Entre diplomatie et défense

18 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Quelques nouvelles sur le SEAE et la défense européenne.

Les quolibets cesseraient-ils de pleuvoir ? Le Gymnich de Cordoue (réunion informelle des ministres des Affaires étrangères), les 5 et 6 mars, a donné lieu à quelques signes de soutien à Mme Catherine Ashton, Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Auparavant, celle-ci avait rencontré à Paris Hervé Morin – lequel avait raillé publiquement son absence à la réunion informelle des ministres de la Défense... Sans doute l'heure n'est-elle plus à l'échange de phrases assassines, tandis que s'intensifient vraisemblablement les négociations censées définir l'architecture du Service européen pour l'Action extérieure (SEAE).

Diplomatie féministe

Un projet doit être présenté par Mme Ashton d'ici la fin du mois d'avril. S'exprimant devant le Parlement européen le mercredi 10 mars, le Haut Représentant a prétendu se distinguer des sceptiques et autres réfractaires qui « préfèrent minimiser les pertes apparentes plutôt que de maximiser les gains collectifs ». La Britannique a annoncé, par ailleurs, que le SEAE serait représentatif de l'Union quant à la géographie et... l'égalité des sexes. « C'est la seule façon acceptable de procéder », a-t-elle même affirmé.

Le 4 mars, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, et son homologue suédois, Carl Bildt, avaient publié « une lettre ouverte exprimant leurs inquiétudes face à certaines querelles interinstitutionnelles évidentes », selon le résumé d'Euractiv (08/03/2010). Bien que le traité de Lisbonne ait été signé le 13 décembre 2007, on ignore encore quelles responsabilités seront retirées à la Commission.  Les deux ministres estiment « qu'une nouvelle culture pourrait être l'aspect le plus difficile à développer pour le SEAE ». Un enjeu souligné par notre confrère Nicolas Gros-Verheyde : « Entre civils et militaires, entre fonctionnaires de la Commission – soumis à une forte hiérarchie et davantage orientés vers la gestion de programme – et ceux du Conseil –  plus petite organisation, habituée à une hiérarchie courte et plus politique, sans compter les diplomates nationaux, il y a aussi un abîme et des cultures fort différentes qu'il va falloir marier, avec harmonie. » (Bruxelles 2, 05/03/2010)

Flotte aérienne militaire

Pour seconder le Haut Représentant, la France aurait présenté au poste de secrétaire général la candidature de Pierre Vimont, actuel ambassadeur à Washington, ancien directeur de cabinet de Michel Barnier puis de Philippe Douste-Blazy lors de leur passage au quai d'Orsay.

Signalons enfin la création imminente d'un commandement européen du transport aérien (EATC pour European Airlift Transport Command) entre la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Selon les explications du ministère de la Défense, « il aura pour mission de coordonner l'emploi des avions de transport militaires des quatre nations membres, afin d'harmoniser leur planification. Cette organisation permettra d'optimiser la rationalisation des coûts pour l'acheminement du personnel et du fret par voie aérienne militaire. [...] Lorsqu'une des nations membres dispose d'une capacité de transport disponible, elle la propose aux autres nations. À l'inverse, si elle est confrontée à un besoin urgent, elle peut solliciter les moyens des partenaires. » C'est un pas significatif vers la mutualisation des moyens militaires, dont la crise rend la tentation d'autant plus pressante.

La défense européenne entre utopie et réalisme

18 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que le Royaume-Uni envisage une coopération accrue avec ses partenaires de l'UE, le ministre allemand des Affaires étrangères veut mettre sur pied une « armée européenne ». La France, quant à elle, doit ratifier un traité portant création de la Force de gendarmerie européenne.

L'Otan figure en tête des menaces extérieures identifiées par la nouvelle doctrine de défense russe, approuvée le 5 février par le président Medvedev. Moscou s'inquiète, entres autres, d'un élargissement potentiel de l'Alliance à la Géorgie et l'Ukraine. Une perspective à laquelle la France s'est opposée jusqu'à maintenant. Ce veto ne fut pas étranger à l'accueil bienveillant que la presse russe réserva à son retour dans le commandement militaire intégré de l'Otan sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy (Courrier International, 13/03/2009).

Albion croit en l'Europe de la défense

Justifiant sa politique atlantiste, le président de la République avait déclaré, le 11 mars 2009 : « En mettant fin à une ambiguïté [...], nous créons la confiance nécessaire pour développer une défense européenne forte et autonome. » Ses arguments auraient-ils convaincu outre-Manche ? « Le retour de la France [...] offre l'occasion d'une coopération accrue avec un partenaire clef », peut-on lire dans le "livre vert" britannique publié le 3 février. « L'Otan demeure la pierre angulaire de notre sécurité », rappellent ses auteurs. Cependant, « le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence si nous et nos partenaires européens parlons et agissons de concert ». Et d'affirmer que « lors des opérations de stabilisation en Bosnie et en Afrique, lors des opérations antipiraterie au large de la Somalie [...], l'UE a démontré qu'elle peut jouer un rôle important dans la promotion de notre sécurité ». Eurosceptique, Albion ?

Plus radical, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, voudrait édifier une « armée européenne » placée « sous plein contrôle parlementaire ». C'est « l'objectif à long terme », a-t-il affirmé le 6 février lors de la conférence de Munich sur la sécurité. Objectif à nos yeux irréaliste, dont la poursuite pourrait néanmoins mobiliser réflexions et moyens. À la lumière des faits, en tout cas,  ce rêve – ou ce cauchemar ! – apparaît bien lointain.

Inutiles, les GT 1500 ?

La création d'un quartier général européen, promue par la France, suscite toujours des réticences. Or, « le dispositif actuel tient du bricolage » selon notre confrère Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 14/02/2010). « Le dispositif des QG excentrés à Potsdam (pour le Congo), à Paris (pour le Tchad), à Londres (pour Eunavfor) ne montre pas sa pleine efficacité. Ce sans compter la difficulté qui existe à pourvoir les postes – les forces nationales ne s'empressant pas toujours de pourvoir les postes d'état-major d'autant plus quand l'opération dure... »

Soulignons également l'immobilisme d'un embryon d'armée européenne formé par les groupements tactiques. Forts d'environ 1 500 hommes, ils sont censés fournir à l'Europe une capacité de réaction rapide. Pleinement opérationnels depuis le 1er janvier 2007, ils n'ont jamais été utilisés, bien que des États membres se succèdent tous les six mois pour  assurer la disponibilité permanente de deux battlegroups. « Jusqu'à présent, au moins deux situations ont répondu à tous les critères de déploiement des groupements tactiques », au Tchad et en République démocratique du Congo, selon l'analyse de Caroline Henrion publiée le 18 janvier sous l'égide du GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité). « Ces exemples montrent que non seulement les Européens ne s'accordent pas sur les situations dans lesquelles il faut intervenir, mais hésitent également à envoyer des troupes sur le terrain. » Pourquoi s'en étonner ? Obtenir le consensus des vingt-six États participant à la Politique de sécurité et de défense commune n'est pas une sinécure ! (Vingt-six, et non vingt-sept, car le Danemark fait l'objet d'une dérogation.)

Six États dans la FGE

La Force de gendarmerie européenne (FGE), quant à elle, regroupait seulement cinq États à l'origine : la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal, rejoints depuis par la Roumanie. Selon le gouvernement, sa création répondait à la nécessité « de combler le vide opérationnel [...] entre le moment où les forces armées entrent sur le théâtre des opérations et le moment où les forces de police parviennent à y remplir normalement leurs fonctions ». La FGE comporte un état-major permanent implanté à Vicence, en Italie, où la France est représentée par six officiers. Chaque opération donne lieu à une "génération de force", sur la base d'un catalogue recensant des capacités déclarées par les États. Opérationnelle depuis 2006, la FGE est engagée depuis 2007 en Bosnie-Herzégovine, où elle arme une partie de l'Unité de police intégrée de l'opération européenne Eufor Althéa. Depuis décembre 2009, elle contribue également à la formation de la police afghane au sein de la mission de l'Otan, où la France a engagé 132 gendarmes.

En marge de l'UE

Son fonctionnement repose actuellement sur une "déclaration d'intention". Le 18 octobre 2007, les États fondateurs ont signé un traité confortant son existence. Afin d'autoriser sa ratification, un projet de loi a été enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 3 février. Fallait-il passer par ces lourdeurs juridiques ? Le gouvernement se justifie dans son "étude d'impact" : « Par rapport à la déclaration d'intention du 17 septembre 2004 et aux textes qui la complètent, le traité [...] permet de clarifier un certain nombre de points relatifs aux droits et obligations des personnels de la force ainsi qu'au droit applicable dans le cadre d'opérations extérieures : conditions d'entrée et de séjour sur le territoire de l'État hôte (État sur lequel se trouve le quartier général permanent : Italie) ; privilèges et immunités ; juridiction pénale et disciplinaire ; dommages ; assistance médicale ; aspects juridiques et médicaux en cas de décès. »

« Comme le suggèrent l'intitulé même de la force et son insigne bleu, la FGE est un projet européen », martèle le gouvernement, qui tient à saluer « une étape importante de la construction de l'Europe de la défense ». La FGE n'en reste pas moins une force autonome : peut-être s'agit-il d'une « avancée concrète en matière de gestion de crise », mais, le cas échéant, ces progrès auront été accomplis en marge de l'UE.

Féminiser l'Otan

4 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Madrid nous avait prévenus : l'égalité hommes-femmes figure parmi les priorités de son semestre européen.

Intervenant devant une commission du Parlement européen, le ministre espagnol de l'Égalité, Mme Bibiana Aído, a exprimé, selon le communiqué de l'assemblée, la volonté « d'encourager le partage des tâches entre les femmes et les hommes ». Par ailleurs, au cours d'une conférence organisée à Bruxelles par la Commission européenne et l'Otan sur « les femmes, la paix et la sécurité », le premier vice-président du gouvernement espagnol, Mme María Teresa Fernández de la Vega « a défendu l'idée de recourir à des quotas afin de parvenir à ce que les femmes participent à tous les niveaux, civil et militaire, aux processus de paix et au règlement des conflits ». Et de demander « instamment aux organisations internationales de prendre des "engagements contraignants" » à cet effet.

Le secrétaire général de l'Otan, le Danois Anders Fogh Rasmussen, aurait certes « appuyé la suggestion de fixer des "objectifs" pour la participation de la femme [sic] à tous les niveaux », rapporte la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne. Il aurait « cependant considéré que le fait d'imposer un quota à l'Otan "ne serait pas réaliste" étant donné "les différentes traditions nationales qui s'y trouvent" ». Remarque de bon sens, au demeurant bien timorée. Faut-il rappeler que l'Organisation du traité de l'Atlantique nord est une structure à vocation militaire ? Avec cela, la stabilisation de l'Afghanistan semble en bonne voie...

Le rendez-vous "féministe" suivant était fixé au mercredi 3 février, date à laquelle devait se tenir à Cadix une « réunion informelle des femmes ministres en exercice » de l'UE. Madrid nous a annoncé qu'une "déclaration politique" serait adoptée lors de ce sommet. Faut-il s'attendre à de nouvelles surprises ?

Ministre fédéraliste

24 septembre 2009

Hervé Morin affiche sans complexe ses convictions fédéralistes.

Quelques passages nous ont interpellé dans l'intervention prononcée ce jeudi matin par le ministre de la Défense, Hervé Morin, dans l'amphithéâtre Foch de l'École militaire : « Je vais en choquer certains », a-t-il averti, mais « j'espère qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ». Dans cette perspective, "l'Europe de la défense" n'apparaît « pas seulement comme une construction technique », mais comme « un instrument d'une construction politique ».

Le ministre mesure-t-il les conséquences de son ambition ? Apparemment : « Nous acceptons l'idée d'avoir des dépendances mutuelles » en matière d'armement, a-t-il affirmé sans ambiguïté ; car « nous ne pourrons pas construire l'Europe de la défense en maintenant l'ensemble des savoir-faire en France. »

Serait-il possible, alors, de les conserver sans la construire ?

Ce discours s'inscrivait dans une série d'interventions consacrées aux « nécessaires progrès de l'Europe de la défense », prononcées à l'invitation de la a fondation Robert Schuman. Nous reviendrons sur cette journée, où nous avons salué le très sympathique Jean Dominique Merchet. 🙂

Mégalo ?

17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

Serge July déverse sa bile contre le Rafale et l'orgueil national. Un procès injuste.

« L'histoire du Rafale [...] est un scandale d'État », proclame Serge July, qui prétend déverser sa bile sur un gouffre financier. « Coût de ce programme pour le contribuable : à peu près 40 milliards d'euros. À titre de comparaison, l'impôt sur le revenu a rapporté, en 2007, 54 milliards. » (RTL, 08/09/2009) Un avion de combat, cela coûte cher, très cher. Sans doute un tel investissement apparaît-il inacceptable aux yeux d'un vieux soixante-huitard...

À titre de comparaison, nous rappellerons surtout qu'un Eurofighter a coûté 50 % de plus qu'un Rafale aux contribuables allemands, britanniques, espagnols, italiens. « Le choix de jouer en franco-français [...] apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires », observe Jean-Dominique Merchet (Défense européenne, la grande illusion, éd. Larousse).

Les faits sont têtus. M. July s'obstine pourtant à les ignorer, obnubilé par son entreprise de dénigrement national : « Il faut espérer que Nicolas Sarkozy, en soldant le Rafale [aux Brésiliens], a aussi soldé, par la même occasion, la mégalomanie française en la matière. » Nous l'avons vu, l'exemple est mal choisi pour stigmatiser une surestimation de nos capacités. Cela dit, l'arrogance française n'est pas un mythe : « Entre l'excès de prétention et l'excès de sous-estimation de soi, nous sommes passés par des extrêmes qui nous handicapent », déplore Hubert Védrine (Rapport sur la France et la mondialisation). « Il est temps de trouver notre équilibre. » Le "partenariat stratégique" mis en œuvre avec le Brésil pourrait nous y aider.

Une défense européiste

30 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

L'idéologie prend parfois la défense en otage. Les déboires de l'Airbus A400M, développé sous la bannière de la coopération européenne, illustrent un phénomène dénoncé par le journaliste Jean-Dominique Merchet.

Réunis au Castellet le vendredi 24 juillet, les sept pays partenaires du programme A400M (1) se sont donné six mois pour renégocier le contrat les liant au groupe EADS. Celui-ci avait annoncé le 9 janvier que les premiers avions ne seraient pas livrés avant fin 2012, avec un retard de trois ans au moins. L'industriel reconnaît sa difficulté, voire son incapacité, à satisfaire à toutes les exigences du cahier des charges.

Polyvalence

Ces déboires inquiètent l'armée, confrontée au vieillissement de ses appareils de transport, anticipé de longue date : la formalisation du besoin à l'origine du projet A400M remontre à 1984. Cinquante avions ont été commandés par la France. Sans eux, selon les sénateurs Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret (2), « la capacité de projection tactique à 1 000 km en cinq jours, actuellement de l'ordre de 5 000 tonnes (soit 1 500 militaires avec leur équipement et leur autonomie) passerait, en 2012, à moins de 3 000 tonnes, voire 2 500 tonnes ». Il faudra supporter le coût des solutions palliatives (remise à niveau d'avions en fin de vie, achats ou locations), et les conséquences d'un moindre entraînement des équipages.

Enfin aux commandes de l'A400M, ceux-ci bénéficieront d'un appareil à la polyvalence inédite : son rayon d'action, sa capacité d'emport et sa vitesse conviendront aux missions stratégiques ; susceptible d'opérer sur terrain meuble, à basse altitude et faible vitesse, il répondra également aux exigences tactiques ; il pourra aussi participer à des ravitaillements en vol. Embarquant une technologie de pointe, il exploitera le « plus puissant turbopropulseur développé en Occident », selon l'expression de Noël Forgeard. L'avion cumule les ruptures technologiques. Pourtant, Airbus Military s'était engagé à le développer « à un prix très bas, dans des délais très courts, et sans programme d'évaluation des risques ». L'industriel a sous-estimé l'ampleur du défi ; aux yeux des parlementaires, sa première erreur fut « de penser qu'un avion de transport militaire tactique équivalait à un avion de transport civil "peint en vert", bref qu'il s'agissait de construire un Airbus comme les autres et que les compétences acquises en matière de certification civile seraient un atout substantiel », voire suffisant.

Une gouvernance inefficace

EADS a pâtit, en outre, d'une mauvaise organisation de ses filiales, conduisant à « une mobilisation insuffisante des forces vives d'Airbus ». En effet, « AMSL était placée dans une situation intenable vis-à-vis d'Airbus : en tant que filiale, elle devait exécuter ses ordres ; en tant que responsable industriel du programme, elle devait pouvoir mobiliser les unités de production de la société mère. » Cela dit, Louis Gallois nuance l'échec de son groupe, d'autant que les retards sont monnaie courante dans l'industrie d'armement : « On ne connaît pas de programme de ce type livré en moins de douze ans. [...] Si nous livrions l'avion dans une amplitude de dix ans, nous serions encore la référence dans ce domaine. » (3)

Divergences

Réunis dans l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar), les États impliqués ont entrepris une collaboration délicate, sinon hasardeuse. Ils avaient opté pour une approche commerciale, consistant, selon l'explication des sénateurs, « à délivrer, au terme d'une phase unique pour le développement et la production, un nombre fixe d'avions – 180 – à un prix indexé, mais ferme : 20 milliards d'euros aux conditions économiques initiales ». Mais les priorités divergeaient : le Royaume-Uni voulait acquérir des appareils au plus vite ; l'Allemagne surveillait le budget avec un calendrier élastique ; l'Espagne espérait surtout développer son industrie aéronautique ; quant à la France, elle souhaitait répondre à un besoin opérationnel, mais aussi « faire avancer l'Europe de la défense ». Au total, estiment les parlementaires, ces stratégies différentes « ont conduit à prolonger les négociations plus que de mesure », ainsi qu'à imposer des conditions contractuelles difficiles... En l'absence d'un État pilote, « le dialogue indispensable entre l'industriel et le donneur d'ordres a fait défaut », poursuivent-ils. « En outre, le principe du juste retour a été appliqué strictement, aussi bien pour le moteur que pour l'avion. » « Enfin, la faible capacité de l'Occar à prendre des décisions [...], le manque de dialogue entre EADS et les sous-traitants, ainsi que les problèmes d'organisation du consortium des motoristes ont conduit à retarder l'identification des problèmes et donc leur résolution. »

Une exception, l'A400M ? « Bien au contraire », proclame Jean-Dominique Merchet dans son dernier livre (4). L'animateur du blog Secret Défense, collaborateur de Libération et conférencier occasionnel de la NAR, rapporte que « l'autre programme phare de la coopération européenne, l'hélicoptère NH90, souffre des mêmes maux ». L'industrie d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de partenaires [...], mieux c'est » ; idée dont le seul mérite serait d'être européenne.

Réussite en solo

À l'opposé, l'auteur souligne la réussite du Rafale : « Très critiqué, le choix de jouer en franco-français apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins militaires. » Et de citer la Suède en exemple, qui produit des avions militaires et réussit même à en exporter : « Ce que la petite Suède sait faire, et plutôt bien, il n'y avait aucune raison que la France – six fois plus grande – ne puisse le réussir, n'en déplaise aux idéologues qui estiment, une fois pour toutes, que la France est trop petite. »

Fustigeant la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), Jean-Dominique Merchet juge lamentables les multiples déclarations d'intention jamais suivies d'effet. On  attribue certes quelques réalisations concrètes à la PESD, mais dont la dimension "européenne" serait souvent usurpée, comme en Bosnie : « En décembre 2004, l'opération militaire Althéa prend la suite de l'Otan. Pour plus d'efficacité, l'UE le fait néanmoins avec les moyens et capacités de commandement de l'Otan, dans le cadre des accords dits de "Berlin Plus". » Première mission navale entreprise sous l'égide de l'Union, l'opération Atalanta lutte avec succès contre la piraterie au large de la Somalie. Mais « "on ne déploie pas de bateaux exprès pour cette mission", explique-t-on à l'état-major de la Marine rue Royale. "On a deux bateaux qui auraient été là-bas de toute façon dans le cadre de notre présence dans l'océan Indien." »

L'UE et les tâches ménagères

Autant d'exemples illustrant « la grande illusion de la défense européenne ». Avec un mépris teinté d'humour, Jean-Dominique Merchet observe que l'Europe « est conçue pour les temps ordinaires », ce qui s'avère à certains égards « bel et bon » : « Comme le disait l'inoubliable Paul Volfoni des Tontons flingueurs, "les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse". » Mais là où il est question « de vie et de mort », on entre dans une cour où « l'Europe ne joue pas et n'est pas prête de le faire ».

Ce petit livre, clair et concis, est un vrai réquisitoire. Pour l'étayer, l'auteur convoque Carl Schmitt et Joseph de Maistre. Ses arguments suffiraient-ils à prononcer la condamnation de l'UE ? Pas forcément, car la PESD apparaît bien marginale au sein de l'Union, dont l'ossature demeure le marché unique. Et si la défense témoigne des méfaits de l'idéologie européiste, celle-ci n'est pas le seul moteur de la construction européenne, où interviennent également des calculs d'intérêts. Cela dit, Jean-Dominique Merchet confesse volontiers un euroscepticisme plus prononcé que celui d'un Védrine, par exemple. Quant au souverainisme, « c'est un mot qui ne me fait pas peur » nous a-t-il confié, tout en se définissant plutôt comme un « gaulliste du 18 juin ».

(1) Les États engagés dans le programme A400M sont les suivants : Allemagne (60 avions), France (50), Espagne (27), Grande-Bretagne (25), Turquie (10), Belgique (7) et Luxembourg (1). L'Afrique du Sud a commandé huit appareils et la Malaisie quatre.

(2) Jacques Gautier & Jean-Pierre Masseret : Rapport d'information sur les conditions financières et industrielles de mise en œuvre du programme A400M. Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 2009, 97 pages, disponible en téléchargement gratuit sur le site Internet du Sénat.

(3) Cité par Nicolas Gros-Verheyde : « Louis Gallois s'explique ». Europolitique, n° 3722, 26 mars 2009. Cf http://bruxelles2.over-blog.com/

(4) Jean-Dominique Merchet : Défense européenne, la grande illusion. Larousse, coll. "À dire vrai", 126 pages, 9,90 euros. Deux extraits sont en ligne sur le blog de l'auteur : http://secretdefense.blogs.liberation.fr/

L'armée réclame un roi

2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000

La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser faire par des républicains... Commentaire d'un discours prononcé par le chef d'état-major des armées.

À l'approche du soixantième anniversaire de la signature du traité de l'Atlantique Nord, un colloque sur « la France, la défense européenne et l'OTAN au XXIe siècle » s'est tenu le 11 mars sous l'égide de la Fondation pour la Recherche stratégique (www.frstrategie.org). Parmi les intervenants : le général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées (CEMA).

Évidemment, on ne relève dans son discours aucune réserve quant à la politique du président de la République, qui exposa en fin de journée ses arguments en faveur du retour de la France dans le commandement militaire intégré de lOTAN : « Mon expérience présente [...] me montre que notre appareil militaire n'est en rien affaibli ou affecté par nos engagements dans le cadre de cette organisation », affirme le CEMA. Incidemment, il renvoie à quelques vérités que la démocratie feint d'ignorer.

En dépit d'un « sentiment d'insularité stratégique », consécutif à « l'absence de menace immédiate à nos frontières et [à] l'effacement apparent du spectre de la guerre interétatique », le général observe que « l'horizon d'un soldat reste [...] dominé par la prise de risque et l'hypothèse du sacrifice ultime ». Un sacrifice difficile à justifier sans invoquer « le lien consubstantiel qui unit le militaire à sa nation ». Or, à l'heure ou la plupart des engagements interviennent « au profit d'une entité internationale ou d'une alliance militaire », le CEMA se trouve confronté à un défi : dans ces conditions, comment faire comprendre à ses hommes le sens de leur action ?

Affirmation de puissances

Le général souligne également le poids des nations – ou plutôt des États – sur la scène internationale : « Un projet collectif, singulièrement lorsqu'il implique des questions de défense, ne vaut que par l'engagement des nations. » Lesquelles se rassemblent sur des « valeurs », mais aussi des « intérêts ». S'il salue « le succès du formidable pari européen », le CEMA est loin de proclamer la fin de l'histoire. Il lance même un avertissement : « Notre environnement international demeure fragile. L'affirmation ou la réaffirmation de puissances [...] ; l'augmentation des dépenses militaires, partout, sauf en Europe ; et l'apparition de menaces plus diffuses susceptibles d'affecter nos sociétés devraient nous inciter à la plus grande vigilance. »

Décision suprême

Aussi la France doit-elle faire entendre sa voix. « Dans mes fonctions de chef d'état-major des armées, j'observe que l'expression de cette souveraineté se traduit par l'autonomie de décision qui est celle du président de la République. » La souveraineté incombe en effet à celui qui assume la responsabilité de la décision suprême. Implicitement, le général  Georgelin acquiescerait presque aux propos de Maurras. Relisons Mes Idées politiques : « Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale. [...] Quand on la proclame, cela veut dire qu'il n'y a plus de souverain réel. [...] Le grand honneur de reconnaître et d'expier doit être réservé au type de gouvernement où la souveraineté est concentrée dans l'âme unique et dans la personne vive d'un homme. » L'armée réclame un roi !