L'islamophobie, un devoir civique

2 avril 2015

Galvanisés par leurs élites politiques, quelques citoyens exemplaires se décident enfin à en venir aux mains pour défendre les valeurs de la République.

Une femme enceinte aurait été agressée à Toulouse « à cause de son voile islamique », rapporte Le Figaro. Curieusement, précisent nos confrères, Manuel Valls, « a fait part de son "indignation" ». Ces derniers temps, pourtant, le Premier ministre nous avait habitué à davantage de fermeté. Peut-être s'est-il épuisé à vilipender le Front national ? Au moins Nicolas Sarkozy a-t-il gardé la tête froide : « la France est une République, pas seulement une démocratie », a-t-il martelé. « Dans une démocratie, chacun fait ce qu'il veut tant que cela ne fait pas de mal aux autres », a-t-il expliqué. Mais « dans une République, on est plus exigeant ». Or, a-t-il rappelé, « la République, c'est la laïcité ».

À l'UMP, quelques personnalités sont manifestement en passe d'en devenir les champions. Dernièrement, François Fillon s'est heureusement distingué de l'ancien président de la République : « la laïcité ce n'est pas l'oppression des religions, c'est le respect des différences », a-t-il déclaré. C'est pourtant un ministre de son gouvernement, Luc Chatel, qui avait banni des sorties scolaires les mamans les moins enclines à se promener cheveux au vent. C'est également en son nom qu'avait été présenté le projet de loi « interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public ». L'islamophobie aidant, les libertés les plus élémentaires s'avèrent faciles à piétiner !

D'autres exemples ? En juin dernier, s'inscrivant dans la continuité de cette politique, Richard Trinquier, maire UMP de Wissous (Essonne), avait chassé d'une plage éphémère deux mères de famille coupables de porter un voile recouvrant non seulement les cheveux... mais aussi les oreilles – un vrai scandale ! Quant à l'inénarrable Nadine Morano, au mois d'octobre, elle s'était empressée de dénoncer à un policier la femme intégralement voilée qu'elle avait croisée gare de l'Est, après l'avoir sommée, en vain, de rendre son visage à la vue du public. 

Remarquable initiative, dont on apprend donc aujourd'hui qu'elle a peut-être fait quelques émules, à l'image de ces républicains exemplaires qui viennent, paraît-il, d'agresser la malheureuse Toulousaine. Découvrant qu'elle était enceinte, ils auraient décidé de l'épargner. C'est dommage : sans doute cela les privera-t-il de la Légion d'honneur. Qu'on se le dise : la République, ça se mérite !

Le pays légal pète les plombs !

27 janvier 2015

À quel jeu les pouvoirs publics sont-ils donc en train de s'adonner ? Que Valls se fasse mousser à travers Dieudonné, cela passe encore, celui-ci ayant accepté son rôle de bouffon en toute connaissance de cause, quoiqu'il soit la victime d'une raison d'État quelque peu dévoyée... Mais l'heure n'est plus à l'agitation médiatique. Ces jours-ci, ce sont des enfants qui trinquent !

Lu sur Nouvelles de France : « Nantes. Une jeune fille prend le tramway avec ses sœurs et une amie. Des contrôleurs se présentent et demandent leur titre de transport. Après une altercation verbale, la plus jeune leur lance "On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikovs". Les contrôleurs appellent la police, elle est mise en garde à vue puis présentée à un juge en comparution immédiate qui la met en examen pour apologie du terrorisme. Elle a quatorze ans... Toujours à Nantes. Décidément... Un lycéen publie sur son mur Facebook une caricature qu'il trouve particulièrement "marrante" selon ses propres termes. En juillet 2013, Charlie Hebdo sort une couverture qui montre un Égyptien se faire trouer de balles malgré un Coran tenu devant lui avec la légende "Le Coran, c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles". Le lycéen trouve sur Internet une parodie de cette caricature qu'il publie. Elle montre un journaliste tenant ce même exemplaire de Charlie Hebdo, troué de balles, avec la légende "Charlie Hebdo, c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles". Quelques jours plus tard, il est interpellé par la police chez lui et placé en garde à vue puis déféré le lendemain. Le parquet, requiert son placement en liberté surveillé et sa mise en examen pour apologie du terrorisme. Il a seize ans...

Lu dans le même article : « Jeudi 8 janvier. Un collégien fait une minute de silence avec sa classe en hommage aux victimes des attentats. Vendredi, le professeur de français propose à ses élèves un débat sur ce qui vient de se passer. N'ayant pas bien compris qu'il s'agissait autant d'un piège que d'une réelle volonté de débattre avec les élèves, l'enfant lève la main et dit "ils ont eu raison". Au lieu de demander des explications, d'écouter, puis d'expliquer comme tout bon professeur aurait dû le faire, le censeur lui ordonne immédiatement : "si tu penses ça, sors de ma classe". La suite est hallucinante. L'élève se rend chez la conseillère Principale d'éducation qui lui explique pourquoi il était interdit de penser que les terroristes "ont eu raison". Dimanche, l'enfant va à son match de foot. Il fait une minute de silence avec ses camarades. "C'était bien, on était tous en rond, on se tenait par le cou", raconte-t-il. Lundi matin à l'école, il est convoqué chez le principal. Mardi matin, il est reconvoqué. L'enfant s'excuse et exprime ses regrets. Mardi, le principal le convoque à nouveau, avec ses parents cette fois. Il leur apprend que leur enfant est exclu pour une semaine, "une mesure conservatoire"... En attendant le conseil de discipline où il risque une exclusion définitive. Mercredi, le principal, grand pédagogue devant l'éternel va porter plainte contre l'enfant au commissariat. Jeudi, l'enfant et ses parents se rendent à la convocation de la police "pour être entendu". L'enfant est alors arrêté et placé en garde à vue. Il va passer vingt-quatre heures dans les geôles de la république nationale socialiste. Vendredi matin, menotté, il est présenté au juge pour une mise en examen d'apologie du terrorisme. »

Lu chez Jean-Marc Morandini : « Quatre collégiens français vont être convoqués devant un juge des enfants pour "apologie du terrorisme". Ils risquent théoriquement jusqu'à trois ans et demi de prison. Le message, inscrit en surimpression en bas d'une photo de groupe, a été découvert mardi par un de leurs camarades qui l'a signalé à la direction du collège. Les ados avaient écrit : "On n'est pas Charlie et on saura jamais, bande de petites putes. On sème ce qu'on récolte". Placés en garde à vue puis relâchés, ils sont convoqués le 25 mars devant le juge des enfants "aux fins de mise en examen pour apologie d'actes de terrorisme au moyen d'un réseau public de télécommunications", a indiqué le parquet de Meaux. »

Nous sommes effaré. Tantôt incrédule, tantôt révolté. Quelqu'un pourrait-il nous expliquer quel est le phénomène à l'œuvre ? Un juriste au fait des procédures en cours et des sanctions déjà prononcées pourrait-il nous éclairer sur leur caractère apparemment surréaliste ? Dans l'immédiat, nous n'avons rien trouvé de mieux à faire que publier nous aussi cette image blasphématoire. Disons que que c'est la traduction d'une colère exprimée en toute modestie.

Daech, un modèle pour la France

23 janvier 2015

Petit "coup de gueule" poussé contre l'hystérie politico-médiatique qui semble gagner la justice – et cela aux dépens de la concorde sociale.

Le délit de blasphème « n'est pas dans notre droit » et « ne le sera jamais », a déclaré le Premier ministre Manuel Valls. Ces jours-ci, pourtant, bien des échos médiatiques donnent à croire le contraire. Trois agents municipaux travaillant à Lille ne sont-ils pas attiré les foudres de l'édile, par ailleurs cacique socialiste, après avoir refusé d'assister à la grand messe républicaine organisée dans la foulée des attentats ? Aggravant son cas, l'un d'entre eux aurait même justifié son refus de prendre part à cette minute de silence. Pauvre fou ! En conséquence, peut-être se retrouvera-t-il bientôt derrière les barreaux. Une trentaine d'hérétiques ont déjà été condamnés à de la prison ferme, rapportent nos confrères du Figaro. « Petit détail à ne pas négliger », précisent-ils, toutes ces peines « tiennent compte de faits délictuels annexes ».

Le Syndicat de la magistrature n'en dénonce pas moins des procédures « où l'on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l'homme, poursuivi pour avoir fait l'apologie du terrorisme. Non pas pour avoir organisé une manifestation de soutien aux auteurs des attentats, élaboré et diffusé à grande échelle des argumentaires, pris part à des réseaux, mais pour des vociférations, lancées sous le coup de l'ivresse ou de l'emportement : en fait, des formes tristement actualisées de l'outrage. [...] Comme si la justice pénale, devenue l'exutoire de la condamnation morale, pouvait faire l'économie d'un discernement plus que jamais nécessaire en ces temps troublés. »

Prenant ses distances à l'égard du Menhir, alors que celui-ci venait de verser dans des élucubrations conspirationnistes (dédiabolisation oblige), Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, a expliqué que Jean-Marie Le Pen ne comprenait « pas bien la société française actuelle, très compassionnelle et médiatique ». Peut-être la religiosité ici à l'œuvre procède-t-elle effectivement d'un respect absolu des victimes ? Quoi qu'il en soit, l'Inquisition n'entend pas en rester là. « Loin de tirer les conséquences de ces condamnations aveugles et démesurées, d'interroger leur effet sur ceux qui, ainsi labellisés "terroristes", en retirent surtout la certitude légitime de l'injustice », Christiane Taubira « surenchérit », déplore le Syndicat de la magistrature. « Elle annonce sa volonté de modifier le régime juridique des insultes et de la diffamation, qui pourront également être poursuivies en comparution immédiate dès lors qu'elles comportent un caractère raciste, antisémite ou homophobe. »

Dieudonné, quant à lui, est poursuivi pour avoir déclaré sur Facebook qu'il se sentait « Charlie Coulibaly » – ce qui pourrait constituer, nous dit-on, une apologie du terrorisme. Horrifiée, la marie de Limoges, dirigée par l'UMP Émile-Roger Lombertie a dénoncé le « nouveau dérapage » d'un « pseudo-humoriste devenu totalement incontrôlable » – comme si l'État ne devait accorder des libertés aux individus qu'avec la l'assurance qu'il en maîtriserait l'usage ! « Une société qui, par millions, descend dans la rue proclamer son attachement à la liberté d'expression ne peut, sans se contredire, emprisonner sur l'heure celui qui profère des mots hostiles à la loi qui affirme ses valeurs. », prévient, par ailleurs, le Syndicat de la magistrature. Mais peut-être y a-t-il plus consternant encore. « On meurt pour des idées, des mots et même pour des traits de crayons. Alors on peut aller en prison pour des mots », a déclaré Nathalie Rocci-Planes, procureur de la République, lors d'un procès qui s'est tenu dernièrement à Montpellier. Comment ça, « alors » ? Depuis quand la justice française était-elle censée s'inspirer de l'application la plus violente de la charia ? La République devrait-elle s'ériger en pendant soft de l'État islamique, selon le représentant du ministère public ? Les frères kouachi n'en espéraient pas tant !

Charlie, Dieudonné et les journaleux

22 janvier 2015

« Si je dégomme un journaliste, juif de surcroît, ils rouvrent le procès de Nuremberg », s'est amusé Dieudonné, dénonçant, à sa façon, les réflexes corporatistes observés chez nos confrères.

Beaucoup d'autres ont coutume de s'en indigner, notamment à l'extrême droite, dont une incarnation historique se plaisait pourtant à répéter, dans les années quatre-vingt : « J'aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que les inconnus. »

Or, qu'est-ce qu'un journaliste pour un autre journaliste ? Un prochain – littéralement. Quelqu'un dont on se sent spontanément plus solidaire que de n'importe qui. Sans doute notre métier n'est-il pas étranger au fait que nous nous soyons nous-même dit "Charlie", et c'est bien normal, le travail étant un puissant vecteur d'enracinement social.

Bien qu'ils prétendent pourfendre l'individualisme, les populistes l'instrumentalisent et l'exacerbent...

Pendant quelque temps, soit dit en passant, le mouvement d'Action française n'avait plus appelé à rendre « la France aux Français », mais « les Français à la France » – heureuse initiative !