18 avril 2010
S'il était encore vivant, Charles Maurras serait-il
souverainiste ?
La géopolitique de Maurras a fait l'objet d'un ouvrage publié
en novembre dernier (1). Nous en avons lu le chapitre consacré
à la critique du fédéralisme européen, espérant y trouver moult
éléments susceptibles de nourrir notre critique du souverainisme.
Peut-être attendions-nous des auteurs qu'ils fassent parler les
morts... Or, prévient d'emblée Christophe Réveillard, « on ne
trouve chez Maurras que peu d'analyses approfondies des nouvelles
communautés européennes [...], entre autres raisons parce qu'il
disparaît en 1952 ».
Durant l'entre-deux-guerres, plus particulièrement,
« Maurras dénonce essentiellement l'irréalisme du fédéralisme
européen ». Ce faisant, aurait-il jugé négligeables les
considérations économiques et politiques à l'origine de la
CECA, attribuant sa création à la seule idéologie, bien qu'il pense
« que derrière les discours lénifiants, prévaut le réalisme
des puissances » ? À vrai dire, nous nous demandons
si la question a vraiment préoccupé Christophe Réveillard, tant il
semble enclin à réduire les politiques aux postures qui les
accompagnent. En témoigne, à nos yeux, la facilité avec laquelle il
affirme que « la période gaulliste correspond [...] au
développement d'une autre conception de l'Europe » –
« selon laquelle la Communauté doit être une confédération
d'États se donnant un pouvoir commun auquel chacun délègue (et non
abandonne) un part de souveraineté ».
Tandis que les "pères fondateurs" de l'Europe seraient aux
antipodes du Martégal, l'élaboration du plan Fouchet – demeuré sans
lendemain... – et la négociation du compromis de Luxembourg – beaucoup
de bruit pour rien ! – placeraient De Gaulle dans sa droite
filiation : « Ineluctabilité de la division de
l'Europe en entités nationales distinctes, nécessité pour la France de
refonder son organisation interne autour d'un fédérateur légitime,
critique au nom du "Politique d'abord !" de l'européisme comme
principe de dépolitisation des rapports étatiques, défense d'une
diplomatie française fondée sur la recherche de l'équilibre des
alliances et l'indépendance nationale, ce qui exclut le projet d'une
communauté permanente de nations fondée sur la contrainte, le constat
est rapidement fait : les certitudes de Charles Maurras en
matière européenne furent également celles de Charles De
Gaulle. »
Cela nous semble d'autant plus "léger" que
M. Réveillard passe sous silence les ambiguïtés d'un concept
au cœur de la réflexion sur la construction européenne. Ainsi n'est-il
pas loin d'ériger implicitement Maurras en défenseur de la
« souveraineté nationale » (2), bien que
celui-ci en ait fermement récusé le principe, lui opposant
« la souveraineté du salut public, ou du bien
public, ou du bien général ».
« Ce que Maurras reproche le plus aux différentes
tentatives d'unification européenne », c'est, paraît-il,
« l'absence de ce qui pour lui devrait relever de
l'évidence : la recherche de l'accroissement de
puissance ». Recherche dont nous doutons, pour notre part,
qu'elle soit le fait des souverainistes... Cela dit, peut-être
trouverons-nous matière à nous interroger sur les conséquences du
multilatéralisme en parcourant les autres chapitres d'une étude censée
présenter, plus généralement, les thèses de Maurras « sur les
relations internationales et les problèmes de défense », et
même exposer les débats que suscita leur réception au sein de l'Action
française.
(1) Sous la direction de Georges-Henri Soutou et Martin
Motte : Entre la vieille Europe et la seule France
- Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale ;
Économica, Bibliothèque stratégique, 23 novembre 2009,
432 pages, 39 euros
(2) « Face à la critique des souverainetés
nationales, assimilées aux causes principales des guerres, Maurras
affirme que c'est au au contraire le déni de puissance nationale, par
décadence intérieure et/ou par impérialisme de puissances extérieures,
qui est facteur de déséquilibre et de guerre. »
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2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
Retour sur l'histoire du négationnisme en France.
Le négationnisme s'est immiscé dans l'actualité ces derniers
mois. Nos lecteurs intéressés par cette "école" pseudo-historique
pourront consulter l'étude que Valérie Igounet a consacrée à ses
représentants français (1). L'auteur considère Maurice Bardèche comme l'«
initiateur » de la contestation des crimes nazis. Ouvertement fasciste,
le beau-frère de Robert Brasillach devint l'éditeur d'un transfuge de
la gauche pacifiste, député SFIO puis militant actif de la Fédération
anarchiste : Paul Rassinier. Revenu de déportation à Buchenwald et
Dora, celui-ci entreprit de relativiser la responsabilité des SS dans
les camps, incriminant plutôt les communistes. Ces "précurseurs"
ouvrirent la voie à Robert Faurisson, un professeur de lettres amoureux
de la vérité selon ses dires, sans aucun doute avide de provocation.
Signe des insuffisances de la recherche historique, il fut,
dans les années soixante-dix, l'« un des premiers Français à fouiller
dans les archives d'Auschwitz, à comparer des documents et à mettre en
évidence des contradictions entre [...] les plans et [...] le terrain
». Se rendant sur place, un pharmacien qui préparait un roman observa
moult incohérences, au point de douter à son tour de l'existence des
chambres à gaz homicides. Aussi Jean-Claude Pressac travailla-t-il aux
côtés de Robert Faurisson pendant quelque temps. La rupture fut
consommée après qu'il eut décelé les « traces d'aménagement criminelles
» d'un camp qui, en réalité, n'avait pas été conçu dès l'origine à des
fins d'extermination. Une découverte fondamentale. Non sans hésitation,
Pierre Vidal-Naquet introduisit cet "amateur" dans les milieux
universitaires. Ses conclusions, publiées aux États-Unis en 1989 sous
le titre Auschwitz - Technique and operation of the gas chambers,
devinrent « une des références bibliographiques dans l'histoire du
génocide ». Dans un entretien accordé au Spiegel du 9 février dernier,
Mgr Williamson s'est engagé à étudier l'ouvrage de ce "négationniste
repenti". Celui-ci n'en reste pas moins une personnalité controversée,
étant donné son choix de ne considérer que les « données et documents
techniques » ; d'autant qu'il révise à la baisse le nombre de victimes.
Valérie Igounet rend compte de la pénétration du négationnisme
dans l'idéologie et le discours du Front national, ainsi que des
collusions de l'extrême droite avec des courants pro-arabes, voire
islamistes. Les sympathies que s'attire aujourd'hui Dieudonné sont à ce
titre significatives. L'auteur souligne également le soutien décisif
apporté au négationnisme par un microcosme d'extrême gauche mené par
Pierre Guillaume, animateur de La Vieille Taupe, une librairie
"révolutionnaire". Influencé par Amadeo Bordiga, il a vu dans les
horreurs du nazisme « un alibi, utile au capitalisme, pour justifier
son exploitation de la classe prolétarienne ».
Fallait-il condamner lourdement les adeptes de cette «
métamorphose moderne de l'antisémitisme » ? « Ceux qui sont contre
[...] ne vivent pas au milieu des survivants et n'entendent pas leurs
cris », déplora Serge Klarsfeld, qui défendait la loi Gayssot en 1990 :
« Les poursuites s'imposent dans la période actuelle. Après, une fois
que tous les témoins seront morts, ce ne sera plus nécessaire. » Selon
Pierre Vidal-Naquet, en revanche, « il n'appartient pas aux tribunaux
de définir la vérité historique » : « Faire de la vérité sur la Shoah
une vérité légale [...] paraît une absurdité. Le fait de punir
l'expression du révisionnisme ne fera que transformer ces gens-là en
martyrs. » Un point de vue partagé par Valérie Igounet, qui s'est
exprimée à ce sujet le 26 janvier 2004 sur un forum en ligne du Nouvel
Observateur. Fort heureusement, le discours des historiens ne se réduit
pas à l'écho qu'en renvoie la sphère politico-médiatique. Ne l'oublions
pas.
(1) Valérie Igounet : Histoire du négationnisme en
France. Éd. du Seuil, mars 2000, 692 p., 28 euros.
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4 septembre 2008
Article publié dans L'Action Française 2000
Aperçu d'un ouvrage traitant des négociations européennes d'Henri IV à l'Europe des Vingt-Sept.
Comment les négociations internationales ont-elles été menées
en Europe depuis le XVIIe siècle ? La question a fait l'objet
d'un ouvrage collectif paru en avril dernier.
La première partie est historique. On y rencontre d'abord Jean
Hotman de Villiers, qui est, en 1603, le premier à disserter en
français sur La charge et la dignité de l'ambassadeur ; «
composé par un homme [...] dont la science et l'érudition sont
fortement imprégnées par l'esprit de la Renaissance et les références à
l'Antiquité, [ce traité] n'en est pas moins en prise directe avec son
temps », dont bien des aspects sont révolus : imaginerait-on qu'un
ambassadeur s'appauvrisse aujourd'hui au service de l'État ?
Vers 1640, le cardinal de Richelieu développe dans son
Testament politique « une conception éminemment nouvelle de la
négociation », qui devient permanente, « s'ordonnant [...] en vue de la
réalisation d'un dessein plus général, ce que l'on appellera la
politique étrangère... » En 1716, François de Callières s'intéresse à
l'éloquence dans La Manière de négocier avec les souverains ; son
existence témoigne d'« une capacité rare d'alterner vie active de
diplomate et vie contemplative du penseur ». Un article publié en 1770
dans l'encyclopédie d'Yverdon est reproduit intégralement ; Barthélémy
Fortuné de Félice y souligne le poids des passions et lance quelques
piques à l'encontre de Mazarin (dont les intrigues ne feraient pas
honneur à la diplomatie française selon lui).
En 1757, dans ses Principes des négociations, Gabriel Bonnot
de Mably conteste l'aptitude du système de l'équilibre à garantir la
paix ; il juge vicieux l'ordre européen assimilant la politique à "la
chose privée des rois", et se fait l'apôtre de la transparence. La
Révolution française s'y essaiera, transformant bientôt « la
"diplomatie de la transparence" en une "diplomatie de l'arène" » ; «
détruisant sans chercher à reconstruire, l'expérience tourne au chaos
», aboutissant selon Frank Attar à « la diplomatie du vide ».
Multilatéralisme
La seconde partie traite de l'« actualité de la négociation,
de la souveraineté française au consensus européen », esquissant
quelques comparaisons avec les siècles passés. Marie-Christine Kessler
identifie des vecteurs de stabilité : « En France [...], il y a eu très
vite une institutionnalisation et une professionnalisation du métier de
diplomate. » Mais l'influence des opinions, ainsi que l'émergence du
multilatéralisme, ont bouleversé la donne. Des contributions évoquent
la représentation permanente de la France aux Nations Unies – dont le
Conseil de Sécurité se réunit tous les jours – et l'engagement de la
Commission européenne dans des négociations internationales. Une
expérience de « multilatéralisme au carré », selon l'expression
d'Hubert Védrine, le mandat des négociateurs européens étant lui-même
issu d'une négociation entre les États membres de l'UE. Observant les
réticences des États-Unis à l'égard d'un multilétaralisme qu'ils
avaient jadis encouragé, l'ancien ministre des Affaires étrangères
conclut ainsi sa postface : « Selon qu'il s'agit [...] d'un mouvement
conjoncturel [...] ou durable, les conséquences n'en seront pas du tout
les mêmes pour l'art de la négociation. »
En définitive, l'ouvrage semble quelque peu "bricolé".
Rassemblant des contributions inégales, il constitue moins l'« histoire
vivante de la négociation » annoncée en quatrième de couverture qu'un
aperçu des œuvres des ses théoriciens classiques, complété par quelques
considérations d'actualité. On s'agace en outre de l'inclination de
certains auteurs à dénicher dans le passé les sources supposées de leur
européisme un peu naïf... C'est une étude originale dont on regrettera
qu'elle ne tienne pas toutes ses promesses.
Sous la direction d'Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson :
Négociations européennes - D'Henri IV à l'Europe des 27 ;
A2C Medias, avril 2008, 284 p., 25 euros.
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