L'Outre-mer au cœur des convoitises
5 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000
Tandis que les richesses de la mer acquièrent une nouvelle valeur, la France peine à protéger l'immense zone économique exclusive que lui confèrent ses territoires d'outre-mer.
À l'avenir, « les enjeux maritimes ne vont cesser de croître », a prévenu l'amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine (CEMM), le 18 juillet 2012, lors d'une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. « 70 % de ce que l'on construit, achète ou exporte passe par la mer », a-t-il souligné. « C'est la raison pour laquelle l'embargo maritime est l'un des premiers moyens de pression utilisés : on l'a encore vu récemment lors de la crise libyenne. » Tandis que le trafic maritime poursuit son développement, « la mer devient un espace de richesse et de prospérité industrielles de plus en plus important ». Quant à l'installation de champs éoliens ou hydroliens, elle pourrait « poser des problèmes de sauvegarde et de sécurité ».
Du pétrole en Guyane
La « "maritimisation" du monde » concerne directement la France, dont la zone économique exclusive (ZEE) – la deuxième du monde – s'étend sur près de 11 millions de kilomètres carrés, et pourrait même bénéficier d'une extension, sur laquelle planche le programme interministériel Extraplac, en application de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), plus connue sous le nom de convention de Montego Bay. La Polynésie française, ainsi que les environs de Wallis et Futuna, semblent abriter d'importants gisements de terres rares. Par ailleurs, rappelle l'amiral Rogel, « nous allons devenir une nation pétrolière en mer grâce à la Guyane d'ici un à deux ans ».
Or, prévient-il, « si nous ne surveillons pas notre ZEE et ne montrons pas notre pavillon, nous serons pillés ! » Les rivalités auxquelles se livrent, en mer de Chine, Pékin, Manille et Hanoï, seraient révélatrices : « Dès qu'on trouve un îlot rocheux comportant un certain potentiel en termes de ressources pétrolières, gazières ou minérales, il est susceptible de donner lieu à des tensions. » D'ores et déjà, les ressources halieutiques suscitent la convoitise. En conséquence, un patrouilleur est déployé au large des îles Kerguelen, pour protéger la légine, un poisson des mers froides australes à forte valeur commerciale, apprécié pour sa chair blanche et fondante. En outre, rapporte l'amiral, « nous observons [...] une contestation de notre souveraineté sur certains de nos îlots outre-mer tels que Clipperton, les îles Éparses ou Matthew et Hunter ».
Missions compromises
Dans ces conditions, le format de la Marine lui apparaît « juste suffisant ». « Après plusieurs encoches budgétaires », a-t-il déploré, « nous nous trouvons dans une situation très compliquée, qui nous oblige parfois à réduire le taux d'activité de nos bâtiments. Ce problème est aggravé par le fait que [...] nous sommes entrés dans une phase de réduction temporaire de capacité (RTC), autrement dit de non-remplacement à temps des bâtiments vieillissants – les programmes étant décalés pour faire des économies budgétaires –, notamment des frégates et des patrouilleurs outre-mer. L'âge moyen de la flotte est de vingt-quatre ans. Son renouvellement [...] va devenir un enjeu important dans la situation budgétaire actuelle. Plus on décalera les programmes, plus on aura des RTC et plus nos missions comporteront des lacunes. »
Lors de l'opération Harmattan (l'intervention en Libye), rappelle l'amiral Rogel, « nous avons dû faire des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, notamment contre le narcotrafic ou l'immigration illégale – dans le cadre de l'opération européenne Frontex –, ou des missions de sûreté au profit de la FOST » (la Force océanique stratégique, chargée de la dissuasion nucléaire). « Si l'on nous demandait des réductions d'effectifs supplémentaires, la situation pourrait devenir grave », a prévenu le chef d'état-major de la Marine. Selon lui, « le livre blanc précédent n'a pas assez pris en compte ce problème de mission de souveraineté, notamment dans les DOM-COM. J'espère que ce point pourra être corrigé », a-t-il conclu. Affaire à suivre.