24 juillet 2017
Article publié dans L'Action Française 2000
Qwant, c'est le petit moteur de recherche qui monte, qui monte. Un concurrent français de Google qui s'honore de respecter la vie privée de ses utilisateurs. Succès garanti ?
Il n'y a pas d'alternative à Google, a-t-on entendu dernièrement à l'antenne de France Info (12 juillet 2017). C'est pourtant loin d'être le cas. Certains de ses concurrents sont même développés en France. C'est le cas d'Exalead, qui a bénéficié du soutien des pouvoirs publics sous la présidence de Jacques Chirac : « face à la croissance exponentielle de l'industrie des moteurs de recherche, il fallait que la France, avec ses partenaires allemands et demain, je l'espère, européens, soit à la hauteur de cet enjeu majeur
», avait déclaré le chef de l'État au printemps 2006. Devenu la propriété de Dassault Systèmes, Exalead a poursuivi son chemin en direction des entreprises.
Plus récemment, au printemps 2015, alors qu'il était ministre de l'Économie, Emmanuel Macron avait salué sur Twitter « un Google français en marche
» : Qwant, dont l'ambition est effectivement d'« offrir la première alternative européenne crédible face aux grandes plate-formes américaines qui dominent les services sur Internet
». Lancé en 2013 par une société créée deux ans plus tôt, il serait devenu, en 2016, le quatre-vingt-seizième site le plus visité en France. Ses équipes sont installées à Paris, Nice et Rouen. « De soixante environ en ce début 2017, le nombre d'employés devrait passer à cent cinquante en fin d'année et à deux cent cinquante en 2018
», précise L'Usine digitale.
On a testé pour vous
Qu'en es-il à l'usage ? La pertinence des résultats s'avère parfois prise en défaut. Aucun service de cartographie n'est encore intégré : c'est une lacune criante qui devrait être prochainement comblée. Mais on s'y retrouve très bien le plus souvent. Soucieux de « décloisonner les sources d'information et refléter toute la richesse du Web
», Qwant propose une interface qui tranche avec le minimalisme de Google : les liens les plus classiques, les actualités mais aussi les résultats tirés des réseaux sociaux y sont présentés sur un pied d'égalité. C'est déroutant. Mais pas inintéressant.
« Né de la vision d'entrepreneurs privés
», comme se plaisent à le rappeler ses fondateurs, Qwant a ouvert son capital au groupe allemand Axel Springer ainsi qu'à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Il bénéficie également du soutien de la Banque européenne d'investissement (BEI), laquelle y voit la preuve de « l'excellente coopération entre institutions publiques et privées, tant au niveau national qu'européen
». L'Éducation nationale promeut elle-même la déclinaison du moteur de recherche destinée aux plus jeunes – une version sécurisée, en quelque sorte, voire bridée… De quoi frustrer les internautes en herbe ? En tout cas, les dizaines de milliers d'ordinateurs mis à la disposition des fonctionnaires ne semblent pas concernés par cette publicité. [En fait, si, certains le sont bel et bien, selon un témoignage recueilli après la rédaction de cet article, mais dans quelles proportions ?]
Servitude volontaire
Le succès grandissant de Qwant se nourrit vraisemblablement de la défiance qu'inspirent les GAFA – à commencer par Google évidemment. Pour affronter ce dernier, Qwant a pactisé avec Microsoft, dont les résultats du moteur de recherche (Bing) pallient parfois ses propres insuffisances en toute transparence. Cela étant, « contrairement aux autres moteurs de recherche
», Qwant s'honore de fonctionner « sans collecter de données personnelles de ses utilisateurs
». Concrètement, « il n'y a aucun dispositif de traçage ou cookie permettant d'afficher des publicités selon votre profil
». Par conséquent, « la sélection et l'affichage des publicités s'appuient exclusivement sur les mots clefs de la recherche de l'utilisateur
». Aux dires de ses promoteurs, ce modèle économique serait « efficace sans être intrusif
». D'autres le jugeraient dépassé. Les internautes trancheront ! Parallèlement, la neutralité des résultats leur est garantie : « Qwant ne modifie pas les réponses selon l'internaute. Tous les utilisateurs d'une même région ont les mêmes réponses, ce qui évite d'enfermer les individus dans des bulles de filtres qui les confortent de plus en plus dans leurs opinions
[…] ou qui leur proposent uniquement les produits adaptés à leur pouvoir d'achat supposé.
»
Tant mieux ? C'est bien notre avis. Mais force est de constater que les utilisateurs de Facebook s'en remettent volontiers aux algorithmes développés sous la houlette de Mark Zuckerberg pour ordonner leur fil d'actualité, bien qu'ils n'y soient pas toujours contraints. Par ailleurs, en 2009, les usagers du métro parisien détenteurs d'une carte Navigo standard étaient presque neuf fois plus nombreux que ceux ayant préféré la carte "découverte", censée préserver leur anonymat. Qu'en est-il aujourd'hui ? Aucune réponse ne nous a été apportée par la RATP. Mais il n'est pas certain que ces proportions aient beaucoup évolué. « Les libertés ne s'octroient pas, elles se prennent
», est-il souvent rappelé dans les colonnes de L'Action Française 2000. Encore faut-il avoir la volonté de les saisir, fussent-elles à portée de clic.
Publié dans Économie et Industrie, Internet, Médias | Pas de commentaires
3 août 2016
Article publié dans L'Action Française 2000
Facebook et Twitter sont pointés du doigt tandis que leurs services sont
mis à profit par les propagandistes islamistes.
Tandis que se multiplient les attentats terroristes, certains de nos
confrères ont annoncé qu'ils ne diffuseraient plus ni les noms, ni les
photographies des islamistes responsables de ces forfaits. Les députés
Marine Brenier (LR) et Meyer Habib (UDI) ont même déposé une proposition
de loi afin d'y contraindre tous les médias. De leur point de vue, « refuser
un nom et un visage aux terroristes, c'est leur refuser la victoire
» ;
« il faut cesser d'entretenir le phénomène malsain de
starification des criminels
», ont-ils
expliqué, soulignant toutefois que cela n'empêcherait pas « d'accomplir
un véritable travail d'enquête et de fond sur les profils des
terroristes
». Dans
les colonnes du Monde, Patrick Eveno, président de
l'Observatoire de la déontologie de l'information, s'étonne que « des
élus garants des libertés fondamentales se rallient à cette demande de
censure, quand ils ne la suscitent pas
» ; de toute façon,
cela lui semble « illusoire au temps des réseaux sociaux
».
Des blocages administratifs sans conséquence
Dans
un rapport enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le
13 juillet dernier (2016), Kader Arif, député (PS) de la
Haute-Garonne, déplore, à ce propos, « la facilité avec laquelle
il a pu accéder en quelques clics aux publications françaises de Daech
».
« Chaque jour
», précise-t-il, « trois nouvelles
vidéos rattachées à Daech sur des réseaux comme Facebook ou Youtube sont
diffusées, leur publicité étant assurée notamment sur Twitter
».
Un « djihadiste facilitateur
» affirme d'ailleurs qu'il
« attrape partout sur Facebook
» !
En réaction, les pouvoirs publics ordonnent des blocages administratifs,
en application de la loi du 13 novembre 2014. Avec un résultat
mitigé : « en plus des nombreuses possibilités de
contournement des blocages, les sites terroristes effectivement bloqués
ne sont en fait pas du tout visités
», observe le
rapporteur ; de mars à décembre 2015, moins de cinq cents tentatives
de connexion auraient ainsi été mises en échec. Comme le rappelle Kader
Arif, la loi du 24 juillet 2015 prévoit, quant à elle, la mise en
place de « dispositifs techniques d'interception automatique
visant à repérer au sein du flux massif de données de communications les
métadonnées identifiant des comportements suspects en matière de
terrorisme
». Or, déplore-t-il, « les plateformes
semblent très réticentes envers le développement de tels outils,
estimant qu'il est difficile de qualifier en amont des contenus
terroristes et qu'une contextualisation du contenu est nécessaire
».
D'un contexte à l'autre
Selon le contexte, en effet, un même contenu pourra être diffusé à des
fins d'apologie ou de dénonciation. « Il est ainsi mentionné dans
les conditions générales d'utilisation de certains de ces réseaux
sociaux, que les contenus apologétiques en matière de terrorisme ou de
violences ne peuvent être retirés que lorsqu'ils ne sont pas accompagnés
d'un commentaire de l'auteur de la publication désapprouvant
formellement ces contenus
» ; faut-il le regretter avec le
rapporteur ? Tous les contributeurs de la "réinfosphère" ne partagent
pas son avis. En février dernier, la mésaventure de l'abbé Guy Pagès y
avait suscité l'indignation : prétendant lutter contre l'islam à la
lumière des atrocités commises en son nom, ce prêtre avait mis en ligne
des images insoutenables, si bien que les serveurs hébergeant son site
Internet avaient été saisis ; cela « sous les auspices des
nouvelles dispositions légales relatives à la lutte contre le terrorisme
»,
si l'on en croit son
témoignage rapporté par Riposte laïque.
En tout cas, aux yeux du rapporteur, il apparaît « nécessaire de
renforcer le contrôle sur les réseaux sociaux, qui
[...] ne
jouent pas toujours le jeu
». En février, Twitter a révélé
qu'il avait suspendu cent vingt-cinq mille comptes depuis le milieu de
l'année dernière. Il emploierait à cet effet une centaine de personnes.
C'est « extrêmement peu compte tenu le volume de contenus et de
signalements des utilisateurs
», dénonce Kader Arif. Selon lui,
« ce manque de moyens humains peut expliquer qu'une vidéo comme
celle revendiquant les meurtres de Magnanville le 14 juin 2016,
postée sur Facebook Live en direct, n'ait été
[...] retirée de
Facebook que onze heures après sa diffusion
».
Censure pudibonde
Ce manque de réactivité peut sembler trancher avec la fermeté qu'observe
Facebook à l'égard des utilisateurs coupables de braver le puritanisme
américain. Les Femen en ont déjà fait les frais, par exemple, tous comme
leurs détracteurs accompagnant d'une illustration sans floutage ni
artifice la dénonciation de leurs manifestations "topless". La censure
d'une reproduction de L'Origine du monde, le célèbre tableau
de Gustave Courbet, a même suscité une bataille judiciaire dont l'un des
enjeux a été de déterminer si les institutions françaises étaient
compétentes pour juger Facebook. Cela renvoie à « la nature même
des outils numériques, c'est-à-dire leur caractère transnational
»,
que ne manque pas de souligner le rapporteur. Selon lui, « la
coopération internationale doit donc être accrue sur ces sujets
»,
en premier lieu au niveau européen, « afin d'éviter de donner la
possibilité aux acteurs de jouer entre les différents pays pour se
protéger des blocages techniques mis en œuvre localement
».
Mais si Facebook et Twitter sont aujourd'hui des outils fondamentaux de
la propagande djihadiste, cela n'a pas toujours été le cas, comme le
rappelle Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri
(Institut français des relations internationales) : « Nombre de
djihadistes se montrent méfiants à l'égard des grands réseaux sociaux,
créés aux États-Unis et soupçonnés par les radicaux d'être mités aux
services de renseignement américains. La donne change réellement à
partir de 2012, année où le djihad en Syrie commence à attirer un flux
important de volontaires étrangers. Parmi eux se trouvent des centaines
puis des milliers de jeunes occidentaux, habitués à utiliser Facebook,
Twitter et Youtube.
» McDonald's finira-t-il par ouvrir un
restaurant dans les territoires conquis par l'État islamique ? Ironie
mise à part, l'islamisme apparaît à bien des égards comme un produit
typique de la mondialisation.
Publié dans Défense, Internet, Islam, Société | Pas de commentaires
31 juillet 2014
Article publié dans L'Action Française 2000
Les propos à connotation raciste tenus sur la Toile ne sont
pas les seuls passibles d'une condamnation judiciaire.
La Toile n'est pas une zone de non droit, clament les
responsables politiques. La justice vient de le confirmer récemment.
Pour avoir relayé sur Facebook une image comparant Chritiane Taubira à
un singe, et l'avoir assumé devant des caméras de télévision,
Anne-Sophie Leclère a été condamnée à neuf mois de prison ferme et
50 00 euros d'amende. Avait-elle conscience de la peine
encourue ? Le cas échéant, sans doute se serait-elle davantage
investie dans sa défense.
L'endroit à éviter
Cela étant, les lois réprimant le racisme sont loin d'être les
seules auxquelles s'exposent les internautes. Déçue par un restaurant,
une blogueuse avait dénoncé « l'endroit à éviter au
Cap-Ferret ». Or, cela « constitue un dénigrement
manifeste destiné à faire fuir des clients potentiels avant même toute
lecture », a estimé le tribunal de grande instance de
Bordeaux. Aussi la critique en herbe a-t-elle été condamnée à verser
« 1 500 euros à titre de provision sur
dommages et intérêts et 1 000 euros de frais de
procédures », rapporte
Le Figaro. « La
blogueuse, qui s'est dite "très étonnée" de cette décision, ne fera pas
appel, en partie pour des raisons financières », précisent nos
confrères. Quant au restaurateur, qui aurait porté l'affaire devant la
justice sans tenter aucune conciliation amiable au préalable, il s'est
attiré les foudres des internautes, si bien qu'en voulant rétablir sa
réputation, il a peut-être contribué à l'aggraver... Une fois de plus,
la censure s'avère contreproductive. C'est une nouvelle illustration de
"l'effet Streisand", dont
on se souvient qu'il avait été pitoyablement négligé, voilà un peu plus
d'un an, par feue la DCRI (Direction centrale du renseignement
intérieur), qui s'était attaquée à Wikipedia.
Effet Streisand
Un effet comparable semble à l'œuvre dans l'affaire
Taubira-Leclère. « Il est impossible de [...]
critiquer » le garde des Sceaux, écrivait Aristide Leucate
dans le dernier numéro de L'Action Française 2000 (n° 2890 du 17 juillet 2014).
« Par une
odieuse mécanique rhétorique », expliquait-il « elle
neutralise d'avance toute contestation à son encontre par une
assimilation a priori de celle-ci à une attaque à sa propre personne,
donc à du racisme ». Considérant la sévérité de la peine
infligée par les juges de Cayenne, l'opinion publique ne sera-t-elle
pas d'autant plus tentée de lui donner raison ? Nos
confrères de Libération s'en sont eux-mêmes
inquiétés : « De quelque manière qu'elle
s'en défende - si elle se soucie de s'en défendre - Christiane Taubira
sera désormais soupçonnée d'avoir manœuvré obliquement le
marteau-pilon », observe Daniel Schneidermann. Ce faisant,
bien qu'elle prétende enrayer la parole raciste, peut-être la justice
et les pouvoirs publics prennent-ils le risque de la légitimer.
Publié dans Internet, Justice, Médias, Société | Pas de commentaires
17 avril 2014
Article publié dans L'Action Française 2000
Érigé en "bien commun" de l'humanité, l'Internet n'en reste
pas moins placé sous la domination des États-Unis. Sa gouvernance est
appelée à évoluer, au gré des rapports de forces mondiaux et de leur
évolution.
Les 23 et 24 avril 2014 se tiendra à Sao Paulo le
forum Net Mundial, dont les participants débattront de l'avenir de la
gouvernance de l'Internet. Parviendront-ils à s'accorder sur une
feuille de route ? Le cas échéant, celle-ci devra indiquer
« une voie à suivre pour faire évoluer et mondialiser les
institutions et les mécanismes actuels », selon le vœu des
organisateurs brésiliens. Dans ce cadre, la Francophonie a une carte à
jouer, plaide Nathalie Chiche, membre du Conseil économique, social et
environnemental, dans les colonnes du Monde. Quoi
qu'il en soit, beaucoup dépendra du bon vouloir de Washington.
Le rôle clef de l'Icann
Pour l'heure, en effet, le gouvernement américain continue
d'exercer un contrôle sur l'Icann (Internet Corporation for assigned
names and numbers), un organisme privé régi par le droit californien,
qui assure une double mission cruciale : il supervise, d'une
part, l'attribution des adresses IP (Internet protocol) - des séries de
chiffres identifiant chaque point d'accès au réseau mondial – et,
d'autre part, la gestion des noms de domaines – ces adresses
intelligibles grâce auxquelles les internautes se repèrent dans les
méandres de la Toile. Plus concrètement, c'est sous la houlette de
l'Icann que sont mis en vente de nouveaux domaines de premier niveau,
venant s'ajouter aux ".com", ".net" et autres ".fr". Ainsi est-il
envisagé de créer des domaines en ".vin" et ".wine", par exemple, ce
dont Paris s'est inquiété le mois dernier. Selon le Quai d'Orsay, en
effet, « des irrégularités sont intervenues dans le cours de
la procédure ». Or, rappelle-t-il, « la France [...]
attache la plus haute importance à la protection des indications
d’origine dans toutes les enceintes, y compris sur Internet ».
À l'inverse, l'Icann peut suspendre des domaines – l'Irak en a
déjà fait les frais, tout comme l'Afghanistan. Soucieux de rééquilibrer
les forces en présence, Pékin « a émis le souhait de disposer
de sa propre racine », comme le rappelle David Fayon dans son
ouvrage Géopolitique d'Intenret (Economica, 2013,
220 p., 24 euros). « Outre
l'affranchissement de la mainmise américaine et de l'Icann, cela
permettrait à l'empire du Milieu de mieux contrôler le contenu de
l'Internet chinois », souligne-t-il. De fait, le transfert des
prérogatives de l'Icann à l'Union internationale des télécommunications
(UIT), rattachée à l'ONU, promu par la Chine, mais aussi par la Russie
et l'Arabie saoudite, entre autres, pourrait traduire « une
reprise en main des États sur Internet face à une vision ouverte et
multipartite de la géopolitique d'Internet ». On n'en est pas
encore là, bien que les États-Unis se disent prêts à lâcher du lest.
Sans doute sont-ils contraints à pareille annonce pour préserver une
influence aussi grande que possible en dépit de la pression croissante
des pays émergents. Une partie similaire se joue au Fonds monétaire
international (FMI), où Washington tarde d'ailleurs à tenir ses
promesses, en raison de l'obstruction du Congrès.
Géographie sous-marine
L'évolution des rapports de forces mondiaux se reflète dans
les infrastructures sur lesquelles repose l'Internet. Nombre d'échanges
intra-africains continuent vraisemblablement de transiter par les
États-Unis – au bénéfice des entreprises américaines qui jouent les
intermédiaires. Toutefois, relève David Fayon, le déséquilibre
« tend à diminuer au fur et à mesure que les pays du Sud [...]
installent leurs propres points d'interconnexion pour ne pas dépendre
du Nord ». Ainsi s'esquisse « une "géographie
politique" de l'Internet », comme le relève Olivier Kempf,
animateur du blog Egea. « Les câbles
sous-marins jouent un rôle majeur », poursuit David Fayon.
« Une large majorité de câbles transatlantiques et surtout
transpacifiques convergent vers les États-Unis, qui jouent un rôle
central. En Amérique, seuls le Canada et le Brésil ne sont pas
uniquement tributaires des États-Unis. En Asie, la Chine, le Japon et
Singapour sont des nœuds. Les nœuds sont essentiels pour couper (ou
non) les flux. L'Afrique et le Moyen-Orient sont dépendants de l'Inde,
de l'Égypte, de la France et de l'Espagne. En Europe, le Royaume-Uni
joue un rôle essentiel de nœud depuis et vers les États-Unis. En
Océanie, l'Australie est le nœud. La Russie jouit d'une situation
particulière. Bien qu'à l'écart des câbles sous-marins, elle constitue
un pont numérique terrestre de l'Europe vers l'Asie. »
Pour les États, la maîtrise des télécommunications s'inscrit
dans la continuité de celle déjà exercée jadis sur les routes ou les
mers. L'émergence du cyberespace n'en pose pas moins des défis inédits,
tant elle affecte l'exercice des prérogatives régaliennes. Les exemples
abondent quant à la sécurité et la défense : mobilisation des
pirates de l'Armée électronique syrienne, annulation d'une opération
militaire israélienne dévoilée par mégarde sur Facebook, ajustement des
tirs de roquettes des rebelles libyens à l'aide de Google Earth,
financement par la CIA d'un réseau social subversif à Cuba...
Nouvelle donne
En matière monétaire, le monopole des banques centrales se
trouve contesté. Alors qu'il semblait réservé à un public averti, voilà
que le bitcoin arrive dans nos supermarchés. « Dans trois à
cinq ans, les consommateurs auront changé de façon de payer, leur
rapport à l'argent aura évolué », prévient Patrick Oualid,
directeur e-commerce de Monoprix. D'ici la fin de l'année, sur le site
Internet du distributeur, il sera possible de régler ses achats en
monnaie virtuelle, a-t-il annoncé dans un entretien au Journal
du Net. « De cette manière »,
explique-t-il, « si l'éclosion se produit en 2015, nous serons
prêts ». Concernant les magasins, précise Clubic,
« aucune échéance n'est fixée, mais ces derniers pourraient en
bénéficier de façon détournée par la mise en place d'un système de
paiement via le mobile ».
La justice n'est pas en reste, puisque l'État délègue plus ou
moins à des acteurs privés la responsabilité d'encadrer les libertés en
ligne : SOS Racisme, par exemple, mais aussi les représentants
des ayants droit collaborant avec l'Hadopi (Haute Autorité pour la
diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), qui
traquent eux-mêmes les internautes suspects de téléchargements
illégaux.
« Les nouvelles frontières numériques sont [...]
floues du fait du caractère immatériel des données et de leur
localisation de plus en plus fréquente sur des serveurs
distants », observe encore David Fayon. C'est un nouveau monde
qui prend forme. Dans les mailles de la Toile, les ressorts de la
souveraineté ne fonctionnent plus selon les canons de l'Europe
westphalienne. Ils n'en restent pas moins éminemment puissants.
Publié dans International, Internet, Monde | Pas de commentaires
6 janvier 2014
Projet de billet avorté pour L'Action Française 2000.
Ouvrant la session de l'IHEDN (Institut des hautes études de
défense nationale), l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des
armées (CEMA), a cité Antonio Gramsci, se demandant s'il était l'auteur
d'un constat ou d'une prémonition : « L'ancien monde
est en train de mourir, un nouveau monde est en train de naître mais,
dans cette période intermédiaire, des monstres peuvent
apparaître. »
Pareille inquiétude n'est pas le propre des militaires à
l'affut des bouleversements géopolitiques, loin s'en faut.
Qu'adviendra-t-il de la société que nous contribuerons à façonner au
cours de la nouvelle année ? Tandis que nos faits et gestes
sont archivés dans le nuage informatique - quand bien même nous nous
refuserions à nous exhiber sur les réseaux sociaux -, la hantise d'une
surveillance généralisée est devenue convenue. Des regards accusateurs
se sont tournés vers Google, la NSA, la loi de programmation
militaire... Mais qu'en est-il de votre voisin ? L'internet
offre des opportunités inédites aux activistes politiques. Que ce soit
pour organiser la Manif pour tous ou traquer l'ennemi. À la faveur d'un
piratage, les coordonnées des sympathisants supposés de Dieudonné ont
été livrés à la vindicte militante. On devine que la Toile n'a plus
rien de virtuel pour les victimes d'expéditions punitives. S'attaquant
à d'autres cibles, les Anonymous s'étaient déjà essayés à la délation
en ligne...
Dans le cas présent, le trouble à l'ordre public étant
désormais caractérisé, peut-être cela donnera-t-il quelque crédibilité
aux gesticulations du ministre de l'Intérieur. Preuve que la politique
reprend encore ses droits, fût-ce à mauvais escient ?
Publié dans Internet, Société | Pas de commentaires
23 avril 2013
Article publié dans L'Action Française 2000
Tandis que l'Union européenne s'immisce dans la sécurité des
réseaux informatiques, les services secrets français se prennent les
pieds dans le tapis en tentant de censurer la Toile.
Les attentats de Boston ont ravivé le spectre d'un terrorisme
sanglant, éminemment visible. Mais d'autres menaces, plus insidieuses,
planent sur la sécurité des sociétés occidentales. Notamment dans le
cyberespace - un milieu que les stratégistes commencent seulement à
appréhender. L'année dernière, le Sénat a d'ailleurs invité l'État à se
doter d'une "doctrine de lutte informatique offensive" – comme il
l'avait fait, dans les années soixante, en matière de dissuasion
nucléaire. Le 7 février dernier, Bruxelles a proposé, plus
modestement, une « stratégie de cybersécurité » pour
l'Union européenne.
Prise de conscience
Cette initiative « témoigne d'une véritable prise de
conscience de ces enjeux de la part de la Commission
européenne », selon les sénateurs Jacques Berthou (PS) et
Jean-Marie Bockel (UDI). Dans une proposition de résolution, ils se
félicitent « de l'accent mis sur les aspects
industriels ». « Afin de garantir la souveraineté des
opérations stratégiques ou la sécurité de nos infrastructures
vitales », expliquent-ils, « il est, en effet,
crucial de s'assurer de la maîtrise de certaines technologies
fondamentales, dans des domaines comme la cryptologie, l'architecture
matérielle et logicielle et la production de certains équipements de
sécurité ou de détection. Garder cette maîtrise, c'est protéger nos
entreprises, notamment face au risque d'espionnage
informatique. » De concert avec Bruxelles, les sénateurs
prônent « l'instauration d'une obligation de déclaration des
incidents informatiques significatifs à l'autorité nationale compétente
qui serait applicable aux administrations publiques et aux opérateurs
critiques, tels que les entreprises de certains secteurs jugés
stratégiques, comme les banques, la santé, l'énergie et les
transports ». Cependant, préviennent les parlementaires, c'est
aux États, et non à la Commission, qu'il appartient d'en définir les
modalités d'application. Par ailleurs, on ne saurait exiger des
autorités nationales qu'elles notifient à Bruxelles les incidents dont
elles ont connaissance. « Outre sa lourdeur bureaucratique,
une telle mesure paraît susceptible de soulever des difficultés au
regard de la sécurité nationale, notamment dans le cas d'attaques
informatiques à des fins d'espionnage », plaident
MM. Berthou et Bockel. « Il faut savoir que, si les
soupçons se portent le plus souvent sur la Chine ou la Russie, d'autres
pays, y compris parmi nos proches alliés, sont aussi soupçonnés d'être
à l'origine de telles attaques. Or, informer la Commission européenne
et l'ensemble des États membres de l'Union européenne de l'attaque
informatique dont on fait l'objet risquerait d'alerter également -
directement ou indirectement - l'auteur de cette attaque. Celui-ci
pourrait alors prendre des mesures afin de se dissimuler davantage ou
augmenter encore le niveau de son attaque. »
Nouveaux acteurs
En tout cas, s'il est nécessaire de prévenir les piratages et
autres tentatives d'espionnage, voire d'y répliquer, il convient aussi
de s'acclimater à la nouvelle donne sociale et politique. Des acteurs
jusqu'alors inconnus se dressent face aux États, à commencer par les
cyberactivistes – voire cyberterroristes - d'Anonymous. Dernièrement,
ils ont interféré dans la crise coréenne, révélant les noms de quelque
quinze mille ressortissants du Sud habitués à consulter les
informatisations mises en ligne par le Nord... Autant de traitres
potentiels aux yeux de Séoul ! Quant aux banque centrales,
elles voient leur monopole monétaire con-testé à la marge :
jeudi dernier, 11 avril, sur BFM TV,
notre con-frère Nicolas Doze s'est interrogé sur la flambée erratique
du Bitcoin, un substitut aux monnaies traditionnelles créé par un
programmeur anonyme.
Maladresse sidérante
Apparemment, les autorités sont loin d'avoir tiré toutes les
conséquences des bouleversements en cours. Les déboires de la DCRI
(Direction centrale du renseignement intérieur) viennent d'en
témoigner. Jugeant sensible le contenu d'un article publié sur Wikipedia
présentant la station militaire hertzienne de Pierre-sur-Haute, ses
services auraient sommé ses collaborateurs de le retirer. Cela avec une
maladresse sidérante. Si bien que les 6 et 7 avril, le texte
incriminé aurait été le plus consulté de tous les articles francophones
de Wikipedia. Chapeau ! Dans la foulée,
il a fait l'objet de quelques traductions. En outre, il figure
désormais parmi les « exemples majeurs » de "l'effet
Streisand" : « un phénomène Internet qui se manifeste
par l'augmentation considérable de la diffusion d'informations ou de
documents par le simple fait d'avoir été l'objet d'une tentative de
retrait ou de censure ». Dans ces conditions, l'État est-il
condamné à l'impuissance ? Loin s'en faut. Qu'on songe
seulement aux "printemps arabes", sur lesquelles l'influence américaine
s'est précisément exercée par l'entremise des réseaux sociaux en
ligne...
Publié dans Défense, Internet, Société | Pas de commentaires
21 juin 2012
Article publié dans L'Action Française 2000
Une petite révolution s'annonce sur la Toile, où les domaines
de premier niveau vont se multiplier.
Dans les méandres de l'internet, les utilisateurs se repèrent
avec des adresses dont la variété des "terminaisons" était jusqu'à
présent limitée : on comptait une vingtaine d'extensions
génériques, dont la plus populaire demeure le ".com", et deux cent
cinquante extensions territoriales, environ, tels le ".fr" associé à la
France, mais aussi le ".tv", théoriquement réservé aux Tuvalu, un
archipel de l'océan Pacifique.
Le 13 juin 2012, l'Icann, l'organisme californien qui
contrôle les domaines, a annoncé avoir reçu près de deux mille dossiers
éligibles à de nouvelles extensions personnalisées. « Personne
n'a demandé ".facebook" ou ".twitter", même pas les deux entreprises
qui visiblement n'y voient aucun intérêt », rapporte Libération.
À l'inverse, Google pourrait saisir l'opportunité de colmater une
faille de sécurité, selon Stéphane Van Gelder, un
collaborateur de l'Icann. Aujourd'hui, explique-t-il, la société dépend
d'un tiers en charge du ".com". « Or, Google fait sûrement
davantage confiance à ses propres techniciens et ne dépendra plus de
personne s'il obtient le ".google". Une extension personnalisée peut
aussi avoir un intérêt majeur pour les banques. La Société générale
pourra dire à ses clients : "N'ouvrez aucune page qui ne
possède pas l'extension .sociétégénérale." »
Nos confrères ont recensé soixante-six dossiers déposés par
des organisations régionales, portant notamment sur les ".paris",
".corsica" et ".bzh". L'obtention par la Bretagne d'un domaine de
premier niveau « valorisera et donnera une visibilité nouvelle
aux activités économiques, sociales, culturelles », veut
croire le Conseil régional. C'est beaucoup espérer d'une simple
extension, même si, symboliquement, la décentralisation en France se
décide manifestement aux États-Unis. Rappelons toutefois que des
domaines étaient déjà dédiés à l'Outre-mer français : dix
extensions associées à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique,
Mayotte, la Réunion, Saint-Barthélémy, Saint-Martin,
Saint-Pierre-et-Miquelon, aux Terres australes et antarctiques
françaises, et à Wallis et Futuna.
Publié dans Internet | Pas de commentaires
21 mai 2012
Article publié dans L'Action Française 2000
Les nouveaux services de la Toile présentent une dimension stratégique.
Facebook espérait placer plus de 300 millions d'euros
à l'occasion de son entrée en bourse. Une somme à la mesure des
bouleversements accompagnant l'émergence des réseaux sociaux. Lesquels
affectent les modalités de navigation sur la Toile, mais aussi la
sécurité nationale, voire le déroulement des conflits armés.
Le ministère de la Défense vient d'ailleurs de publier un "guide
de bonnes pratiques" à l'intention des militaires s'exprimant sur le
"web 2.0". « De simples statuts, photos ou vidéos peuvent
parfois contenir des informations stratégiques », prévient
l'Hôtel de Brienne. De fait, l'année dernière, un marin embarqué sur le
Charles de Gaulle avait annoncé sur Facebook son
départ pour la Libye avant que le déploiement du porte-avions soit
rendu public...
Dans un entretien accordé à Florent de Saint Victor, publié
par l'Alliance géostratégique (AGS), Marc Heckern, chercheur à l'Irsem,
évoque l'annulation d'une opération programmée par Tsahal, après qu'un
soldat israélien eut annoncé sur Facebook : « Mercredi, on
nettoie [le village de] Qatana et jeudi, si Dieu le veut, on rentre à
la maison. » Quant à la rébellion libyenne, Charles Bwele
rapporte, toujours sur le site de l'AGS, qu'elle a pratiqué une
utilisation intensive de Twitter et même détruit un véhicule
lance-roquettes par la magie du net : « Grâce à leurs
ordinateurs portables, à leurs smartphones et à Google
Earth », les guérilleros « purent orienter et ajuster
précisément leurs tirs », atteignant leur cible en dépit de
leur piètre expérience.
Preuve que les cartes sont bel et bien rebattues à l'heure de
la révolution numérique.
Publié dans Défense, Internet, Monde | Pas de commentaires
21 janvier 2010
Article publié dans L'Action Française 2000
La Bibliothèque nationale de France doit-elle collaborer avec
Google ? Aperçu des conclusions de la mission Teissier.
La commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des
bibliothèques a remis son rapport le 12 janvier. Présidée par
Marc Teissier, elle était censée évaluer « la pertinence d'un
accord entre la BNF et Google du triple point de vue du partage et du
rayonnement des contenus français sur Internet, de l'intérêt économique
et financier pour l'État et le contribuable, du message politique à
adresser à la communauté internationale ». Une question
devenue en partie caduque depuis l'annonce par le président de la
République, dans les priorités du "Grand emprunt", d'une enveloppe
spécifique pour la numérisation du patrimoine culturel
(750 millions d'euros). La mission se félicite d'un changement
« considérable » permettant « d'envisager
une politique de numérisation [...] à la fois ambitieuse et
autonome ».
Le géant américain de l'internet s'est lancé en 2004 dans un
projet visant à numériser 15 millions d'ouvrages en dix ans.
Le rapport fustige les clauses souscrites par les bibliothèques
partenaires, parmi lesquelles figure la bibliothèque municipale de
Lyon : « Les accords passés par Google prévoient
toujours que les autres moteurs de recherche ne pourront pas accéder
aux fichiers numérisés par lui pour les indexer et les référencer.
[...] Cela revient [...] à permettre à un acteur [...] de renforcer
cette position dominante. [...] La durée des clauses d'exclusivité est
également excessive : des durées de plus de vingt ans [...]
peuvent aller à l'encontre de la mission d'accès impartie aux
bibliothèques. » Cependant, toute forme de partenariat ne
serait pas à exclure : « Un accord avec Google [...]
pourrait viser, non pas à faire prendre en charge l'effort de
numérisation mais à le partager, en échangeant des fichiers de qualité
équivalente et de formats compatibles. »
Deux objectifs généraux sont définis : d'une part,
« éviter le risque d'une segmentation du patrimoine, en se
donnant l'ambition d'une numérisation exhaustive, ou en tout cas la
plus large possible » ; d'autre part, réaffirmer
« la place du patrimoine français écrit sur
l'internet », qui « est aujourd'hui principalement
visible via Google Livres, grâce aux fonds francophones numérisés des
bibliothèques étrangères, qui ne sont pas complets ».
La bibliothèque numérique Gallica, développée jusqu'à
maintenant par la BNF, serait l'instrument naturel de cette politique.
Forte d'une autonomie renforcée, elle pourrait réunir « les
bibliothèques publiques patrimoniales et les éditeurs, dans une logique
de partenariat public-privé » et proposer un accès
« à tout le patrimoine écrit, via une plate-forme coopérative
respectueuse des droits des différents partenaires, les conditions
d'accès étant adaptées au statut de chaque œuvre ».
Le rapport promeut « la relance d'une impulsion
européenne, tant en direction des autres bibliothèques européennes que
du portail Europeana ». En revanche, ses auteurs ne
semblent pas avoir examiné l'opportunité d'une coopération dans le
cadre de la francophonie.
Leurs conclusions ont été accueillies avec
bienveillance par le ministre de la Culture, tout disposé à "rebooster"
Gallica. Lequel gagnerait d'abord à être mieux connu. Comme le souligne
la mission, « les efforts de numérisation doivent
s'accompagner d'une volonté de conquête de visibilité sur le
web ».
Publié dans Internet | Pas de commentaires
17 septembre 2009
Article publié dans L'Action Française 2000
Au cœur du réseau mondial se trouve l'Icann, un organisme de
droit californien lié au gouvernement américain. Un "shérif du
cyberespace" sur lequel Bruxelles appelle à un contrôle accru de la
"communauté internationale".
Le 30 septembre arrive à échéance le contrat liant l'Icann au
gouvernement américain. Créée en 1998 à l'issue de négociations menées
par le vice-président Al Gore, l'Internet Corporation for assigned
names and numbers est un organisme privé à but non lucratif, régi par
le droit californien. Elle joue un rôle crucial dans la "gouvernance"
d'Internet, supervisant, d'une part, l'attribution des adresses IP
(Internet protocol) – des séries de chiffres identifiant chaque point
d'accès au réseau mondial –, et, d'autre part, la gestion des noms de
domaine – ces adresses intelligibles grâce auxquelles les internautes
se repèrent dans les méandres de la Toile.
Délégations
En collaboration avec l'Icann, de multiples acteurs assurent
une gestion décentralisée du réseau. Un gage de fiabilité et
d'efficacité. Sur le Vieux Continent, une organisation néerlandaise, le
RIPE-NCC, distribue les adresses IP selon la plage qui lui a été
allouée. Une association française, l'Afnic, administre les domaines de
premier niveau créés pour la France métropolitaine, la Réunion et les
Terres australes et antarctiques françaises (.fr, .re et .tf).
« La stabilité du système des noms de domaine a été préservée » : « l'Icann et le gouvernement américain peuvent se prévaloir d'avoir
atteint cet objectif clé », reconnaît-on à Bruxelles. La Commission
européenne appelle à « maintenir le rôle central du secteur privé dans
la gestion quotidienne de l'Internet », tout en réclamant qu'il rende
des comptes « vis-à-vis de la communauté internationale ». L'Icann est
manifestement plus ouverte qu'à l'origine ; elle a permis « la création
d'une large instance réunissant de multiples parties prenantes,
favorisant ainsi un processus de prise de décision participatif » ;
elle a été présidée par un Australien, Paul Twonney, auquel a succédé
en juillet dernier Rod Beckstrom, le premier directeur du National
Cyber Security Center.
Suspensions
Cela dit, les pays en développement demeurent insuffisamment
impliqués. En outre, « bien que l'Icann soit un organisme privé dont le
conseil d'administration compte des membres de plusieurs pays, c'est à
Washington [qu'elle] doit rendre des comptes en définitive ». Nicolas
Arpagian esquisse une comparaison avec la Grande-Bretagne, « dont la
suprématie sur les voies maritimes a assuré la domination au cours du
XIXe siècle » : « Les Britanniques maîtrisaient ces voies de
communication indispensables au commerce et aux échanges
intercontinentaux. Ainsi, l'Icann a décidé par le passé de suspendre
l'enregistrement des sites Internet en. iq (pour l'Irak) et en. af
(pour l'Afghanistan). » (Les Échos, 20/08/09) À la demande du
gouvernement américain, influencé par les lobbies puritains, elle
renonça également à ouvrir le domaine .xxx, censé faciliter
l'identification des sites pornographiques.
Une responsabilité multilatérale ?
« Les dispositions actuelles qui prévoient un contrôle
unilatéral [...] doivent céder la place à un autre mécanisme qui
permettrait de garantir qu'une responsabilité multilatérale s'applique
à l'Icann », proclame-t-on à Bruxelles. « Il conviendra [...] de
s'assurer que le fait que l'Icann a été constituée en société en
Californie n'empêche pas qu'il soit tenu compte des demandes
gouvernementales... » Manifestant quelque velléités d'indépendance,
l'Icann s'était d'emblée heurtée au Congrès. En dépit de ses
incantations, la Commission européenne ne se fait pas d'illusion quant
aux allégeances futures du « shérif du cyberespace » : « Le
gouvernement américain n'a jamais cessé de dire qu'il garderait le
contrôle effectif de la coordination des fonctions essentielles en
matière de noms et d'adresses au niveau mondial. »
Publié dans Internet | Pas de commentaires