L'islam des bureaux

6 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Se démarquant des chantres de la "diversité", le Haut Conseil à l'intégration pointe les tensions suscitées dans l'entreprise par les revendications religieuses. En réponse, il invoque la sacro-sainte laïcité.

Après avoir agité l'école, les services publics et les crèches, la laïcité suscite le débat dans l'entreprise. « Le paysage a bien changé », observe Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (DRH). Selon lui, « la revendication religieuse se fait plus forte, en raison notamment du recours à une main d'œuvre immigrée, originaire de pays non catholiques, à partir des années soixante ». Les chantiers du bâtiment constitueraient un cas emblématique : « on y observe le plus souvent des équipes constituées par communautés d'appartenance et par affinités religieuses », rapporte le Haut Conseil à l'intégration (HCI). Dans un avis publié le mois dernier, celui-ci ne craint pas d'aborder un sujet « tabou et politiquement incorrect ». D'autant qu'il aurait « toujours considéré la question de la laïcité comme intrinsèquement liée à celle de l'intégration des personnes d'origine étrangère ».

Problèmes concrets

Le service de repas halal, l'aménagement des horaires en vue des prières et l'octroi de congés pour les fêtes religieuses seraient gérés « avec assez de souplesse » dans les grandes entreprises. En revanche, le port de signes religieux, l'ouverture de salles de prière et les relations hommes-femmes seraient plus délicats à traiter. La légalité s'en trouverait bafouée : « Ainsi, tel restaurant ne possède pas de vestiaire pour femmes parce que son patron n'envisage pas d'en embaucher. [Dans] un salon de coiffure strictement réservé aux femmes, l'inspecteur du travail ne peut entrer pour effectuer un contrôle parce que son intervention troublerait leur intimité. »

Deux types de restrictions de l'expression religieuse peuvent être inscrites dans le règlement intérieur des entreprises : elles portent, d'une part, sur les impératifs de sécurité, d'hygiène et de santé et, d'autre part, sur la tâche du salarié définie dans son contrat de travail. « La jurisprudence du "boucher de Mayotte" (arrêt de la Cour de cassation, mars 1998) est claire sur ce point : un salarié boucher de confession islamique demandait, après deux ans de travail, de ne plus avoir à traiter de viande de porc ; l'employeur refuse ; le salarié cesse son travail et invoque un licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais le juge estime que "l'employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d'exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché". » Par ailleurs, « le juge français a évoqué au cours de plusieurs affaires la relation avec la clientèle pour justifier la restriction du port du foulard par des femmes musulmanes. Ainsi, la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (1997) a admis le licenciement pour cause réelle et sérieuse d'une salariée de confession islamique qui refusait d'adopter la tenue conforme à l'image de marque de l'entreprise. »

Tandis que la loi leur interdit de répertorier la religion de leurs employés, patrons et DRH risquent des poursuites judiciaires quand ils refusent de céder à certaines revendications. En effet, « certains seront tentés de lire toute limitation de l'expression religieuse [...] comme une discrimination religieuse, quand bien même cette restriction serait proportionnée et justifiée ». À ce titre, déplore le HCI, « la Halde a participé de cette évolution qui par certains aspects ne favorise guère l'apaisement entre salariés et entre employeur et salariés ».

Sentiment d'injustice

En outre, des accommodements peuvent être perçus comme des privilèges accordés à une minorité : « Si certains sont exemptés de travail le vendredi ou le samedi, serait-ce à dire que d'autres doivent impérativement les remplacer ces jours-là ? Si certains ont des horaires aménagés, pourquoi alors le refuser à d'autres dont les raisons ne seraient pas religieuses mais familiales par exemple ? » Souhaitant palier l'absence de réponses claires et homogènes, le HCI soutient « la mise en œuvre d'un dispositif à la fois législatif et règlementaire ». Aujourd'hui, ces questions seraient traitées au plus près du terrain. Selon le HCI, il conviendrait de promouvoir explicitement « la neutralité religieuse », de façon à « favoriser la qualité du lien social dans l'entreprise ». Concrètement, cela supposerait la révision des règlement intérieurs, et l'organisation de séminaires où serait diffusée la bonne parole républicaine.

« La laïcité est le moyen de faire coexister pacifiquement dans un espace commun une pluralité de convictions », martèle le HCI. C'est ignorer la violence des inventaires, et négliger les instrumentalisations auxquelles se prête un principe ambigu. C'est en son nom qu'on tente, parfois, d'étouffer des traditions façonnées par le christianisme – en allant jusqu'à réclamer que les sapins soient retirés des écoles à l'approche de de Noël ! Mais n'est-ce pas en son nom, également, que le Front national dénonce désormais l'immigration ? « En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité », assure Élisabeth Badinter, dans un entretien accordé au Monde des religions. Le 22 septembre, deux condamnations ont été prononcées par le tribunal de Police de Meaux en application de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Or, si l'on en croit l'enquête du Guardian, cela ne devrait rien changer au comportement des femmes incriminées. À moins qu'elles renoncent définitivement à sortir de chez elles, confrontées à des injures dont la violence irait croissant. Curieuse façon d'œuvrer à la concorde sociale.

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