La diplomatie à travers les âges

4 septembre 2008
Article publié dans L'Action Française 2000

Aperçu d'un ouvrage traitant des négociations européennes d'Henri IV à l'Europe des Vingt-Sept.

Comment les négociations internationales ont-elles été menées en Europe depuis le XVIIe siècle ? La question a fait l'objet d'un ouvrage collectif paru en avril dernier.

La première partie est historique. On y rencontre d'abord Jean Hotman de Villiers, qui est, en 1603, le premier à disserter en français sur La charge et la dignité de l'ambassadeur ; « composé par un homme [...] dont la science et l'érudition sont fortement imprégnées par l'esprit de la Renaissance et les références à l'Antiquité, [ce traité] n'en est pas moins en prise directe avec son temps », dont bien des aspects sont révolus : imaginerait-on qu'un ambassadeur s'appauvrisse aujourd'hui au service de l'État ?

Vers 1640, le cardinal de Richelieu développe dans son Testament politique « une conception éminemment nouvelle de la négociation », qui devient permanente, « s'ordonnant [...] en vue de la réalisation d'un dessein plus général, ce que l'on appellera la politique étrangère... » En 1716, François de Callières s'intéresse à l'éloquence dans La Manière de négocier avec les souverains ; son existence témoigne d'« une capacité rare d'alterner vie active de diplomate et vie contemplative du penseur ». Un article publié en 1770 dans l'encyclopédie d'Yverdon est reproduit intégralement ; Barthélémy Fortuné de Félice y souligne le poids des passions et lance quelques piques à l'encontre de Mazarin (dont les intrigues ne feraient pas honneur à la diplomatie française selon lui).

En 1757, dans ses Principes des négociations, Gabriel Bonnot de Mably conteste l'aptitude du système de l'équilibre à garantir la paix ; il juge vicieux l'ordre européen assimilant la politique à "la chose privée des rois", et se fait l'apôtre de la transparence. La Révolution française s'y essaiera, transformant bientôt « la "diplomatie de la transparence" en une "diplomatie de l'arène" » ; « détruisant sans chercher à reconstruire, l'expérience tourne au chaos », aboutissant selon Frank Attar à « la diplomatie du vide ».

Multilatéralisme

La seconde partie traite de l'« actualité de la négociation, de la souveraineté française au consensus européen », esquissant quelques comparaisons avec les siècles passés. Marie-Christine Kessler identifie des vecteurs de stabilité : « En France [...], il y a eu très vite une institutionnalisation et une professionnalisation du métier de diplomate. » Mais l'influence des opinions, ainsi que l'émergence du multilatéralisme, ont bouleversé la donne. Des contributions évoquent la représentation permanente de la France aux Nations Unies – dont le Conseil de Sécurité se réunit tous les jours – et l'engagement de la Commission européenne dans des négociations internationales. Une expérience de « multilatéralisme au carré », selon l'expression d'Hubert Védrine, le mandat des négociateurs européens étant lui-même issu d'une négociation entre les États membres de l'UE. Observant les réticences des États-Unis à l'égard d'un multilétaralisme qu'ils avaient jadis encouragé, l'ancien ministre des Affaires étrangères conclut ainsi sa postface : « Selon qu'il s'agit [...] d'un mouvement conjoncturel [...] ou durable, les conséquences n'en seront pas du tout les mêmes pour l'art de la négociation. »

En définitive, l'ouvrage semble quelque peu "bricolé". Rassemblant des contributions inégales, il constitue moins l'« histoire vivante de la négociation » annoncée en quatrième de couverture qu'un aperçu des œuvres des ses théoriciens classiques, complété par quelques considérations d'actualité. On s'agace en outre de l'inclination de certains auteurs à dénicher dans le passé les sources supposées de leur européisme un peu naïf... C'est une étude originale dont on regrettera qu'elle ne tienne pas toutes ses promesses.

Sous la direction d'Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson : Négociations européennes - D'Henri IV à l'Europe des 27 ; A2C Medias, avril 2008, 284 p., 25 euros.

Une certaine idée de l'Europe ?

3 juillet 2008
Article publié dans L'Action Française 2000

Quelles sont les grandes lignes de la politique européenne de Nicolas Sarkozy ? Jean-Dominique Giuliani – président de la Fondation Robert Schuman – tente de les identifier dans un ouvrage publié en mai dernier, où il brosse le portrait d'« un Européen très pressé ».

L'auteur souligne l'importance – relative, certes, mais inédite – que le candidat Sarkozy avait accordée à la construction européenne pendant sa campagne, annonçant la négociation du traité de Lisbonne et sa ratification par voie parlementaire. Un choix « courageux » selon Jean-Dominique Giuliani, mais qui nous paraît finalement peu coûteux, étant donné l'indifférence de nos concitoyens. Ont-ils été abusés par l'esbroufe présidentielle ? En tout cas, le numéro d'équilibriste de Nicolas Sarkozy semble avoir touché son public : nuancés par un zeste d'euroscepticisme, ses discours ont rassuré les nonistes, ouvrant la voie au "retour de la France en Europe" proclamé le soir de sa victoire électorale.

Symboles

Dès son entrée en fonction, le chef de l'État multiplie les symboles, « comme autant de gestes en direction de l'Union européenne » : pour sa photographie officielle, par exemple, il pose devant la bannière bleue étoilée. Jean-Dominique Giuliani revient sur la façon parfois houleuse dont se sont nouées les relations avec Angela Merkel. En dépit d'une main tendue au Royaume-Uni, la collaboration privilégiée avec l'Allemagne serait « inévitable » de toute façon... Une observation tout juste étayée par quelques considérations économiques. Le lecteur avide d'analyses géopolitiques pointues passera son chemin.

Retour à l'Est

L'auteur signale toute l'importance que le Président accorde à la Méditerranée, mais insiste aussi sur ses efforts visant à resserrer les liens avec les pays de de l'Europe de l'Est, vilipendés par Jacques Chirac à la veille de leur entrée dans l'Union. Le rapatriement des infirmières bulgares retenues en Libye, orchestré triomphalement par Nicolas Sarkozy, aurait largement contribué au succès de son entreprise. Le « passage obligé » par Washington rassure également les États fraîchement libérés du joug soviétique. L'objectif est clair : le président de la République espère développer un pôle de sécurité européen, et, plus généralement, conférer à l'UE le rôle d'un véritable acteur politique.

En matière économique et monétaire, son ambition de "repolitiser" l'Europe apparaît manifeste. Ainsi a-t-il réclamé un assouplissement de la politique de concurrence – nécessaire à la préservation de nos intérêts industriels –, ou une réaction face à la menace des fonds souverains. Ses homologues sont disposés à le suivre sur ce point. En revanche, ils ne sauraient cautionner ses critiques formulées à l'encontre de la Banque centrale européenne, qui se sont certes assagies depuis son élection. Une fois n'est pas coutume, Jean-Dominique Giuliani exprime ici quelque réserve, rappelant cette évidence, vraisemblablement négligée par un politicien en campagne : « La revendication d'un "gouvernement économique" n'a [...] de chance d'aboutir que le jour où certains pays accepteront de se concerter avant de prendre leurs grandes décisions économiques internes. » En attendant, aucune alternative à l'indépendance de la BCE n'est envisageable, à moins d'abandonner la monnaie unique évidemment.

Identité chrétienne

Telle que nous la dépeint Giuliani, l'Europe rêvée par Nicolas Sarkozy bénéficierait d'une forte identité, inspirant la fierté de citoyens conscients d'appartenir à une communauté de civilisation. « Il replace le projet européen dans une perspective historique, morale et politique, dont l'ont éloigné le temps, la bureaucratie et les habitudes. Pour lui, l'Europe doit désormais avoir pour objectif d'être une puissance nouvelle sur la scène internationale. À ce titre, elle a droit à un territoire.. » Le chef de l'État veut en finir avec la fuite en avant de l'élargissement, qui s'oppose au projet d'approfondissement. De son point de vue, l'adhésion de la Turquie serait une perspective d'autant moins acceptable qu'elle saperait les fondements de l'unité européenne, brouillant les repères tant géographiques que culturels. À l'inverse, la reconnaissance officielle des racines chrétiennes de l'Europe lui semblerait indispensable ; leur négation constituerait à ses yeux « une insulte à l'histoire » et même une « faute politique ».

Un vieux fantasme

Un faute, sans doute, mais qui apparaîtrait bien minime comparée à celle qu'il commettrait si, d'aventure, il privait la France de son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Fort heureusement, Jean-Dominique Giuliani ne lui prête pas cette intention. Bien au contraire, il s'interroge sur son inclination à « abandonner sa capacité à décider seul au profit d'institutions européennes » supposées plus efficaces ; « s'il y a des contradictions dans les discours européens de Nicolas Sarkozy, c'est ici qu'il faut les chercher », précise-t-il. Cédant à un vieux fantasme européiste, il l'appelle pourtant à « partager » son siège avec l'UE, au moins provisoirement, pendant que la France assure la présidence de l'Union. On s'agace pareillement de son aversion naïve pour la Realpolitik, et de sa posture "bien pensante" qui le conduit à ériger en vérités universelles des opinions ou des valeurs – telle la "parité" – qui sont loin d'emporter notre adhésion. On lui reprochera enfin de se complaire dans une relative apologie, son ouvrage s'approchant d'avantage de la paraphrase que de l'analyse approfondie.

Jean-Dominique Giuliani : Un Européen très pressé. Éditions du Moment, 22 mai 2008, 277 p., 19,95 euros.

Paris, capitale de l'UE

3 juillet 2008
Article publié dans L'Action Française 2000

La présidence française de l'Union européenne est lancée !

L'Europe est-elle en crise, voire en panne ? Sans doute dans l'esprit des européistes. Pour eux, l'échec de la ratification du traité de Lisbonne par l'Irlande est un nouveau camouflet. Depuis la signature du traité de Nice en 2001 – toujours en vigueur – l'Union s'est élargie à douze nouveaux États, rendant d'autant plus délicate la négociation d'une révision, et a fortiori sa ratification, soumise parfois aux aléas des référendums... La réforme institutionnelle se trouve manifestement dans l'impasse.

La tâche de la France en est-elle bouleversée, alors qu'elle assure pour six mois, depuis le 1er juillet, la présidence du Conseil de l'Union ? Le chef de l'État tentera vraisemblablement de sauver son traité. Mais s'ils le souhaitent, les gouvernements « peuvent avancer exactement comme avant », remarque Hubert Védrine. Selon l'ancien ministre des Affaires étrangères, « nous attendons "trop des traités" » ; l'essentiel « dépend de la volonté des gouvernements". [...] Nous pouvons donc "faire énormément de choses même avec des traités imparfaits" » (Toute l'Europe, 16/06/08).

Nicolas Sarkozy, dont l'ambition serait « de redonner à l'Union une direction politique » selon Jean-Dominique Giuliani, devrait en avoir conscience. Les européistes les plus virulents gagneraient à s'y résoudre : sans admettre la nécessité de "construire l'Europe par la preuve", comment pourraient-ils reconquérir les opinions publiques ?

La France entend donner la priorité à quatre dossiers : l'ouverture des discussions sur la Politique agricole commune, la conclusion d'un accord sur l'immigration, le renforcement de la politique européenne de défense, l'aboutissement des négociations sur le paquet énergie-climat. Sa mission sera d'organiser les débats. Si les Conseils des ministres sont financés par l'UE, ce n'est pas le cas des conseils informels, par exemple... 190 millions d'euros sont affectés à l'événement (trois fois plus qu'en 2000). Tous les ministères sont mobilisés, ainsi, bien sûr, que le Secrétariat général des Affaires européennes et la Représentation permanente de la France à Bruxelles. Le personnel, redéployé, est d'ores et déjà confronté à une surcharge de travail...

Que rapporte une présidence du Conseil de l'Union ? « Rien sur le plan financier, mais beaucoup en termes d'image, de promotion des idées françaises et de mise en valeur du savoir-faire français », explique un fonctionnaire cité par Euractiv (19/06/08). « "C'est de l'ordre de l'immatériel", conclut-t-il. » La République saura-t-elle en tirer profit ?

Incertitudes européennes

20 décembre 2007
Article publié dans L'Action Française 2000

La partie n'est pas encore gagnée pour les promoteurs du traité de Lisbonne.

L'absence du Premier ministre britannique n'aura pas empêché la signature du traité de Lisbonne le 13 décembre dernier, dans le cloître du monastère des Jeronimos datant du XVIe siècle, où le Portugal avait déjà signé son traité d'adhésion à l'Union européenne en 1985. Programmée pour le 1er janvier 2009, l'entrée en vigueur de ce texte n'est pas acquise : une nouvelle période d'incertitude vient de s'ouvrir, celle de la ratification par les vingt-sept États membres de l'UE.

Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, l'avait rappelé le 11 décembre devant les députés : « La France souhaite montrer l'exemple [...] : dès le lendemain de la signature, le Conseil constitutionnel sera saisi. » Finalement, cela aura été fait le jour même. Un projet de loi constitutionnelle devrait être présenté en Conseil des ministres début janvier, puis examiné par l'Assemblée nationale et le Sénat, respectivement, les 14 et 28 janvier 2008, avant une adoption par le Congrès le 4 février, à la majorité des trois cinquièmes. Ce préalable est rendu nécessaire par la référence explicite de la Constitution française au défunt traité constitutionnel européen : paradoxalement, bien qu'il consacre la primauté "effective" du droit communautaire, le traité de Lisbonne reste soumis à notre loi fondamentale, qui ne saurait s'en accommoder sans une énième révision... L'Assemblée et le Sénat devraient entériner la ratification par une loi votée entre les 5 et 8 février.

Sarkozy tient ses promesses

Ce processus arrivera vraisemblablement à son terme sans encombre. Confronté à la fronde des "nonistes", qui sont prompts à dénoncer un « coup d'État », le gouvernement pourra s'abriter derrière les promesses de campagne du président de la République. Le 21 février 2007 à Strasbourg, Nicolas Sarkozy avait clairement proclamé ses intentions : « Débloquer l'Europe institutionnellement, ce sera le sens de ma première initiative européenne si je suis élu. Dans ce but je proposerai à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de traité constitutionnel. [...] Je proposerai notamment de mettre fin à la règle de l'unanimité. [...] Ce traité simplifié, de nature institutionnelle, sera soumis pour ratification au Parlement. » Dans ces conditions, comment prétendre que la démocratie a été bafouée ? Les électeurs ont librement renouvelé leur soutien à ceux dont ils avaient apparemment désavoué la politique par référendum deux ans plus tôt... Point de putsch derrière tout ça ! Ce phénomène illustre simplement le conservatisme du suffrage universel et témoigne des aberrations inhérentes à la démocratie. Les souverainistes républicains finiront par en tirer les conséquences... De toute façon, il est vain de courir après une souveraineté privée de souverain !

À la limite, on reprochera à Nicolas Sarkozy d'avoir parlé abusivement d'un traité « simplifié ». Alors que la Constitution européenne se proposait de réintégrer les traités existants dans un nouveau texte, le traité de Lisbonne amende les traités en vigueur (Rome, Euratom, Maastricht) pour y apporter – à quelques détails près, exception faite des symboles – les mêmes innovations. Il en résulte un document beaucoup moins lisible, mais c'était l'objectif poursuivi si l'on en croit Valéry Giscard d'Estaing. « Quel est l'intérêt de cette subtile manœuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. » (Le Monde, 26/10/2007)

Le traité de Lisbonne supprime les "Communautés européennes" appelées à se fondre dans l'Union, et met à jour quelques termes dépassés, en remplaçant par exemple la mention de l'écu par celle de l'euro. La lecture de la version consolidée des traités ainsi modifiés s'en trouvera un peu moins confuse... Tout au plus s'agit-il d'un traité légèrement "simplificateur".

Qui sera le mouton noir ?

À l'étranger, la ratification s'annonce parfois plus délicate. En République tchèque, par exemple, le Premier ministre Mirek Topolanek a prévenu que cela ne serait « pas si simple » ; l'ODS, sa formation politique, a déjà signalé qu'elle ferait examiner la conformité du nouveau traité avec la loi fondamentale tchèque par le Conseil constitutionnel. Selon Radio Prague (www.radio.cz, 14/10/2007), « pour certains analystes, ce serait également une manière de ne pas ratifier "trop tôt", pour ne pas compromettre la présidence tchèque de l'UE au premier semestre 2009 » ; en effet, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne  mettrait fin à la présidence tournante du Conseil européen réunissant les chefs d'État et de gouvernement.

Gordon Brown, quant à lui, devra compter avec l'euroscepticisme partagé par l'opinion britannique et nombre de ses parlementaires : les dérogations obtenues par Londres – sur la Charte des droits fondamentaux ou le renforcement de la coopération judiciaire et policière – n'ont pas suffi à les rassurer. Le Sun, qui milite en faveur d'un référendum, met en garde  le Premier ministre, qui doit s'attendre « à une âpre révolte à  la Chambre des Communes lorsqu'il tentera de faire passer en force le traité au Parlement » (cité par letemps.ch, 14/12/2007).

En Irlande, la tenue d'un référendum sera inévitable. Au préalable, suivant la terminologie consacrée, un actif travail de "pédagogie" devra être entrepris : un sondage réalisé par l'institut TNS pour le quotidien Irish Times avait révélé le 5 novembre 2007 que seuls 25 % des Irlandais pensaient voter "oui", tandis que 12 % seraient certains de voter "non", les indécis représentant 62 % des sondés. En 2001, l'Irlande avait déjà perturbé le processus de ratification du traité de Nice, rejeté lors d'un premier référendum.

Qu'adviendra-t-il, enfin, si la crise se poursuit en Belgique, ou si le pays éclate ? « L'arrivée d'un cabinet provisoire mené par Guy Verhofstadt, l'ancien Premier ministre, ne fait que déplacer la question selon Sylvain Lapoix (marianne2.fr, 06/12/2007) : en droit constitutionnel, un gouvernement provisoire ne peut en effet traiter que des questions relevant des "affaires courantes". D'où le débat qui, depuis le retour en fonction de Verhofstadt, agite les pages du quotidien Le Soir : l'adoption d'un traité européen est-elle une affaire courante ? Entre juristes, la bataille fait d'autant plus rage qu'un précédent existe : le 2 février 1992, le traité de Maastricht fut signé alors que le gouvernement issu des élections du 24 novembre 1991 n'avait pas été formé. La situation est ici sensiblement différente dans la mesure où ce n'est pas le délai de formation du nouveau gouvernement qui retarde la mise en place d'un cabinet mais une crise politique majeure qui empêche tout accord... » La partie n'est pas encore gagnée pour les promoteurs du traité de Lisbonne !

D'ailleurs, comment est-elle censée se dérouler ? Le 14 décembre, lendemain de la signature du traité, le Conseil européen s'est à nouveau réuni. Il a salué l'entrée, le 21 décembre, de neuf États membres dans l'espace Schengen (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie). À la demande de la France, il a décidé la création d'un "groupe de réflexion" présidé par l'ancien Premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, chargé d'examiner l'avenir de l'Union à l'horizon 2020-2030. Ce "comité de sages" ne traitera pas des questions institutionnelles ou budgétaires ; et contrairement au souhait du président de la République, son mandat ne mentionnera pas explicitement la question des frontières. Il devrait commencer ses travaux au second semestre 2008, et rendre ses conclusions en 2010.

Gouvernement des juges

D'ici là, au cours du second semestre 2008, la présidence française de l'UE aura pour tâche, entres autres, de mener les discussions sur la définition du rôle du futur président du Conseil européen, ou sur la mise en œuvre de l'action du représentant pour la politique étrangère. Dans son rapport d'information, le sénateur  Hubert Haenel souligne  que l'incertitude demeure quant aux modalités d'application du nouveau traité : « On ne peut pas, par exemple, savoir a priori comment se fera le partage des responsabilités entre le président du Conseil européen, le Haut Représentant et le président de la Commission. On ne peut pas savoir non plus jusqu'où ira le Parlement européen dans l'usage de ses nouveaux pouvoirs. Le nouvel équilibre institutionnel se dégagera avec le temps. »

La révision des objectifs assignés à l'Union suscite également des interrogations, comme l'explique Nicolas Gros dans le numéro spécial d'Europolitique : « Ce renversement de valeurs pourrait ne pas être cosmétique. Placer les valeurs sociales, d'environnement et de développement durable au même niveau que les valeurs d'économie libérale, voire légèrement au-dessus est un geste politique fort. [...] Les conséquences pourraient être juridiques, estiment plusieurs analystes. Elles pourraient donner aux magistrats de la Cour, l'occasion de d'opérer une hiérarchisation entre les valeurs sociales et les principes de la libre circulation. » Autrement dit, la balle est dans le camp des juges. Un comble pour un traité qui se veut davantage politique !

À défaut de se plonger dans la lecture du traité de Lisbonne, particulièrement ardue pour un profane, les plus curieux pourront se référer au numéro spécial d'Europolitique (www.europolitique.info) ainsi qu'au rapport d'information du Sénat (n° 76, déposé le 8 novembre 2007, www.senat.fr). En dépit d'une relative complaisance à l'égard du texte présenté, ces synthèses en donnent un aperçu plutôt objectif.