De Tsingtao à Paris

15 janvier 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Alors que les autorités s'apprêtent à célébrer l'amitié franco-chinoise, nous avons interrogé une jeune femme qui l'éprouve au quotidien depuis son arrivée à Paris.

La présence des Chinois est devenue familière en France, du moins pour ceux d'entre nous vivant à Paris. Jing, la trentaine, y est arrivée pour ses études voilà trois ans. Elle est originaire de Tsingtao, une ville de la province du Shandong, construite par les Allemands, célèbre pour sa bière exportée aux quatre coins du monde. À sa naissance, nous raconte-t-elle, il n'y avait pas de télévision dans les foyers, ni même de réfrigérateur - alors qu'aux États-Unis, avait-elle découvert dans des films, chacun avait sa voiture. « C'était incroyable », se souvient-elle. La Chine, à l'époque, « c'était comme la Corée du Nord actuellement », nous explique-t-elle.

Ouverture des portes

Dans les années soixante-dix, l'empire du Milieu a commencé à ouvrir ses portes, nous rappelle-t-elle. Son développement économique, qui s'accélère depuis lors, a franchi un nouveau cap dans les années 2000, à la faveur d'un « boom de la high tech ». La France apparaît « très, très importante » aux yeux de notre interlocutrice. Notamment dans la distribution. « Carrefour est très présent en Chine », nous précise-t-elle. L'influence mondiale de Pékin croît à la mesure de son économie. D'un point de vue politique, « nous sommes de plus en plus forts », observe Jing. Elle énonce ce constat avec réalisme, mais sans orgueil, nous semble-t-il. Consciente des inquiétudes suscitées par l'émergence de son pays, elle lui dénie toute velléité impérialiste. « Nous ne sommes pas belliqueux », se défend elle. La question du Tibet lui tient particulièrement à cœur. Spontanément, elle s'insurge contre la propagande à l'œuvre en France au profit du dalaï-lama. Quant à la multiplication des interventions militaires en Afrique, elle traduirait simplement la poursuite par Paris de ses propres intérêts. Visiblement, les Chinois ne sont pas abusés par les discours lénifiants sur les droits de l'homme.

Romantisme français

En Chine, nous dit-elle, « on pense que les Français sont romantiques ». Qu'en est-il en réalité ? « Cela dépend », nous répond-elle. « Les Français aiment bien les fleurs » ; de plus, « ils font beaucoup de bisous », observe-t-elle avec enthousiasme. Paris demeure associé au luxe dans l'imaginaire chinois, nourri par le souvenir de Louis XIV et le prestige de marques telles que Dior et Chanel. Dans un autre registre, Michelin a lui aussi la cote. Principale ombre au tableau : comparés aux Chinois, « les Français ne sont pas travailleurs », remarque notre interlocutrice ; pour preuve, « ils aiment beaucoup les vacances » !

Reste un privilège réservé aux Français : la liberté. Celle de surfer sur Youtube ou Facebook, notamment. La censure à l'œuvre dans l'empire du Milieu ne lui semble plus vraiment tenable, maintenant que l'Internet a envahi les foyers. D'ailleurs, à la télévision chinoise, on annoncerait de plus en plus de mauvaises nouvelles. « C'est le progrès », a-t-elle répondu à une amie qui lui faisait part de ce constat. Cela étant, la Chine est « un pays vraiment très grand », souligne-t-elle. C'est pourquoi, à certains égards, la liberté serait « vraiment un problème ». En fait, en dehors des plus jeunes, les Chinois se montrent apparemment peu enclins à compliquer la tâche du gouvernement, considérant que cela nuirait, en définitive, à la prospérité du pays. Alors que nous l'invitions à s'exprimer sur la tragédie de la place Tian'anmen – un sujet sur lequel les autorités maintiennent le tabou en Chine -, notre interlocutrice se montre nuancée. Tout en déplorant les souffrances infligées aux manifestants, elle dit « comprendre » la nécessité de remédier au désordre.

Étonnante humilité

Complaisance déplacée, magnanimité irréfléchie ? Chacun jugera. Au fil de la conversation, nous avons relevé comme une forme d'humilité, aux antipodes de l'individualisme revendicatif qui nous caractérise, nous autres Français, prompts à réclamer les fruits sans trop nous soucier de l'arbre nécessaire à leur production. Comparant la situation de la Chine à celle de la Syrie ou de l'Irak, par exemple, Jing considère que ses compatriotes ne sont pas à plaindre. De toute façon, se demande-t-elle, quelle alternative y aurait-il au gouvernement actuel ? Si le pouvoir devenait vacant à Pékin, « ce serait la guerre », s'inquiète-t-elle. Sur le ton de la plaisanterie, nous lui proposons d'échanger nos présidents. « Je ne veux pas changer », proteste-t-elle. De fait, l'évocation de François Hollande suscite chez elle une réaction récurrente : le rire... Sans commentaire.

Un commentaire pour "De Tsingtao à Paris"

  1. blh

    Le 30 janvier 2014 à 0 h 05 min

    En effet, cette jeune femme semble avoir la tête sur les épaules alors que d'autres chez nous l'ont souvent ailleurs.
    La Chine, c'est 26 fois la France et 1 300 000 000 d'habitants. Pays organisé en régions avec un chef au sommet, l'ensemble sous le contrôle assez pointu du PCC . Les délits et crimes sont nombreux, toutes proportions gardées,qui cependant tombent sous le joug des lois quels que soient les auteurs d'iceux : Tong Ming­qian, haut conseiller poli­tique de la province du Henan. Chef du Parti commu­niste chinois de la ville de Hengyang, Tong Ming­qian a été reconnu coupable d’une fraude portant sur 500 légis­la­teurs lors de la période se situant entre le 28 décembre 2012 et le 3 janvier 2013. Limogé de son poste, il l’a égale­ment été de la Confé­rence consul­ta­tive poli­tique du peuple chinois (CCPPC).
    Et que dire d'un certain Prix Nobel, ou d'un Dalaï lama...
    Il est dommage que l'Empire du Milieu soit toujours et encore expliqué par les médias occidentaux dont les yeux et les oreilles sont tournés sans vergogne vers certains grands moralisateurs.

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