L'appel pressant de la latinité

2 mars 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Bénéficiant d'une immense popularité en Amérique latine, la France aurait négligé, des années durant, de mettre à profit un tel atout. Il est temps de réparer cette erreur, martèle, plein d'enthousiasme, le député Jean-Luc Reitzer.

La France « compte-t-elle enfin définir et mettre en œuvre la politique latino-américaine qu'elle n'a jamais eue ? » Telle est la question posée par Jean-Luc Reitzer, député UMP du Haut-Rhin, en conclusion d'un rapport d'information enregistré le mois dernier (en février 2012) à la présidence de l'Assemblée nationale. Fervent promoteur d'un rapprochement avec l'Amérique latine, il doute « qu'aucun autre pays ait été aussi adulé que la France l'a été par les élites de la région ». Toute une génération de Brésiliens a d'ailleurs été formée à la culture française, suivant l'enseignement dispensé par les Alliances françaises. Pourtant, regrette le parlementaire, « il n'est pas certain que la France ait toujours su répondre à l'attente qu'elle a suscitée ». Sa présence dans la région souffrirait de la comparaison avec ses voisins européens. Par son silence, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale l'avait confirmé en 2008 : « Le sous-continent latino-américain est clairement le grand absent de notre réflexion diplomatique et stratégique. »

Continuité gaullienne

Cela ne date pas d'hier. À la veille d'un voyage en Amérique latine, le général De Gaulle, alors président de la République, avait confié à Michel Debré qu'il partait « sans programme diplomatique bien précis ». Tout au plus cherchait-il des partenaires susceptibles d'interférer dans le tête à tête de Moscou et Washington. « On ne s'est jamais vraiment intéressé à l'Amérique latine pour ce qu'elle est ou pouvait être, au mieux pour ce qu'elle pouvait apporter dans un équilibre multipolaire », analyse Jean-Luc Reitzer. De ce point de vue, Jacques Chirac s'inscrirait dans la continuité de son prédécesseur, développant des relations bilatérales afin « de trouver des appuis, au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies par exemple, pour peser dans la relation tendue que la France avait avec les États-Unis au long de ces deux présidences ».

De fait, « l'Amérique latine dans son ensemble est désormais vue par la France comme un partenaire obligé, indispensable pour faire avancer les grands dossiers internationaux », tels le réchauffement climatique ou la sécurité alimentaire. Cela étant, en dépit de multiples convergences avec Paris, Brasilia n'a pas caché les réserves que lui inspiraient ses interventions en Côte d'Ivoire et en Libye. Mais les relations commerciales constituent « la première pierre d'achoppement ». D'autant que la France a pris la tête de l'opposition européenne à la conclusion d'un accord avec le Mercosur, dont risqueraient de pâtir les exploitants hexagonaux : « Je ne serai pas le président qui laissera mourir l'agriculture française », a prévenu Nicolas Sarkozy.

Multilatéralisme

Si l'on excepte le "partenariat stratégique" – mais non exclusif, loin s'en faut – mis en œuvre avec le Brésil, « la dimension purement bilatérale de notre action vis-à-vis des pays d'Amérique latine ou, du moins, de certains d'entre eux, [...] semble réduit à une portion de plus en plus congrue », déplore le rapporteur. Selon lui, « la tendance à la multilatéralisation de la relation de la France avec les pays d'Amérique latine, si elle n'est évidemment pas récente, n'a fait que se confirmer au fil du temps, à mesure que l'action bilatérale tendait à décroître ». À l'heure actuelle, la France s'implique plus particulièrement dans la Banque interaméricaine de développement (BID). Elle figure au premier rang des seize pays européens actionnaires de l'institution, à égalité avec l'Allemagne, et dispose d'un siège au Conseil d'administration, partagé par rotation avec l'Espagne. « Il s'agit là évidemment d'un atout considérable », estime le député du Haut-Rhin. Un tel statut permettrait à la France de « conforter sur le long terme sa présence régionale, que ce soit sur des questions relatives à l'APD [l'aide publique au développement], au bénéfice des pays les moins développés de la zone, ou sur des enjeux plus économiques, dans les plus importants ». Selon Jean-Luc Reitzer, « un véritable potentiel s'offre ainsi aux entreprises françaises. Une collaboration s'est d'ailleurs très vite instaurée entre l'AFD [l'Agence française de développement ] et la BID, de plus en plus étroite. » C'est même sur la base d'une étude préalable financée par la BID qu'Alstom a remporté le marché du métro de Panamá, nous dit le rapporteur.

Quoique les marchés n'y soient pas d'un accès toujours aisé, la période actuelle est jugée faste pour les "investissements directs à l'étranger" (IDE) en Amérique latine. « Il apparaît toutefois que les IDE français restent relativement limités et que la France ne profite pas comme elle le pourrait de cette dynamique régionale. De sorte que bien que certaines entreprises françaises aient participé fortement aux privatisations sud-américaines au milieu et à la fin des années 1990, nos IDE ne dépassent que rarement 3 % des flux globaux que reçoit aujourd'hui le sous-continent. » Le rapporteur pointe « une certaine frilosité », sans occulter de « remarquables succès », telles l'implantation durable au Brésil de Carrefour, Casino et Suez, ou la présence de Sodexho au Pérou, où la société est devenue, comme au Chili, le premier employeur. En outre, « si elle est modeste, la présence des IDE français n'est cependant pas anodine ». Elle aurait même tendance à s'accroître ces dernières années.

Le Brésil rafle la mise

La majorité des investissements français en Amérique latine (près de 70 %) sont dirigés vers le Brésil, où ils enrichissent un "stock d'IDE" près de deux fois plus important qu'en Chine ! « Parmi les principales opportunités actuelles, de très gros projets sont envisagés dans les transports – TGV Rio de Janeiro-Campinas –, dans la génération d'énergie, sur laquelle Alstom et GdF-Suez sont sur les rangs avec les projets de barrage de Belo Monte et Jirau, ainsi que dans les domaines spatial ou nucléaire, qui intéressent respectivement des sociétés comme Thalès, Ariane Espace et Areva. PSA, qui a annoncé par ailleurs un investissement de 940 millions d'euros en Amérique latine, produit quelque 150 000 véhicules par an au Brésil. »

En 2010, la part de l'Amérique latine dans notre commerce extérieur se limitait à 2,7 %. Or, soutient Jean-Luc Reitzer, « les milieux d'affaires, qu'ils soient Français expatriés ou non, sont majoritairement désireux d'une présence supérieure de notre pays dans la région ». Le député se fait l'écho d'une exceptionnelle francophilie : « Quand bien même les relations, commerciales notamment, seraient-elles aujourd'hui plus importantes avec d'autres pays européens qu'avec le nôtre, les interlocuteurs, unanimes, n'en soulignent pas moins que "la qualité du dialogue n'est pas la même" et qu'"il n'y a pas la même identification", voire, même, pas les a priori dont d'autres peuvent pâtir. La relation avec la France est toujours présentée comme particulière, voire unique, non stéréotypée, à l'inverse de ce qui se passe pour d'autres, et il ne tient qu'à la France de savoir profiter de cet avantage incomparable. Tel est [...] le message que la mission a continûment entendu. »

Vers un choc des cultures ?

Au-delà des IDE, des transferts de compétences sont escomptés. Le savoir-faire de la France en matière de tourisme constituerait une expérience précieuse pour l'Équateur, par exemple. D'ores et déjà, la collaboration scientifique de part et d'autre de l'Atlantique s'avérerait très fructueuse. Selon le rapporteur, « la France pourrait opportunément tirer profit de son image et de l'attente qu'elle suscite pour compléter son offre actuellement centrée sur la création de lycées d'excellence en échange de la réintroduction de l'enseignement du Français dans les cursus scolaires ». Une carte à jouer parmi tant d'autres...

« De l'avis unanime », explique-t-il, « la proximité culturelle contribue grandement à résoudre les difficultés éventuelles ».En ce sens, poursuit-il, « la latinité est un atout considérable ». Cependant, prévient-il, « l'appui traditionnel des élites sur lequel la France a longtemps compté pour entretenir son image et ses positions en Amérique latine risque d'évoluer et d'être à l'avenir un instrument moins efficace, ne serait-ce que parce nombre d'entre elles sont plus facilement allées étudier aux États-Unis qu'en France ». Aussi celle-ci devrait-elle se mobiliser sans tarder pour « ne pas rater le coche ». D'autant que « si l'Amérique latine se sent aujourd'hui globalement toujours occidentale, certains pays sont désormais sur des registres en partie, voire radicalement, différents. C'est le cas en premier lieu de la Bolivie. » D'une certaine manière, il faudrait tenir compte, dorénavant, « d'une forme de choc des cultures ».

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