26 avril 2018
Le Gouvernement s'érige en promoteur de l'économie circulaire, sans verser toutefois dans le complotisme cher aux détracteurs d'une prétendue obsolescence programmée ; la belle est dans le camp des consommateurs, explique-t-il en substance.
Lundi dernier, 23 avril 2018, le Premier ministre a présenté une feuille de route pour l'économie circulaire. « il nous faut un jouet neuf tous les jours et nous sommes constamment tenus en haleine par les inventeurs qui nous créent des besoins ridicules
», a-t-il dénoncé en introduction de son discours, citant Paul Morand. « On se sépare d'un appareil défectueux sans très bien d'ailleurs savoir ce qu'il va devenir et qui semble finalement parfois en bon état
», a-t-il ensuite regretté. « Cette logique-là, qui n'est pas fait de malveillance, il faut la casser
», a-t-il martelé.
Une planète en voie d'obsolescence ?
Le chef du Gouvernement serait-il, lui aussi, le détracteur d'une obsolescence programmée fantasmée ? Pas vraiment. « Il y a une obsolescence dont nous sommes convaincu, certain, qu'elle est programmée, c'est celle de la planète
», a-t-il expliqué ; « c'est celle d'un modèle dans lequel on extrait, on fabrique, on vend, on case, on jette – avec d'un côté des mines toujours plus profondes et de l'autre côté des montagnes de déchets qui sont toujours plus hautes
». Ce faisant, Édouard Philippe s'est bien gardé de cautionner l'idée selon laquelle les fabricants comploteraient pour saboter délibérément leurs produits.
Consommer, c'est choisir !
« Il est grand temps
[...] de fermer les circuits de production et de consommation
», a-t-il annoncé. « La première manière de moins jeter
», a-t-il rappelé, « c'est d'acheter robuste
» ; « et souvent
», s'est-il félicité, « acheter robuste, c'est acheter français, voire européen – mais de préférence français
». « Une autre façon de moins jeter
», a-t-il poursuivi, « c'est de consommer un peu moins, de manière plus consciente, plus précautionneuse, parce que l'obsolescence programmée, elle est aussi psychologique
». La balle est dans le camp du pays réel, a-t-il expliqué en substance : « Vous connaissez la formule "gouverner, c'est choisir". Eh bien, consommer, c'est choisir aussi. Et d'une certaine façon, consommer, c'est gouverner un peu aussi. Ce choix du consommateur, il faut le documenter, il faut le faciliter, l'orienter, il faut l'amplifier. Parce qu'il a besoin de l'être. C'est là que nous pouvons intervenir, c'est là que la volonté politique peut commencer à produire des effets.
» L'autorité en haut, les libertés en bas ?
10 avril 2018
Commentaire critique d'un reportage diffusé sur France 2. Un article d'abord publié sur Contrepoints le 7 avril 2018.
Poursuivi en justice pour « obsolescence programmée
», Epson a d'ores et déjà été condamné par un tribunal médiatique. Dans un numéro d'Envoyé spécial diffusé sur France 2 le 29 mars 2018, les journalistes Anne-Charlotte Hinet et Swanny Thiébaut ont repris avec une étonnante crédulité les accusations assénées par l'association HOP (Halte à l'obsolescence programmée), à l'origine d'une plainte déposée l'année dernière contre l'industriel japonais.
Certains constats rapportés dans cette enquête s'avèrent effectivement troublants : on y découvre qu'une imprimante prétendument inutilisable peut tout à fait sortir plusieurs pages après l'installation d'un pilote pirate ; quant aux cartouches, elles semblent loin d'être vides quand l'utilisateur est appelé à les changer. La preuve n'est-elle pas ainsi faite qu'un complot est ourdi contre des consommateurs aussi malheureux qu'impuissants ?
La musique accompagnant ce reportage, angoissante, laisse entendre qu'un danger planerait sur ceux qui se risqueraient à le dénoncer. On tremble à l'évocation de cet homme qui « a fini par briser le silence
» ; quel aura été le prix de sa témérité ? Un passionné d'électronique susceptible d'assister les enquêteurs vit en marge de la société, reclus loin des villes et de leurs menaces : « il a fallu avaler quelques kilomètres en rase campagne pour trouver un expert
», racontent les journalistes. Un expert censé décrypter le contenu d'une puce électronique à l'aide d'un tournevis… Succès garanti.
La concurrence met les fabricants sous pression
Les imprimantes incriminées sont vendues autour d'une cinquantaine d'euros. « Le fabricant n'a pas intérêt à avoir des imprimantes de ce prix-là qui soient réparables, sinon il n'en vendra plus
», croit savoir l'un des témoins interrogés. Étrange conviction : si un fabricant était en mesure de prolonger la durée de vie de ses produits et d'étendre leur garantie en conséquence, sans en renchérir le coût ni en compromettre les fonctionnalités, n'aurait-il pas intérêt à le faire, dans l'espoir de gagner des parts de marché aux dépens de ses concurrents ?
De toute façon, pour Epson, l'activité la plus lucrative n'est pas là : « autant vendre une imprimante pas chère pour vendre ensuite de l'encre très chère
», souligne une autre personne interrogée, cette fois-ci bien inspirée. Il est vrai qu'au fil du temps, les fabricants de cartouches génériques parviennent à contourner les verrous mis en place par Epson et ses homologues pour s'arroger d'éphémères monopoles sur le marché des consommables. Cela étant, même s'il préfère acheter de l'encre à moindre coût, le possesseur d'une imprimante Epson fonctionnelle sera toujours un acheteur potentiel des cartouches de la marque ; ce qu'il ne sera plus, assurément, quand son imprimante sera tombée en panne… Ce constat, frappé du sceau du bon sens, semble avoir échappé aux enquêteurs, qui prétendent pourtant que « les fabricants font tout pour vous faire acheter leurs propres cartouches
». Peut-être cela pourrait-il expliquer l'obligation de changer une cartouche pour utiliser le scanner d'une imprimante multi-fonctions… Mais quelle garantie Epson aurait-il que ses clients lui restent fidèles au moment de renouveler leur matériel dont il aurait lui-même programmé l'obsolescence ? Ils le seront d'autant moins s'ils ont été déçus par leur achat – notamment s'ils jugent que leur imprimante les a lâchés prématurément.
La pertinence d'un stratégie d'obsolescence programmée est donc sujette à caution. Comment, dès lors, expliquer certaines aberrations ? Epson se montre peu prolixe à ce sujet ; sa communication s'avère même calamiteuse ! « Une imprimante est un produit sophistiqué
», affirme-t-il dans un communiqué. Pas tellement en fait. Du moins l'électronique embarquée dans un tel appareil n'est-elle pas des plus élaborée. Assistant au dépeçage d'une cartouche, les journalistes ont mimé l'étonnement à la découverte de sa puce : « Surprise !
[…] Pas de circuit électrique, rien qui la relie au réservoir d'encre. Elle est juste collée. Comment diable cette puce peut-elle indiquer le niveau d'encre si elle n'est pas en contact avec l'encre ?
» Que croyaient-ils trouver dans un consommable au recyclage notoirement aléatoire ? Ou dans un appareil vendu seulement quelques dizaines d'euros ? Quoi qu'en dise Epson, sans doute la consommation de l'encre et l'état du tampon absorbeur sont-ils évalués de façon approximative. Apparemment, le constructeur voit large, très large même ! C'est évidemment regrettable, mais qu'en est-il des alternatives ? Les concurrents d'Epson proposent-ils des solutions techniques plus efficaces sur des produits vendus à prix comparable ? Encore une question qui n'a pas été posée…
Des produits réputés à tort irréparables
Concernant les cartouches, dont l'encre est en partie gaspillée, la malignité prêtée au constructeur reste à démontrer. On n'achète pas une cartouche d'encre comme choisit une brique de lait ni comme on fait un plein d'essence. Si le volume d'encre qu'elle contient est bien mentionné sur l'emballage, cette information n'est pas particulièrement mise en valeur. D'une marque à l'autre, d'ailleurs, elle n'est pas la même ; elle ne constitue pas un repère ni un élément de comparaison. En pratique, on n'achète pas des millilitres d'encre, mais des cartouches de capacité dite standard, ou bien de haute capacité, avec la promesse qu'elles nous permettront d'imprimer un certain nombre de pages. Dans ces conditions, quel intérêt y aurait-il, pour un constructeur, à restreindre la proportion d'encre effectivement utilisée ? Autant réduire le volume présent dans les cartouches ! Pour le consommateur, cela reviendrait au même : il serait condamné à en acheter davantage ; pour l'industriel, en revanche, ce serait évidemment plus intéressant, puisqu'il aurait moins d'encre à produire pour alimenter un nombre identique de cartouches vendues au même prix. Un représentant d'Epson, filmé à son insu, a tenté de l'expliquer au cours du reportage, avec toutefois une extrême maladresse. Les enquêteurs n'ont pas manqué de s'en délecter, prenant un malin plaisir à mettre en scène la dénonciation d'un mensonge éhonté.
Force est de constater qu'ils n'ont pas fait preuve du même zèle pour vérifier les allégations des militants qui les ont inspirés. Quand il juge nécessaire de changer le tampon absorbeur d'une imprimante, Epson en interdit l'usage au motif que l'encre risquerait de se répandre n'importe où. Parmi les utilisateurs d'un pilote pirate permettant de contourner ce blocage, « on a eu aucun cas de personnes qui nous écrivaient pour dire que cela avait débordé
», rétorque la représentante de l'association HOP. Pourquoi les journalistes n'ont-ils pas tenté l'expérience de vider quelques cartouches supplémentaires dans ces conditions ? À défaut, peut-être auraient-ils pu arpenter la Toile à la recherche d'un éventuel témoignage. « Il y a quelques années j'ai dépanné une imprimante qui faisait de grosses traces à chaque impression, dont le propriétaire avait, un an auparavant, réinitialisé le compteur
[…] pour permettre de reprendre les impressions », raconte un internaute, TeoB, dans un commentaire publié le 19 janvier sur le site LinuxFr.org ; « le tampon était noyé d'encre qui avait débordé et qui tapissait tout le fond de l'imprimante
», précise-t-il ; « ça m'a pris quelques heures pour tout remettre en état, plus une nuit de séchage
», se souvient-il. Dans le cas présent, ce qui passe pour de l'obsolescence programmée pourrait relever en fait de la maintenance préventive… Les journalistes l'ont eux-mêmes rapporté au cours de leur reportage : Epson assure remplacer gratuitement ce fameux tampon ; pourquoi ne l'ont-ils pas sollicité pour évaluer le service proposé ?
Ils ont préféré cautionner l'idée selon laquelle une imprimante affectée par un consommable réputé en fin de vie – à tort ou à raison – devrait être promise à la casse. La confusion à ce sujet est entretenue au cours du reportage par un technicien présenté comme un « spécialiste de l'encre et de la panne
». Les militants de l'association HOP témoignent en cela d'une inconséquence patente : ils pourraient déplorer le discours sibyllin des constructeurs d'imprimantes, dont les manuels d'utilisation ou les messages à l'écran ne semblent pas faire mention des opérations de maintenance gracieuses promises par ailleurs ; mais ils préfèrent entretenir le mythe d'un sabotage délibéré de leurs produits, confortant paradoxalement leurs utilisateurs dans la conviction qu'ils seraient irréparables… Si la balle se trouve parfois dans le camp des industriels, ceux-ci ne manquent pas de la renvoyer aux consommateurs ; encore faut-il que ces derniers s'en saisissent, plutôt que de fuir leurs responsabilités éludées par une théorie complotiste.