L'atlantisme en nuances gaulliennes

6 décembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Un commentaire du rapport Védrine écrit pour L'Action Française 2000, où il ne s'agissait pas de faire l'apologie de lAlliance Atlantique !

Au cours de la campagne électorale, prenant le contre-pied de son rival, François Hollande avait annoncé qu'il évaluerait les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, décidé par Nicolas Sarkozy, s'il lui succédait à l'Élysée. Devenu président de la République, il a confié à Hubert Védrine la mission de solder l'affaire. Dans son rapport, remis le mois dernier, celui-ci exclut tout retour en arrière : « une (re)sortie française du commandement intégré n'est pas une option », écrit-il. « Elle ne serait comprise par personne ni aux États-Unis ni en Europe, et ne donnerait à la France aucun nouveau levier d'influence. [...] Au contraire cela ruinerait toute possibilité d'action ou d'influence pour elle, avec tout autre partenaire européen, dans quelque domaine que ce soit. » D'ailleurs, observe-t-il, « de 1966 à 2008, soit en plus de quarante ans, aucun pays européen n'a rejoint la ligne d'autonomie française ».

Un bilan provisoire

De toute façon, trois ans après la réintégration, il est trop tôt pour en dresser le bilan, proclame, en substance, l'ancien ministre des Affaires étrangères. Son évaluation, qui se veut « provisoire », mentionne « une influence réelle ou faible, variable selon les sujets ; un surcoût, plus faible que prévu ; des opportunités économiques ou industrielles, liées ou non à ce retour, mais aussi beaucoup de risques potentiels ». Plus concrètement, Hubert Védrine rappelle qu'un Français a pris la tête du Commandement allié pour la Transformation (ACT). En conséquence, la France a pu « participer aux réflexions prospectives sur l'Alliance, et à la définition du nouveau concept stratégique de 2010 », soutient le rapporteur. Selon lui, Paris « a joué un rôle moteur depuis 2009 pour hiérarchiser les priorités, refondre les procédures, ramener le nombre des agences de quatorze à trois (en en espérant une économie de 20 %), réduire la structure de commandement (réduction des personnels de - 35 % en 2013), diminuer de onze à sept les états-majors et donc faire faire des économies ».

En revanche, déplore-t-il, la France a donné son aval au développement d'une défense antimissile territoriale « sans influencer, ralentir ou modifier » ce projet « qui comporte un potentiel de bouleversement stratégique ». À la suite d'Hubert Védrine, « il faut le dire clairement : l'Otan restera une alliance autour de la première puissance militaire du monde, les États-Unis ». Selon que l'on ait eu ou non la naïveté de croire au Père Noël, le verre apparaîtra à moitié vide ou à moitié plein : « Le retour de la France dans le commandement intégré [...] a élargi l'opportunité de marchés pour l'industrie française mais ne s'est pas traduit à ce stade par un accroissement marqué des contrats obtenus. » Hubert Védrine appelle à définir « une stratégie industrielle [...] avec un repérage précoce des perspectives de contrat [...] sur la base d'une répartition préalable claire des programmes entre l'Otan et l'Agence européenne de défense » (AED). Il propose de « consolider le mécanisme informel mais essentiel de consultation entre le commandant suprême chargé de la transformation, SACT, et la directrice exécutive de l'AED » - en l'occurrence deux Français, le général Paloméros et Mme Claude-France Arnould. « Bien évidemment, aucun allié ne marchera dans cette proposition », commente le géopolitologue Olivier Kempf, sur son blog Egea. Paris n'en aurait pas moins une carte à jouer selon lui : « s'associer avec des petits ou moyens sur tel ou tel projet, de façon à développer une influence politique et des projets industriels, labellisés Otan, qui auront du coup des perspectives ailleurs ». Une piste à explorer ?

Appel à la vigilance

Appelant à la « vigilance », Hubert Védrine pointe « le risque de "phagocytage" conceptuel et théorique ». « Il faudra que notre armée préserve sa capacité propre d'analyse des menaces, de réflexion et de prévision sur les scénarios et même de planification », prévient-il. À l'inverse, l'intégration recèle un potentiel d'émulation souligné par Catoneo sur le blog Royal Artillerie : « Le travail en Afghanistan [...] mené en coalition [...] ne souffrait pas d'excuses ou le camouflage des insuffisances car il n'y avait rien à "expliquer" à quelque supérieur hiérarchique ayant la main sur la carrière. Tout se sait, immédiatement, à haut niveau, se corrige immédiatement (en théorie). Le résultat obtenu est un rehaussement qualitatif sensible des aptitudes au combat. »

Par ailleurs, poursuit Védrine, « nous devrons veiller » à ce que l'Otan « reste une alliance militaire, recentrée sur la défense collective, et le moins possible politico-militaire dans son action ». Il y a deux ans, l'amiral Giampaolo di Paola, président du Comité militaire de l'Otan, n'avait-il pas déclaré que « la dimension de genre devrait faire partie intégrante des activités de chaque division, de chaque opération » ? Cela dit, Hubert Védrine s'inquiète plutôt d'une immixtion de l'Otan dans le domaine "civilo-militaire", là où l'Union européenne « a potentiellement une vraie capacité globale de traitement des crises : économique, civile et militaire ».

De fait, selon Védrine, UE et Otan sont « les deux faces d'une même médaille ». On peine toutefois à les distinguer clairement l'une de l'autre. « Dans le domaine politique, pour autant que nos partenaires européens se prêtent à une concertation en amont sur les questions relatives à l'Otan, il pourrait être envisagé en parallèle que les États-Unis soient consultés, voire associés, à certaines délibérations européennes par exemple celle du COPS » (le Comité politique et de sécurité). Peut-être cela supposerait-il de régler au préalable le différend chyprio-turque.... Vaste programme ! « Par ailleurs, il pourrait être mis un terme à l'opération Ocean Shield de l'Otan contre la piraterie au large de la Somalie (à l'issue de son mandat fin 2014), qui fait double emploi » avec l'opération européenne Atalante. « La logique opérationnelle et rationnelle commanderait de fermer cette opération », confirme notre confrère Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. « Mais il faudrait trouver une solution pour associer les marines turque et danoise, ou canadienne, à l'opération européenne, par exemple. Ce qui n'est pas évident – le processus d'association de partenaires extérieurs à des opérations de l'UE est plutôt lourd. Et il se heurte à deux obstacles politiques de taille : l'opt-out danois en matière de défense d'une part ; le blocage turco-chypriote qui trouble les relations Otan-UE de l'autre. [...] Pour un pays, comme la Turquie, cette opération [...] permet aussi de continuer à faire croiser des navires dans une zone régionale qu'il considère stratégique. »

Europe puissance

Toujours circonspect quant aux perspectives ouvertes par "l'Europe de la défense", Hubert Védrine se garde toutefois de la définir, cultivant l'ambiguïté à son propos : s'il semble en exclure les coopérations bilatérales, il y inclut apparemment les initiatives mulilatérales lancées en marge de l'UE, tel le Commandement européen du transport aérien (EATC). Pourtant, souligne-t-il, « les mots doivent être employés à bon escient. "Europe de la défense" et encore moins "défense européenne" ne signifient [...] la défense militaire de l'Europe contre des menaces militaires, ce dont seule l'Alliance, avec les moyens américains, serait capable, si par malheur, l'Europe était attaquée. [...] Pour ne pas alimenter des espérances chimériques et donc des déceptions, ou des craintes hors de propos chez nos Alliés, il faut réserver ce terme à des initiatives ou à des actions extérieures de l'Union en matière militaire ou civilo-militaire, ou à des coopérations en matière d'industrie de défense. »

Dissipant des illusions, Hubert Védrine entretient néanmoins le mythe de l'Europe puissance. Un vieux tropisme gaullien ? Peut-être bien. À l'image du Général, quoique sur un mode beaucoup plus modéré, Hubert Védrine maintient la distance à l'égard de l'oncle Sam sans envisager la rupture. Loin s'en faut. D'autant que « les Américains voient [...] la France comme un partenaire européen sûr du fait de la réduction visible des capacités militaires du Royaume-Uni, des inhibitions politiques de l'Allemagne, et du décrochage de capacités chez les autres Alliés. Ils espèrent donc vivement que la France ne va pas réduire davantage ses capacités. Cette "disponibilité" américaine, réelle à la Maison-Blanche [...] sera quand même fonction des capacités militaires des Européens, et de leur volonté politique. » Autrement dit : la balle est dans notre camp. Saurons-nous la saisir ? « Depuis la fin de l'URSS [...], ce sont les "dividendes de la paix", "du social" et de l'augmentation de pouvoir d'achat ou de l'affirmation de droits individuels qu'attendent les Européens. On est très loin de la dialectique menaces sécuritaires-réponses militaires, même dans le domaine du terrorisme, ou de la vision américaine des risques et des menaces stratégiques. » Quoi qu'on pense de l'intervention française en Libye, il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci n'aurait pu s'effectuer sans le soutien américain, faute de moyens suffisants pour ravitailler les avions de combat. C'est dire l'ampleur de la tâche qu'il faudrait accomplir pour s'émanciper de l'Alliance Atlantique.

Un commentaire pour "L'atlantisme en nuances gaulliennes"

  1. Russell B. Mitchell

    Le 9 février 2013 à 9 h 33 min

    Un pragmatisme qu'adopte le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian : "Si je dis "Europe de la défense", on me répond : "Voilà le moulin à prières qui recommence !" Il faut une Europe de la défense de la preuve, donner une impulsion par l'action, estime-t-il. Il faut que, dans le domaine des opérations et des capacités militaires, on prenne toutes les situations pour en faire des instruments de l'Europe de la défense." L'intervention internationale au Mali , discutée lundi 19 à l'UE, sera "un acte", déclare le ministre. "Le Sahel peut s'avérer un test à maints égards", écrit en écho M. Védrine.

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