L'Europe politique au défi de la démocratie

20 avril 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Référendum aux Pays-Bas sur l'accord d'association avec l'Ukraine : quand les diplomates doivent compter avec les aléas de la démocratie, c'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe.

Régulièrement, l'Union européenne se heurte à l'écueil de la démocratie. Outre la réforme des ses institutions, c'est désormais sa politique étrangère qui doit compter avec elle. Ainsi l'accord d'association avec l'Ukraine vient-il d'être désavoué aux Pays-Bas, à l'occasion d'un référendum consultatif. Le moment venu, à la faveur d'une nouvelle "initiative populaire", peut-être le même sort sera-t-il réservé au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ; la collecte des signatures nécessaires a déjà commencé à cet effet.

La voix du Parlement

En France, nul référendum n'est à l'ordre du jour. Cependant, les parlementaires prétendent faire entendre leur voix. Plusieurs dizaines d'entre eux l'ont martelé dans une tribune publiée le 7 avril 2016 dans les colonnes du Monde : « nous demandons solennellement au gouvernement français de refuser de signer tout accord avec les États-Unis si le Parlement est réduit au silence », proclament notamment les socialistes Patricia Adam, Lalande Bernard et Marie Récalde. Dans un rapport publié le mois dernier, leur collègue Jean Bizet tentait d'évaluer « comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes européens ». Ainsi les positions de la chambre haute auraient-elles été « largement reprises par le gouvernement dans le dossier sensible et complexe des projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis », par exemple. D'une façon générale, les informations transmises par le Secrétariat général des affaires européennes seraient « très complètes et de grande qualité, mais [...] communiquées trop tardivement ». Quant aux réponses apportées par la Commission européenne, « si elles restent encore d'inégale qualité », elles « gagnent en intérêt et ont tendance [...] à être transmises plus rapidement que par le passé, ce qui permet de nourrir un dialogue extrêmement utile ». Cela étant, Bruxelles ferait la sourde oreille dès lors qu'il est question de subsidiarité : interpellée sur ce point, la Commission « campe sur ses positions [...] et ne répond pas vraiment aux objections du Sénat ».

Ce dialogue mené tantôt avec Matignon, tantôt avec Bruxelles, illustre les deux aspects du "déficit démocratique" qu'aurait creusé la construction européenne. Dans une optique souverainiste, il traduit l'accroissement des pouvoirs de l'Union européenne aux dépens des institutions nationales. Mais suivant une autre acception, il rend compte de l'éviction du Parlement au profit du gouvernement. Or, comme le rappelle Jean Bizet, « dans notre système [...], le pouvoir exécutif n'est pas juridiquement tenu de se conformer aux résolutions votées par les assemblées parlementaires » ; « il n'existe pas, comme dans certains États membres, la Finlande et le Danemark par exemple, de mandat de négociation auquel le gouvernement doit obligatoirement se tenir ».

Cependant, peut-être les gouvernements européens sont-ils en passe de perdre l'autonomie qu'ils semblaient avoir ainsi acquise. Le référendum néerlandais en témoigne : si l'accord d'association avec l'Ukraine n'avait pas été négocié au nom de l'UE, peut-être aurait-il été ratifié dans l'indifférence générale. Dans cette perspective, la médiation européenne ne constituerait plus un blanc-seing mais, au contraire, une étiquette infamante susceptible d'inspirer la défiance populaire.

Retour au seul commerce

Quoi qu'il en soit, alors qu'elles étaient déjà en vigueur à titre provisoire, la plupart des dispositions de l'accord signé avec l'Ukraine le resteront vraisemblablement définitivement. Les traités européens le permettent, dès lors qu'elles relèvent des compétences exclusives de l'Union. Qu'en est-il, d'ailleurs, du traité négocié avec Singapour ? La Cour de justice de l'Union européenne tranchera prochainement...

Si la démocratie directe devait durablement s'immiscer dans les relations internationales, l'Union européenne devrait sans doute se cantonner à négocier des accords strictement commerciaux, relevant donc de sa compétence exclusive, afin d'en garantir une ratification sans encombre. Jean Quatremer ne s'y est pas trompé : « le "non" néerlandais est un coup dur pour la politique étrangère des Vingt-Huit », déplore-t-il sur son blog. « L'idée était d'inclure le commerce dans une démarche politique afin d'en faire un instrument diplomatique », explique un diplomate européen, cité par notre confrère ; de son point de vue, « ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait une sacrée régression ». C'est le rêve d'une Europe politique qui se dissipe encore une fois.

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