La défense à l'épreuve du Brexit
6 juillet 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Coopération franco-britannique, défense européenne, Alliance atlantique : aperçu des perspectives ouvertes par le vote du 23 juin 2016 en faveur du Brexit.
Le 24 juin 2016, alors que venait d'être annoncée l'issue du
référendum en faveur du Brexit, le
président de la République a promis que Paris serait « à
l'initiative pour que l'Europe se concentre sur l'essentiel
» –
à savoir, tout d'abord, « la sécurité et la défense de notre
continent
». Or, si le Royaume-Uni quitte effectivement l'Union
européenne (UE), « la France
[...] continuera à travailler
avec ce grand pays
», y compris en cette matière, où « nos
relations étroites
[...] seront préservées
», a assuré
François Hollande.
Gare aux punitions
« Qu'ils soient dans ou en dehors de l'UE, les Britanniques
restent à échéance visible nos partenaires les plus crédibles et les
plus sérieux en matière de défense sur le continent européen
»,
confirme Pierre Razoux, dans
une note de l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École
militaire). « Nous partageons des intérêts similaires (vision
mondiale, siège permanent au Conseil de sécurité, détention de l'arme
nucléaire, nombreux territoires d'outre-mer à protéger, intérêts
géostratégiques largement convergents) que le Brexit ne modifiera pas
»,
explique-t-il. « Sur le plan industriel
», précise-t-il,
« nous sommes engagés dans des projets structurants en cours de
développement (missile antinavire léger, système de combat aérien futur)
qui restent strictement bilatéraux
». Par conséquent,
prévient-il, « il est crucial que la France continue de traiter le
Royaume-Uni avec respect, de manière sereine et dépassionnée, sans
l'esprit de "punition" que certains pourraient être tentés
d'instrumentaliser
».
Ce partenariat s'appuie sur les accords de Lancaster House signés en
2010. Lesquels sont « une façon de "faire l'Europe sans l'Union
européenne", pour reprendre les propos de l'ambassadrice de France en
Grande-Bretagne
», citée par Florent de Saint-Victor dans
un entretien au Marin. En fait, c'est une façon parmi
beaucoup d'autres... Londres participe également à l'Occar (Organisation
conjointe de coopération en matière d'armement), par exemple, sous l'égide
de laquelle a été développé l'Airbus A400M. En revanche, à la différence
de Paris, il est resté en marge du Commandement européen du transport
aérien (EATC). Force est de le constater : "l'Europe des États" chère
aux souverainistes existe d'ores et déjà. En effet, ces structures-là sont
indépendantes de l'UE et de sa Politique de sécurité et de défense commune
(PSDC), à laquelle la contribution du Royaume-Uni s'avère d'ailleurs
modeste, au regard de ses capacités.
Londres préfère l'Otan
« Durant l'opération Eunavfor Atalanta contre la piraterie,
Londres n'a mis à disposition qu'un navire depuis 2008
», souligne
ainsi Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2.
« Et ce pendant quelques mois à peine
»,
précise-t-il, « soit à peine plus que les... Ukrainiens
» ;
« pendant ce temps
», poursuit-il, « les
Luxembourgeois mettaient à disposition deux avions de patrouille
maritime durant plusieurs années
». De fait, observe-t-il,
« le Royaume-Uni préférait mettre ses navires à disposition de
l'Otan ou des Américains
». Étonnement, Pierre Razoux n'en estime
pas moins que la perspective d'un Brexit « laisse présager la
démonétisation
» de la PSDC. Pourtant, Londres était
régulièrement accusé d'en freiner le développement, s'opposant à la
création d'un QG militaire de l'Union, ainsi qu'à l'accroissement du
budget de l'Agence européenne de défense (AED). Selon le collaborateur de
l'Irsem, « si les Britanniques ne peuvent plus jouer au sein de
l'UE, certains d'entre eux pourraient être tentés de torpiller la PSDC
et de convaincre leurs anciens partenaires de l'inutilité de cet outil
dont ils ne font plus partie
». Cependant, souligne Nicolas
Gros-Verheyde, « un départ du Royaume-Uni n'empêcherait pas qu'il
puisse continuer à contribuer, de manière extérieure, aux opérations
militaires européennes, comme le font aujourd'hui nombre de pays tiers,
de la Géorgie à la Colombie, en passant par la Suisse, la Norvège, la
Serbie ou les États-Unis
».
Quoi qu'il en soit, « la France aurait tout à gagner à se
présenter comme l'intermédiaire naturel entre le Royaume-Uni et l'UE
»,
selon Pierre Razoux. Ce dernier entrevoit également « une
opportunité de coopération supplémentaire entre l'Allemagne et la France
»
au sein de l'Alliance atlantique. Dans quelle mesure celle-ci serait-elle
affectée par un Brexit ? Les avis sont partagés. Un analyste russe, cité
par le Courrier international, anticipe « le
renforcement du rôle de l'Otan, comme "dernière structure unifiant
l'Europe"
» ; si bien que le Brexit contribuerait « non
pas à un infléchissement du rôle des États-Unis en Europe, mais au
contraire à son renforcement
». À l'inverse, sur
Royal Artillerie, Catoneo annonce que « nous
gagnerons en autonomie par rapport aux États-Unis
».
Nouveaux équilibres
La donne serait davantage bouleversée si le Brexit s'accompagnait d'un
éclatement du Royaume-Uni. Celui-ci apparaît « menacé de
déclassement à la fois économique et stratégique avec l'indépendance
plausible de l'Écosse
», selon Pierre Razoux. Dans l'immédiat,
les spéculations vont bon train quant aux nouveaux équilibres
géopolitiques qui pourraient se dessiner à l'occasion du Brexit. Le vote
"leave" a été « accueilli très favorablement par la Russie, la
Turquie et la Chine, et de manière dubitative par les États-Unis
»,
croit savoir Pierre Razoux. « Le retrait britannique change les
termes du processus décisionnel (modifiant la minorité de blocage),
modifie les équilibres au détriment de la sensibilité libérale, et
laisse Paris et Berlin dans un inconfortable face à face
»,
analyse Frédéric Charillon dans
The Conversation. « Ceux qui se réjouissent
aujourd'hui de la sortie annoncée du Royaume-Uni pourraient être demain
les premiers à dénoncer les ambitions géopolitiques et militaires d'une
Allemagne décomplexée
», s'inquiète même Pierre Razoux. « Si
les Britanniques n'étaient pas favorables à une politique étrangère
commune digne de ce nom, la contribution du Foreign and Commonwealth
Office à la diplomatie européenne renforçait considérablement l'analyse
et la crédibilité de celle-ci
», affirme encore celui-là. À ce
propos, les chefs d'État ou de gouvernement de l'UE viennent d'adopter le
28 juin une nouvelle stratégie pour la politique extérieure et de
sécurité. Y compris David Cameron donc. Brexit ou pas, l'Europe continue.
Sous de multiples formes.