Albator : sur l'Arcadia, c'est l'anarchie plus un !
2 mars 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les petits garçons vibraient au rythme des aventures télévisées du capitaine Albator... Le moment est venu de leur rafraîchir la mémoire.
![](https://blog.scribel.net/wp-content/uploads/capitaine_albator_dimension_voyage_tome_1.jpg)
Le capitaine Harlock, alias Albator, vient de faire son retour dans les librairies. Dans l'ombre de Goldorak, ce personnage a bercé toute une génération de petits Français. Apparu dans un manga en 1969, puis à la télévision en 1978, il a présenté plusieurs visages au fil de ses aventures, jusqu'à la caricature : porté au cinéma en 2013, il y est apparu sous les traits d'un psychopathe, tentant de racheter ses fautes à la faveur d'un génocide galactique prétendument rédempteur...
Retour aux sources
C'est à un retour aux sources que nous sommes conviés aujourd'hui, alors que vient de paraître la traduction française du premier tome d'un nouveau manga, Capitaine Albator – Dimension Voyage. Il s'agit d'un remake fidèle de l'histoire originelle, faisant, en quelque sorte, la synthèse d'une œuvre éparse à la cohérence toute relative. Ainsi le personnage de Kirita (Vilak) est-il repris du dessin animé de 1978, mais sous les traits d'un autre, apparu dans les années 2000. Officiant toujours au scénario, Leiji Matsumoto, soixante-dix-huit ans, a cédé son crayon à Kouiti Shimaboshi. Le dessin s'avère modernisé, mais les nostalgiques ne devraient pas en être dépaysés.
Signe des temps : la reine Sylvidra arbore désormais un décolleté.
Albator s'en trouvera-t-il émoustillé, comme des quadragénaires le furent
jadis à la vue des Sylvidres dénudées ? Rien n'est moins sûr. Alors
qu'il voue une amitié indéfectible à Tochiro, on ne lui connaît qu'une
seule et unique aventure, à l'issue tragique. En tout cas, les féministes
ne l'apprécient guère. Relisant le manga fondateur, Charles-Édouard
Mandefield s'était désolé d'un « machisme décalé
». Un
passage a plus particulièrement retenu son attention, explique-t-il
sur Otakia (en ligne) : celui où Kei Yuki
(Nausicaa) « met sa vie en péril pour ménager la susceptibilité de
Tadashi
» (Ramis) « et lui faire croire qu'il l'a
sauvée
». « Dans cette histoire
», conclut
notre confrère, « le message en filigrane est donc que les femmes
[...] doivent masquer leur vraie valeur pour ne pas offusquer la gente
masculine
». C'est oublier que ces récits sont destinés surtout
à des garçons... Peut-être certains en auront-ils tiré quelque leçon
d'humilité !
Reste à savoir ce qu'il adviendra de cet épisode dans la suite du remake. Dans ce premier tome, alors que les Sylvidres
se préparent à envahir la Terre, « la civilisation matérialiste a
conduit le peuple à la dépravation
», comme le remarque l'une
d'entre elles. Conscient de la menace, le professeur Daiba alerte le
ministre censé présider aux destinées de l'humanité. Hélas, déplore-t-il,
« cette tète de mule ne pense qu'a jouer au golf
» !
Son fils, Tadashi, en est révolté : « ce n'est qu'un
inconscient qui se complaît dans l'indolence
», observe-t-il.
« Depuis quand les hommes ne son-ils plus qu'une bande de
dégonflés ?
», se demande-t-il encore. À la mort de son
père, il décide de rejoindre l'Arcadia commandé par Albator. Un vaisseau
« avec à son bord de vrais hommes
» !
Romantisme viril
Considérant ses semblables avec dédain, Albator n'en engage
pas moins un combat désespéré pour sauver la Terre. Sans doute ce
"romantisme viril" explique-t-il la sympathie que lui accordent les
militants italiens de Casapound. Les identitaires français ne sont pas en
reste : « ce personnage luttant pour une humanité dans
laquelle il peine pourtant à se reconnaître, marqué par ses combats dans
son cœur comme sur son visage, et hissant le pavillon noir à tête de
mort sur son vaisseau, avait tout pour séduire les pirates identitaires
»,
explique
Philippe Vardon-Raybaud. Dans son livre, Éléments pour une
contre-culture identitaire, tout comme dans celui d'Adriano
Scianca, Casapound – Une terrible beauté est née !, Albator
côtoie Ernst Jünger, dont il incarne précisément la
figure du rebelle : « celui qui, isolé et privé de sa
patrie par la marche de l'univers, se voit enfin livré au néant
» ;
« résolu à la résistance
», il « forme le dessein
d'engager la lutte, fût-elle sans espoir
» ; « est
rebelle, par conséquent
», aux yeux de l'écrivain
allemand, « quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport
avec la liberté, relation qui l'entraîne dans le temps à une révolte
contre l'automatisme et à un refus d'en admettre la conséquence éthique,
le fatalisme
».
Cependant, errant dans l'espace (et non dans les forêts), notre rebelle
ne serait-il pas un apatride ? « Sous la bannière de la
liberté, il parcourt les mers sans fin de l'univers en ne comptant que
sur lui-même
», s'enthousiasme un jeune homme déshérité, croisé
dans les pages du manga. Alors qu'il s'apprête à s'envoler, Tadashi
détruit un drapeau aux couleurs de la confédération terrestre. « Mon
étendard à moi est orné d'une tête de mort
», se justifie-t-il.
Cela étant, toute notion d'héritage ne lui est pas étrangère, bien au
contraire, car il poursuit, à sa façon, l'œuvre de son père. Albator,
quant à lui, cultive la fidélité dans la tradition de sa lignée...
Nationalisme japonais
Au sein de l'équipage, il règne un sympathique désordre, dont s'émeut
Tadashi : « ce vaisseau est un vrai cirque
», se
lamente-t-il, outré, alors qu'il en fait la visite. Mais quand vient
l'heure du combat, sous les ordres du capitaine, chacun répond toujours à
l'appel... Autrement dit, à bord de l'Arcadia, c'est l'anarchie plus
un ! Ce vaisseau présente l'allure générale d'un cuirassé, sur lequel
auraient été greffées les ailes d'un avion, mais aussi la poupe d'un vieux
galion. La grande classe ! Dans une œuvre connexe, Leiji Matsumoto
avait même exhumé le croiseur Yamato, puisant ainsi « dans les
racines du nationalisme japonais
», comme l'expliquait Didier
Giorgini dans la revue Conflits (n° 3, automne 2014)...
Preuve que la politique n'est jamais très loin !
Leiji Matsumoto (scénario) et Kouiti Shimaboshi (dessins), Capitaine Albator – Dimension Voyage, tome I, Kana, février 2016, 5,95 euros.