le terroriste était parfaitement intégré. Il en va de même de l'auteur de la tentative d'attentat sur la ligne Amsterdam–Détroit en décembre 2009. »

M. Bajolet appelle à renforcer les moyens dédiés au renseignement intérieur, dont il conviendrait d'ouvrir le recrutement au-delà des seuls effectifs policiers : « En effet, le renseignement se diversifie et touche désormais les domaines économique ou technique. » D'ailleurs, « la coordination s'est également attachée à renforcer le lien et la complémentarité entre le dispositif de renseignement économique et l'intelligence économique – c'est-à-dire la collecte d'informations par des services autres que les services de renseignement. Il s'agit notamment des informations ouvertes et de celles disponibles dans les administrations. Une délégation interministérielle à l'Intelligence économique a été créée en septembre 2009. [...] Bien que située à Bercy, elle reçoit ses orientations d'un comité directeur établi à l'Élysée, tandis que le suivi des recommandations est assuré par Matignon. »

Défaut de prospective

Mais « l'anticipation ne se limite pas au renseignement », souligne Bernard Bajolet. « Elle touche aussi à la prospective. Hélas, celle-ci n'est pas organisée au niveau interministériel. Nous disposons de différents organismes : le ministère de l'Intérieur et celui des Affaires étrangères ont chacun une direction de la prospective et le ministère de la Défense possède une direction des affaires stratégiques ; mais ces structures ne sont pas reliées entre elles. De surcroît, la prospective n'est pas toujours envisagée de façon opérationnelle. Au-delà de la simple spéculation, elle doit présenter des scénarios et déboucher sur des politiques concrètes. Aujourd'hui, cette fonction n'est pas assumée. Le conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques placé auprès du Premier ministre ne joue pas non plus ce rôle. Celui-ci doit donc être développé au sein de l'État, dans un cadre interministériel, pourquoi pas au sein du SGDSN ? »

Le coordonnateur national du renseignement veille, en outre, « à ce que les services disposent des moyens nécessaires pour accomplir leur mission » : « En ce qui concerne l'investissement, nous avons la charge de piloter des programmes dont certains sont mutualisés entre les services, tels les moyens informatiques et électroniques. Pour ce qui est de l'imagerie spatiale, nous avons décidé d'engager en national le programme Musis – successeur d'Hélios – en raison de l'absence de réponse de nos partenaires européens, tout en leur laissant la porte ouverte. Il nous semblait en effet crucial de ne pas accroître le risque de rupture capacitaire. D'autres programmes vont faire l'objet de décisions prochainement, par exemple le remplacement de nos drones Male – qui viendront en fin de vie vers 2013. » Mais « il faudra procéder à des arbitrages », prévient M. Bajolet : « Tous les projets ne pourront pas être conduits au même rythme. » Pourtant, à l'heure où AQMI et son gourou défient ouvertement la France, les besoins pourraient s'avérer croissants... La vigilance s'impose.

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