Les armées déshéritées

10 août 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Le chef d'état-major des armées tire la sonnette d'alarme : d'ores et déjà, reconnaît-il, « la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

Tandis qu'une commission prépare la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA), a mis en garde l'Assemblée nationale : « toute diminution du budget se traduira mécaniquement par un abandon de capacité », a-t-il déclaré le 11 juillet 2012, lors d'une audition en commission.

Notre outil de défense présenterait « un "rapport qualité-prix" exceptionnel » : « L'Allemagne consacre à sa défense un budget comparable alors qu'elle ne dispose pas de dissuasion nucléaire et qu'elle est moins impliquée que nous sur la scène internationale. L'armée britannique, notre armée presque jumelle, dispose d'un budget supérieur de 40 %. » Dans ces conditions, bien que le « plan de déflation des ressources humaines » soit respecté pour l'instant, « le plus dur reste à faire ». Au risque de fragiliser encore le moral des armées, aujourd'hui « au seuil d'alerte » selon le CEMA.

Le rapatriement des troupes engagées en opérations extérieures (Opex) n'y est pas étranger. À la fin de l'année, moins de cinq mille hommes devraient être déployés en Opex – « un étiage historiquement bas » : sur les vingt dernières années, la moyenne dépassait les douze mille soldats. De quoi dégager quelques marges budgétaires ? Il faut se garder de la conclusion selon laquelle « la baisse – conjoncturelle – de nos engagements diminuerait nos besoins », prévient l'amiral Guillaud. « Ce serait oublier que le temps du développement capacitaire est long, très long ! » Pour un char, par exemple, « entre le début de conception et le démantèlement du dernier exemplaire, s'écoulent soixante ans ». En outre, « le recrutement et la formation de spécialistes nécessitent entre cinq et dix ans » – ce qui serait « encore peu au regard du temps nécessaire à une vraie acculturation ». « Notre expertise, notre culture de l'engagement sont les résultats de décennies d'opérations variées, de réflexion, d'expérimentation, de transmission du savoir. » Par conséquent, avertit le CEMA, tout renoncement s'avérerait « potentiellement irréversible ».

Dores et déjà, déplore-t-il, « certaines capacités nous font défaut, comme le SEAD – la suppression des défenses antiaériennes ennemies – en général indispensable pour entrer en premier. D'autres sont notoirement insuffisantes. [...] D'autres, enfin, sont d'une conception suffisamment ancienne pour que leur modernisation, leur entretien ou leur mise aux normes d'exploitation actuelles devienne très coûteuse. [...] La disponibilité de nos matériels devient fragile. Nos stocks de rechanges et de munitions doivent être surveillés avec attention. Nos meilleurs systèmes sont déployés sur les théâtres d'opérations – ce qui est normal – mais en contrepartie, la métropole s'entraîne avec des matériels plus anciens ou partiellement équipés. Il est par conséquent de plus en plus difficile de concilier l'engagement opérationnel et un entraînement de qualité. Or, l'entretien des compétences est un enjeu majeur. » « Au bilan », reconnaît le chef d'état-major des armées, « en termes de capacités, la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

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