Londres attend la réponse de Bruxelles

18 février 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La perspective d'un Brexit impose la reprogrammation du logiciel souverainiste.

La singularité du Royaume-Uni figure à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 février prochains (2016). Dans la perspective du référendum qui se tiendra vraisemblablement fin juin, le Premier ministre David Cameron doit négocier un arrangement censé justifier, auprès de l'opinion publique britannique, le maintien de son pays dans l'Union européenne. Ce faisant, Londres cherche-t-il à réaffirmer son indépendance vis-à-vis de Bruxelles ? En partie seulement, si l'on en juge par ses demandes formulées officiellement en novembre dernier.

Protéger les intérêts de la City

Symboliquement, le gouvernement britannique voudrait en finir avec cette « union toujours plus étroite » promise par les traités européens. Parallèlement, il souhaiterait conférer de nouvelles responsabilités aux parlements nationaux, et surtout revoir les conditions suivant lesquelles les ressortissants d'un État membre peuvent librement circuler d'un pays à l'autre ; il s'agirait, en quelque sorte, de répondre à la hantise du "tourisme social". Londres réclame, par ailleurs, un approfondissement du marché unique, la conclusion de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis, la Chine ou le Japon, mais aussi la garantie que la zone euro ne poursuivra pas son intégration à ses dépens. C'est l'influence de la City qui est en jeu. Dernièrement, la Banque centrale européenne s'y était attaquée de front, tentant d'imposer un ancrage territorial dans la zone euro aux chambres de compensation les plus importantes. Dans cette affaire, la Cour de Justice de l'Union européenne avait finalement arbitré en faveur des intérêts britanniques, mais peut-être n'en sera-t-il pas toujours ainsi.

La zone euro, là où le bât blesse

Or, c'est précisément l'un des points sur lesquels la négociation pourrait achopper. « Nous sommes attachés [...] à ce que les pays qui ne sont pas membres de la zone euro [...] soient respectés » et « informés de tout ce qui se décide », a déclaré le président de la République, Français Hollande ; « mais il ne peut pas y avoir de veto des pays hors zone euro sur ce que nous avons à faire dans la zone euro », a-t-il prévenu. Des engagements de principe seront sans aucun doute souscrits pour rassurer les Britanniques. Il faudra bien les accompagner de quelques déclinaisons pratiques. Un exemple est donné par notre confrère Jorge Valero : comme il l'explique sur Euractiv, une possibilité serait « de programmer la réunion des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) après que tous les ministres européens des Finances se [seront] rencontrés (Ecofin), plutôt que le contraire, comme c'est le cas actuellement ».

En tout cas, les exigences de la perfide Albion ne manqueront pas de légitimer l'espoir, exprimé entre autres par l'ancien Premier ministre Michel Rocard, d'une relance de la construction européenne à la faveur d'un "Brexit". Incidemment, les souverainistes semblent condamnés à reprogrammer leur logiciel : l'Europe « à géométrie variable », dont ils étaient traditionnellement les chantres, ne se retrouve-t-elle pas instrumentalisée par leurs meilleurs ennemis ? « Une Europe plus intégrée sera une Europe des différences », a ainsi expliqué à l'AFP Sandro Gozi, secrétaire d'État italien aux Affaires européennes, cité par Euractiv. Un détricotage prochain de l'Union européenne n'en reste pas moins envisagé. Peut-être David Cameron a-t-il effectivement ouvert la boîte de Pandore. Sans surprise, Marine Le Pen prétend inscrire ses pas dans ceux du Premier ministre britannique. Sans doute s'accorderait-elle avec Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur du Sénat, selon laquelle l'Europe serait « à un tournant de son histoire ». 

Résilience de l'UE

Laurent Warlouzet, maître de conférences en histoire à l'université d'Artois, juge déplacée cette dramatisation des enjeux. « En fait, cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience institutionnelle de l'Union européenne », explique-t-il dans un entretien à La Tribune. « Avant l'UE », rappelle-t-il, « la CEE a déjà survécu à de nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique [...], sans parler des événements plus récents, du "non" français de 2005 à la crise de l'euro ». Quant au « risque de désagrégation du camp occidental » (à moins qu'il s'agisse d'une opportunité, selon les points de vue), il ne serait « pas plus présent ». « L'Otan a toujours eu un périmètre différent de l'ensemble CEE-UE », poursuit-il. De toute façon, « les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003 ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure de l'Union européenne ». Autrement dit, l'Europe n'a pas dit son dernier mot.

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