18 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Quelques nouvelles sur le SEAE et la défense européenne.
Les quolibets cesseraient-ils de pleuvoir ? Le
Gymnich de Cordoue (réunion informelle des ministres des Affaires
étrangères), les 5 et 6 mars, a donné lieu à quelques signes
de soutien à Mme Catherine Ashton, Haut Représentant de
l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de
sécurité. Auparavant, celle-ci avait rencontré à Paris Hervé Morin –
lequel avait raillé publiquement son absence à la réunion informelle
des ministres de la Défense... Sans doute l'heure n'est-elle plus à
l'échange de phrases assassines, tandis que s'intensifient
vraisemblablement les négociations censées définir l'architecture du
Service européen pour l'Action extérieure (SEAE).
Diplomatie féministe
Un projet doit être présenté par Mme Ashton d'ici la
fin du mois d'avril. S'exprimant devant le Parlement européen le
mercredi 10 mars, le Haut Représentant a prétendu se
distinguer des sceptiques et autres réfractaires qui
« préfèrent minimiser les pertes apparentes plutôt que de
maximiser les gains collectifs ». La Britannique a annoncé,
par ailleurs, que le SEAE serait représentatif de l'Union quant à la
géographie et... l'égalité des sexes. « C'est la seule façon
acceptable de procéder », a-t-elle même affirmé.
Le 4 mars, le ministre britannique des Affaires
étrangères, David Miliband, et son homologue suédois, Carl Bildt,
avaient publié « une lettre ouverte exprimant leurs
inquiétudes face à certaines querelles interinstitutionnelles
évidentes », selon le résumé d'Euractiv (08/03/2010).
Bien que le traité de Lisbonne ait été signé le 13 décembre
2007, on ignore encore quelles responsabilités seront retirées à la
Commission. Les deux ministres estiment « qu'une
nouvelle culture pourrait être l'aspect le plus difficile à développer
pour le SEAE ». Un enjeu souligné par notre confrère Nicolas
Gros-Verheyde : « Entre civils et militaires, entre
fonctionnaires de la Commission – soumis à une forte hiérarchie et
davantage orientés vers la gestion de programme – et ceux du Conseil
– plus petite organisation, habituée à une hiérarchie courte
et plus politique, sans compter les diplomates nationaux, il y a aussi
un abîme et des cultures fort différentes qu'il va falloir marier, avec
harmonie. » (Bruxelles 2,
05/03/2010)
Flotte aérienne militaire
Pour seconder le Haut Représentant, la France aurait présenté
au poste de secrétaire général la candidature de Pierre Vimont, actuel
ambassadeur à Washington, ancien directeur de cabinet de Michel Barnier
puis de Philippe Douste-Blazy lors de leur passage au quai d'Orsay.
Signalons enfin la création imminente d'un commandement
européen du transport aérien (EATC pour European Airlift Transport
Command) entre la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas.
Selon les explications du ministère de la Défense, « il aura
pour mission de coordonner l'emploi des avions de transport militaires
des quatre nations membres, afin d'harmoniser leur planification. Cette
organisation permettra d'optimiser la rationalisation des coûts pour
l'acheminement du personnel et du fret par voie aérienne militaire.
[...] Lorsqu'une des nations membres dispose d'une capacité de
transport disponible, elle la propose aux autres nations. À l'inverse,
si elle est confrontée à un besoin urgent, elle peut solliciter les
moyens des partenaires. » C'est un pas significatif vers la
mutualisation des moyens militaires, dont la crise rend la tentation
d'autant plus pressante.
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18 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Tandis que le Royaume-Uni envisage une coopération accrue avec
ses partenaires de l'UE, le ministre allemand des Affaires étrangères
veut mettre sur pied une « armée européenne ». La
France, quant à elle, doit ratifier un traité portant création de la
Force de gendarmerie européenne.
L'Otan figure en tête des menaces extérieures identifiées par
la nouvelle doctrine de défense russe, approuvée le 5 février
par le président Medvedev. Moscou s'inquiète, entres autres, d'un
élargissement potentiel de l'Alliance à la Géorgie et l'Ukraine. Une
perspective à laquelle la France s'est opposée jusqu'à maintenant. Ce
veto ne fut pas étranger à l'accueil bienveillant que la presse russe
réserva à son retour dans le commandement militaire intégré de l'Otan
sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy (Courrier International,
13/03/2009).
Albion croit en l'Europe de la défense
Justifiant sa politique atlantiste, le président de la
République avait déclaré, le 11 mars 2009 :
« En mettant fin à une ambiguïté [...], nous créons la
confiance nécessaire pour développer une défense européenne forte et
autonome. » Ses arguments auraient-ils convaincu
outre-Manche ? « Le retour de la France [...] offre
l'occasion d'une coopération accrue avec un partenaire clef »,
peut-on lire dans le "livre vert" britannique publié le
3 février. « L'Otan demeure la pierre angulaire de
notre sécurité », rappellent ses auteurs. Cependant,
« le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence
si nous et nos partenaires européens parlons et agissons de
concert ». Et d'affirmer que « lors des opérations de
stabilisation en Bosnie et en Afrique, lors des opérations
antipiraterie au large de la Somalie [...], l'UE a démontré qu'elle
peut jouer un rôle important dans la promotion de notre
sécurité ». Eurosceptique, Albion ?
Plus radical, le ministre allemand des Affaires étrangères,
Guido Westerwelle, voudrait édifier une « armée
européenne » placée « sous plein contrôle
parlementaire ». C'est « l'objectif à long
terme », a-t-il affirmé le 6 février lors de la
conférence de Munich sur la sécurité. Objectif à nos yeux irréaliste,
dont la poursuite pourrait néanmoins mobiliser réflexions et moyens. À
la lumière des faits, en tout cas, ce rêve – ou ce
cauchemar ! – apparaît bien lointain.
Inutiles, les GT 1500 ?
La création d'un quartier général européen, promue par la
France, suscite toujours des réticences. Or, « le dispositif
actuel tient du bricolage » selon notre confrère Nicolas
Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 14/02/2010).
« Le dispositif des QG excentrés à Potsdam (pour le Congo), à
Paris (pour le Tchad), à Londres (pour Eunavfor) ne montre pas sa
pleine efficacité. Ce sans compter la difficulté qui existe à pourvoir
les postes – les forces nationales ne s'empressant pas toujours de
pourvoir les postes d'état-major d'autant plus quand l'opération
dure... »
Soulignons également l'immobilisme d'un embryon d'armée
européenne formé par les groupements tactiques. Forts d'environ
1 500 hommes, ils sont censés fournir à l'Europe une
capacité de réaction rapide. Pleinement opérationnels depuis le
1er janvier 2007, ils n'ont jamais été utilisés, bien
que des États membres se succèdent tous les six mois pour
assurer la disponibilité permanente de deux battlegroups.
« Jusqu'à présent, au moins deux situations ont répondu à tous
les critères de déploiement des groupements tactiques », au
Tchad et en République démocratique du Congo, selon l'analyse de
Caroline Henrion publiée le 18 janvier sous l'égide du GRIP
(Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité).
« Ces exemples montrent que non seulement les Européens ne
s'accordent pas sur les situations dans lesquelles il faut intervenir,
mais hésitent également à envoyer des troupes sur le
terrain. » Pourquoi s'en étonner ? Obtenir le
consensus des vingt-six États participant à la Politique de sécurité et
de défense commune n'est pas une sinécure ! (Vingt-six, et non
vingt-sept, car le Danemark fait l'objet d'une dérogation.)
Six États dans la FGE
La Force de gendarmerie européenne (FGE), quant à elle,
regroupait seulement cinq États à l'origine : la France, l'Espagne,
l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal, rejoints depuis par la Roumanie.
Selon le gouvernement, sa création répondait à la nécessité
« de combler le vide opérationnel [...] entre le moment où les
forces armées entrent sur le théâtre des opérations et le moment où les
forces de police parviennent à y remplir normalement leurs
fonctions ». La FGE comporte un état-major permanent implanté
à Vicence, en Italie, où la France est représentée par six officiers.
Chaque opération donne lieu à une "génération de force", sur la base
d'un catalogue recensant des capacités déclarées par les États.
Opérationnelle depuis 2006, la FGE est engagée depuis 2007 en
Bosnie-Herzégovine, où elle arme une partie de l'Unité de police
intégrée de l'opération européenne Eufor Althéa. Depuis décembre 2009,
elle contribue également à la formation de la police afghane au sein de
la mission de l'Otan, où la France a engagé 132 gendarmes.
En marge de l'UE
Son fonctionnement repose actuellement sur une "déclaration
d'intention". Le 18 octobre 2007, les États
fondateurs ont signé un traité confortant son existence. Afin
d'autoriser sa ratification, un projet de loi a été enregistré à la
présidence de l'Assemblée nationale le 3 février. Fallait-il
passer par ces lourdeurs juridiques ? Le gouvernement se
justifie dans son "étude d'impact" : « Par rapport à
la déclaration d'intention du 17 septembre 2004 et
aux textes qui la complètent, le traité [...] permet de clarifier un
certain nombre de points relatifs aux droits et obligations des
personnels de la force ainsi qu'au droit applicable dans le cadre
d'opérations extérieures : conditions d'entrée et de séjour
sur le territoire de l'État hôte (État sur lequel se trouve le quartier
général permanent : Italie) ; privilèges et
immunités ; juridiction pénale et disciplinaire ;
dommages ; assistance médicale ; aspects juridiques
et médicaux en cas de décès. »
« Comme le suggèrent l'intitulé même de la force et
son insigne bleu, la FGE est un projet européen », martèle le
gouvernement, qui tient à saluer « une étape importante de la
construction de l'Europe de la défense ». La FGE n'en reste
pas moins une force autonome : peut-être s'agit-il d'une
« avancée concrète en matière de gestion de crise »,
mais, le cas échéant, ces progrès auront été accomplis en marge de l'UE.
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4 février 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
Madrid nous avait prévenus : l'égalité hommes-femmes figure
parmi les priorités de son semestre européen.
Intervenant devant une commission du Parlement européen, le
ministre espagnol de l'Égalité, Mme Bibiana Aído, a exprimé,
selon le communiqué de l'assemblée, la volonté « d'encourager
le partage des tâches entre les femmes et les hommes ». Par
ailleurs, au cours d'une conférence organisée à Bruxelles par la
Commission européenne et l'Otan sur « les femmes, la paix et
la sécurité », le premier vice-président du gouvernement
espagnol, Mme María Teresa Fernández de la Vega « a
défendu l'idée de recourir à des quotas afin de parvenir à ce que les
femmes participent à tous les niveaux, civil et militaire, aux
processus de paix et au règlement des conflits ». Et de
demander « instamment aux organisations internationales de
prendre des "engagements contraignants" » à cet effet.
Le secrétaire général de l'Otan, le Danois Anders Fogh
Rasmussen, aurait certes « appuyé la suggestion de fixer des
"objectifs" pour la participation de la femme [sic] à tous les
niveaux », rapporte la présidence espagnole du Conseil de
l'Union européenne. Il aurait « cependant considéré que le
fait d'imposer un quota à l'Otan "ne serait pas réaliste" étant donné
"les différentes traditions nationales qui s'y trouvent" ».
Remarque de bon sens, au demeurant bien timorée. Faut-il rappeler que
l'Organisation du traité de l'Atlantique nord est une structure à
vocation militaire ? Avec cela, la stabilisation de
l'Afghanistan semble en bonne voie...
Le rendez-vous "féministe" suivant était fixé au mercredi
3 février, date à laquelle devait se tenir à Cadix une
« réunion informelle des femmes ministres en
exercice » de l'UE. Madrid nous a annoncé qu'une "déclaration
politique" serait adoptée lors de ce sommet. Faut-il s'attendre à de
nouvelles surprises ?
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24 septembre 2009
Hervé Morin affiche sans complexe ses convictions fédéralistes.
Quelques passages nous ont interpellé dans l'intervention
prononcée ce jeudi matin par le ministre de la Défense, Hervé Morin, dans
l'amphithéâtre Foch de l'École militaire : « Je vais
en choquer certains », a-t-il averti, mais « j'espère
qu'un jour l'Europe sera une construction fédérale ». Dans
cette perspective, "l'Europe de la défense" n'apparaît « pas
seulement comme une construction technique », mais comme
« un instrument d'une construction politique ».
Le ministre mesure-t-il les conséquences de son
ambition ? Apparemment : « Nous acceptons
l'idée d'avoir des dépendances mutuelles » en matière
d'armement, a-t-il affirmé sans ambiguïté ; car « nous ne
pourrons pas construire l'Europe de la défense en maintenant l'ensemble
des savoir-faire en France. »
Serait-il possible, alors, de les conserver sans la
construire ?
Ce discours s'inscrivait dans une série d'interventions
consacrées aux « nécessaires progrès de l'Europe de la
défense », prononcées à l'invitation de la a fondation Robert
Schuman. Nous reviendrons sur cette journée, où nous avons salué le
très sympathique Jean Dominique Merchet. 🙂
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17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
Serge July déverse sa bile contre le Rafale et l'orgueil national. Un procès injuste.
« L'histoire du Rafale [...] est un scandale
d'État », proclame Serge July, qui prétend déverser sa bile
sur un gouffre financier. « Coût de ce programme pour le contribuable :
à peu près 40 milliards d'euros. À titre de comparaison, l'impôt sur le
revenu a rapporté, en 2007, 54 milliards. » (RTL,
08/09/2009) Un avion de combat, cela coûte cher, très cher. Sans doute
un tel investissement apparaît-il inacceptable aux yeux d'un vieux
soixante-huitard...
À titre de comparaison, nous rappellerons surtout qu'un
Eurofighter a coûté 50 % de plus qu'un Rafale aux contribuables
allemands, britanniques, espagnols, italiens. « Le choix de jouer en
franco-français [...] apparaît aujourd'hui comme le plus rationnel,
tant sur le plan des finances publiques que sur celui des besoins
militaires », observe Jean-Dominique Merchet (Défense
européenne, la grande illusion, éd. Larousse).
Les faits sont têtus. M. July s'obstine pourtant à les
ignorer, obnubilé par son entreprise de dénigrement national : « Il
faut espérer que Nicolas Sarkozy, en soldant le Rafale [aux
Brésiliens], a aussi soldé, par la même occasion, la mégalomanie
française en la matière. » Nous l'avons vu, l'exemple est mal choisi
pour stigmatiser une surestimation de nos capacités. Cela dit,
l'arrogance française n'est pas un mythe : « Entre l'excès de
prétention et l'excès de sous-estimation de soi, nous sommes passés par
des extrêmes qui nous handicapent », déplore Hubert Védrine (Rapport
sur la France et la mondialisation). « Il est temps de
trouver notre équilibre. » Le "partenariat stratégique" mis en œuvre
avec le Brésil pourrait nous y aider.
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30 juillet 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
L'idéologie prend parfois la défense en otage. Les déboires de
l'Airbus A400M, développé sous la bannière de la coopération
européenne, illustrent un phénomène dénoncé par le journaliste
Jean-Dominique Merchet.
Réunis au Castellet le vendredi 24 juillet, les sept pays
partenaires du programme A400M (1) se sont donné six mois pour renégocier
le contrat les liant au groupe EADS. Celui-ci avait annoncé le
9 janvier que les premiers avions ne seraient pas livrés avant
fin 2012, avec un retard de trois ans au moins. L'industriel reconnaît
sa difficulté, voire son incapacité, à satisfaire à toutes les
exigences du cahier des charges.
Polyvalence
Ces déboires inquiètent l'armée, confrontée au vieillissement
de ses appareils de transport, anticipé de longue date : la
formalisation du besoin à l'origine du projet A400M remontre à 1984.
Cinquante avions ont été commandés par la France. Sans eux, selon les
sénateurs Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret (2), « la capacité de
projection tactique à 1 000 km en cinq jours, actuellement de l'ordre
de 5 000 tonnes (soit 1 500 militaires avec leur équipement et leur
autonomie) passerait, en 2012, à moins de 3 000 tonnes, voire 2 500
tonnes ». Il faudra supporter le coût des solutions palliatives (remise
à niveau d'avions en fin de vie, achats ou locations), et les
conséquences d'un moindre entraînement des équipages.
Enfin aux commandes de l'A400M, ceux-ci bénéficieront d'un
appareil à la polyvalence inédite : son rayon d'action, sa capacité
d'emport et sa vitesse conviendront aux missions stratégiques ;
susceptible d'opérer sur terrain meuble, à basse altitude et faible
vitesse, il répondra également aux exigences tactiques ; il pourra
aussi participer à des ravitaillements en vol. Embarquant une
technologie de pointe, il exploitera le « plus puissant turbopropulseur
développé en Occident », selon l'expression de Noël Forgeard. L'avion
cumule les ruptures technologiques. Pourtant, Airbus Military s'était
engagé à le développer « à un prix très bas,
dans des délais très courts, et sans programme d'évaluation
des risques ». L'industriel a sous-estimé l'ampleur du défi ; aux yeux
des parlementaires, sa première erreur fut « de penser qu'un avion de
transport militaire tactique équivalait à un avion de transport civil
"peint en vert", bref qu'il s'agissait de construire un Airbus comme
les autres et que les compétences acquises en matière de certification
civile seraient un atout substantiel », voire suffisant.
Une gouvernance inefficace
EADS a pâtit, en outre, d'une mauvaise organisation de ses
filiales, conduisant à « une mobilisation insuffisante des forces vives
d'Airbus ». En effet, « AMSL était placée dans une situation intenable
vis-à-vis d'Airbus : en tant que filiale, elle devait exécuter ses
ordres ; en tant que responsable industriel du programme, elle devait pouvoir
mobiliser les unités de production de la société mère. » Cela dit,
Louis Gallois nuance l'échec de son groupe, d'autant que les retards
sont monnaie courante dans l'industrie d'armement : « On ne connaît pas
de programme de ce type livré en moins de douze ans. [...] Si nous
livrions l'avion dans une amplitude de dix ans, nous serions encore la
référence dans ce domaine. » (3)
Divergences
Réunis dans l'Organisation conjointe de coopération en
matière d'armement (Occar), les États impliqués ont entrepris une
collaboration délicate, sinon hasardeuse. Ils avaient opté pour une
approche commerciale, consistant, selon l'explication des sénateurs, «
à délivrer, au terme d'une phase unique pour le développement et la
production, un nombre fixe d'avions – 180 – à un prix indexé, mais
ferme : 20 milliards d'euros aux conditions économiques initiales ».
Mais les priorités divergeaient : le Royaume-Uni voulait acquérir des
appareils au plus vite ; l'Allemagne surveillait le budget avec un
calendrier élastique ; l'Espagne espérait surtout développer son
industrie aéronautique ; quant à la France, elle souhaitait répondre à
un besoin opérationnel, mais aussi « faire avancer l'Europe de la
défense ». Au total, estiment les parlementaires, ces stratégies
différentes « ont conduit à prolonger les négociations plus que de
mesure », ainsi qu'à imposer des conditions contractuelles
difficiles... En l'absence d'un État pilote, « le dialogue
indispensable entre l'industriel et le donneur d'ordres a fait défaut
», poursuivent-ils. « En outre, le principe du juste retour a été
appliqué strictement, aussi bien pour le moteur que pour l'avion. » «
Enfin, la faible capacité de l'Occar à prendre des décisions [...], le
manque de dialogue entre EADS et les sous-traitants, ainsi que les
problèmes d'organisation du consortium des motoristes ont conduit à
retarder l'identification des problèmes et donc leur résolution. »
Une exception, l'A400M ? « Bien au contraire », proclame
Jean-Dominique Merchet dans son dernier livre (4). L'animateur du blog
Secret Défense, collaborateur de Libération et conférencier occasionnel
de la NAR, rapporte que « l'autre programme phare de la coopération
européenne, l'hélicoptère NH90, souffre des mêmes maux ». L'industrie
d'armement serait « victime de l'idée que plus on embarque de
partenaires [...], mieux c'est » ; idée dont le seul mérite serait
d'être européenne.
Réussite en solo
À l'opposé, l'auteur souligne la réussite du Rafale : « Très
critiqué, le choix de jouer en franco-français apparaît aujourd'hui
comme le plus rationnel, tant sur le plan des finances publiques que
sur celui des besoins militaires. » Et de citer la Suède en exemple,
qui produit des avions militaires et réussit même à en
exporter : « Ce que la petite Suède sait faire, et plutôt
bien, il n'y avait aucune raison que la France – six fois plus grande –
ne puisse le réussir, n'en déplaise aux idéologues qui estiment, une
fois pour toutes, que la France est trop petite. »
Fustigeant la Politique européenne de sécurité et de défense
(PESD), Jean-Dominique Merchet juge lamentables les multiples
déclarations d'intention jamais suivies d'effet. On attribue
certes quelques réalisations concrètes à la PESD, mais dont la
dimension "européenne" serait souvent usurpée, comme en Bosnie : « En
décembre 2004, l'opération militaire Althéa prend la suite de l'Otan.
Pour plus d'efficacité, l'UE le fait néanmoins avec les moyens et
capacités de commandement de l'Otan, dans le cadre des accords dits de
"Berlin Plus". » Première mission navale entreprise sous l'égide de
l'Union, l'opération Atalanta lutte avec succès contre la piraterie au
large de la Somalie. Mais « "on ne déploie pas de bateaux exprès pour
cette mission", explique-t-on à l'état-major de la Marine rue Royale.
"On a deux bateaux qui auraient été là-bas de toute façon dans le cadre
de notre présence dans l'océan Indien." »
L'UE et les tâches ménagères
Autant d'exemples illustrant « la grande illusion de la
défense européenne ». Avec un mépris teinté d'humour, Jean-Dominique
Merchet observe que l'Europe « est conçue pour les temps ordinaires »,
ce qui s'avère à certains égards « bel et bon » : « Comme le disait
l'inoubliable Paul Volfoni des Tontons flingueurs, "les tâches
ménagères ne sont pas sans noblesse". » Mais là où il est question « de
vie et de mort », on entre dans une cour où « l'Europe ne joue pas et
n'est pas prête de le faire ».
Ce petit livre, clair et concis, est un vrai réquisitoire.
Pour l'étayer, l'auteur convoque Carl Schmitt et Joseph de Maistre. Ses
arguments suffiraient-ils à prononcer la condamnation de l'UE ? Pas
forcément, car la PESD apparaît bien marginale au sein de l'Union, dont
l'ossature demeure le marché unique. Et si la défense témoigne des
méfaits de l'idéologie européiste, celle-ci n'est pas le seul moteur de
la construction européenne, où interviennent également des calculs
d'intérêts. Cela dit, Jean-Dominique Merchet confesse volontiers un
euroscepticisme plus prononcé que celui d'un Védrine, par exemple.
Quant au souverainisme, « c'est un mot qui ne me fait pas peur » nous
a-t-il confié, tout en se définissant plutôt comme un « gaulliste du 18
juin ».
(1) Les États engagés dans le programme A400M sont les
suivants : Allemagne (60 avions), France (50), Espagne (27),
Grande-Bretagne (25), Turquie (10), Belgique (7) et Luxembourg (1).
L'Afrique du Sud a commandé huit appareils et la Malaisie quatre.
(2) Jacques Gautier & Jean-Pierre Masseret : Rapport
d'information sur les conditions financières et industrielles de mise
en œuvre du programme A400M. Annexe au procès-verbal de la
séance du 10 février 2009, 97 pages, disponible en téléchargement
gratuit sur le site Internet du Sénat.
(3) Cité par Nicolas Gros-Verheyde : « Louis Gallois
s'explique ». Europolitique, n° 3722, 26 mars
2009. Cf http://bruxelles2.over-blog.com/
(4) Jean-Dominique Merchet : Défense européenne, la
grande illusion. Larousse, coll. "À dire vrai", 126 pages,
9,90 euros. Deux extraits sont en ligne sur le blog de l'auteur :
http://secretdefense.blogs.liberation.fr/
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2 avril 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser faire par des républicains... Commentaire d'un discours prononcé par le chef d'état-major des armées.
À l'approche du soixantième anniversaire de la signature du
traité de l'Atlantique Nord, un colloque sur « la France, la défense
européenne et l'OTAN au XXIe siècle » s'est tenu le 11 mars sous
l'égide de la Fondation pour la Recherche stratégique
(www.frstrategie.org). Parmi les intervenants : le général Jean-Louis
Georgelin, chef d'état-major des armées (CEMA).
Évidemment, on ne relève dans son discours aucune réserve
quant à la politique du président de la République, qui exposa en fin
de journée ses arguments en faveur du retour de la France dans le
commandement militaire intégré de lOTAN : « Mon expérience présente
[...] me montre que notre appareil militaire n'est en rien affaibli ou
affecté par nos engagements dans le cadre de cette organisation »,
affirme le CEMA. Incidemment, il renvoie à quelques vérités que la
démocratie feint d'ignorer.
En dépit d'un « sentiment d'insularité stratégique »,
consécutif à « l'absence de menace immédiate à nos frontières et [à]
l'effacement apparent du spectre de la guerre interétatique », le
général observe que « l'horizon d'un soldat reste [...] dominé par la
prise de risque et l'hypothèse du sacrifice ultime ». Un sacrifice
difficile à justifier sans invoquer « le lien consubstantiel qui unit
le militaire à sa nation ». Or, à l'heure ou la plupart des engagements
interviennent « au profit d'une entité internationale ou d'une alliance
militaire », le CEMA se trouve confronté à un défi : dans ces
conditions, comment faire comprendre à ses hommes le sens de leur
action ?
Affirmation de puissances
Le général souligne également le poids des nations – ou plutôt
des États – sur la scène internationale : « Un projet collectif,
singulièrement lorsqu'il implique des questions de défense, ne vaut que
par l'engagement des nations. » Lesquelles se rassemblent sur des
« valeurs », mais aussi des « intérêts ». S'il salue « le succès du
formidable pari européen », le CEMA est loin de proclamer la fin de
l'histoire. Il lance même un avertissement : « Notre environnement
international demeure fragile. L'affirmation ou la réaffirmation de
puissances [...] ; l'augmentation des dépenses militaires, partout,
sauf en Europe ; et l'apparition de menaces plus diffuses susceptibles
d'affecter nos sociétés devraient nous inciter à la plus grande
vigilance. »
Décision suprême
Aussi la France doit-elle faire entendre sa voix. « Dans mes
fonctions de chef d'état-major des armées, j'observe que l'expression
de cette souveraineté se traduit par l'autonomie de décision qui est
celle du président de la République. » La souveraineté incombe en effet
à celui qui assume la responsabilité de la décision suprême.
Implicitement, le général Georgelin acquiescerait presque aux
propos de Maurras. Relisons Mes Idées politiques : « Ni implicitement,
ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté
nationale. [...] Quand on la proclame, cela veut dire qu'il n'y a plus
de souverain réel. [...] Le grand honneur de reconnaître et d'expier
doit être réservé au type de gouvernement où la souveraineté est
concentrée dans l'âme unique et dans la personne vive d'un homme. »
L'armée réclame un roi !
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