Maurras libéral

23 avril 2018

Le cadavre de Maurras bouge encore ! Cela bien que son antisémitisme, insupportable, ait jeté l'opprobre sur toute sa pensée. Critiquant explicitement le libéralisme, la figure tutélaire de l'Action française n'en condamnait pas moins la mainmise de l'État sur les PTT, l'éducation voire la monnaie.

Promoteur d'une monarchie « traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée », Charles Maurras est né il y a cent cinquante ans, le 20 avril 1868. Fallait-il commémorer cet anniversaire ? Le ministère de la Culture s'y est finalement refusé, non sans avoir tergiversé. Antisémite et xénophobe, nationaliste et réactionnaire, la figure tutélaire de l'Action française demeure pour le moins controversée. Ses héritiers revendiqués ont, pour la plupart, le libéralisme en horreur. À l'image de leur maître ? En partie seulement, comme en témoignent ces quelques citations.

Chantre du « politique d'abord », Charles Maurras n'en affirmait pas moins que l'économie était « plus importante que la politique » : « l'économie étant la science et l'art de nourrir les citoyens et les familles, de les convier au banquet d'une vie prospère et féconde, est une des fins nécessaires de toute politique », expliquait-il notamment (Mes Idées politiques, 1937).

Maurras voulait privatiser la Poste

Certes, précisait-il, « même pour donner le pas à certaines questions économiques jugées vitales, il faut au préalable une organisation politique, une action politique, avec ses moyens qui sont politiques : des mandataires, des fonctionnaires, des agents, des corps de police et d'armée, des juges, des policiers, des bourreaux » (L'Action Française, 7 mars 1935, article cité dans le Dictionnaire politique et critique). Cependant, à l'orée du XXe siècle, il dénonçait déjà « l'État français qui se mêle de tout aujourd'hui, même de faire des écoles et de vendre des allumettes, et qui, en conséquence, fait tout infiniment mal, vendant des allumettes ininflammables et distribuant un enseignement insensé » (Dictateur et Roi, 1903). En conséquence, écrivait-il, « il faut rendre à l'initiative privée, aux personnes, associations, compagnies, toutes les fonctions qui dans l'État, accomplies par l'État, font effet de parasites stérilisants : stimulées et régénérées par l'idée légitime du légitime profit, elles feront de la richesse au lieu d'en dévorer » (« La Politique générale », Almanach d'Action française, 1922). Dans l'entre-deux-guerres, Charles Maurras réclamait que soit privatisée la Poste ! L'Union européenne n'était pourtant pas en cause…

Suivant la même logique, de façon peut-être plus étonnante encore, il s'inquiétait d'un contrôle accru de la monnaie par l'État, déplorant les « innovations dangereuses apportées à la Banque de France » par le Front populaire (L'Action Française, 18 juillet 1936) ; « le plus important, les questions de crédit et d'escompte, sera désormais soumis aux volontés de gouvernements de passage », était-il dénoncé dans le quotidien royaliste (L'Action Française, 16 juillet 1936). Cela tranche avec les positions qui sont aujourd'hui celles des souverainistes, aux yeux desquels l'indépendance des banques centrales est une aberration.

Critique du constructivisme

La division du travail ne suscitait apparemment aucune défiance chez Maurras – qui, certes, ne l'envisageait pas à une échelle mondiale. Bien au contraire, il y voyait un facteur de « progrès », à la faveur duquel « chaque fonction s'accomplit beaucoup plus vite et beaucoup mieux » (Mes Idées politiques, 1937). Quant à la décroissance, sans doute cette perspective lui aurait-elle semblé contraire à la nature même de l'homme. Celui-ci « ne peut rien laisser en place », écrivait-il : « il lui faut défaire et refaire, décomposer pour le recomposer sur un autre plan tout ce qu'il trouve autour de lui, et son système de remaniement perpétuel l'aura conduit, de proche en proche, à interposer sa main, son travail, sa peine et son art entre toutes les matières premières que la nature lui fournit et que jadis il utilisait telles quelles » ; « animal industrieux, voilà, je pense, la définition première de l'homme » (« L'Industrie », Principes, 1931).

Cela étant, Charles Maurras raillait volontiers « la doctrine libérale [qui] assure que le bien social résulte mécaniquement du jeu naturel des forces économiques » ; « les conseils des économistes libéraux valent pour nous ce qu'auraient valu autrefois pour le genre humain une secte de naturistes qui lui aurait recommandé de se croiser les bras et d'attendre que la terre porte d'elle-même les fruits et les moissons » (Mes Idées politiques, 1937). Poursuivons toutefois la lecture : « Non, la nature, non, le jeu spontané des lois naturelles ne suffisent pas à établir l'équilibre économique. Mais prenons garde ; ces lois, auxquelles il serait fou de vouer une confiance aveugle et mystique, il serait encore plus fou de les négliger. Cultivons, tourmentons, forçons même l'ample et bizarre sein de la vieille nature, ajoutons à ses forces nos forces et notre sagesse, notre prévoyance et notre intérêt, doublons les partout de nous-mêmes. Mais sachons que nous ne commanderons aux choses qu'à la condition de leur obéir. » La mise en œuvre d'une « politique naturelle » chère à Maurras ne serait-elle alors possible que dans le respect d'un « ordre spontané » ? La question est posée.

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