Anne Hidalgo veut la peau des Twingo

18 mai 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

Sous prétexte d'écologie, des véhicules en bon état risquent d'être précipités vers la casse.

Vingt ans, c'est trop vieux : dès l'été prochain, les voitures immatriculées avant 1997 seront bannies de Paris ; d'ici quatre ou cinq ans, le même sort sera réservé à celles mises en circulation avant 2011. « À force de négociations avec la municipalité, les propriétaires de véhicules de collection feront exception à ces interdictions », précise notre consœur Leila Marchand (Les  Échos, 11 mai 2016) – un privilège réservé aux automobiles âgées de trente ans ou plus ; déjà convoitées par les amateurs, les Clio Williams devront patienter quelque temps aux portes de la capitale ; tout comme les Ferrari F40, par exemple ! Les propriétaires de véhicules plus populaires peuvent s'inquiéter : « personne ne voudra de votre voiture si elle ne peut plus circuler dans Paris et elle ne vaudra donc plus rien », déplore l'avocat Jean-Baptiste Iosca (Le Parisien, 11 mai 2016).

Obsolescence planifiée

Cette politique s'inscrit dans la continuité des "primes à la casse" instituées dans les années quatre-vingt-dix. Elle fait écho au projet fantaisiste qu'avait présenté dans les années trente Bernard London : apôtre de « l'obsolescence planifiée », il regrettait « que les consommateurs aient pris l'habitude, à cause de la crise, d'utiliser un produit jusqu'à ce qu'il soit hors d'usage », comme le résume Wikipedia ; de son point de vue, c'était un frein à l'activité économique. Frédéric Bastiat, icône française du libéralisme, n'aurait pas manqué de réfuter un « sophisme » : « la société perd la valeur des objets inutilement détruits », expliquait-il au XIXe siècle ; autrement dit, « destruction n'est pas profit ».

Or, précipiter des automobiles vers la casse, cela n'a rien d'une fatalité. À l'intention des heureux collectionneurs roulant en 911, Porsche propose des tableaux de bord refaits à l'identique, quoique plus résistants que les originaux ; mais aussi un système multimédia (GPS, connexion USB, écran tactile...) s'intégrant dans le compartiment réservé jadis à l'autoradio. Visant un public beaucoup plus large, Aramisauto.com s'est lancé en 2013 dans le reconditionnement de véhicules d'occasion ; « le principe n'est pas nouveau », remarque Jean Savary (Caradisiac, 2 avril 2015) ; « mais là », souligne-t-il, « c'est à l'échelle industrielle, avec la productivité que cela suppose ». Anne Hidalgo, s'abrite derrière des considérations écologiques. Mais n'apporte-t-elle pas une caution politique à la frénésie consumériste ? « Rappelons juste que la fabrication d'une voiture occasionne l'émission de huit à douze tonnes de CO2 et qu'il faut, pour l'éponger avec une voiture consommant un litre de moins aux cent kilomètres que celle qu'elle remplace, parcourir dans les 300 000 kilomètres », lui rétorque encore Jean Savary.

Les Tesla adulées

Dédaignant les sympathiques Twingo (première version), dont la bouille rigolote et les couleurs pimpantes égaient toujours les rues de Paris, Mme Hidalgo leur préfère des voitures électriques, à l'image des luxueuses Tesla. De fait, sans le soutien des pouvoirs publics, peut-être le constructeur de Palo Alto n'aurait-il pas connu pareil succès. « Le modèle économique actuel d'Elon Musk est de collecter de l'argent de la poche de ses concurrents automobiles, sous forme de "permis d'émissions" », dénonce ainsi Charles Boyer (Contrepoints,  6  mai 2015) ; selon lui, « Tesla perd des sous sur chaque voiture qu'il vend, et fait des profits en agissant fondamentalement comme un fermier général, collecteur de taxes auprès de ses concurrents ». À Singapour, cependant, la Model S a été affublée d'un malus écologique ; « il faut mettre en perspective la propreté de l'électricité, produite aux trois quarts à Singapour par des centrales au gaz naturel », explique notre confrère Romain Heuillard (Clubic, 9 mars 2016).

Au moins les Tesla se distinguent-elles par leur capacité à recevoir des mises à jour, susceptibles de pallier leur obsolescence. À moins qu'il s'agisse de corriger les bugs résultant d'un développement trop hâtif ? Quelques propriétaires de Model X ont été confrontés à des portières bloquées... Tesla innove incontestablement dans le domaine du marketing. Ainsi propose-t-il à ses clients d'accroître l'autonomie de leur voiture, délibérément limitée par un bridage logiciel, en souscrivant une option d'un simple clic ; « bien entendu, ce n'est pas une opération magique : les Model S 70 et les Modell S 75 embarquent tous les deux une batterie de 75l kWh », précise Julien Cadot (Numerama, 6 mai 2016). Autrement dit, le prix de vente se trouve explicitement déconnecté du coût de fabrication – dans l'industrie automobile, c'est une révolution !

Révolution en marche

Une autre bouleversement s'annonce : profitant de la connectivité de ses véhicules, Tesla accumule les données nécessaires au développement de la conduite autonome. Si l'entreprise « prend une longueur d'avance aujourd'hui sur la concurrence, c'est parce qu'elle possède déjà des centaines de milliers de données sur de la conduite réelle, sur route, de ses modèles », analyse Julien Cadot (Numerama, 12 mai 2016). Dans ces conditions, aux yeux des constructeurs traditionnels, « les spécialistes des flux d'information [...] sont potentiellement inquiétants : ils pourraient devenir demain de nouveaux concurrents ou, pire, leur prendre la position centrale qu'ils occupent aujourd'hui dans la chaîne de valeur », comme expliqué sur Paris Tech Review (26 avril 2016). Klaus Froehlich, directeur de la recherche et du développement de BMW, en a pleinement conscience : si son entreprise négocie mal ce virage, prévient-il, « nous finirons comme un Foxconn pour une société comme Apple, à ne fournir que des cadres en métal » (Clubic, 7 mars 2016). La France saura-t-elle tirer son épingle du jeu ? La Cour des comptes craint qu'elle y soit mal préparée. Ainsi déplore-t-elle « une "absence de stratégie globale et de coordination entre les services de l'État", avec notamment une veille internationale inadéquate pour orienter les actions à mener », comme le rapporte André Lecondé (Caradisiac, 11 mai 2016). Les responsables politiques seraient bien inspirés de s'en préoccuper, plutôt que de jeter l'anathème sur les malheureux Parisiens possesseurs d'une vénérable Twingo.

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