Le pari sportif du Quai d'Orsay

3 août 2016
Article publié dans L'Action Française 2000

La dimension politique du sport est régulièrement soulignée à l'occasion des Jeux olympiques. Cependant, les diplomates lui portent un intérêt croissant.

Vendredi prochain, 5 août 2016, s'ouvriront au Brésil les XXXIe Jeux olympiques de l'ère moderne. Entre 2010 et 2020, la plupart des grandes manifestations sportives se seront tenues dans des pays dits "émergents" – dix sur treize, selon le décompte proposé par les députés Valérie Fourneyron (PS) et François Rochebloine (UDI) dans un rapport enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin 2016. Faut-il s'en étonner ? Comme le remarque Valérie Fourneyron, « le sport est un révélateur de la marche du monde » ; « il permet aux États de se mettre en scène ». De son point de vue, les Jeux de Sotchi, organisés en Russie à l'hiver 2014, s'inscrivaient dans la « diplomatie des muscles » mise en œuvre par Vladimir Poutine. Quant aux États-Unis, qui traquent la corruption dans les instances internationales du sport, ils lui semblent « fidèles en cela à leur idéologie de la "destinée manifeste", mélange de doctrine interventionniste, de volonté de se poser en justiciers du monde et de diffuser un modèle de démocratie libérale ». Le Qatar n'est pas en reste : « le sport accompagne une politique de diversification d'investissements en apportant une dimension de prestige essentielle aux ambitions de l'Émirat », observe-t-elle avec François Rochebloine.

Un catalyseur de changements

Les États ou les villes qui accueillent de tels événements en attendent des retombées économiques. Cela « malgré des chiffrages épars » dont les rapporteurs jugent la fiabilité « inégale ». Attention aux déconvenues : « il n'y a pas eu à Londres plus de touristes lors des Jeux de 2012 qu'en temps ordinaire », soulignent les députés. Cela étant, « c'est dans une dynamique de long terme que l'impact touristique doit être appréhendé ». Tout comme la construction des infrastructures. À ce titre, « Barcelone est devenue le modèle de régénération urbaine réussie grâce aux Jeux, avant d'être détrônée par Londres vingt ans plus tard ». Ainsi les JO de 2012 ont-ils été « utilisés à des fins de développement territorial de l'Est londonien, déshérité ». La construction du stade de France, à l'approche de la Coupe du monde de football de 1998, s'est elle-même inscrite dans le développement plus général de la plaine Saint-Denis. En résumé, « les grandes compétitions internationales constituent des catalyseurs de changements pour une ville, un territoire ; et à plus grande échelle, pour un pays ».

Des opportunités à saisir

Bien des opportunités sont à saisir. S'agissant du Japon, par exemple, « il est notable que si Paris devait être sélectionné pour accueillir les Jeux en 2024, l'intérêt se trouverait accru de construire des partenariats avec des entreprises françaises » ; dans cette perspective, préviennent les rapporteurs, « il convient d'entretenir la dynamique actuelle en capitalisant sur l'image du charismatique entraîneur de la sélection nationale de football Vahid Halilhodzik (ancien joueur du FC Nantes, ancien entraineur du PSG) et en systématisant les invitations de hautes personnalités japonaises aux grandes manifestations sportives organisées en France ». En Amérique latine, « le sport est un excellent point d'entrée, parce qu'il est populaire, outil de cohésion sociale et que les sports par lesquels il est possible de développer une diplomatie d'influence sont assez peu ou pas pratiqués aux États-Unis (football, rugby notamment) ou plus européens qu'américains (cyclisme) » ; « ce raisonnement vaut aussi pour le handball en Afrique », précisent les députés. Selon eux, il s'agit aussi d'« atteindre les cœurs et les esprits des populations sans mettre en jeu l'État (concept de "public diplomacy") ».

Ambassadeur pour le sport

La France saura-t-elle y parvenir ? Le ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI) « a clairement intégré le sport comme un vecteur d'influence potentiellement intéressant », se félicitent les rapporteurs. Un ambassadeur pour le sport a même été nommé en 2013. Mais les ressources mises à sa disposition semblent dérisoires : « La ligne budgétaire est de l'ordre de 8 000 euros de voyages annuels ! » La situation demeure « brouillonne », comme en témoigne la préparation de l'Euro 2016, où « des tiraillements sont apparus entre le MAEDI qui assure le pilotage politique et le ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique qui détient les moyens ». Rattachée aujourd'hui au ministère des Sports, la Délégation interministérielle aux grands événements sportifs (DIGES) devrait être placée auprès du Premier ministre, selon les recommandations des députés : ce serait « une des clés de l'amélioration du dispositif national, que tout le monde décrit comme éclaté et illisible ».

Apprendre à jouer collectif

Il faut « que les acteurs publics soient rassemblés et entraînent les acteurs non étatiques pour former une véritable "équipe France" », martèlent les rapporteurs. À l'exception notable de celles réunies dans le "Cluster Montagne", nos entreprises « ne jouent pas toujours "collectif" » déplorent-ils. Or, « la diplomatie sportive française ne peut exister sans parvenir à susciter cette alchimie qui existe spontanément dans certains pays malgré la concurrence commerciale ». Selon les parlementaires, il « revient à l'État de structurer et rassembler les acteurs », comme il s'y essaie au Japon, « un pays laboratoire pour la diplomatie économique française en matière de sport ».

Puissance et influence

L'« État stratège » cher au Front national sera-t-il édifié sous la houlette d'un gouvernement socialiste ? Sans doute Valérie Fourneyron et François Rochebloine partagent-ils avec Marine Le Pen une certaine bienveillance à l'égard de de l'intervention publique : « les résultats sont beaucoup plus facilement au rendez-vous quand l'État est à la manette », écrivent-ils notamment. Cependant, dans le cas présent, il ne s'agit pas de protéger les entreprises françaises exposées à la concurrence étrangère, mais de les accompagner dans la compétition internationale. Les rapporteurs disent avoir mené un « travail de pédagogie sur le concept de puissance telle qu'elle s'exerce aujourd'hui dans le monde ». Selon Valérie Fourneyron, précisément, « la puissance de la France au XXIe siècle résultera de la conjugaison intelligente des différents leviers de l'influence ». Incidemment, loin de combattre la mondialisation, elle propose de mieux y intégrer la France.

Cartes postales – Le 24 juillet 2016 s'est achevée la cent-troisième édition du Tour de France. Dans leur rapport évoqué ci-dessus, les députés Valérie Fourneyron et François Rochebloine proposent un vibrant éloge de cette compétition. Il y voient « un monument du sport mondial et un ambassadeur de la France à l'étranger ». Le Tour de France est diffusé dans cent-quatre-vingt-douze pays, précisent-ils ; « c'est la troisième diffusion audiovisuelle mondiale » ! « Au-delà du spectacle sportif », se félicitent les parlementaires, « le Tour de France assume un rôle de promotion de la France, de son patrimoine et de ses régions, de la beauté et de la diversité des paysages français » ; en effet, « ce sont chaque jour des cartes postales de la France qui passent sur des millions d'écrans ».

Euro radin – Alors que la France accueillait l'Euro 2016 de football, l'État a acheté vingt mille places « à vocation sociale ». Cela « sans rabais », déplorent les députés Valérie Fourneyron et François Rochebloine. Les pouvoirs publics auraient bénéficié de quatre-vingts places gratuites. Un nombre très insuffisant aux yeux des parlementaires. C'est « inacceptable », écrivent-ils dans leur rapport.

Lectures d'été – À l'approche des Jeux olympiques, « les enjeux du sport » – « économie, géopolitique, société, identité » – sont à la une de la revue Conflits (n° 10, été 2016, 9,90 euros). On y trouve notamment un entretien avec Pascal Boniface, auteur du livre JO politiques – Sport et relations internationales, paru en juin dernier (éditions Eyrolles, 202 pages, 16 euros). C'est aussi l'occasion de relire les Lettres des Jeux olympiques de Charles Maurras, préfacées par Axel Tisserand, publiées en poche en 2004 (éditions Flammarion, 183 pages, 8,90 euros).

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