B Gata H Kei : heureuse découverte !

3 décembre 2014

Une fois n'est pas coutume, nous nous risquons à faire la promotion d'une série animée. Cela nous change des considérations trop terre à terre sur la politique, l'économie et la défense !

Le titre s'avère intraduisible, aussi comprenons-nous le choix des éditeurs, lesquels y ont renoncé en France comme aux États-Unis. Littéralement, "B Gata H kei" signifierait "Type B Style H" – autrement dit, "blondasse obsédée" ? Plus ou moins, quoique le synopsis ne donne qu'un aperçu assez réducteur de la série, et que le "fan service" (les petites culottes et autres images coquines) y soit distillé à doses modérées.

Alors qu'elle entre au lycée avec le projet de collectionner au plus vite une centaine d'amants, Yamada tarde à conclure avec le tout premier. Elle jète son dévolu sur un camarade de classe, le timide Kosuda, déstabilisé par ses assauts indélicats et sa relative versatilité. De fait, le tempérament licencieux de l'héroïne dissimule à peine sa sensibilité, sa détermination étant indissociable d'une incomparable ingénuité (dont la VO rend vraisemblablement beaucoup mieux compte que le doublage français, auquel nous ne nous sommes pas frotté). À vrai dire, cette gamine se révèle terriblement touchante – on en tomberait presque amoureux !

Aussi avons-nous découvert avec un réel plaisir les douze épisodes de cette anime, adapté d'un manga qui semble encore inédit en France : c'est drôle, léger, pas forcément inoubliable, mais plein de fraîcheur !

Terminons par une parenthèse plus sérieuse (on ne se refait pas) : alors que l'action se déroule souvent au lycée, le seul élément touchant explicitement au contenu des cours porte sur l'histoire de France, et plus précisément sur Henri IV, dont les élèves apprennent qu'il fut le premier Bourbon ; quant au déclin démographique de l'Archipel, l'inénarrable Yamada envisage d'y remédier par une proposition pour le moins iconoclaste, dont on ne comprend toutefois la teneur qu'en sachant quel statut occupe la honte dans la culture japonaise...

L'Europe, un chemin vers l'espace ?

3 décembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chef de file de "l'Europe spatiale", la France a su jouer la carte multilatérale au bénéfice du lanceur Ariane, dont la sixième génération vient d'être mise en chantier.

Enthousiasmé par la « merveilleuse aventure » de la sonde Rosetta, notre confrère Bruno Dive s'est demandé dans Sud Ouest « quelle meilleure réponse » pouvait être apportée « à tous les professionnels de l'euroscepticisme ». C'est oublier que ceux-ci dirigent leurs attaques surtout contre Bruxelles, qui ne dispose explicitement d'une compétence en matière spatiale que depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. De fait, à l'exception notable de Galileo (l'alternative européenne au GPS américain), les programmes spatiaux menés à l'échelle du Vieux-Continent le sont sous l'égide non pas de l'Union européenne (UE), mais de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui s'en distingue par son caractère intergouvernemental. « Jusqu'à présent », souligne Guilhem Penent, dans un ouvrage consacré à l'Europe spatiale (1), celle-ci « a toujours été considérée comme le moyen de concrétiser une ambition nationale » ;  ni l'ESA, ni les États membres ne s'en sont jamais cachés » : « le mode de financement, la pratique du "juste retour" géographique, la structure même de l'organisation, sont d'ailleurs suffisamment explicites pour rendre inutile et déplacée une telle pudeur ».

Un pari gagnant

Cela étant, peut-être Paris verrait-il d'un bon œil l'intégration de l'ESA à l'UE. Ce faisant, sans doute espérerait-il tirer à lui la couverture du budget communautaire, au bénéfice de ses propres investissements : « avec 30 euros par an et par habitant dédiés au spatial civil », rappelle Guilhem Penent, « la France a dans ce secteur le deuxième budget au monde, derrière les États-Unis (46 euros), mais devant l'Allemagne (16 euros) et le Royaume-Uni (6 euros) ». Quoi qu'il en soit, sous une forme ou sous une autre, l'Europe demeurera le cadre structurant (mais non exclusif, comme en témoigne, par exemple, la coopération avec l'Inde) de la politique spatiale de la France, étant entendu que « le coût et la complexité inhérents à la technique spatiale sont tels qu'aucune nation européenne ne saurait développer une capacité spatiale autonome et compétitive sur ses fonds propres ». Dans le cas présent, la carte européenne nous apparaît d'autant plus pertinente que Paris est parvenu à la jouer tout en assurant la maîtrise d'œuvre du programme Ariane, dont « la percée [...] sur le marché mondial des lancements est très certainement le signe extérieur de réussite le plus spectaculaire de l'Europe spatiale ».

La menace SpaceX

Fiabilité, disponibilité et adaptabilité ont garanti, jusqu'à présent, le succès commercial du lanceur européen. Mais qu'en sera-t-il demain ? Ariane ne se prête plus très bien à la mise en orbite des satellites institutionnels, devenus trop légers pour rentabiliser l'emploi d'un lanceur aussi puissant. Quant aux satellites commerciaux, leur poids diminue à mesure qu'ils adoptent une propulsion électrique. Parallèlement, la concurrence s'intensifie. Ses assauts les plus virulents émanent d'un nouveau venu, SpaceX. Créée en 2002 par l'entrepreneur américain Elon Musk, par ailleurs cofondateur de Paypal et Tesla Motors, cette société développe un lanceur dont le premier étage devrait être réutilisé d'un tir à l'autre dès l'année prochaine – une première ! Aussi les clients d'Arianespace pressent-ils Paris et ses partenaires de se mettre à la page. Eutelsat s'est d'ores et déjà porté candidat pour prendre part au premier lancement d'Ariane 6, dont l'avenir a été tracé mardi dernier, 2 décembre, à l'issue de la conférence ministérielle des États membres de l'ESA. « Alors qu'Ariane 5 a été conçue pour être un moteur de développement pour l'Europe spatiale [...], Ariane 6, envisagée pour 2021-2022, vise au contraire à minimiser les coûts de développement, la durée de  développement, et les coûts d'exploitation », explique Guilhem Penent. Cependant, Paris doit compter avec les réticences de Berlin, qui privilégie le développement d'Ariane 5 ME (midlife evolution), une version modernisée du lanceur actuel.

Frilosité allemande

Il est vrai que la négociation semblait mal engagée : la France « se contente de poursuivre sur sa lancée en proposant plus ou moins unilatéralement une nouvelle version du lanceur Ariane », déplore Guilhem Penent : « de fait la configuration Ariane 6 de type PPH, deux étages à poudre et un étage à hydrogène et oxygène liquides, a été retenue sans que le reste des Européens apparaissent véritablement sollicités ». Selon notre confrère Alain Ruello, « les doutes de Berlin ne sont pas illégitimes ». « Avec un premier tir prévu en 2020 », souligne-t-il dans Les Échos, « le projet Ariane 6 tel qu'il se dessine revient à tirer un trait sur Ariane 5 ME [...] car les budgets ne permettent pas de tout faire dans un laps de temps aussi rapproché. Mais l'histoire des grands projets montre qu'ils sont souvent sujets à retard, et donc à surcoûts. »

Cela dit, « si l'Allemagne soutient contre vents et marées un tel programme », remarque Guilhem Penent, dans une note publiée par l'Ifri (Institut français des relations internationales) (2), « c'est non seulement parce qu'il lui paraît le meilleur scénario face à la concurrence américaine, mais c'est aussi parce que ce lanceur est le plus favorable à son industrie ». À cela s'ajoutent des divergences plus fondamentales. En effet, « l'Allemagne n'a [...] jamais caché qu'elle n'accordait pas la même importance à l'objectif d'autonomie ». Berlin a même souscrit aux services de SpaceX pour lancer ses satellites d'observation radar – une  trahison ! Autrement dit, « alors que l'Allemagne privilégie les aspects technologiques et industriels, la France propose une approche à la fois plus globale [...] et plus politique du spatial ». Sans doute cela explique-t-il également son immixtion, encore trop timide cependant, dans l'analyse autonome des menaces pesant sur les satellites en orbite, devenues critiques avec la multiplication des débris spatiaux. « Fait remarquable, la première collision jamais répertoriée a d'ailleurs affecté un satellite militaire français », rappelle Guilhem Penent. C'était en 1986. Preuve que la France fait toujours figure de pionnier, fût-ce à son corps défendant !

1 – Guilhem Penent, L'Europe spatiale, le déclin ou le sursaut, Argos, 190 pages, 15 euros.

2 – Guilhem Penent, Ariane 6 – Les Défis de l'accès à l'espace en Europe, Actuelles de l'Ifri, novembre 2014.

La francophonie, un projet "mondialiste" ?

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chantre de la mondialisation, Jacques Attali n'en est pas moins un promoteur de la francophonie. Certaines de ses mises en garde méritent notre attention, afin que la France utilise au mieux ses atouts.

Lors du sommet de Dakar (29 et 30 novembre 2014) devrait être présentée une "stratégie économique pour la Francophonie". S'agira-t-il d'un premier pas vers la création d'une "Union économique francophone" ? Tel est l'espoir de Jacques Attali, revendiqué en conclusion d'un rapport remis fin août au chef de l'État. « Le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France », martèle l'ancien conseiller du président Mitterrand.

« L'ensemble des pays francophones et francophiles représentent 16 % du PIB mondial », souligne-t-il, « avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques ». Naturellement, « le partage par les populations de plusieurs pays d'une même langue augmente leurs échanges » – de 65 % environ, nous précise-t-il. Est-il bien raisonnable de chiffrer pareil phénomène ? Quoi qu'il en soit, s'inquiète Jacques Attali, « des circuits économiques sont en train de se créer dans les pays francophiles et francophones sans la France » : « c'est le cas le secteur minier notamment (Canadiens en Afrique), ou dans l'éducation supérieure (Québec) ». De fait, Paris serait tenté « par un repli sur sa sphère nationale », que traduirait « la baisse significative » de sa contribution au budget de l'OIF, réduite d'un quart depuis 2010. C'est un calcul de court terme, dénonce le rapporteur. Dans l'ensemble des pays d'Afrique, prévient-il par ailleurs, « le déséquilibre entre le nombre d'enfants à scolariser et le nombre d'enseignants va s'accroître dans les prochaines années ». C'est pourquoi, « faute d'un effort majeur, on pourrait assister [...] à un recul de l'espace francophilophone ».

Le français dans l'entreprise

Dans les entreprises se ressentirait « un certain manque de "patriotisme linguistique" ». À tel point que « certaines compagnies françaises installées en Asie du Sud-Est paradoxalement détournent les étudiants de ces pays de l'apprentissage du français en exigeant la connaissance de l'anglais à l'embauche ». Pourtant, « la culture d'une entreprise mondiale d'origine française est plus facile à appréhender pour le personnel local lorsqu'il maîtrise le français ». Renault l'aurait constaté dans la foulée de sa fusion avec Nissan : « L'usage généralisé de l'anglais comme langue de l'alliance avec le groupe japonais s'est avéré être un handicap et a été à l'origine d'un rendement réduit de part et d'autre. Renault a depuis choisi de donner des bourses à des Japonais pour étudier le français en France. » Quant à l'usage accru de l'anglais dans l'Hexagone, « cela aurait des conséquences économiques négatives », estime Jacques Attali ; selon lui, « l'usage d'une langue étrangère au travail crée [...] un déficit de productivité et de cohésion sociale ».

Alors que des entreprises françaises « choisissent de contracter entre elles en anglais selon des modèles de contrats anglo-saxons », les cabinets d'avocats français, « malgré leur expertise reconnue », seraient « très peu implantés à l'étranger en comparaison avec les cabinets anglo-américains », dont l'influence est telle qu'ils « structurent l'imagination des financiers ». Le droit continental s'en trouve affaibli, ce dont pourrait pâtir le développement de l'Afrique. Le droit anglo-saxon « étant jurisprudentiel », explique Jacques Attali, « son bon fonctionnement requiert l'existence d'une justice efficace et d'une jurisprudence abondante, permettant aux avocats d'assurer une certaine sécurité juridique aux entreprises ». Or, « en l'absence de tels pré-requis, l'insécurité juridique pourrait désinviter les entreprises à investir dans ces pays ».

Les frontières périmées ?

Afin d'accroître ces investissements, Jacques Attali propose, sans surprise, de « favoriser la mobilité » des travailleurs. « Le nombre d'expatriés français est plus faible que le nombre d'expatriés britanniques ou allemands », regrette-t-il : « respectivement 2,5 millions, 3 millions et 4 millions ». Quant à l'immigration professionnelle, elle est jugée « peu développée en France ». Indifférent aux pressions de l'opinion, Jacques Attali vante même les mérites des délocalisations. Selon lui, « l'externalisation d'une partie de la chaîne de valeur française dans les pays du sud de la Méditerranée pourrait être bénéfique, aussi bien aux entreprises françaises qu'aux pays d'accueil ». En effet, « cette stratégie permettrait aux entreprises françaises [...] d'améliorer leur compétitivité, et répondrait aux forts besoins en croissance et en emplois des économies nord-africaines ». Les implantations au Maroc de Renault, Sanofi-Aventis et Accor seraient autant de réussites illustrant le « caractère potentiellement gagnant-gagnant » des « colocalisations ».

Dans son esprit, donc, la francophonie n'est pas une alternative à la mondialisation. Au contraire. De son point de vue, « la tendance de fond de l'économie mondiale est de périmer l'idée d'espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d'échanges et de coopération autour de communautés d'autres natures ». Quoique celles-ci demeurent promues au bénéfice des États : « le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l'Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés », observe Jacques Attali. Puisse la France en faire autant !

Le "genre" vu par ses promoteurs

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Qu'est-ce que le genre ? Pourquoi cette notion fait-elle débat ?

Telles sont les questions auxquelles prétend répondre ce livre d'une centaine de pages. Dans l'esprit de ses auteurs, il s'agit de remettre quelques pendules à l'heure : « il est faux de laisser penser qu'il existerait une théorie du genre » – autrement dit, « un corpus idéologique homogène » –, explique Laure Berreni. Les "études de genre" n'en sont pas moins inspirées par la conviction qu'il existerait « un rapport de domination socialement construit des hommes sur les femmes ». Manifestement, ces recherches se prêtent aux hypothèses les plus hardies : « ce qui est particulièrement frappant », dans les manuels controversés de SVT (sciences de la vie et de la terre), remarque Laure Berreni, « c'est que la naturalité de la dichotomie mâle-femelle n'est pas ébranlée » ; quant à l'approche des masculinités de Connell, rapporte Mathieu Trachman, elle soulignerait « le caractère frictionnel d'une théorie qui partage l'humanité entre deux groupes de sexe différent ».

Évoquant son caractère historiquement militant, Laure Berreni soutient que «  la recherche "féministe" n'est [...] pas moins objective que la recherche mainstream », d'autant qu'« elle explicite ses présupposés politiques au lieu de les masquer ». « En dénaturalisant la différence des sexes », renchérit Éric Fassin, le "genre" serait « désormais un outil scientifique, en même temps qu'une arme politique, au service de la critique des normes ». Selon lui, « il s'agit bien de savoir si cet ordre est fondé, une fois pour toutes, par un principe transcendant ». « Tel est in fine l'enjeu », conclut-il : « l'extension de la logique démocratique au domaine sexuel ». Cette perspective est-elle censée nous rassurer ? Selon Maurras, rappelons-le, « la démocratie c'est le mal, la démocratie c'est la mort ».

Sous la direction de Laure Bereni et Mathieu Trachman, Le Genre – Théories et controverses, Presses universitaires de France, 112 pages, 8,50 euros.

Genre : en route vers la dictature ?

11 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Un énième rapport « relatif à la lutte contre les stéréotypes » a été remis au gouvernement.

S'exprimant au nom du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), ses auteurs promeuvent « la budgétisation sensible à l'égalité femmes-hommes, et en particulier le mécanisme d'"éga-conditionnalité" des financements publics », en vertu duquel ceux-ci seraient subordonnés « au respect de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les stéréotypes de sexe ».

« Les biens et services publics financés doivent bénéficier de manière égale aux femmes et aux hommes », soutiennent les rapporteurs, qui donnent en exemple la ville de Toulouse, dont la municipalité « s'est donné pour objectif d'opérer un rééquilibrage de l'attribution des subventions en faveur des associations sportives de femmes ». Selon eux, une telle démarche devrait inspirer l'ensemble des politiques publiques. Naturellement, la priorité est donnée à l'École : « à court terme », les collectivités locales finançant l'achat de manuels scolaires devraient veiller à ce que ceux-ci assurent, entre autres, « la valorisation des femmes dans l'histoire des savoirs ». L'enjeu serait « de faire coexister un moyen terme entre le respect du principe constitutionnel de la liberté d'expression [...] et le principe constitutionnel du respect de la dignité de la personne humaine ». Vraisemblablement aux dépens du premier de ces principes. « Hormis le début de caractérisation du sexisme ordinaire en droit du travail », déplorent les rapporteurs, « les propos, "blagues", ou comportements sexistes, ne sont pas visés en tant que tels par le droit ».

« La budgétisation sensible à l'égalité femmes-hommes ne constitue en aucune manière une remise en question de l'universalisme républicain », se défendent-ils. De leur point de vue, « tant que l'égalité n'est pas atteinte, et que les réalités des femmes et des hommes sont différentes et inégalitaires, alors les politiques publiques ne peuvent être neutres ». Quant aux inquiétudes soulevées par la poursuite d'une pareille utopie, elles sont balayées avec mépris : la hantise « de l'indifférenciation des sexes et du risque du déséquilibre psychique et social » ne serait qu'une « ritournelle historique ». Vraiment ?

Ayatollah – Dans les années quatre-vingt, Yvette Roudy, ministre des Droits des femmes, avait proposé une législation « antisexiste » ouvrant la voie à de nouvelles poursuites pénales, comme le rappelle le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) dans le rapport présenté ci-dessus. Adopté en conseil des ministres, ce projet de loi avait « provoqué chez les médias une réaction unanime d'une rare violence ». Si bien qu'il ne fut jamais inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. « Les journaux comparèrent Yvette Roudy à l'ayatollah Khomeny », rapporte le HCEFH. Preuve que les temps ont changé, nos confrères de Valeurs actuelles se sont exposés aux pires suspicions pour avoir fait de même avec Najat Vallaud-Belkacem... Depuis 2004, souligne d'ailleurs le HCEFH, « l'intégralité des dispositions de ce projet de loi figure dans notre législation ».

Un petit livre sur le "genre"

22 octobre 2014

« Qu'est-ce que le genre ? Pourquoi cette notion fait-elle débat ? » Telles sont les questions auxquelles prétend répondre, selon sa quatrième de couverture, un livre d'une centaine de pages paru ce mois-ci (octobre 2014) aux Presses universitaires de France (PUF).

Dans l'esprit de ses auteurs, il s'agit de remettre quelques pendules à l'heure. « Il est faux de laisser penser qu'il existerait une théorie du genre » – autrement dit, « un corpus idéologique homogène » –, explique Laure Berreni. « Ce qui relie entre elles les études de genre », précise-t-elle, « c'est avant tout un objet de recherche commun ». Parmi leurs « dimensions analytiquement centrales » figureraient « l'adoption d'une posture constructiviste », c'est-à-dire « anti-essentialiste », mais aussi « l'existence d’un rapport de pouvoir, d'une asymétrie, d'une hiérarchie, entre les hommes et les femmes, le masculin et le féminin ». Soutenant « l'idée d'un rapport de domination socialement construit des hommes sur les femmes », Laure Berreni s'oppose à Mona Ouzouf ou Élisabeth Badineter, lesquelles « défendaient l'exception française en matière de rapports entre les sexes, selon elles marquée par une culture du "doux commerce entre les sexes", et qui rendait soi-disant impossible, non seulement linguistiquement mais aussi culturellement, l'importation des gender studies prospérant dans les universités américaines ».

Étonnamment, Anthony Favier « conteste l'idée d'une réception seulement négative par le catholicisme des études féministes, et de leur surgeon que constituent les études de genre ». « Depuis l'été 2013 », nous dit-il, « le champ des intellectuels mobilisés dans le catholicisme français pour comprendre le genre change » ; « à la première génération, marquée par l'intransigeance » succéderaient « des intellectuels mieux outillés et plus informés, qui abandonnent les outrances de naguère » : « leurs écrits sophistiquent, certes, la condamnation, mais concèdent qu'il existe un questionnement pertinent en termes de genre ». Plus concrètement, une distinction serait établie, y compris par les évêques français, entre « études de genre universitaires appréciables d'un côté » et « idéologie militante condamnable de l'autre ».

Reste à démêler le bon grain de l'ivraie. Cela s'annonce d'autant plus délicat qu'en la matière, la recherche universitaire baigne dans la culture militante. Ce champ d'études « plonge ses racines dans une longue tradition de recherches constituée dans le sillage des mouvements féministes des années 1960 et 1970 », rappellent Laure Bereni et Mathieu Trachman. « Pour répondre aux accusations de non-scientificité brandies par les adversaires des études sur le genre, on peut puiser dans des travaux d'épistémologie critique, féministes notamment », plaide Laure Berreni. « Ces travaux ont dénoncé l'épistémologie scientiste, fondée sur l'idée que les sujets de la connaissance sont capables de s'abstraire du contexte social dans lequel ils s'inscrivent et des rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris. Ils ont montré à quel point la science "normale" est imprégnée de préjugés de genre et contribue à reproduire l'ordre social inégalitaire. La recherche "féministe" n'est donc pas moins objective que la recherche mainstream : elle explicite ses présupposés politiques au lieu de les masquer. » Ces travaux produiraient-ils leur propre justification ? « En réalité », confirme Éric Fassin « loin de contrevenir aux règles de la science, les études de genre nous invitent à en expliciter les "point de vue" le plus souvent implicites. » Quitte à contester les "vérités" les mieux établies.

À cet égard, en dépit de la controverse suscitée par leur publication, les quelques pages de trois manuels de SVT (sciences de la vie et de la terre) inspirées par les "études de genre" s'avèrent bien timides. « Ce qui est particulièrement frappant », remarque Laure Berreni, « puisqu'il s'agit de manuels de biologie, c'est que la naturalité de la dichotomie mâle-femelle n'est pas ébranlée ». « Dans le manuel Hachette, par exemple, il est écrit que le "sexe biologique" est le "seul sexe bien établi", et qu'il "nous identifie mâle ou femelle". D'une certaine manière, ces manuels s'inscrivent dans un premier âge de la critique féministe de la naturalité de la différence des sexes, qui considère la vérité biologique du sexe (le fait qu'il y ait naturellement et évidemment deux sexes et qu'on ne puisse pas être des deux ou d'aucun des deux) comme un buttoir naturel. » Or, comme le rapporte Michal Raz, présentant les travaux d'Anne Fausto-Sterling, « l'existence des individus intersexués » aiderait « à déconstruire cette frontière en révélant son arbitraire et ses fondements sociaux et culturels ». De même, explique Mathieu Trachman, « en mettant en avant les différences entre hommes, l'approche des masculinités de Connell » soulignerait « le caractère fictionnel d'une théorie qui partage l'humanité entre deux groupes de sexe différent ».

En définitive, tel qu'il apparaît dépeint par ses promoteurs, le "genre" se prête manifestement aux hypothèses les plus hardies. À vrai dire, loin de dissiper notre méfiance à son égard, la lecture de cet ouvrage l'a plutôt nourrie, quoi que l'humilité demeure de mise, tant  nous échappent les subtilités des débats universitaires. « En dénaturalisant la différence des sexes », observe Éric Fassin, « ce concept est désormais un outil scientifique, en même temps qu'une arme politique, au service de la critique des normes ». Selon lui, « il s'agit bien de savoir si cet ordre est fondé, une fois pour toutes, par un principe transcendant – tel que Dieu, la Nature ou la Tradition – ou bien s'il est défini de manière immanente – par "nous" qui habitons ce monde aujourd'hui : les normes, les règles et les lois sont-elles déterminées a priori ou négociées a posteriori ? Tel est in fine l'enjeu : l'extension de la logique démocratique au domaine sexuel. »

Avec quelles perspectives ? Les contributions réunies ici font écho aux débats animant la communauté des chercheurs acquis au "genre", mais elles ne nous ont pas semblé  beaucoup ouvertes au-delà. Or, quelles conséquences y aurait-il à verser dans le "constructivisme sociétal" auquel nous invitent les "études de genre" ? Telle est, plus ou moins confusément, la question qui nous taraude, mais à laquelle ce petit livre n'apporte guère de réponse.

Sous la direction de Laure Bereni et Mathieu Trachman, Le Genre – Théories et controverses, Presses universitaires de France, collection "La Vie des idées", octobre 2014, 112 pages, 8,50 euros.

Ce petit livre réunit des contributions dont certaines sont disponibles en suivant ce lien vers La Vie des idées.

Christine Boutin et Alain Escada prendront-ils leur carte à l'AKP ?

7 octobre 2014

Réaction amusée à la lecture d'un article du Courrier international.

Un million d'enfants seraient nés à la faveur des rencontres suscitées par le programme Erasmus, en application duquel des universités européennes échangent des étudiants depuis 1987. Quoique ces chiffres soient sujets à caution, leur communication apportait quelque fraîcheur à la morne machine administrative européenne.

Cela nous a fait sourire, donc, mais tout le monde de l'a pas entendu de cette oreille. Ainsi Yeni Safak a-t-il dénoncé « un projet suscitant la dégénérescence et visant à créer une masse d'idiots idolâtrant le sexe ». Erasmus, déplore-t-il, « c'est un programme visant à fabriquer une génération de païens mondialisés sans racines ».

M. Safak serait-il membre du Parti chrétien démocrate, de Civitas ou d'une autre officine réactionnaire ? Oui et non : c'est un journaliste turc, réputé proche de l'AKP, selon le Courrier international

Finalement, peut-être Alain Escada et Farida Belghoul ne se sont-ils pas acoquinés sans raison ! 😉 

Vente forcée : qu'on en finisse avec la gabegie de la télévision publique !

4 octobre 2014

Coup de gueule poussé après l'annonce d'une nouvelle hausse de la contribution à l'audiovisuel public.

Diffuser Plus belle la vie, conforter la notoriété de l'inspecteur Derrick, garantir la présence à l'antenne de Nagui, offrir une tribune à Nicolas Sarkozy annonçant son retour dans l'arène politique... Autant de missions relevant manifestement du "service public", selon la formule honteusement consacrée.

De qui se moque-t-on ? Des chiffres et des lettres ou Questions pour un champion seraient-ils les seules portes susceptibles d'ouvrir l'accès à la culture ?

Pour un utilisateur de Freebox, par exemple, si les deux cents et quelque chaînes proposées d'office s'avèrent insuffisantes, l'accès à Mezzo, la chaîne du classique, coûte moins de 3 euros supplémentaires par mois ; celui à la chaîne Historie, moins de cinquante centimes. L'accès forcé aux chaînes du prétendu "service public", quant à lui, devrait bientôt coûter 136 euros par an aux malheureux possesseurs d'un poste de télévision vivant en métropole, selon les dispositions du projet de loi de finances pour 2015. Cela représente une nouvelle hausse de 3 euros, alors que la redevance avait déjà été augmentée de 2 euros en 2014, et même de 6 euros en 2013 ! Quant aux derniers résistants, dont nous sommes, réfractaires à l'achat d'un téléviseur, peut-être seront-ils bientôt soumis eux aussi à cet impôt ubuesque, dont le président Hollande envisage ouvertement d'élargir l'assiette.

« L'État français est le seul au monde, à part la Chine, à posséder et administrer directement onze chaînes de télévision et plus de cent stations de radios ! », s'indigne Thibault Doidy de Kerguelen. « Si on peut concevoir que l'État prenne à sa charge l'expression de la nation, la position de la France dans le monde, si on peut concevoir qu'il participe au financement d'un grand service public de formation, d'instruction et d'apprentissage par l'audiovisuel, l'amusement public et la ré-information des masses ne sont clairement pas de son ressort », explique-t-il sur Contrepoints. Nous sommes d'accord ! Selon lui, « leur suppression représenterait entre 3 et 4 milliards d'économie par an à la nation, soit la moitié du déficit de l'assurance maladie... » À chacun ses priorités !

Il nous faudrait vérifier ces chiffres. Quoi qu'il en soit, 136 euros arrachés chaque année à plusieurs millions de foyers forcés de se farcir la tronche de Laurent Ruquier (par exemple), c'est un scandale, une injure à la nation, un immense foutage de gueule... Nous le clamons d'autant plus sereinement que nous ne sommes pas assujetti, pour le moment du moins, à l'impôt qui en finance majoritairement le budget : qu'on bazarde au plus vite France Télévisions !

NB – France 24, la seule chaîne de télévision publique qui trouve vraiment grâce à nos yeux, n'est accessible sur la TNT que depuis peu... mais seulement en Île-de-France. Tout comme RFI en FM. L'une et l'autre étant financées par l'impôt, la moindre des choses ne serait-il pas d'en proposer l'accès aux contribuables, bien que ceux-ci n'en soient pas la cible prioritaire ? Ce serait d'autant plus souhaitable que l'information y est vraisemblablement traitée de façon plus nuancée que sur les chaînes mainstream. Du moins avons-nous pu l'observer en écoutant RFI de temps à autre. Un scandale de plus, donc !

Le mythe de l'obsolescence programmée : un privilège de riches

3 octobre 2014

Les conspirationnistes prônant la "dissidence", ainsi que les esprits fantaisistes en quête de "décroissance", sont-ils aussi loin du pouvoir qu'on l'imagine généralement ? Visiblement, un certain nombre de politiciens puisent aux mêmes sources intellectuelles.

Force est de le constater, à la découverte d'un amendement au projet de loi « relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ». Déposé par le député Éric Alauzet, défendu par Cécile Duflot, il a été adopté en commission avec la bénédiction du gouvernement. Afin de lutter « contre l'obsolescence programmée des produits », il s'agirait d'assimiler à une tromperie « l'hypothèse d'une durée de vie du produit intentionnellement raccourcie lors de sa conception ».

« Je parle [...] de produits dont des ingénieurs ont révélé qu'ils ont, à la demande de leur direction, volontairement fragilisé les composants », a soutenu Cécile Duflot, selon laquelle « l'obsolescence programmée n'est pas un scoop ». Il est vrai que ce fantasme est largement partagé. « C'est une de ces idées qui tient une bonne place dans la conscience populaire, mais qui ne convainc guère les économistes, pour plusieurs raisons », exposées notamment par Alexandre Delaigue, enseignant à l'université de Lille I « Si les économistes sont sceptiques vis-à-vis de l'obsolescence programmée », précise-t-il, « c'est que cette stratégie apparemment subtile n'a en réalité aucun sens ». Nous renvoyons nos lecteurs à ses explications.

« Comme nous sommes des enfants gâtés par la société de consommation », poursuit-il, « nous voudrions que tout soit à la fois durable, esthétique, pratique, et peu cher ». Paradoxalement, peut-être le confort et la profusion nourrissent-ils la frustration des consommateurs, qui masquent leur responsabilité derrière un bouc émissaire, désigné en la personne d'un industriel cupide complotant contre leur pouvoir d'achat... L'obsolescence programmée, mais aussi l'idéologie de la décroissance, dont elle est peut-être un mythe fondateur, c'est un privilège de riches, une fantaisie intellectuelle vraisemblablement réservée aux Occidentaux.

« L'idée » de légiférer contre l'obsolescence programmée « me paraît d'autant plus intéressante que nous voulons changer de modèle », a déclaré Ségolène Royal. De quel modèle parle-t-on, au juste ? « Dans nos pays développés », explique Alexandre Delaigue, « les produits fabriqués en grande série ne coûtent pas cher, parce que nous disposons d'un immense capital productif ; par contre, le travail est très cher ». « La situation est inverse dans les pays en développement. Résultat ? Chez nous il est bien moins coûteux de racheter du matériel neuf que de consacrer du temps de travail à le réparer. » À l'inverse, au Ghana, par exemple, « le travail est abondant et ne coûte (et ne rapporte) presque rien ».

De ces deux modèles, quel est le plus enviable ?

NB – Que nos lecteurs ne se méprennent pas. La "culture du jetable" nous chagrine nous aussi. D'ailleurs, au moment de choisir un ordinateur, nous privilégions toujours les gammes professionnelles afin de bénéficier d'un accès aisé aux composants. En outre, nous avons bon espoir que la Toile contribue à diffuser les connaissances nécessaires à la réparation de produits jusqu'alors condamnés... Sans parler des opportunités offertes bientôt par la généralisation de l'impression 3D ! Mais quand il s'agit de politique, on ne saurait se satisfaire de bons sentiments.

Mise à jourC'est désormais la loi qui l'affirme, après avoir été adoptée en ces termes le 22 juillet 2015 : « L'obsolescence programmée se définit par l'ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. L'obsolescence programmée est punie d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. »

Dissuasion nucléaire : l'exception française

1 octobre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Voilà tout juste cinquante ans que la dissuasion nucléaire française est opérationnelle. Bien que le contexte international ait été bouleversé, un relatif consensus politique s'est maintenu en sa faveur. Alain Juppé, Alain Richard ou Michel Rocard, par exemple, ne sont pas parvenus à l'ébranler. La dissuasion nucléaire, c'est « l'assurance vie » de la nation, martèlent à l'envi les présidents de la République successifs. Peut-être un prochain hôte de l'Élysée sera-t-il tenté, néanmoins, de renoncer à sa composante aérienne, la garantie apportée par la permanence à la mer d'un SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engins) étant jugée suffisante. Un ancien ministre de la Défense s'est exprimé en ce sens dernièrement. Autant le dire d'emblée : ses arguments ne nous ont pas convaincu.

Vendredi prochain, 3 octobre 2014, seront célébrés les cinquante ans des Forces aériennes stratégiques (FAS). Créées par décret présidentiel le 14 janvier 1964, elles comprenaient à l'origine deux escadrons, déclarés opérationnels à l'automne suivant, dénommés Gascogne et Landes, chargés respectivement du bombardement et du ravitaillement. Aussitôt commencèrent les premières prises d'alerte : après avoir « retrouvé sa voix », selon la formule de Michel Debré saluant, en février 1960, le premier essai nucléaire français, Paris pouvait désormais la faire entendre aux quatre coins du monde, portée par un Mirage IV prêt à décoller à chaque instant de Mont-de-Marsan (Landes) armé d'une bombe AN-11.

Quinze fois Hiroshima

Au cours du demi-siècle écoulé, les Forces aériennes stratégiques ont été modernisées à plusieurs reprises, jusqu'à l'introduction du missile ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) et la transformation en cours de l'escadron La Fayette sur Rafale – en attendant le remplacement des antiques ravitailleurs Boeing C-135 par des Airbus A330 MRTT (multi role tanker transport). Commandées depuis un centre d'opérations enterré au cœur d'une ancienne carrière de gypse à Taverny (Val-d'Oise), les FAS mettent en œuvre des charges nucléaires dont la puissance serait quinze fois supérieure à celle de la bombe d'Hiroshima ; la portée du missile ASMP-A est estimée à cinq cents kilomètres, tandis que sa précision serait inférieure à dix mètres.

« La France est le seul pays européen à détenir en propre cette capacité », se félicite l'armée de l'AIr. « Certains pays de l'Otan fournissent des vecteurs aériens pour pouvoir délivrer l'arme nucléaire, mais celle-ci restant la propriété exclusive des États-Unis, ils ne sont pas indépendants dans leur décision d'emploi éventuel. » Dans quelle mesure Paris doit-il s'enorgueillir d'une telle exclusivité ? « Est-ce que les Anglais se sentent moins bien protégés avec leur seule force sous-marine ? » La question a été posée, le 14 juillet dernier, par Hervé Morin, ancien ministre de la Défense. « On ne peut pas maintenir les deux composantes, aérienne et maritime, de notre dissuasion nucléaire », a-t-il déclaré dans un entretien au Journal du dimanche. « Dans le contexte budgétaire actuel », a-t-il expliqué, « ça ne peut plus être ceinture et bretelles ».

Aujourd'hui, soutient M. Morin, « ce dont on a besoin ce sont des drones, des avions de transport de troupes ». Mais si des économies étaient réalisées aux dépens de la dissuasion, bénéficieraient-elles aux forces conventionnelles ? Rien ne le garantit. Or, bien que les FAS soient habilitées à délivrer le feu nucléaire, elles n'y sont pas cantonnées. Comme le rappelait le général Pierre-Henri Mathe, lors d'un colloque en 2005, « les Mirage 2000N de l'escadron de chasse 02.004 La Fayette furent projetés dans les Balkans dans les années quatre-vingt dix et assurèrent la première mission de tir réel de l'Otan en Croatie en 1994 ». Plus récemment, l'escadron La Fayette a participé à l'opération Harmattan en Libye. « Mais la polyvalence ne se limite pas à l'action offensive », poursuivait le général Mathe. « En effet, dès les années soixante-dix, une nouvelle mission fut confiée au Mirage IV : la reconnaissance stratégique. C'est ainsi que les qualités développées pour la mission nucléaire (furtivité, rapidité, endurance...) furent utilisées pour des missions de reconnaissance. »

Bénéfices collatéraux

Autrement dit, l'exigence requise par la dissuasion semble bénéficier aux armées dans l'exercice des missions conventionnelles. Rendant compte d'un débat organisé au printemps dernier, le géopolitologue Olivier Kempf a émis l'hypothèse selon laquelle le nucléaire serait « structurant du modèle d'armée » : « sans lui », a-t-il suggéré sur son blog Egea, « pas de Rafale, de renseignement, de spatial, de Fremm [frégates multi-missions], d'Atlantique 2, autant de fonctions qui contribuent au combat des trois milieux ». En fait, constate-t-il, « le politique accepte de payer ces armes structurantes à cause du nucléaire ». Incidemment, la nation en tire vraisemblablement quelque profit. « Aujourd'hui encore, comment comprendre Ariane 5 sans le missile M5, les avancées décisives sur la connaissance de la matière comme l'identification récente du si nécessaire boson de Higgs sans la recherche fondamentale conduite par les programmes scientifiques liés aux Forces nucléaires stratégiques ? », se demandait l'amiral Jean Dufourcq, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale, dans une chronique publiée en juillet 2012 par l'Alliance géostratégique. Selon lui, « la priorité accordée dans notre posture de défense à l'arme nucléaire a permis de doper sa capacité scientifique et industrielle ».

Voilà qui relativise le coût de la dissuasion nucléaire. Selon nos confrères du JDD, celui de sa composante arienne représenterait 300 à 400 millions d'euros chaque année. À titre de comparaison, le déficit public s'est élevé, en 2013, à 87,6 milliards d'euros... Ainsi, aux yeux du général Mathe, « se passer de cette composante serait une hérésie puisque ce serait se priver, pour un "coût limité", de la complémentarité qu'elle apporte, entre autres, dans les modes de pénétration ».

En effet, tandis que les SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins) tirent des missiles balistiques de très longue portée, suivant une trajectoire parabolique, les chasseurs-bombardiers sont armés de missiles de croisière. Or, comme l'explique le colonel Duvert, dans un document publié sur le site Internet des FAS, « en étant capable de mettre en œuvre des modes de pénétration balistique et aérobie, ou les deux à la fois, on complique la tâche de l'adversaire éventuel en l'obligeant à diversifier ses moyens de défense, et l'on se préserve d'événements techniques intéressant l'une des deux composantes, qu'il s'agisse d'une éventuelle percée technologique de la défense ou d'un problème qui viendrait dégrader la disponibilité de nos moyens ». Par ailleurs, alors que les sous-marins se distinguent par leur discrétion, les avions peuvent faire valoir leur souplesse d'emploi, mais aussi leur visibilité. Le colonel  Duvert souligne leur « démonstrativité », qui « peut se définir par la possibilité offerte au président de la République de prouver sa détermination sans décider l'acte ultime » : « Ce peut être en ordonnant une montée en puissance ostensible (déploiements d'avions, convois de missiles au vu des satellites espions de l'adversaire,...), ou le décollage du raid stratégique pour sa mission en conservant la possibilité de rappeler les avions. » « C'est ainsi qu'en 1962, lors de la crise de Cuba, tous les moyens du Strategic Air Command furent déployés sur le sol américain et prirent l'alerte », rappelait le général Mathe. Selon lui, « cet événement fut la preuve flagrante que l'arme aérienne, par sa réversibilité et par sa démonstrativité, accompagne l'action politique ». « La mission de dissuasion fut dès son origine l'"intimidation" », soulignait-il. Or, « pour intimider de façon crédible, il faut se montrer et être vu ».

Le nucléaire, c'est Zeus

Hervé Morin le confirme à sa façon : « Le nucléaire, c'est Zeus », a-t-il déclaré au JDD, remarquant qu'il « fait partie de la symbolique du chef, surtout dans notre Ve République ». « L'arme nucléaire est, pour tout président de la République française prenant ses fonctions, un des symboles majeurs de sa responsabilité nationale », souligne l'amiral Dufourcq. « Le chef des armées dispose du feu nucléaire, en permanence, pour dissuader quiconque de s'en prendre aux intérêts vitaux de la France. Le faire savoir en endossant les capacités de la seconde frappe assurée est l'un des rituels de la prise de fonction. » Selon le rédacteur en chef de la RDN, « la capacité nucléaire d'un État reste toujours en 2012 un marqueur fort de son identité ». D'ailleurs, la singularité militaire de la France fait écho à sa singularité institutionnelle – l'une et l'autre étant vraisemblablement indisociables. À cet égard, peut-être la dissuasion nucléaire est-elle "structurante" non seulement d'un modèle d'armée, mais aussi d'un modèle politique.

Une remarque supplémentaire en faveur du maintien de la composante arienne, tirée d'un article publié voilà quelque temps par feue l'Alliance géostratégique : « Avec un seul SNLE à la mer en même temps, faire effectuer à celui-ci une frappe "pré-stratégique" ou d'ultime avertissement est impossible, sous-peine de révéler sa position et d'obérer de fait sa capacité à garantir une seconde frappe : une force stratégique purement sous-marine, dans le cadre de la doctrine et avec les moyens actuels, n'est pas possible. »