Feu sur Moody's and Co !

17 mars 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Accusées de faire la pluie et le beau temps sur les marchés financiers, où elles influencent les taux d'emprunt, les agences de notation demeurent dans le collimateur des politiques. Mais les responsabilités sont partagées.

L'horizon semble loin de se dégager pour la Grèce. Le 7 mars, Moody's a dégradé de trois crans sa notation souveraine, suscitant la colère d'Athènes. Paris est lui aussi monté au créneau : les agences « ne devraient pas noter des pays qui sont sous contrat avec la Commission européenne, le FMI et la BCE », a déclaré Christine Lagarde à l'antenne de France Culture (Les Échos, 11/03/2011).

Fourvoiement

Le ministre de l'Économie va-t-il ouvrir des discussions en conséquence ? Le cas échéant, souhaitons-lui bon courage : cela supposerait, vraisemblablement, de réviser la constitution américaine – dont le premier amendement garantit la liberté d'expression –, à défaut d'empêcher la circulation des informations de part et d'autre de l'Atlantique. Vaste programme, à l'aune duquel on mesure la démagogie du propos. Les responsables politiques sont coutumiers de ces fourvoiements volontaristes, grâce auxquels ils flattent peut-être l'opinion, mais entretiennent aussi le fatalisme ambiant, en revendiquant paradoxalement leur impuissance.

Les agences de notation ont certes prêté le flanc à la critique. Comme le rappelle Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), elles se sont montrées « parfois dépassées par la complexité des produits qu'il leur était demandé de noter » – tels les CPDO (Constant Proportion Debt Obligation), élaborés à partir des couvertures de défaillance (CDS), dont la valeur s'est effondrée avec la crise en dépit du "triple A" qui leur avait été attribué (Cahiers de l'évaluation, n° 5, février 2011). Norbert Gaillard, consultant pour la Banque mondiale, pointe, quant à lui, l'erreur « d'avoir surnoté la Grèce et, dans une moindre mesure, le Portugal et l'Espagne au cours des années 2000, c'est-à-dire lors des premières années d'existence de la zone euro » – comme si la monnaie unique avait dissipé tout risque de défaut de paiement. « Entre 1999 et 2003, Fitch et S&P ont relevé la note de la Grèce de trois et quatre crans sans qu'il y ait de véritables justifications économiques ou financières. [...] Aujourd'hui, les agences tentent de rattraper leur erreur, mais elles dégradent trop tard et sont donc obligées de le faire massivement. » Ce faisant, elles nourrissent la défiance des investisseurs à l'égard des États emprunteurs, alimentant d'autant la crise des dettes souveraines – on parle d'une action « pro-cyclique ».

Cela dit, « même si des événements ponctuels – dont il ne s'agit pas de minorer l'importance – relancent les débats publics sur l'adéquation des niveaux de rating, la seule mesure "réaliste" de la performance des agences – la capacité à trier les risques avec un succès statistique – plaide pour [elles], en tous cas celles qui ont un recul historique », affirme Pierre Cailleteau, ancien responsables de la notation des États pour Moody's Investors Service. En outre, « comme le rappellent souvent les agences de notation, si elles étaient parfaitement prescientes, elles n'auraient que deux types de ratings : fera défaut – ne fera pas défaut ».

Médiation nécessaire

Or, la médiation qu'elles opèrent entre émetteurs et souscripteurs d'un titre obligataire apparaît indispensable, ceux-ci n'étant disposés à prêter à ceux-là que s'ils sont en mesure d'évaluer le risque encouru. Reste que le marché de la notation se trouve concentré autour de trois agences. Les deux principales, Moody's et Standard & Poor's, en détiendraient même 80 %. « Dans la mesure où de nombreux émetteurs exigent une double notation, ces agences se retrouvent parfois en situation de quasi-monopole », observe Jean Tirole, membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre. Aussi l'AMF s'est-elle fixé pour objectif de « promouvoir les solutions alternatives à l'évaluation de crédit par les agences de notation, en responsabilisant les acteurs qui investissent dans ces produits ». « Les grandes banques peuvent très bien [...] recourir à des modèles de notation interne », remarque Jean-Pierre Jouyet. D'autres plaident en faveur d'une agence publique, dont l'indépendance serait néanmoins garantie sous la houlette de la Banque centrale européenne ou du Fonds monétaire international. On n'en est pas encore là.

Dans l'immédiat, il appartient au régulateur de réviser les règles prudentielles dont on mesure aujourd'hui la perversité. Si les politiques stigmatisent désormais le rôle des agences, ils ont auparavant contribué à les ériger en acteurs clefs du système financier. « Ces dernières sont devenues au cours du temps des "auxiliaires de régulation" et retirent de ce statut des revenus considérables », souligne Jean Tirole. « Les institutions régulées (banques, compagnies d'assurance, [courtiers], fonds de pension) voient leurs exigences en capital diminuer sérieusement lorsqu'elles détiennent des créances bien notées. » Cela en application des accords de Bâle II. « Pour lutter contre l'effet pro-cyclique que les notations peuvent avoir, il est effectivement très souhaitable de conduire une revue approfondie des différents dispositifs réglementaires afin de les purger, autant que faire se peut, de références aux notations externes », reconnaît Jean-Pierre Jouyet. Preuve qu'à l'heure de la mondialisation, le "politique d'abord" n'est pas inopérant.

Un commentaire pour "Feu sur Moody's and Co !"

  1. Catoneo

    Le 18 mars 2011 à 15 h 05 min

    Les agences de notation sont utiles à tous ceux des acteurs incapables de monter chez eux un département d'analyses financières, et ils sont légion.
    Brider celles qui existent suscitera la création de nouvelles, car outre le besoin exprimé par le marché, c'est un bizness juteux.
    Reste que les Moody's, S&P's, Ficht et consorts pourraient être beaucoup améliorées.

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