Des tourments de l'adoption

20 décembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Sous quelles conditions des candidats à l'adoption parviennent-ils à accueillir un enfant ? La question mérite d'être posée, alors que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe pourrait prochainement changer la donne.

Plus de vingt-cinq mille foyers étaient en attente d'adoption en 2006. Selon un rapport de l'Ined publié en 2007, tandis que huit mille nouveaux agréments étaient alors délivrés chaque année, seuls quatre à cinq mille enfants avaient fait l'objet d'une adoption plénière, la plupart nés à l'étranger (80 % en 2005). « Il y a effectivement beaucoup moins d'enfants légalement adoptables en France que de candidat-e-s à l'adoption », reconnaît SOS Homophobie, dans un jargon typique récusant la valeur générique du masculin. Toutefois, prévient l'association, il serait « parfaitement discriminatoire »  - et donc intolérable - de donner la priorités aux couples traditionnels si les couples homosexuels obtenaient l'autorisation d'adopter.

Discriminations

Or, les inégalités semblent d'ores et déjà flagrantes - quoiqu'elles ne procèdent pas nécessairement d'une injustice. Parmi les couples candidats à l'adoption, « on compte seulement 19 % d'ouvriers [...], alors qu'ils représentent 35 % de la population active du même âge », relève l'Ined. « À l'inverse, 25 % des candidats sont cadres alors qu'ils représentent seulement 16 % de la population active. Le revenu médian des candidats à l'adoption est d'ailleurs supérieur de 20 % à la médiane nationale. »

Quant à l'agrément requis pour adopter, il est « plus fréquemment refusé aux célibataires qu'aux couples, aux couples de plus de quarante ans qu'aux couples plus jeunes, aux parents ayant déjà des enfants biologiques qu'aux couples n'en ayant pas, et aux candidats de milieux sociaux défavorisés qu'aux autres ». Il est délivré par le président du Conseil général, à l'issue d'une procédure censée garantir, conformément aux décrets en vigueur, que « les conditions d'accueil offertes par les futurs parents correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté ». Un refus sanctionne  moins de 10 % des procédures menées à leur terme. Le cas échéant, les motifs invoqués pointent, le plus souvent, « une perception insuffisante de la spécificité de l'enfant adopté », un projet « prématuré », une attente différente de l'adoption par les deux conjoints, le deuil du désir d'enfant biologique qui n'est pas fait.

Le pouvoir du psy

D'un département à l'autre, « il existe de fortes différences [...] dans les taux d'abandon avant agrément et dans la proportion de candidats qui réussissent à adopter après agrément », comme le relève, dans ses conclusions pour l'Ined, Mme Catherine Villeneuve-Gokalp. Les interventions des psychologues, « animés par des conceptions différentes de l'adoption », expliqueraient en partie ce constat, suscitant « une présélection plus ou moins forte des candidats ». De fait, lorsque les entretiens auxquels ils sont soumis « deviennent dérangeants, voire conflictuels, certains candidats refusent de les poursuivre ou anticipent un rapport défavorable suivi d'un refus d'agrément et préfèrent renoncer à leur projet ». L'Ined cite un refus d'agrément « opposé à une célibataire pour manque d'image masculine empêchant l'enfant de "faire son Œdipe" » : preuve qu'en dépit du droit, on traîne parfois les pieds au plus près du terrain... « La possibilité de demander que les investigations soient refaites par d'autres personnes existe, mais elle est peu utilisée », précise l'Institut. Peut-être les homosexuels décidés à adopter feront-ils preuve d'une opiniâtreté inédite ? En cas de recours gracieux déposé auprès du président du Conseil général, celui-ci revient sur sa décision « près d'une fois sur deux ». À ce stade, les candidats malheureux ont tout intérêt à entamer une nouvelle demande d'agrément, « plutôt que de tenter un recours contentieux qui ne leur fera guère gagner de temps, risque de leur être défavorable et leur attirera l'hostilité des services d'adoption, hypothéquant ainsi leurs chances pour une nouvelle demande ». Mais là aussi, peut-être des homosexuels s'inscrivant dans une démarche militante seraient-ils tentés, le cas échéant, d'agir différemment ?

Soutien associatif

À cet effet, ils bénéficieraient vraisemblablement d'un soutien associatif qui s'avère d'ores et déjà déterminant. Du moins pour l'adoption internationale. Celle-ci « dépend des réseaux d'information et de leur facilité d'accès », explique Mme Villeneuve-Gokalp. « En particulier, les célibataires, surtout les hommes, sont souvent mal accueillis par les associations de parents adoptifs. » Créée en 2006, l'Agence française pour l'adoption (AFA) devait contribuer à « réduire ces inégalités ». Quoi qu'il en soit, « les variations annuelles du nombre d'enfants adoptés à l'étranger rappellent, s'il en est besoin, que l'origine des différences se situe aussi dans les réglementations des pays d'origine ». Or, « seuls trois pays, les États-Unis, le Brésil et l'Afrique du Sud pourraient potentiellement répondre aux demandes des couples homosexuels », selon Arnaud Del Moral, chargé de la stratégie et des procédures d'adoption à l'AFA. Celle-ci « appréhende que les couples dont les dossiers ne seraient pas envoyés dans des pays où ils n'ont aucune chance d'aboutir se retournent contre elle devant les tribunaux administratifs », résume, dans Le Figaro, notre consœur Agnès Leclair. Qu'en pense le Défenseur des droits, ayant succédé à la Halde ?

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