Crise de la dette : la solidarité mise à mal

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Soumis aux pressions des opinions publiques, les gouvernements européens se montrent incapables de parler d'une seule voix, révélant la fragilité d'une illusoire solidarité budgétaire.

L'euro a-t-il été créé dans la précipitation ? C'est, apparemment, l'opinion du président de la République. Le 16 aout , à l'issue d'une rencontre avec le chancelier allemand, il a déploré que la monnaie unique ait été établie « sans prévoir au préalable l'harmonisation des compétitivités » – tâche à laquelle il prétend désormais s'atteler. À moyen terme, un impôt sur les sociétés harmonisé de part et d'autre du Rhin pourrait symboliser la convergence accrue des économies européennes.

Une intégration ambiguë

Chantre de l'"intégration", Nicolas Sarkozy se défend néanmoins de toute velléité fédéraliste : « L'Europe des vingt-sept et bientôt des trente [...] ira de plus en plus vers la confédération », a-t-il annoncé. La nature du futur « gouvernement économique » de la zone euro pourrait le confirmer – du moins formellement : selon le vœu de Paris et Berlin, en effet, cette responsabilité ne serait pas confiée à la Commission européenne, mais à la réunion des chefs d'État ou de gouvernement. Quant à la mutualisation des dettes publiques, elle apparaît pour l'heure exclue. « Cela consisterait à garantir par [notre] triple A la dette de tous les pays de la zone euro », a expliqué le chef de l'État. « Cela voudrait donc dire que nous garantirions la totalité de la dette sans avoir la maîtrise de la dépense et de la création de la dette », a-t-il prévenu.

Or la priorité est donnée au respect de la discipline budgétaire, que serait censée garantir l'adoption, d'ici l'été 2012, d'une "règle d'or" par les dix-sept États membres de la zone euro. En vertu d'une telle disposition, les lois de finance annuelles seraient soumises à un objectif de retour à l'équilibre budgétaire. « Cela ne dépend pas que du droit européen », a souligné Angela Merkel. « Inscrire cela dans son droit national, c'est la meilleure façon de nous engager », a-t-elle déclaré. D'autant qu'en cas de manquement « la plus grande sanction ne viendrait pas [...] de la Commission mais de l'intérieur ».

Hochet présidentiel

Un consensus transpartisan vient d'être négocié en Espagne afin de modifier la constitution en ce sens. En France, « un certain nombre de personnalités qui n'appartiennent pas à la majorité ont déjà fait savoir qu'[elles] étaient favorables à l'adoption de cette règle », a assuré le président de la République. Peut-être se feront-elles davantage entendre après la primaire socialiste ? À l'approche de l'élection présidentielle, la tentation est d'autant plus grande d'instrumentaliser le débat. Y compris à droite, où l'on pourrait fort bien s'accommoder de l'opposition socialiste, censée souligner, par contraste, le sens des responsabilités propre à l'UMP.

C'est dire combien les calendriers électoraux et autres calculs politiciens interfèrent dans les négociations internationales. Au risque de faire capoter les tentatives de résolution de la crise des dettes souveraines. « Devoir mettre la main à la poche pour sauver la Grèce endettée ne semble faire ni chaud ni froid aux Français », constatait le Courrier international en juillet dernier. En fait, ils feraient « rarement le lien entre l'argent du gouvernement et leur impôt », selon The Economist. Quoi qu'il en soit, comme le rappelait le magazine britannique, « chez tous les autres pays créditeurs de la zone euro [...], le coût de ces sauvetages a fait l'objet de débats animés ». Confronté à la pression des Vrais Finlandais, Helsinki s'est distingué en exigeant d'Athènes des garanties bilatérales en échange de sa participation au plan de soutien présenté le 21 juillet. « Dès le lundi 22 août, Moody's a expliqué que "l'accord entre la Grèce et la Finlande, en lui-même de faible ampleur, n'en est pas moins très significatif" », rapporte Euractiv. « La solidarité européenne ne serait ainsi pas sans faille. » En dépit de l'interdépendance des économies, autant dire qu'elle repose sur du sable !

Controverse à Francfort

Alors que les emprunts d'État rachetés par la Banque centrale européenne dépassent désormais les 100 milliards d'euros, La Tribune signale que le président de la République fédérale d'Allemagne, Christian Wulff, a fustigé une pratique « contestable juridiquement ». Quant à la Bundesbank, si l'on en croit Les Échos, elle aurait critiqué « avec une ardeur peu commune » l'esquisse d'une solidarité budgétaire européenne. Celle-ci est accusée d'affaiblir « les fondements de la responsabilité budgétaire en zone euro et la discipline des marchés de capitaux, sans qu'en contrepartie les possibilités de contrôle et d'influence sur les politiques financières nationales aient été sensiblement renforcées ». La cacophonie aidant, les tensions semblent appelées à durer sur les marchés obligataires.

Présence de Bainville

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Mis à l'honneur dans la presse, Bainville se trouve par ailleurs invoqué dans le débat économique.

Jacques Bainville a fait l'objet d'un éloge dans les colonnes de L'Express. « L'historien et journaliste monarchiste avait tout pour lui : lucidité, brio, maîtrise de tous les genres », lit-on en introduction d'un article publié le 12 août sur le site Internet de l'hebdomadaire. Outre « l'aptitude de Bainville à la prophétie », qu'il juge « époustouflante », Emmanuel Hecht souligne la distance qui le séparait de Charles Maurras et Léon Daudet. Une concession au "politiquement correct" au demeurant nuancée, d'autant que notre confrère invoque une « question de tempérament ». De fait, « les coups de poing [...], la crudité et la violence du langage [...], l'antisémitisme, répugnaient au distingué Jacques Bainville ».

Rigueur budgétaire

Par ailleurs, on relèvera quelque écho à l'actualité en relisant les articles économiques de l'illustre journaliste. « Rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu « le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ». Cela nourrira la discussion, au moment où l'on envisage de monétiser la dette publique en autorisant de nouveau l'État à se financer directement auprès de la banque centrale, en marge de la pression des marchés. « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Peut-être les circonstances ont-elles changé – l'heure n'est plus à l'inflation galopante. Et peut-être nos lecteurs partageront-ils l'aversion de Maurras pour certaines théorisations... « Il n'y a pas de protectionnisme, il n'y a pas de libre échange qui tienne », affirmait-il. « Il y a la vigilance et l'incurie, il y a l'organisation intelligente des tarifs ou la résignation à leur jeu automatique et mécanique, lequel ne peut être que désastreux comme toute résignation humaine aux caprices de la nature. »

Quoi qu'il en soit, ce constat établi en 1926 par Jacques Bainville nous semble toujours d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. » Or, selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. » Ainsi que sur celle des déficits...

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales" : http://classiques.uqac.ca/

Les vacances, une affaire d'État

4 août 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Les services gouvernementaux veillent sur le bonheur des Français. Pour preuve, ils se soucient de les faire partir en vacances. Cela donne à réfléchir sur les modalités de l'aide sociale.

Parmi les Français, 62 % étaient partis en vacances au cours de l'année passée. Du moins, au sens où l'entend l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), qui définit les vacances comme un déplacement d'agrément d'au moins quatre nuits consécutives hors du domicile. Quoique supérieure à la moyenne européenne, cette proportion est jugée insuffisante par le Centre d'analyse stratégique (CAS). Dans une note d'analyse publiée le mois dernier, celui-ci promeut le développement d'« une politique globale de soutien au départ en vacances pour tous ». Cela conformément à la loi selon laquelle, depuis 1998, « l'égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national ».

Psychologie

Les rapporteurs escomptent quelque bénéfices de la multiplication des vacanciers, « tant en matière de bien-être que d'autonomisation, de lien social, de soutien à la parentalité ou de lutte contre l'exclusion ». Autant de préoccupations auxquelles les pouvoirs publics pourraient répondre sans prendre par la main tout un chacun. Les auteurs vont jusqu'à traiter des « barrières psychologiques » faisant obstacle au départ chez les personnes souffrant d'anxiété. C'est dire les dérives auxquelles se prête la politique sociale. Dans le cas présent, elle investit un domaine que nous réserverions à la Santé. Constatant, par ailleurs, que « les propriétaires d'une maison apprécient d'y rester pour faire des travaux ou pour inviter des proches », les rapporteurs en concluent que « la qualité de vie quotidienne influe [...] fortement sur le choix de partir ou non, ce qui pourrait expliquer que les Corses restent deux fois plus chez eux que la population générale ». Le cas échéant, l'État ne devrait-il pas se concentrer sur l'urbanisme et l'organisation du territoire ?

Le CAS lui assigne une autre priorité : « développer le sentiment d'appartenance à un collectif européen », en s'assurant que les jeunes Français aient voyagé au moins une fois dans l'Union européenne avant leurs vingt ans. Peut-être pourrait-on commencer par faire visiter Versailles aux écoliers, quitte à inscrire dans un jumelage ce genre d'initiatives... L'observation suivante nous est apparue plus pertinente : « Indépendamment des structures marchandes, d'autres systèmes se développent grâce à l'internet, à l'image des échanges de maisons et d'appartements entre particuliers. » Un dispositif jugé particulièrement intéressant dans le champ du handicap, où seraient échangés des logements accessibles. Au-delà, on évite l'écueil affectant les infrastructures exploitées en marge des activités lucratives. En effet, « face aux effets d'usure mais aussi à l'évolution des standards de qualité, les structures du tourisme associatif répondent de moins en moins aux attentes de leurs clients : ce serait ainsi près de 40 % du parc immobilier qui nécessiterait des travaux pour un montant estimé à 500 millions d'euros. »

Usine à gaz

Parmi les dispositifs sociaux censés favoriser les départs en vacances, on relève les chèques vacances, les aides des caisses d'allocations familiales, des réductions offertes par la SNCF et de multiples initiatives locales et associatives. Or, « cette diversité de sources de financement et d'offres d'accompagnement [...] présente inévitablement un certain nombre de limites en termes d'accès à l'information et à l'ensemble des droits disponible ». C'est d'ailleurs un problème récurrent en matière sociale. Plusieurs initiatives visent à pallier ces difficultés. Tel le projet "Espace vacances aides au départ" (EVAD), porté par trois associations en Poitou-Charentes, qui devrait se concrétiser par la mise en ligne d'un site Internet, l'installation d'une permanence téléphonique et des campagnes de communication et de formation communes.

Entretenue de la sorte, l'usine à gaz continuera peut-être à tourner des années durant, mais au prix d'une énergie largement dissipée en chaleur. Or, en pleine crise de la dette souveraine, l'État-providence subira vraisemblablement de multiples assauts. Jadis en pointe sur les questions sociales, les royalistes devront se saisir du débat. Peut-être trouveront-ils quelque source d'inspiration dans les propositions de "revenu familial minimum garanti" ou autres "impôt négatif" censés substituer aux minima sociaux une allocation dégressive servie aux plus modestes. Si l'on en croit ses promoteurs libéraux, l'idée fut popularisée dans les années soixante par le cercle des économistes de Chicago, autour de Milton Friedman, le chantre du monétariste. C'est un lourd passif, dont le rappel ne devrait pas faciliter sa diffusion dans l'Hexagone... De toute façon, le gouvernement vient d'annoncer la mise en place imminente d'un tarif social pour l'internet haut débit. Quant aux politiciens en campagne, peut-être montreront-ils la Belgique en exemple : là-bas, l'assurance chômage contribue à financer les congés des jeunes actifs.

Vivre dans la mondialisation

21 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante l'attractivité économique de la France... et les réformes du gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.

Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale, pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale. « On peut produire une petite voiture en France », assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien accordé à La Tribune (08/07/2011). « Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone et 80 % de nos achats sont effectués en Europe occidentale. »

Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par des capitaux étrangers : « Avec 57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui comptent pour 57 % des emplois créés ».

Selon les rapporteurs, « la capacité à former des talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants « en mobilité internationale », derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en 2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement inférieure à celle du Royaume-Uni.

Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables. Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage, quoique la création d'une  entreprise y soit jugée plus facile qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la zone euro, la France afficherait même « une des meilleures maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs », l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception », avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans une situation inverse à celle de l'Irlande.

« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de la taxe professionnelle « sur les investissements productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche, « l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la compétitivité des entreprises », le succès du statut d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".

Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu. C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs le revendiquer : « La croissance de 22 % du nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois. « À l'approche des échéances électorales, propices aux contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait "démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait chacun de ses modèles d'un style « universel », Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du "village global" ne va pas sans flux et reflux.

Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ; enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait, aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme économique". 

Une crise chronique

7 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le vote du Parlement hellénique préserve une timide accalmie sur le front des marchés. Cela étant, bien que les banques semblent disposées à participer à l'opération, le "sauvetage" de la Grèce n'est toujours pas assuré.

Un soupir de soulagement a traversé l'Europe le mercredi 29 juin. En dépit des manifestations qui agitaient la Grèce, le Parlement hellénique a validé le programme de réformes et de privatisations négocié avec la Commission européenne, la BCE et le FMI. Ceux-ci en avaient fait un préalable au versement d'une nouvelle tranche de prêts de 12 milliards d'euros, sans lesquels Athènes n'aurait plus été en mesure d'honorer ses dettes dès cet été. Le vote a été emporté à la faveur de 155 voix contre 138. Le Premier ministre George Papandréou est donc parvenu à rassembler ses troupes, un seul élu socialiste s'étant refusé à rentrer dans le rang.

L'opposition veut plus de rigueur

Quant à l'opposition, elle est loin de faire écho à toutes les protestations de la rue. « Nous aurions voté en faveur de plusieurs mesures du plan du gouvernement si celui-ci n'avait pas imposé un vote unique », souligne le député Christos Staikouras. Son parti « estime que la situation réclame plus d'agressivité dans les coupes des dépenses courantes et dans la restructuration des entreprises nationalisées », résume notre confrère Massimo Prandi (Les Échos, 28/06/2011). Tandis qu'on peine à distinguer les voix proposant une véritable alternative, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, verse dans un relatif cynisme : « Quand on exécute le programme d'assainissement budgétaire année après année, on doit passer un mauvais moment mais la confiance finit par revenir », a-t-il déclaré.

Les Européens vont-ils se résoudre à restructurer la dette contractée par la Grèce ? On semble s'y préparer, bien que cette perspective demeure exclue par les gardiens de l'orthodoxie monétaire, tel Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France. « C'est une illusion dangereuse », a-t-il prévenu dans la lettre introductive de son rapport annuel. Selon lui, une réduction ou un rééchelonnement « entraînent toujours, au moins dans un premier temps, une réduction supplémentaire de la confiance et de moindres apports de capitaux, ce qui augmente l'effort nécessaire ». En filigrane, des rivalités institutionnelles confortent peut-être la prudence des banquiers centraux. La BCE ayant racheté des obligations grecques sur le marché secondaire, « une décote de ces actifs la rendrait extrêmement vulnérable, et très dépendante des États de la zone euro, qui devraient la recapitaliser », explique notre confrère Robert Jules (La Tribune, 13/06/2011).

Équilibristes

Cela étant, le spectre d'une "contagion" nourrit des inquiétudes légitimes. Pour l'heure, les responsables politiques s'essaient à un numéro d'équilibriste, afin d'impliquer les institutions privées dans le "sauvetage" de la Grèce sans déclencher un "événement de crédit". Des discussions fructueuses auraient été entamées à cet effet entre Bercy et les principaux créanciers français. Ceux-ci seraient disposés à réinvestir 70 % de la valeur des titres arrivant à échéance... à des conditions toutefois suffisamment avantageuses pour être jugées incitatives. Aux yeux de Standard & Poor's, le plan esquissé n'en constituerait pas moins un "défaut sélectif" (Athènes restructurant effectivement une partie, mais non la totalité, de sa dette obligataire). Dans le cas présent, il conviendrait toutefois de relativiser l'influence des agences de notation. « Ce n'est pas parce qu'une agence décrète un défaut que les détenteurs de titres enregistrent une perte », tempère notre consœur Isabelle Couet (Les Échos, 04/07/2011). « S&P laisse entendre que le classement en "défaut" ne serait que temporaire et reconnaît en filigrane que le plan de la [Fédération bancaire française] pourrait même améliorer la note de la Grèce a posteriori ». Dès lors, conclut-elle, « même la Banque centrale européenne (BCE) ne serait pas véritablement menacée ».

Défiance populaire

Reste le second front : celui de l'opinion. D'abord en Grèce : « Pour que le plan de sauvetage [...] ait la moindre chance de réussite, le gouvernement Papandréou devra par tous les moyens convaincre les électeurs que l'austérité est le prix à payer pour un avenir meilleur - et pas seulement pour satisfaire les exigences des créanciers étrangers », martèle Dani Rodrik, professeur à l'université de Harvard (La Tribune, 17/06/200). Mais aussi outre-Rhin, où l'on connaît la défiance de l'opinion publique à l'égard de la Grèce. Cela doit éclairer les propos de Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, tenus au magazine allemand Focus, où il annonce sans détour que « la souveraineté de la Grèce sera extrêmement restreinte ». Berlin doit compter également avec le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, devant lequel un "échange de vues" s'est tenu mardi dernier à propos des mesures de solidarité budgétaire européenne... La crise des dettes souveraines n'a pas fini de faire la une de l'actualité.

Le quinquennat part en quenouille

26 juin 2011

Chronique enregistrée pour RFR le vendredi 17 juin 2011.

À l'approche de l'élection présidentielle, c'était hélas prévisible, le quinquennat part en quenouille. Je sais que tous les royalistes ne sont pas sensibles aux nuances de la politique républicaine. Cela dit, il y encore quelques mois, avec un peu d'efforts, certes, on pouvait deviner un cap. En matière de politique extérieure et de défense, par exemple, le président de la République semblait décidé à rompre avec l'anti-américanisme de façade. Pourtant, en novembre dernier, il a nommé un néo-gaulliste à l'Hôtel de Brienne, avant de l'envoyer au Quai dOrsay.

C'est dans le domaine de la fiscalité que l'inconséquence apparaît tout particulièrement patente. Philippe Mabille l'a souligné dans La Tribune le mois dernier : « Le quinquennat a commencé sur la valeur travail, le bouclier fiscal et l'affirmation d'une fiscalité récompensant le mérite, l'effort et la réussite. » Dorénavant, la majorité envisage une taxation supplémentaire des hauts revenus, tandis que Xavier Bertrand propose d'encadrer des rémunérations jugées « extravagantes ». « Jamais la fiscalité française n'a connu, sous un même gouvernement qui plus est, une telle instabilité et un tel manque de cohérence stratégique », poursuit notre confrère.

Selon lui, « le projet de contribution sur les très hauts revenus [...] est perçu comme un très mauvais signal par tous les créateurs d'entreprise et tous les cadres supérieurs internationaux. Nous sommes là, on l'a déjà vu avec les artistes (Johnny n'est jamais revenu) et les joueurs de football, dans le cœur du réacteur de la mondialisation : que cela plaise ou non, il y a une "élite" française, très mobile, très réactive sur la question des impôts, qui est prête à préférer l'exil plutôt que d'accepter de se voir tondre par un pays que beaucoup considèrent comme foutu. Et voir même Nicolas Sarkozy, celui en qui ils avaient placé en 2007 tous leurs espoirs de rupture, céder, pour des raisons purement électoralistes, aux tentations démagogiques, pour ne pas dire "gauchistes" de l'opinion médiatique, les rend encore plus furieux... et inquiets, alors que la perspective d'un nouveau tour de vis fiscal se précise pour l'après-2012. » Fin de citation.

Le rétropédalage s'avère pire que l'immobilisme, en cela qu'il sape la crédibilité du politique et participe d'un climat d'instabilité peu propice à la croissance. La CGPME a identifié quarante priorités à présenter au gouvernement. Quelle est la première d'entre elles, aux yeux de son président Jean-François Roubaud ? « Ne pas changer en permanence les règles du jeu. » C'est la réponse qu'il a donnée aux Échos dans un entretien publié jeudi dernier. À tort ou ou à raison, la fiscalité française est jugée peu attractive par les chefs d'entreprise européens. La France arrive même en queue du classement réalisé par Ipsos pour la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. La confusion entretenue par le gouvernement ne contribuera pas à redorer cette image.

En revanche, peut-être cela fera-t-il évoluer celle du chef de l'État, passant du président "bling-bling" à celui du pouvoir d'achat. Cela nous ramène à cette mesure aberrante censée indexer une prime salariale sur l'évolution des dividendes versés aux actionnaires. En s'attaquant aux dividendes – à ne pas confondre avec les bénéfices ! – l'exécutif prend le risque de dissuader les entreprises d'actionner un levier propice à la fidélisation des actionnaires. Le capital étant rendu plus volatil, il se trouvera d'autant plus facilement livré aux spéculateurs. Des spéculateurs tout récemment érigés par Nicolas Sarkozy en ennemis jurés ! Bonjour la cohérence.

Mardi dernier, lors d'une conférence sur les matières premières, le président de la République a tacle un José Manuel Barroso jugé trop timoré. Le président de la Commission européenne a pourtant posé de bonnes questions. « Une meilleure régulation est sans aucun doute nécessaire », a-t-il déclaré. « Mais dans quelle mesure faut-il plus ou moins de régulation ? », s'est-il demandé. « Comment s'assurer que la régulation permette effectivement le bon fonctionnement des marchés, avec suffisamment de liquidités, la transparence nécessaire pour un mécanisme de formation des prix efficace, une allocation optimale des risques et, en bon français, un "level playing field" afin que les participants ne soient pas tentés d'aller vers des zones moins régulées du marché ? »

Peut-être faudrait-il songer à tirer quelque enseignements de la crise. Le président de la République flatte l'opinion en agitant la régulation à tout va. Encore faut-il l'appliquer à bon escient. On en mesure la perversité potentielle, par exemple, avec les mécanismes pro-cycliques à l'œuvre dans la crise des dettes souveraines. En effet, l'influence excessive des agences de notation résulte directement des règles édictées par les gouvernements. Reste qu'un consensus transpartisan semble le taire. Alors que le "politique d'abord" demeure d'actualité, son ignorance s'annonce comme un biais majeur des débats de la campagne présidentielle.

Rendez-vous sur le site de RFR pour découvrir les autres interventions :

http://www.radio-royaliste.fr/

Féminisme : surenchère à l'UMP

22 juin 2011

En route pour 2012, l'UMP se penche « sur la place des femmes dans la société ». Inspirées par une idéologie grotesque, ses propositions nourrissent une inquiétude grandissante, tant la folie semble gagner les élites politiques.

À l'approche des élections de 2012, l'UMP s'est fixé « un rendez-vous avec la modernité ». « Depuis 2007 », affirme-t-elle, « le gouvernement et les parlementaires de la majorité [...] ont été très actifs pour défendre et promouvoir l'égalité entre les sexes ». Sans doute cela n'aura-t-il pas suffi aux yeux de Jean-François Copé, chantre notoire de la parité, dont le parti verse délibérément dans la surenchère féministe.

En témoignent les vingt-six propositions présentées lundi dernier (20 juin 2011) « pour arriver enfin à l"égalité ». On y relève quelque écho au récent rapport de l'IGAS sur « sur l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités familiales dans le monde du travail ». En effet, selon l'UMP, « les femmes pourront pleinement investir le marché du travail quand notre vision de la parentalité aura évolué ». Autrement dit, « l'entreprise ne doit plus voir en ses salariés simplement des femmes et des hommes mais plutôt une majorité de mères et de pères [...], tous également susceptibles [...] de prendre un congé parental ».

On nous annonce une profusion de quotas. Afin, par exemple, d'« obliger les administrations à employer 40 % de cadres supérieurs de l'un ou de l'autre sexe d'ici 2015 ». L'UMP envisage même d'ériger la parité en obligation constitutionnelle ! Affichant la volonté de « changer inexorablement les mentalités », elle appelle, sans surprise, à lutter contre les « stéréotypes », accusés de « contrarier les talents et le potentiel de chacune et chacun ». Comme si les personnalités se construisaient sans référence à aucun repère social... Et de pointer les médias, coupables de mettre en scène « un monde binaire, voire archaïque » – rien de moins ! Faudra-t-il interdire d'antenne les femmes racontant leur grossesse avec enthousiasme ? Dans un premier temps, c'est la publicité qu'il conviendrait de mettre sous surveillance, avec « un examen systématique » des campagnes d'affichage.

La proposition la plus effarante vise à « introduire, dès la maternelle, des séances consacrées à la mixité et au respect hommes-femmes ». Avec, pour objectif explicite, « d'amener les enfants à se sentir autorisés à adopter des conduites non stéréotypées ». Autrement dit, à s'émanciper de leur identité sexuelle – de leur nature même ! On nage en plein délire.

L'IGAS veut mettre les pères au foyer

16 juin 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Un rapport officiel promeut l'égalité dans les ménages, avec, pour mesure phare, l'incitation des pères à profiter d'un "congé d'accueil de l'enfant".

En janvier dernier, Mme Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, avait confié à l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) une mission « sur l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités familiales dans le monde du travail ». Celle-ci vient de lui remettre son rapport, établi par Brigitte Grésy, qui avait signé, il y a deux ans, un « manuel de résistance » contre le « sexisme ordinaire », selon les termes de son éditeur. Cela plante le décor.

Mme Grésy observe que les hommes et les femmes « font l'objet, depuis l'enfance, d'assignations différentes en matière de rôles parentaux ». Lesquelles susciteraient, pour chaque sexe, « enfermement et résistances ». Et de citer les appellations "heure des mamans", "école maternelle", "assistantes maternelles", accusées d'assigner les femmes à la petite enfance. Or, prévient le rapporteur, « l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et, dans son sillage, l'égalité sociale, ne peut être atteinte tant qu'il y aura inégal partage des responsabilités domestiques et familiales ». Dans ces conditions, « un effort sans précédent » devrait être porté « sur tous les lieux de production et reproduction des stéréotypes sexués, que ce soit les lieux d'accueil collectifs de la petite enfance, l'école ou encore les médias ».

Mme Grésy se fait l'apôtre d'une double émancipation : « émancipation de la sphère privée pour les femmes », mais aussi « émancipation de la sphère publique pour les hommes ». En conséquence, elle formule vingt-cinq propositions, à commencer par la création d'un « congé d'accueil de l'enfant ». S'ajoutant au congé de maternité de douze semaines, il comprendrait huit semaines « à partager également entre les deux parents, non transférables, devant être pris à la suite du congé de maternité, avec un bonus d'une semaine, en cas de prise intégrale de son congé par le père, à prendre indifféremment entre les deux parents jusqu'au un an de l'enfant ». « Pour mieux associer les pères au déroulement de la grossesse de leur conjointe », il est proposé également « de leur ouvrir le droit de l'accompagner, lors des examens médicaux obligatoires ».

« Jouer sur les congés pour les pères est un élément central, en effet, de ce changement de paradigme » appelé par Mme Grésy. « Des études montrent ainsi que la prise de congés par les pères, à la naissance, dans les pays du Nord de l'Europe, a un impact fort, par la suite, sur la redéfinition et la redistribution des tâches domestiques et parentales. » Ce faisant, s'agit-il de répondre aux aspirations des femmes ? Bien qu'elle fustige « une injustice ménagère », Mme Grésy constate que celle-ci n'est pas « ressentie comme telle ». D'ailleurs, souligne-t-elle, le partage des tâches « souhaité dans le dire des femmes [...] est pourtant fragilisé par la toute-puissance de la compétence maternelle ». Et d'évoquer « la bataille autour de l'allaitement maternel et l'assignation, parfois abusive, faite aux jeunes mères de s'y conformer » qui « renforce ce lien d'exclusivité ». S'agit-il alors de répondre aux besoins des enfants ? Pas vraiment. « Les analyses sont, ici, délicates, non seulement parce qu'elles relèvent de champs variés des sciences humaines mais aussi parce que la valorisation du rôle du père auprès des enfants, aux côtés de la mère, risque de porter en elle une vision normative et ne saurait délégitimer d'autres formes d'éducation parentale. » Manifestement, ce rapport promeut l'instrumentalisation des mesures sociales en vue de remodeler les mœurs familiales suivant les canons d'une idéologie égalitariste. Le rapporteur pose « la question d'une immixtion peut-être trop importante de l'entreprise dans la vie privée des individus ». Sans doute devrait-il s'interroger sur celle des pouvoirs publics.

S'ils suivaient ses recommandations, ceux-ci parviendraient-ils au résultat escompté ? L'IGAS nous fournit quelques indices qui permettent d'en douter. La répartition du travail ménager serait caractérisée par « une remarquable stabilité en termes d'investissement temporel ». En outre, « dans les couples où les pères sont au foyer, les femmes qui occupent le rôle de pourvoyeuse de revenu n'abandonnent pas la responsabilité et la charge mentale relatives à la vie domestique et continuent en réalité de gérer une multiplicité de contraintes familiales et professionnelles [...] et les clivages traditionnels persistent ». Comme l'observe Mme Grésy, « l'entrée de la petite enfance dans la culture de la paternité est très récente à l'échelle de l'histoire et fait partie des bouleversements qui modifient les représentations les plus profondes ». Raison pour laquelle on préférera s'en remettre, plutôt qu'au volontarisme idéologique, à la sagesse de l'empirisme organisateur.

Savoir raison garder

16 juin 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le nucléaire pourrait s'inviter au cœur de la campagne présidentielle. Or, la politique énergétique suppose des arbitrages difficiles. D'autant qu'il faut compter avec l'émotion et le "principe de précaution".

La Suisse et l'Allemagne avaient ouvert la voie ; l'Italie les a suivies : à l'occasion d'un référendum organisé les 12 et 13 juin, elle a exclu de revenir au nucléaire civil, à la faveur de 94 % des voix. Ce résultat, typique d'une république soviétique, souligne combien les démocraties occidentales sont sensibles à l'émotion – sinon soumises à sa dictature.

Pas de moratoire

En France, la catastrophe de Fukushima a ravivé la défiance à l'égard de l'atome, quoique celle-ci demeure bien moindre que chez nos voisins. Pour Nicolas Sarkozy, c'est l'occasion de revêtir ses nouveaux habits d'homme d'État : « Nous sommes les héritiers d'une histoire qui ne nous appartient pas », a-t-il déclaré le mardi 7 juin. « Je n'ai pas été élu pour détruire une filière industrielle qui crée de l'emploi, de la compétitivité et de l'indépendance énergétique. Il est extrêmement important d'avoir du sang-froid en toute chose. » (Les Échos, 08/06/2011)

De fait, aucun moratoire ne devrait interrompre la construction de deux EPR dans l'Hexagone. Anne Lauvergeon, le P-DG d'Areva, affiche un optimisme mesuré : « les projets de réacteurs nucléaires en cours d'examen seront retardés de six à neuf mois environ », a-t-elle prévenu (BFM Business, 30/05/2011). À moyen terme, peut-être son groupe profitera-t-il d'exigences de sécurité renforcées de part le monde. Paris milite de longue date en ce sens. Il l'a confirmé le 7 juin, en accueillant, dans la foulée du G8 de Deauville, un séminaire ministériel sur la sûreté nucléaire, où trente-trois pays étaient représentés. On parle, notamment, de développer les revues périodiques par les pairs. Étant donné les difficultés rencontrées par les Européens pour s'accorder sur des "tests de résistance", peut-être ce projet réclamera-t-il quelque habileté diplomatique pour être mis en œuvre.

Modèle français

Dominique Louis, président du directoire d'Assystem France, soutient que l'industrie « doit s'appuyer sur une autorité de sûreté nucléaire très forte, sur le modèle français ou américain, ainsi que sur un nombre limité d'opérateurs nucléaires pérennes et transparents » (Les Échos, 24/05/2011). Il établit une comparaison saisissante : «  En France, les cinquante-huit réacteurs sont opérés par un seul exploitant – EDF – autour de procédures de sécurité communes et partagées par l'ensemble des centrales. Un incident sur un réacteur fera l'objet d'une procédure de sécurité sur l'ensemble des autres réacteurs du même type. Le Japon, pour cinquante-quatre réacteurs, dénombre pas moins de onze exploitants, disposant chacun de ses propres procédures. [...] Par ailleurs, les récentes annonces de Tepco nous permettent de sérieusement douter de la solidité capitalistique, de la gouvernance et de la pérennité industrielle des opérateurs nucléaires japonais. Ces difficultés structurelles se reflètent dans la disponibilité du parc nucléaire japonais. Depuis 1998, elle a constamment chuté jusqu'à atteindre en 2009 moins de 60 % du potentiel de production, à comparer à une disponibilité supérieure à 75 % en France et 80 % aux États-Unis ou en Allemagne. »

Avant d'être submergée par un raz-de-marée, la centrale de Fukushima-Daiichi a résisté à un séisme d'une magnitude exceptionnelle. Cela ne manquera pas de nourrir la confiance des plus optimistes. Mais nul ne peut assurer avec une absolue certitude qu'aucune catastrophe nucléaire ne surviendra jamais en France. Reste à en évaluer le risque et les conséquences potentielles, puis à les mettre en perspective. Berlin aurait abandonné l'atome en marge de toute concertation européenne. Quoique sa décision soit vraisemblablement dictée par un calcul électoral, cette désinvolture peut sembler significative d'une matière où les arbitrages apparaissent authentiquement politiques.

Le social s'en mêle

L'expertise et la technocratie ne sauraient suffire quand sont en jeu, tout à la fois, l'indépendance du pays, la santé de ses habitants, la compétitivité de son économie. Aux méfaits potentiels des radiations, il convient de confronter les conséquences avérées de la pollution atmosphérique ; au risque de mettre en friche un territoire sinistré, on opposera la crainte de fragiliser l'emploi... « Depuis le début du débat sur la sortie rapide du nucléaire, le prix du kilowatt-heure à la bourse de l'électricité a augmenté de 10 % et celui des certificats d'émissions de CO2 de 2 euros la tonne », souligne Utz Tillmann, directeur de la fédération allemande de la chimie (Les Échos, 31/05/2011). « Notre industrie ne peut répercuter ces hausses sur ses produits », a-t-il prévenu. « À terme, si notre politique d'innovation ne peut déboucher sur la mise sur le marché de produits à des prix concurrentiels, l'industrie devra se poser la question de rester ou non sur le sol allemand. »

Reste que le nucléaire suscite un effroi tout particulier.  Parce qu'il touche à l'intimité de la matière, que ses méfaits s'enracinent durablement dans l'environnement, qu'il suscite un danger invisible... Agitant à tout va le principe de précaution, la société feint de croire qu'elle va bannir le risque. Tout au plus le rendra-t-elle plus diffus. Quitte à restreindre les marges de manœuvre du politique.

Remontrances européennes

3 juin 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Tous les mois, une pluie de remontrances en provenance de Bruxelles s'abat sur les États membres de l'UE. Parmi les communiqués diffusés le 19 mai par la Commission européenne, six concernaient la France.

Ainsi Paris est-il suspecté de ne pas avoir transposé une directive portant sur la gestion des déchets. Ou de mettre en œuvre des projets d'infrastructures sans procéder aux évaluations nécessaires portant sur la sécurité routière. Il négligerait par ailleurs la qualité de l'air, alors que le taux de particules en suspension dépasserait les valeurs limites dans seize zones du territoire national. Bruxelles pointe également les cagoules des sapeurs-pompiers, pour lesquelles Paris exige des conditions de sécurité étrangères aux dispositions communautaire – au risque d'« entraîner une distorsion sur le marché intérieur ». En outre, il est reproché à la France de restreindre l'accès à son marché du lait de brebis, du lait de chèvre et de leurs produits dérivés, et d'invoquer à cet effet un prétexte fallacieux, la crainte de la tremblante (l'équivalent, chez les ovins et les caprins, de la "maladie de la vache folle") étant jugée déplacée.

Fiscalité et "libre circulation"

La fiscalité n'est pas en reste. Elle se heurte, à nouveau, au principe de "libre circulation", dont on sait que l'acception européenne est très large. En cause : le code général des impôts, affectant d'une retenue à la source les dividendes versés à l'étranger. « Du fait de cette discrimination, les fonds de pension et d'investissement établis dans d'autres pays de l'UE [...] sont désavantagés par rapport à leurs contreparties établies en France, et les clients français risquent donc de bénéficier d'un choix de fonds de pension et d'investissement moins important », soutient la Commission. L'année dernière, la France aurait introduit de nouvelles dispositions en vertu desquelles les revenus d'actions distribués aux organismes sans but lucratif (y compris les fonds de pension), qu'ils soient ou non établis en France, seraient imposés au taux forfaitaire de 15 %. Toutefois, relève Bruxelles, « il semble qu'en l'absence de modalités d'exécution administratives plus détaillées, ces changements n'aient pas été appliqués dans la pratique ».

Enfin, la profession de notaire pourra désormais être exercée par des ressortissants étrangers. Ainsi en a décidé la Cour de Justice de l'Union européenne le 24 mai, au motif que cette activité ne relève pas, selon son interprétation, de « l'exercice de l'autorité publique ». Le cas échéant, l'Union européenne consent tout de même à s'accommoder de quelque préférence nationale.