La défense européenne à la poursuite des vœux pieux
3 mars 2011
Article publié dans L'Action Française 2000
Avant de quitter l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé a réaffirmé sa volonté de « relancer la défense européenne » - un concept dont les contours flous masquent à peine la faiblesse des avancées.
Une réunion "informelle" des ministres de la Défense de l'Union européenne s'est tenue à Budapest les 24 et 25 février. Au programme des discussions, notamment : la crise libyenne, la lutte contre la piraterie (dont la violence s'accroit au large de la Somalie) et la mutualisation des capacités. Cette rencontre devait être l'occasion de « concrétiser les travaux engagés l'année précédente », selon l'Hôtel de Brienne. Mais tandis que Paris promet « la relance de la défense européenne », les structures de la Politique européenne de sécurité et de défense (PSDC), intégrées à l'UE, souffriraient déjà de sous-effectifs, pointés par notre confrère Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 23/02/2011).
Si des avancées sont à observer, c'est plutôt dans les cadres bilatéraux, quoique les engagements restent, là aussi, à concrétiser. Ainsi Berlin et Budapest viennent-ils de signer un protocole d'accord portant sur la logistique. De leur côté, Londres et Ankara négocient un pacte de coopération : « Les Britanniques pourraient ainsi entraîner leurs pilotes d'hélicoptères en Turquie, qui présente un terrain (chaud et montagneux) proche de l'Afghanistan. Des officiers turcs pourraient être admis au Royal College of Defence Studies. Et vice versa. Des exercices en commun pourraient aussi être organisés. Enfin, les Britanniques souhaitent embarquer les Turcs dans la construction des futures frégates Type 26, prévues à l'horizon 2020. » (Bruxelles 2, 16/02/2011) En France, un projet de loi autorisant la ratification d'un traité avec le Royaume-Uni a été présenté en Conseil des ministre le 23 février. Conclu pour au moins cinquante ans, l'accord prévoit la construction et l'exploitation conjointes à Valduc, en Bourgogne. d'une installation de physique expérimentale. « Elle permettra de réaliser des expériences de laboratoire indispensables à la garantie du fonctionnement et à la sécurité des armes nucléaires des deux États », assure l'Exécutif.
Utopies néo-gaulliennes
« L'accord bilatéral avec le Royaume-Uni est un accord de coopération en Europe, mais pas un accord de coopération européenne » analyse Jean-Michel Boucheron, député socialiste d'Ille-et-Vilaine. S'exprimant, le 16 février, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, Alain Juppé a cultivé l'ambiguïté : « Dans ce que les Britanniques définissent comme un accord strictement bilatéral, nous voyons une brique d'une construction plus globale », a-t-il déclaré. Ce faisant, peut-être cherche-t-il à entretenir quelque illusion, tandis qu'il proclame « notre ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée française », a reconnu Alain Juppé, « et qui ne fait d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».
Dans ces conditions, les partisans des vieilles utopies néo-gaulliennes continueront, vraisemblablement, de se raccrocher à quelques symboles. La Cour des comptes ne s'y est pas trompée. Dans son rapport annuel, elle dénombre huit corps militaires européens auxquels la France participe, de nature et d'importance variables (Brigade franco-allemande, Eurocorps, Eurofor, Force navale franco-allemande, Euromarfor, Joint Force air component command, Commandement européen du transport aérien, Eurogendfor). « La réalité est que ces forces n'ont d'européen que le nom », souligne-t-elle. « En face de cela, l'Union européenne ne dispose [...] que d'un état-major général, sans chaîne de commandement. » En outre, « sans méconnaitre les lourdeurs inhérentes à toute décision d'emploi d'un corps multinational », la Cour « s'interroge cependant sur les motifs justifiant le maintien et le développement de ces structures militaires permanentes ». Et d'appeler à « revoir l'ensemble de ces dispositifs, dans une perspective de refonte et de réorganisation, voire de suppression ». Un désaveu cinglant.