Mali : l'Europe au pied du mur

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Moult commentateurs ont pointé l'inconséquence de l'Europe dans le dossier malien. Peut-être sont-ils coupables d'avoir placé en elle trop d'espoirs.

Dans l'affaire malienne, « l'Europe a été nulle », selon les déclarations d'Alain Juppé au micro d'Europe 1. Fidèle à son tropisme néo-gaullien, l'ancien Premier ministre continue manifestement de projeter ses rêves de grandeur à l'échelle du Vieux-Continent. Peut-être serait-il temps de l'admettre : l'"Europe puissance" n'est rien d 'autre qu'un fantasme hexagonal. Au moins Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, semble-t-il l'avoir compris : « Quand l'Europe de la Défense aura la capacité d'intervenir immédiatement, ce sera dans cent cinquante ans ! », a-t-il déclaré à La Voix du Nord. « Le président du Mali nous a appelé à l'aide le 10 », a-t-il précisé. « La décision d'intervenir a été prise par le président le 11 à 12 h 30, j'y étais. Et nos forces ont commencé à arriver à 17 heures. Que vouliez-vous faire ? Consulter les Vingt-Sept ? [...] La vérité, c'est que nous avons la réactivité militaire et le pouvoir de décision. » La capacité "d'entrer en premier" est d'ailleurs une spécificité de l'armée française, qui profite du primat accordé à l'exécutif, habilité à placer le Parlement devant le fait accompli... Preuve que la nature des institutions s'avère toujours décisive : « politique d'abord », disait Maurras !

Heureuse solitude de la France

Apte à réagir dans l'urgence, la France doit toutefois s'accommoder d'une relative solitude dans l'action. L'opposition n'a pas manqué de s'en inquiéter, par la voix de Jean-François Copé, non sans quelque légèreté. En effet, « pour la guerre, être seul est parfois plus efficace », comme le souligne le géopolitologue Olivier Kempf, animateur du blog Egea. « C'est d'ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses. » La France vient de le vérifier à ses dépens. Les Pays-Bas ont certes mis un avion ravitailleur à sa disposition, mais en en restreignant l'emploi, de telle sorte qu'il lui était interdit d'atterrir à Bamako. Quant au C-17 britannique qui s'est posé à Évreux, son équipage a d'abord refusé d'embarquer les rations des soldats, au motif qu'elles comprenaient des allumettes : dans la Royal Air Force, en effet, « on ne mélange pas munitions et dispositif d'allumage dans le même appareil », explique notre confrère Nicolas Gros-Verheyde. « Il a fallu quelques heures de patience et un coup de fil entre les deux chefs d'état-major pour régler la question », a-t-il rapporté sur le blog Bruxelles 2.

À ses yeux, cependant, « sans l'apport précieux et coûteux des alliés, c'est bien simple, l'opération Serval n'aurait pas duré plus de soixante-douze heures ». Selon ses estimations, ce soutien aurait représenté 60 à 100 millions d'euros au cours du premier mois d'intervention. « Soit tout autant que l'engagement français annoncé par le ministre Jean-Yves Le Drian (70 millions d'euros). » Cela étant, cette aide n'émane pas de l'Union européenne en tant que telle. D'ailleurs, parmi les alliés engagés derrière la France figurent le Royaume-Uni et le Danemark, dont Olivier Kempf rappelle qu'ils sont « les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense ».

Mission formation

L'opération Serval en sanctionnerait-elle alors l'échec ? « Pour moi, l'Europe de la Défense, c'est la mise en commun de certains moyens de défense, c'est l'industrie de défense, un certain nombre d'actions communes », plaide Jean-Yves Le Drian, qui cite en exemple l'opération Atalante, luttant contre la piraterie dans l'océan Indien. « L'Europe de la Défense, ce n'est pas l'Europe militaire », explique-t-il encore. Le cas échéant, peut-être pourra-t-elle contribuer à la reconstruction de l'État malien et plus particulièrement de ses forces armées. D'autant qu'en la matière, l'Europe peut légitimement revendiquer une certaine compétence, illustrée notamment par le précédent somalien. Laborieusement, l'Union européenne prépare donc une mission de formation à cet effet. D'ores et déjà connue sous le nom EUTM Mali, elle sera placée sous le commandement d'un officier français, le général Lecointre. « C'est, en fait, le logiciel de l'armée malienne que nous voulons reconstruire », a-t-il confié à Nicolas Gros-Verheyde. Par conséquent, a-t-il prévenu « il faut [...] considérer les choses sur le temps long, au moins le temps moyen, et non sur le court terme ».

Défi américain

Reste un autre défi qui se présente à l'Europe : celui d'une moindre protection américaine. Comparant l'intervention au Mali à celle survenue en Libye deux ans plus tôt, le politologue Zaki Laïdi relève un élément nouveau, Washington ayant envisagé « de faire littéralement payer à la France la location d'avions de transport de troupes ». « C'est un fait tout à fait inédit dans l'histoire des relations transatlantiques », souligne-t-il sur Telos. « Car même si en définitive cette option a été écartée, elle révèle à la fois l'érosion du soutien américain et la détermination de Washington à envoyer des signaux de non-assistance à Européens en danger. » Ceux-ci sauront-ils en tirer les conséquences ?

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