La santé, une affaire d'États

16 septembre 2015
Article publié dans L'Action Française 2000

Le développement international et la santé mondiale sont loin d'être régis par les seuls principes de la philanthropie. Force est de constater que les États et leurs intérêts continuent d'en déterminer les orientations.

Vendredi 25 septembre 2015 s'ouvrira à New York, pour trois jours, le sommet des Nations unies au cours duquel sera adopté le « programme de développement pour l'après-2015 », censé succéder aux « objectifs du millénaire pour le développement ». Définis il y a quinze ans, ceux-ci visaient à « réduire l'extrême pauvreté et la faim, assurer à tous l'éducation primaire, promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH-Sida, le paludisme et les autres maladies, assurer un environnement humain durable, construire un partenariat mondial pour le développement ».

Le commerce dicte sa loi

Les ambitions réaffirmées de la "communauté internationale" se traduiront-elles dans les faits ? Entres autres écueils, les politiques de développement s'avèrent biaisées par les préoccupations propres aux États donateurs. Un exemple ? « La disproportion et la précipitation de financements alloués au contrôle de maladies infectieuses » – lesquelles « trouvent des éléments d'explication dans la peur qui habite l'Amérique », comme l'explique Mme Dominique Kerouedan, dans un leçon inaugurale du Collège de France prononcée en février 2013, consacrée à la "géopolitique de la santé mondiale". « Dans le même hôpital », regrette-t-elle, « le patient atteint de Sida est parfois traité alors que les patients souffrant de méningite, d'hépatite ou de fièvre typhoïde, ou de toute autre maladie, meurent dans l'indifférence ». Peut-être la promotion des « droits sexuels et reproductifs » participe-t-elle d'un phénomène similaire ? Au printemps dernier, comme le rapporte Euractiv, les Vingt-Huit se sont accordés pour infléchir en ce sens la politique de développement de l'Union européenne. Cela, semble-t-il, à l'invitation de Paris : « nous sommes extrêmement satisfaits, car nous avons réussi à négocier des conclusions ambitieuses, qui comprennent notamment la mention de l'éducation sexuelle des femmes et des droits reproductifs », s'est ainsi félicitée une « source française » citée par nos confrères.

Quoi qu'il en soit, si l'idéologie exerce vraisemblablement son influence, celle-ci ne saurait éclipser les considérations économiques, comme en témoignent les origines historiques de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Tandis que se tient à Paris, en 1851, la première Conférence sanitaire internationale, « il s'agit moins pour les États de maîtriser les épidémies de choléra, de peste ou de fièvre jaune, que de s'entendre pour réduire au minimum les mesures de quarantaine qui s'avèrent coûteuses pour le commerce », souligne encore Dominique Kerouedan. Autrement dit, selon l'analyse de David Mitrany, « les progrès laborieux de la coopération internationale sont moins dus à la sagesse politique des États qu'au rapprochement de leurs intérêts matériels ».

Comment gagner la guerre

« Le vocabulaire de la géopolitique – puissance, pouvoir, souveraineté, sécurité, territoires, velléités et rivalités, cartes et positionnement – caractérise avec plus de justesse les relations internationales contemporaines dans le champ de la santé que celui de la seule gouvernance de l'architecture de l'aide au développement », poursuit Mme Kerouedan. En pleine Guerre froide, rappelle-t-elle, « le président John Fitzgerald Kennedy [...] brandissait devant le Congrès, traditionnellement isolationniste, la coopération au développement comme une stratégie puissante pour contrer la progression du communisme ». À l'aube du XXIe siècle, si le Conseil de sécurité des Nations unies s'est inquiété de la propagation du Sida, c'était en raison de son « impact [...] sur la paix et la sécurité en Afrique », selon l'intitulé d'une thématique inscrite à l'ordre du jour de ses réunions. Il semble même que l'expression de "santé mondiale" soit apparue, pour la première fois, dans un rapport américain soulignant « l'intérêt, pour la sécurité des États-Unis, des questions de santé telles qu'elles se manifestent même à l'autre bout de la planète ».

Outre-Atlantique, peut-être se souvient-on que « les désastres sanitaires conduisant à des échecs militaires ne sont pas exceptionnels ». Notre histoire nationale en donne quelques exemples : « La variole avait tué plus de vingt-deux mille soldats de l'armée française pendant la guerre de 1870. Les troupes sont décimées lors de l'expédition du général Leclerc à Saint-Domingue en 1802, ou de la conquête de Madagascar en 1895. » La guerre n'est plus la même aujourd'hui. Confrontées à la menace islamiste, les armées devraient-elles se désintéresser des questions sanitaires  ? Coiffant les agences de renseignement américaines, le National Intelligence Council (NIC) est convaincu du contraire. En 2008, dans un rapport traitant, précisément, des implications stratégiques de la santé mondiale, il prévenait « que les acteurs non étatiques, comme les terroristes ou les seigneurs de guerre, gagnent en légitimité, en pouvoir et en envergure, locale et internationale, en fournissant des services que des gouvernements ne proposent pas ». De fait, « l'incapacité du gouvernement à fournir à la population des services de base, de santé ou autres, a nui à la crédibilité du gouvernement en Afghanistan, tout en alimentant le soutien aux Talibans ».

Un appel à la France

Malheureusement, remarque Dominique Kerouedan, « la notion de sécurité en politique va de pair avec l'urgence et le contrôle de maladies transmissibles, plutôt qu'avec une approche holistique de long terme, qu'exige le renforcement d'institutions techniques ou managériales ». Par ailleurs, semble-t-elle regretter, « à leur aide sanitaire bilatérale, la France et la Commission européenne privilégient le financement d'initiatives mondiales pilotées à distance ». Or, déplore-t-elle, « le retrait du terrain de l'expertise bilatérale à long terme signe, de fait, la fin de ce qui fut le plus satisfaisant – et l'exception française, belge, allemande, européenne – dans l'exercice de la coopération : réfléchir et travailler ensemble, in situ, à des réponses renouvelées ». Tandis que dominent les intérêts américains, clame-t-elle en conclusion de sa leçon inaugurale, « il ne tient qu'à la France de se réconcilier avec son histoire, européenne et africaine, et à l'Union européenne de prendre la place qui est la sienne dans le monde, en faveur de la paix et du développement ». Toujours actif en Afrique, Paris relèvera-t-il le défi ? Sur Diploweb, Dominique Kerouedan s'inquiète « d'une politique de développement durable de la France écartelée entre, d'un côté, la diplomatie économique avec les pays les plus riches du continent, et de l'autre, l'organisation de la conférence de Paris sur le climat en 2015 ». Affaire à suivre.

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