Matières premières : le volontarisme à l'épreuve
17 février 2011
Dénonçant la volatilité des prix, le président de la République prétend renforcer la "gouvernance mondiale". Démagogie et réalisme rendront cet effet d'annonce difficile à concrétiser.
Ce vendredi 18 janvier, à 18 heures, le président de la République devait prendre la parole devant les ministres des Finances du G20 réunis au palais de l'Élysée. Soucieux, apparemment, de donner une nouvelle impulsion à la "gouvernance mondiale", Nicolas Sarkozy aura sans doute réaffirmé sa volonté de s'attaquer aux marchés des matières premières. Une fois n'est pas coutume, les débats internationaux feront directement écho au quotidien du citoyen lambda : aux Galeries Lafayette, par exemple, les prix pourraient augmenter de 15 % en raison de la hausse du coton.
Un pic historique
Plus préoccupant encore, les prix alimentaires mondiaux ont atteint un nouveau pic historique en janvier, pour le septième fois consécutive, selon la FAO dont l'indice mensuel est établi depuis 1990. En cause, notamment : les conditions climatiques ayant affecté la Russie, l'Australie ou la Chine. Mais aussi, selon Nicolas Sarkozy, la spéculation, qu'il feint de croire responsable des émeutes de la faim survenues en 2008. Dans le collimateur du chef de l'État figurent les "marchés à terme". Des marchés dont l'interdiction en France, par le Front populaire, ne fut levée qu'en 1993 ! On y échange des "futures" ou contrats à terme : « des engagements entre acheteurs et vendeurs comportant un prix "ferme et définitif" pour un paiement et une livraison à une échéance précisée et différée et dont les contenus (spécificités des sous-jacents concernés) sont standardisés », expliquent Jean-Pierre Jouyet, Christian de Boissieu et Serge Guillon dans un rapport d'étape. Ces marchés, reconnaissent-ils, « s'éloignent des préoccupations de l'économie réelle, même si les fondamentaux physiques demeurent des déterminants majeurs de leurs comportements. [...] Mais le premier objectif de ces marchés est de permettre à des opérateurs sur les marchés physiques de se couvrir à l'égard d'un risque de fluctuation des prix. »
De fait, le "volontarisme" présidentiel pointe un problème vieux comme le monde. « Le blé a toujours été le personnage dominant de notre passé », écrivait Fernand Braudel, dont la citation est mise en exergue par les rapporteurs... À leurs yeux, la récurrence des crises agricoles souligne le caractère structurel de la volatilité des prix. « Le blé en est un excellent exemple. En retenant la volatilité exprimée par le rapport entre le prix moyen au producteur du blé de l'année n et celui de l'année n-1 sur le prix du blé au producteur en valeur réelle, plusieurs périodes de crises apparaissent : grande volatilité entre 1920 et 1936, crise de 1936-1937, pics exceptionnels à la hausse et à la baisse (supérieurs à 2007-2008), volatilité importante entre 1940 et 1962, crise de 1967, fluctuation exceptionnelle de 1974, crise de 1992... »
Quand Moscou joue les spéculateurs...
Un ancien ministre de l'Économie, Alain Madelin, a soutenu dans La Tribune (31/01/2010) que « la même volatilité existe sur les marchés les plus financiarisés comme le pétrole ou le blé et sur ceux qui sont restés le plus physiques comme le riz ou l'acier ». D'où sa mise en garde : « Il ne faudrait pas qu'à trop se focaliser sur les marchés financiers, on néglige les mesures concrètes qui peuvent permettre d'améliorer la situation et qui – marché par marché – consistent le plus souvent à faciliter l'investissement, désentraver les échanges, perfectionner la régulation et la transparence des stocks. » En outre, si elle renonce définitivement aux prix administrés, l'Union européenne devrait développer ses propres marchés. En effet, remarquent Jean-Pierre Jouyet, Christian de Boissieu et Serge Guillon, « les variétés et standards développés sur les bourses américaines ne correspondent pas aux variétés et standards des matières premières produites ou consommées en Europe. Par conséquent, les marchés américains ne proposent pas des produits permettant une couverture optimale du risque prix aux opérateurs européens, qui gagneraient à l'émergence de marchés de matières premières agricoles européens aussi liquides que leurs homologues d'outre-Atlantique. »
La "gouvernance mondiale" se heurte donc à la démagogie. Naturellement, elle doit compter également avec la résistance des États. Afin de suivre le niveau des stocks, « une base de données serait une très bonne chose », estime Johanne Buba, co-auteur d'une note du Centre d'analyse stratégique (Euractiv, 03/02/2011). Mais « sur les productions agricoles, il est très délicat d'avoir des données précises », affirme-t-elle. « La Chine, par exemple, pourtant l'un des plus grands producteurs mondiaux de blé, a pour habitude de ne rien dire de ses réserves. » Enfin, quitte à vilipender les spéculateurs, on vouera Moscou aux gémonies : anticipant de mauvaises récoltes, il avait décrété un embargo sur les exportations de blé russe le 15 aout dernier, contribuant à la flambée des cours... En dépit des beaux discours, les intérêts nationaux continuent de gouverner le monde.