Europe : la fuite en avant

6 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le marasme financier se prête à la surenchère fédéraliste. Avec le risque, pour l'Union européenne, d'essuyer de nouveaux échecs dont l'économie ferait les frais.

Une réforme de la "gouvernance économique" de l'UE a été approuvée par le Parlement européen le 28 septembre. Selon ses promoteurs, la discipline budgétaire des États membres devrait s'en trouver renforcée, ainsi que la surveillance des déséquilibres macro-économiques. Cela étant, les fantasmes des européistes les plus fervents sont loin d'être réalisés. Dans un entretien accordé à La Tribune, le Français Joseph Daul, chef de file des eurodéputés PPE, prône un "big bang" fédéral. Ce serait « très simple » selon lui : « Les gouvernements [...] devraient décider de s'attaquer de façon drastique à leur endettement en prenant, en bloc et le même jour, des mesures telles que la convergence vers le haut de l'âge de la retraite et de la durée hebdomadaire du travail, ou encore l'harmonisation de leur fiscalité. » Des paroles en l'air.

Multiples précédents

D'autres évoquent une nouvelle révision des traités européens. « Parmi les mesures envisagées figure notamment la transformation de l'Eurogroupe en une institution à part entière, disposant d'un secrétariat renforcé et de procédures propres afin d'assurer la continuité des travaux entre chaque réunion mensuelle des ministres des Finances de la monnaie unique », croit savoir La Tribune. Cela serait-il inenvisageable en l'état du droit ? Des années durant, le Conseil européen des chefs d'État ou de gouvernement de l'Union s'était réuni en marge du formalisme juridique... Étant donné la gestation délicate du Fonds européen de stabilité financière, la ratification laborieuse du traité de Lisbonne, le fiasco du traité établissant une constitution pour l'Europe, peut-être faudrait-il s'épargner des péripéties supplémentaires. D'autant qu'une telle aventure nourrirait vraisemblablement l'incertitude honnie par l'économie.

Mensonge volontariste, tentation populiste

27 septembre 2011

Chronique enregistrée pour RFR le vendredi 29 juillet 2011.

Une fois n'est pas coutume, l'assainissement budgétaire s'annonce comme un thème majeur de la campagne présidentielle. Cela suscite d'ailleurs un certain malaise à gauche. En revanche, les souverainistes s'en donnent à cœur joie. Tandis que les gouvernements semblent impuissants à résoudre la crise des dettes souveraines, ils agitent une solution miracle, le retour aux monnaies nationales, et proclament que l'histoire leur a donné raison – ce qui n'est pas impossible.

« Sans doute eût-il mieux valu que la Grèce ne rentre pas dans l'euro », reconnaît, par exemple, Alain Madelin. « En conservant son drachme », explique-t-il, « elle n'aurait pu s'endetter inconsidérément comme elle l'a fait sous le parapluie de l'euro et la sous-compétitivité de son économie aurait pu être corrigée par une dévaluation ». Oui mais voilà : abandonner la monnaie unique, c'est autre chose que de ne pas l'avoir adoptée. Aux yeux de l'ancien ministre de l'Économie, il apparaît « impossible d'organiser une conversion forcée de l'ancienne monnaie quand celle-ci continue d'avoir cours comme ce serait le cas avec l'euro ». Pour s'imposer, en effet, « le nouveau drachme [...] se devrait d'être plus attractif que l'euro ». Concrètement, comment voudriez-vous convaincre tout un chacun d'échanger ses euros contre des drachmes ou des francs dont la valeur serait appelée à fondre sur le marché des devises ? Toujours selon Alain Madelin, « le seul exemple connu de sortie d'une zone monétaire par la dévaluation » serait celui du Mali en 1962, « dont l'échec fut piteux ». Voilà un précédent qui mériterait d'être étudié avec la plus grande attention.

Outre la monnaie unique, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan pointent une réforme intervenue en 1973, qu'ils dénoncent sous le nom de « loi Rotschild ». C'est une allusion à la banque éponyme, qui fut l'employeur éphémère de Georges Pompidou, dont celui-ci est accusé d'avoir servi les intérêts alors qu'il était devenu président de la République. Par cette loi, l'État avait renoncé à se financer directement auprès de la Banque de France ; depuis lors, il doit compter avec les taux fixés par les marchés. C'était une façon de lutter contre les dérives inflationnistes.

Mais selon ses détracteurs, tel Aristide Leucate s'exprimant dans L'Action Française 2000 du 17 mars dernier, « on ne mesure pas à quel point l'impuissance publique ayant résulté de cette funeste décision allait conduire à la privatisation progressive de la chose publique ». Jacques Bainville aurait-il partagé cette analyse ? Il n'y a « rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu «  le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ».

Bien que les circonstances aient changé, cela donne à réfléchir et pose, à nouveau, la question du rapport du politique à l'économique. Schématiquement, deux conceptions s'opposent : l'une respecte l'indépendance de chacun des ordres, quand l'autre croit pouvoir placer le second sous la tutelle du premier. On l'observe à travers les réactions suscitées par la crise de la dette : tandis que les uns appellent l'État à réduire ses besoins de financement, les autres prônent la censure des agences de notation – autrement dit, ils s'attaquent au thermomètre plutôt que de soigner la fièvre... « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Certains s'y refusent néanmoins. Ce faisant, ils se fourvoient dans le volontarisme. Par ce terme, je ne désigne pas le dirigisme, mais un certain rationalisme : d'aucuns fantasment sur l'économie comme d'autres planifiaient jadis le découpage administratif de la France suivant des formes géométriques. Dans un article publié par Causeur en mai dernier, Georges Kaplan raconte comment s'est développé un véritable système monétaire dans la cour d'école qu'il fréquentait à l'âge de dix ans, où il échangeait des billes avec ses camarades. Preuve que l'organisation économique revêt un caractère en partie spontané. Et qu'à l'inverse, la volonté pure ne suffit pas à la transformer. La plupart des royalistes n'étant pas abusés par le mythe du contrat social, ils devraient pourtant l'admettre sans difficulté !

Selon la formule popularisée par Milton Friedman, « il n'y a pas de repas gratuit ». Autrement dit, il y a toujours un prix à payer. Peut-être la monétisation de la dette présente-t-elle quelque vertu. Je ne me risquerai pas à en débattre, mais je tiens à mettre en garde nos auditeurs contre l'illusion selon laquelle l'ardoise pourrait être effacée d'un coup de baguette magique.

Hélas, le mensonge volontariste se trouve nourri par la tentation populiste. De fait, on se targue de prendre le parti du « peuple » contre l'« oligarchie » ou quelque « super-classe mondiale ». Autant revendiquer l'espoir de provoquer un sursaut en précipitant la République vers l'abîme. Car galvaniser le mécontentement populaire, c'est bien choisir la politique du pire. Le constat établi en 1926 par Jacques Bainville demeure d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. »

Selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. »

Or, comme l'écrivait encore Jacques Bainville, en 1933 cette fois-ci, « la foule comprend à la lueur des éclairs dans le ciel, quand l'orage des changes commence à gronder. [...] Après quoi, de nouveau, elle oublie tout. » Sous la Ve République, la construction européenne et le carcan du droit ont tempéré l'incurie monétaire, mais non le laxisme budgétaire. L'opinion publique semble disposée à l'entendre plus qu'elle ne l'a jamais été.  C'est une opportunité à saisir.

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales".

Rendez-vous sur le site de RFR pour découvrir les autres interventions :

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Autour du "politique d'abord"

15 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

À la faveur de la crise, une formule chère à l'AF se trouve remise à l'honneur. À tort ou a raison ? Le débat est ouvert.

Commentant sur son blog un éditorial de Libération, où Nicolas Demorand appelait à « réarmer le pouvoir politique » contre l'influence des marchés financiers, Jean-Philippe Chauvin l'a jugé « maurrassien ». Lecteur d'une presse moins consensuelle, Aristide Leucate n'en retient pas moins des considérations du même ordre. Dans L'Action Française 2000 du 1er septembre, il a relevé cette citation d'un confrère vaudois : « C'est à l'État [...] qu'il appartient de cadrer (et non de régenter dans le détail) l'activité économique, pour s'assurer qu'elle reste au service du bien commun. » Suivait la reprise d'une formule chère à l'AF : « Politique d'abord ! »

Monétiser la dette

Ces propos feraient l'unanimité s'ils n'étaient éclairés par ceux de Marine Le Pen, pointant « notre dépendance de plus en plus forte vis-à-vis des marchés ». « Parce que c'est à eux exclusivement qu'on peut emprunter, parce qu'ils ont un monopole et qu'ils peuvent nous imposer leurs conditions, nous imposer des taux d'intérêt élevés », l'État devrait « reprendre le contrôle de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de son financement », soutient l'égérie populiste. Celle-ci vise une réforme remontant à 1973, dénoncée sous le nom de « loi Rotschild » : allusion à la banque éponyme, employeur éphémère de Georges Pompidou, dont celui-ci est accusé d'avoir servi les intérêts devenu président de la République. Par cette loi, l'État avait renoncé à se financer directement auprès de la Banque de France ; depuis lors, il doit compter avec les taux du marché. Ce faisant, il entendait se prémunir des dérives inflationnistes.

Tandis que l'Occident peine à s'extraire de la spirale des déficits, peut-être la perspective de monétiser la dette mérite-t-elle d'être débattue. Mais en gardant à l'esprit qu'« il n'y a pas de repas gratuit », selon l'expression popularisée par Milton Friedman. Autrement dit, tout se paie d'une façon ou d'une autre. Or, le coût s'avère d'autant plus élevé que l'on s'entête à faire abstraction des forces à l'œuvre dans le système économique. « Ce qui ne peut pas être refuse d'être », martelait Charles Maurras dans La Politique naturelle. « Ce qui doit être, ce que produit l'antécédent qu'on a posé, suit le cours de sa conséquence », poursuivait-il, déplorant les méfaits des « volontés mirifiques » : « On annonçait l'abondance : il faut rogner la monnaie. Les salaires ont monté, mais les prix aussi ; il faut que les salaires montent encore : comment monteront-ils si l'on n'a plus d'argent pour les payer ? » Les proclamations selon lesquelles « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », l'affirmation désinvolte que « l'intendance suivra », les gargarismes en faveur d'un « parti des politiques » sont autant d'incantations procédant d'une conviction morale : la politique apparaît plus noble que les activités économiques et financières, puisqu'on lui prête, à tort ou à raison, la seule ambition de servir le bien commun. De cela devrait découler une organisation sociale retranscrivant formellement cette hiérarchie : « politique d'abord », nous dit-on. Or, si l'on s'en tient à Maurras, « quand nous disons "politique d'abord", nous disons la politique la première, la première dans l'ordre du temps, nullement dans l'ordre de la dignité ». Ni dans celui du droit.

Volontarisme

Aussi la formule nous paraît-elle galvaudée. Et même dévoyée, étant donné qu'elle participe d'un volontarisme aux antipodes de l'empirisme cher à l'AF : on nous promet de reconstruire la société sur la base d'une abstraction, à la façon des révolutionnaires envisageant le découpage administratif de la France suivant des formes géométriques tracées au sommet de l'État. Dans ces conditions, comment s'étonner que soit survenue la crise des subprimes ? « La lune ! On n'a qu'à demander la lune », clamait Maurras. « Des mains dociles iront la cueillir dans le ciel », comme d'autres, responsables politiques en tête, ont annoncé aux ménages américains qu'ils pourraient se porter acquéreurs de leur logement quel que soit leur niveau de revenus. « Mais, peu à peu, les évidences se font jour. »

Justifiant la baisse d'un cran de la note souveraine des États-Unis, Standard & Poor's a invoqué « la profonde division politique » observée outre-Atlantique. Cela « mène à une impasse et a empêché un règlement réel du problème de la dérive budgétaire fédérale », selon Jean-Michel Six, le chef économiste Europe de l'agence de notation, interrogé par Les Échos. Sur le Vieux-Continent, les calculs politiciens nourrissent la cacophonie diplomatique, rendant d'autant plus hasardeux le rétablissement de la confiance. Preuve que, dans son acception maurrassienne, le "politique d'abord" demeure d'actualité. Ne nous y trompons pas : fustiger les agences de rating, les traders et autres spéculateurs, c'est témoigner d'une sollicitude déplacée à l'égard du personnel politique, que l'on dédouane de ses responsabilités par la désignation d'un bouc émissaire.

La France compte suffisamment de démagogues s'attaquant aux magnats du capitalisme, ennemis à bien des égards imaginaires, tant doit être relativisé le poids des individus et de leur cupidité dans le système financier. Derrière les fonds de pension, n'y a-t-il pas de modestes retraités ? Les royalistes ont mieux à faire que de noyer leurs voix parmi celles des néo-marxistes au discours convenu. Dans ce contexte, il leur appartient plutôt de dénoncer l'accumulation des déficits aux dépens des générations futures, une fiscalité rendue illisible par les atermoiements politiciens, l'interférence des calendriers électoraux dans les négociations internationales... Autrement dit, l'incurie républicaine – celle des institutions. Politique d'abord !

L'immunité européenne à tort et à travers

15 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand le Parlement européen se fait taper sur les doigts par les juges de Luxembourg.

En vertu de l'immunité dont ils bénéficient, les députés au Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis pour des opinions exprimées dans l'exercice de leurs fonctions.

On se souvient que cela n'avait été d'aucun secours à Bruno Gollnisch, tandis qu'il était trainé en justice par quelque ligue de vertu, avec la bénédiction de l'assemblée. Il y a deux ans, celle-ci s'était montrée plus solidaire à l'égard de l'Italien Aldo Patriciello, mis en cause pour dénonciation calomnieuse.

L'intérêt général vu par les eurodéputés

Au cours d'une altercation sur un parking public, ce dernier aurait accusé un agent de police de falsifier des procès-verbaux, aux dépens des automobilistes donc. Ce faisant, à en croire la majorité de ses collègues eurodéputés, il aurait agi dans l'intérêt général de son électorat. Cela n'a pas convaincu la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE). En effet, les déclarations de M. Patriciello lui sont apparues « relativement éloignées de ses fonctions de membre du Parlement européen ». Or, dans son arrêt rendu le 6 septembre, la Cour « considère que l'immunité peut être accordée seulement lorsque le lien entre l'opinion exprimée et les fonctions parlementaires est direct et évident ».

Ce principe étant posé, c'est toutefois aux juridictions nationales qu'il appartient de l'appliquer. Et cela indépendamment de l'opinion exprimée par le Parlement européen, dont la Cour souligne que « la décision de défense de l'immunité [...] constitue uniquement un avis sans aucun effet contraignant à l'égard des juridictions nationales ».

Brèches à foison dans l'UE

15 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Le navire européen prend l'eau de toutes parts. En dépit du zèle manifesté par le Parlement français, la mise en œuvre du "plan de sauvetage" de la Grèce, arrêté en juillet dernier, n'est pas assurée.

Un timide soulagement s'est emparé des capitales européennes dans la matinée du 7 septembre. Ce jour-là, le tribunal constitutionnel allemand a validé (entre autres) la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) – le principal instrument dont se sont dotés les États européens pour combattre la crise des dettes souveraines.  « Andreas Vobkuhle, le président de la cour de Karlsruhe [...] a toutefois insisté sur la nécessité pour le Bundestag d'exercer l'entièreté de ses compétences budgétaires, et de ne jamais y renoncer », rapportent Les Échos. « Il a précisé que le gouvernement doit solliciter l'approbation de la commission budgétaire du Bundestag pour toute nouvelle aide. »

Calendes grecques

Cette inclination à protéger les prérogatives d'un parlement national est volontiers montrée en exemple par les souverainistes républicains : ils y voient, naturellement, un garde-fou contre les velléités fédéralistes de l'Union européenne. Mais c'est aussi un frein à l'action du gouvernement, dont les marges de manœuvre se trouvent réduites dans les négociations internationales. De fait, les considérations de politique intérieure pourraient ruiner le travail des diplomates qui s'évertuant, bon an, mal an, à échafauder le "sauvetage" de la Grèce. Outre la volte-face d'Helsinki, on signalera la défiance de Bratislava, tout disposé à reporter aux calendes grecques, justement, le renforcement du FESF : la Slovaquie sera le dernier État de la zone euro à voter le nouveau plan d'aide à Athènes, a annoncé le Premier ministre Iveta Radicová.

Ce projet, dévoilé le 21 juillet, sera-t-il jamais ratifié par chacune des parties ? Le cas échéant, l'impact à court terme sera limité pour les finances publiques de la France. En effet, sa contribution ne se fera pas sous forme de liquidités, mais par un apport de garanties au FESF, en charge d'émettre les obligations qui lui permettront, ensuite, de prêter lui-même à la Grèce. Toutefois, expliquent Les Échos, « la dette publique brute de la France sera augmentée à mesure des émissions du FESF, ce qui représentera près de 15 milliards d'ici à 2014 (0,7 % de PIB), auxquels il faut ajouter le premier plan d'aide ainsi que les émissions au bénéfice de l'Irlande et du Portugal ». Au total, l'aide apportée aux pays en difficulté devrait représenter 40 milliards d'euros, soit 2 % du PIB, selon le député UMP Gilles Carrez, rapporteur du collectif budgétaire.

Un cap impossible

Outre la volonté idéologique de "sauver l'euro", celle d'éviter un "saut dans l'inconnu" peut motiver cette démarche. D'autant que les banques françaises sont parmi les plus exposées à la dette hellène. Mais encore faudrait-il s'accorder sur un cap à moyen terme, sans quoi la confiance sera bien difficile à rétablir, quelles que soient les sommes déversées dans le tonneau des Danaïdes. Étant donné la prégnance du fait national et l'interférence des échéances électorales, peut-être cela s'avère-t-il impossible ? Telle est la conviction qui pourrait bien gagner l'Europe. En tout cas, certains tabous sont en passe d'être brisés : le gouvernement allemand étudierait désormais l'hypothèse d'un retour au drachme, affirment nos confrères du Spiegel.

Peut-être s'agit-il d'une rumeur délibérément diffusée afin d'exercer une pression sur Athènes. Quoique les circonstances y suffiraient vraisemblablement : la Grèce pourrait se trouver à court de liquidités dès le mois prochain. On devine la tension qui doit animer les discussions avec la BCE et la Commission européenne, suspendues quelques jours durant à l'occasion d'un différend... Des dissensions se font jour de toutes parts – jusque dans les couloirs feutrés de la Banque centrale européenne ! Alors que les ministres des Affaires européennes des Vingt-Sept se réunissaient à Bruxelles lundi dernier, 12 septembre, les représentants de sept États sont montés au créneau pour dénoncer leur mise à l'écart des négociations portant sur la réforme de l'Union économique et monétaire. « Nous sommes insatisfaits de la rencontre Merkel-Sarkozy et de ses effets », a même déclaré Donald Tusk, le chef du gouvernement polonais, qui attendait – « et attend toujours » – « des décisions beaucoup plus fermes ».

Serait-il déçu par la règle d'or promise par le président de la République ? D'autres ont déjà manifesté leur scepticisme à ce propos, tel Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. Fidèle à la mission que lui assigne son mandat, il exhorte néanmoins les responsables européens à serrer les rangs. En vain. Reste la proposition de l'Allemand Günther Oettinger, commissaire européen en charge de l'Énergie : selon lui, il conviendrait de mettre en berne, à l'abord des édifices communautaires, les drapeaux des États sortant des clous du Pacte de stabilité. Voilà qui devrait nous tirer d'affaire.

Critique du volontarisme

11 septembre 2011

Causeur a publié jeudi dernier, 8 septembre 2011, une contribution de Georges Kaplan que nous serions prêt à signer pratiquement sans réserve. Extrait.

« La question n'est pas de savoir si l'État peut ou ne peut pas légiférer, contrôler, inciter et contraindre ; ça n'a jamais été le problème. Le vrai problème, tel qu'il a toujours été, consiste à comprendre et à anticiper les conséquences des législations, des contrôles, des incitations et des contraintes. [...] Le discours politique, à de très rares exceptions près, ne restera jamais rien d'autre qu'une suite de mots mis bout à bout par un politicien qui cherche à nous vendre du rêve contre notre suffrage. Chaque politique volontariste est une nouvelle rustine destinée à colmater les fuites provoquées par les politiques volontaristes précédentes et qui provoquerons bientôt elle-même de nouvelles fuites que nous devrons à leur tout colmater avec de nouvelles politiques volontaristes. C'est le cycle sans fin d'autojustification de l'intervention publique qui déclenche des crises, les attribue au marché et recommence. N'en déplaise aux apôtres de la toute puissance de l'État, la réalité c'est le marché. Même en Union soviétique, le marché existait toujours et ses lois continuaient à s'imposer au planificateur. La raison en est très simple : c'est que le marché, voyez vous, c'est nous ; le marché c'est le produit de nos réflexions, de nos raisonnements et de nos actions. Tant que les êtres humains disposeront d'une volonté propre et seront disposés à coopérer pacifiquement entre eux, aucune politique, aussi volontariste et coordonnée soit-elle, ne pourra jamais réussir à s'affranchir de cette réalité. »

Crise de la dette : la solidarité mise à mal

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Soumis aux pressions des opinions publiques, les gouvernements européens se montrent incapables de parler d'une seule voix, révélant la fragilité d'une illusoire solidarité budgétaire.

L'euro a-t-il été créé dans la précipitation ? C'est, apparemment, l'opinion du président de la République. Le 16 aout , à l'issue d'une rencontre avec le chancelier allemand, il a déploré que la monnaie unique ait été établie « sans prévoir au préalable l'harmonisation des compétitivités » – tâche à laquelle il prétend désormais s'atteler. À moyen terme, un impôt sur les sociétés harmonisé de part et d'autre du Rhin pourrait symboliser la convergence accrue des économies européennes.

Une intégration ambiguë

Chantre de l'"intégration", Nicolas Sarkozy se défend néanmoins de toute velléité fédéraliste : « L'Europe des vingt-sept et bientôt des trente [...] ira de plus en plus vers la confédération », a-t-il annoncé. La nature du futur « gouvernement économique » de la zone euro pourrait le confirmer – du moins formellement : selon le vœu de Paris et Berlin, en effet, cette responsabilité ne serait pas confiée à la Commission européenne, mais à la réunion des chefs d'État ou de gouvernement. Quant à la mutualisation des dettes publiques, elle apparaît pour l'heure exclue. « Cela consisterait à garantir par [notre] triple A la dette de tous les pays de la zone euro », a expliqué le chef de l'État. « Cela voudrait donc dire que nous garantirions la totalité de la dette sans avoir la maîtrise de la dépense et de la création de la dette », a-t-il prévenu.

Or la priorité est donnée au respect de la discipline budgétaire, que serait censée garantir l'adoption, d'ici l'été 2012, d'une "règle d'or" par les dix-sept États membres de la zone euro. En vertu d'une telle disposition, les lois de finance annuelles seraient soumises à un objectif de retour à l'équilibre budgétaire. « Cela ne dépend pas que du droit européen », a souligné Angela Merkel. « Inscrire cela dans son droit national, c'est la meilleure façon de nous engager », a-t-elle déclaré. D'autant qu'en cas de manquement « la plus grande sanction ne viendrait pas [...] de la Commission mais de l'intérieur ».

Hochet présidentiel

Un consensus transpartisan vient d'être négocié en Espagne afin de modifier la constitution en ce sens. En France, « un certain nombre de personnalités qui n'appartiennent pas à la majorité ont déjà fait savoir qu'[elles] étaient favorables à l'adoption de cette règle », a assuré le président de la République. Peut-être se feront-elles davantage entendre après la primaire socialiste ? À l'approche de l'élection présidentielle, la tentation est d'autant plus grande d'instrumentaliser le débat. Y compris à droite, où l'on pourrait fort bien s'accommoder de l'opposition socialiste, censée souligner, par contraste, le sens des responsabilités propre à l'UMP.

C'est dire combien les calendriers électoraux et autres calculs politiciens interfèrent dans les négociations internationales. Au risque de faire capoter les tentatives de résolution de la crise des dettes souveraines. « Devoir mettre la main à la poche pour sauver la Grèce endettée ne semble faire ni chaud ni froid aux Français », constatait le Courrier international en juillet dernier. En fait, ils feraient « rarement le lien entre l'argent du gouvernement et leur impôt », selon The Economist. Quoi qu'il en soit, comme le rappelait le magazine britannique, « chez tous les autres pays créditeurs de la zone euro [...], le coût de ces sauvetages a fait l'objet de débats animés ». Confronté à la pression des Vrais Finlandais, Helsinki s'est distingué en exigeant d'Athènes des garanties bilatérales en échange de sa participation au plan de soutien présenté le 21 juillet. « Dès le lundi 22 août, Moody's a expliqué que "l'accord entre la Grèce et la Finlande, en lui-même de faible ampleur, n'en est pas moins très significatif" », rapporte Euractiv. « La solidarité européenne ne serait ainsi pas sans faille. » En dépit de l'interdépendance des économies, autant dire qu'elle repose sur du sable !

Controverse à Francfort

Alors que les emprunts d'État rachetés par la Banque centrale européenne dépassent désormais les 100 milliards d'euros, La Tribune signale que le président de la République fédérale d'Allemagne, Christian Wulff, a fustigé une pratique « contestable juridiquement ». Quant à la Bundesbank, si l'on en croit Les Échos, elle aurait critiqué « avec une ardeur peu commune » l'esquisse d'une solidarité budgétaire européenne. Celle-ci est accusée d'affaiblir « les fondements de la responsabilité budgétaire en zone euro et la discipline des marchés de capitaux, sans qu'en contrepartie les possibilités de contrôle et d'influence sur les politiques financières nationales aient été sensiblement renforcées ». La cacophonie aidant, les tensions semblent appelées à durer sur les marchés obligataires.

Présence de Bainville

1 septembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Mis à l'honneur dans la presse, Bainville se trouve par ailleurs invoqué dans le débat économique.

Jacques Bainville a fait l'objet d'un éloge dans les colonnes de L'Express. « L'historien et journaliste monarchiste avait tout pour lui : lucidité, brio, maîtrise de tous les genres », lit-on en introduction d'un article publié le 12 août sur le site Internet de l'hebdomadaire. Outre « l'aptitude de Bainville à la prophétie », qu'il juge « époustouflante », Emmanuel Hecht souligne la distance qui le séparait de Charles Maurras et Léon Daudet. Une concession au "politiquement correct" au demeurant nuancée, d'autant que notre confrère invoque une « question de tempérament ». De fait, « les coups de poing [...], la crudité et la violence du langage [...], l'antisémitisme, répugnaient au distingué Jacques Bainville ».

Rigueur budgétaire

Par ailleurs, on relèvera quelque écho à l'actualité en relisant les articles économiques de l'illustre journaliste. « Rien de plus terrible que la liberté donnée à l'État d'imprimer du papier-monnaie », écrivait-il dans L'Action Française du 2 novembre 1925. À ses yeux, l'indépendance de la Banque de France constituait un « garde-fou » grâce auquel avait été contenu « le gaspillage financier, inhérent aux démocraties ». Cela nourrira la discussion, au moment où l'on envisage de monétiser la dette publique en autorisant de nouveau l'État à se financer directement auprès de la banque centrale, en marge de la pression des marchés. « Quand on n'a pas assez de bonne monnaie, et qu'on est bien résolu à ne pas recourir à la fausse, quand on veut se contenter de ce peu de bonne monnaie plutôt que d'aller à la ruine par une richesse fictive, que faut-il faire ? » se demandait Jacques Bainville, quelques mois plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien royaliste. « Se restreindre », répondait-il. Selon lui, « il n'y a pas d'autre système que les économies ».

Peut-être les circonstances ont-elles changé – l'heure n'est plus à l'inflation galopante. Et peut-être nos lecteurs partageront-ils l'aversion de Maurras pour certaines théorisations... « Il n'y a pas de protectionnisme, il n'y a pas de libre échange qui tienne », affirmait-il. « Il y a la vigilance et l'incurie, il y a l'organisation intelligente des tarifs ou la résignation à leur jeu automatique et mécanique, lequel ne peut être que désastreux comme toute résignation humaine aux caprices de la nature. »

Quoi qu'il en soit, ce constat établi en 1926 par Jacques Bainville nous semble toujours d'actualité : « Les neuf dixièmes de la France ne comprennent rien à ce qui se passe. D'où la difficulté de demander à la masse, représentée par ses élus, des sacrifices dont la portée et la destination lui échappent. » Or, selon l'historien d'AF, « dans toute la mesure où elle était indépendante de l'élection, la Restauration a été économe. Dans toute la mesure où elle dépendait de l'opinion publique, elle a suscité un mécontentement et des rancunes que ne désarmait pas le retour de la prospérité. "Grande et importante leçon", eussent dit nos pères. Elle explique la lâche paresse avec laquelle nos gouvernements démocratiques se sont laissé aller, comme la Révolution elle-même, sur la pente facile des assignats et de l'inflation. » Ainsi que sur celle des déficits...

Les citations de Jacques Bainville sont tirées de La Fortune de la France, un recueil d'articles paru en 1937 et disponible gratuitement dans la bibliothèque numérique des "Classiques des sciences sociales" : http://classiques.uqac.ca/

Les vacances, une affaire d'État

4 août 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Les services gouvernementaux veillent sur le bonheur des Français. Pour preuve, ils se soucient de les faire partir en vacances. Cela donne à réfléchir sur les modalités de l'aide sociale.

Parmi les Français, 62 % étaient partis en vacances au cours de l'année passée. Du moins, au sens où l'entend l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), qui définit les vacances comme un déplacement d'agrément d'au moins quatre nuits consécutives hors du domicile. Quoique supérieure à la moyenne européenne, cette proportion est jugée insuffisante par le Centre d'analyse stratégique (CAS). Dans une note d'analyse publiée le mois dernier, celui-ci promeut le développement d'« une politique globale de soutien au départ en vacances pour tous ». Cela conformément à la loi selon laquelle, depuis 1998, « l'égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national ».

Psychologie

Les rapporteurs escomptent quelque bénéfices de la multiplication des vacanciers, « tant en matière de bien-être que d'autonomisation, de lien social, de soutien à la parentalité ou de lutte contre l'exclusion ». Autant de préoccupations auxquelles les pouvoirs publics pourraient répondre sans prendre par la main tout un chacun. Les auteurs vont jusqu'à traiter des « barrières psychologiques » faisant obstacle au départ chez les personnes souffrant d'anxiété. C'est dire les dérives auxquelles se prête la politique sociale. Dans le cas présent, elle investit un domaine que nous réserverions à la Santé. Constatant, par ailleurs, que « les propriétaires d'une maison apprécient d'y rester pour faire des travaux ou pour inviter des proches », les rapporteurs en concluent que « la qualité de vie quotidienne influe [...] fortement sur le choix de partir ou non, ce qui pourrait expliquer que les Corses restent deux fois plus chez eux que la population générale ». Le cas échéant, l'État ne devrait-il pas se concentrer sur l'urbanisme et l'organisation du territoire ?

Le CAS lui assigne une autre priorité : « développer le sentiment d'appartenance à un collectif européen », en s'assurant que les jeunes Français aient voyagé au moins une fois dans l'Union européenne avant leurs vingt ans. Peut-être pourrait-on commencer par faire visiter Versailles aux écoliers, quitte à inscrire dans un jumelage ce genre d'initiatives... L'observation suivante nous est apparue plus pertinente : « Indépendamment des structures marchandes, d'autres systèmes se développent grâce à l'internet, à l'image des échanges de maisons et d'appartements entre particuliers. » Un dispositif jugé particulièrement intéressant dans le champ du handicap, où seraient échangés des logements accessibles. Au-delà, on évite l'écueil affectant les infrastructures exploitées en marge des activités lucratives. En effet, « face aux effets d'usure mais aussi à l'évolution des standards de qualité, les structures du tourisme associatif répondent de moins en moins aux attentes de leurs clients : ce serait ainsi près de 40 % du parc immobilier qui nécessiterait des travaux pour un montant estimé à 500 millions d'euros. »

Usine à gaz

Parmi les dispositifs sociaux censés favoriser les départs en vacances, on relève les chèques vacances, les aides des caisses d'allocations familiales, des réductions offertes par la SNCF et de multiples initiatives locales et associatives. Or, « cette diversité de sources de financement et d'offres d'accompagnement [...] présente inévitablement un certain nombre de limites en termes d'accès à l'information et à l'ensemble des droits disponible ». C'est d'ailleurs un problème récurrent en matière sociale. Plusieurs initiatives visent à pallier ces difficultés. Tel le projet "Espace vacances aides au départ" (EVAD), porté par trois associations en Poitou-Charentes, qui devrait se concrétiser par la mise en ligne d'un site Internet, l'installation d'une permanence téléphonique et des campagnes de communication et de formation communes.

Entretenue de la sorte, l'usine à gaz continuera peut-être à tourner des années durant, mais au prix d'une énergie largement dissipée en chaleur. Or, en pleine crise de la dette souveraine, l'État-providence subira vraisemblablement de multiples assauts. Jadis en pointe sur les questions sociales, les royalistes devront se saisir du débat. Peut-être trouveront-ils quelque source d'inspiration dans les propositions de "revenu familial minimum garanti" ou autres "impôt négatif" censés substituer aux minima sociaux une allocation dégressive servie aux plus modestes. Si l'on en croit ses promoteurs libéraux, l'idée fut popularisée dans les années soixante par le cercle des économistes de Chicago, autour de Milton Friedman, le chantre du monétariste. C'est un lourd passif, dont le rappel ne devrait pas faciliter sa diffusion dans l'Hexagone... De toute façon, le gouvernement vient d'annoncer la mise en place imminente d'un tarif social pour l'internet haut débit. Quant aux politiciens en campagne, peut-être montreront-ils la Belgique en exemple : là-bas, l'assurance chômage contribue à financer les congés des jeunes actifs.

Vivre dans la mondialisation

21 juillet 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Rompant avec la sinistrose, un rapport officiel vante l'attractivité économique de la France... et les réformes du gouvernement. Un atout agité au vent de la mondialisation, à laquelle nous ne saurions échapper selon le Premier ministre.

Le déficit commercial de la France a atteint un nouveau record en mai dernier, s'élevant à 7,42 milliards d'euros. Cela rend d'autant plus criantes les faiblesses de la compétitivité nationale, pointées par moult observateurs. À l'occasion du lancement de la nouvelle Yaris, toujours fabriquée à Valenciennes, Toyota n'en a pas moins confirmé la viabilité de son implantation hexagonale. « On peut produire une petite voiture en France », assure Didier Leroy, P-DG de Toyota Motor Europe, dans un entretien accordé à La Tribune (08/07/2011). « Les coûts salariaux sont importants. Mais, si vous produisez dans un pays à bas coûts, ce que vous économisez en main d'œuvre peut être entièrement contrebalancé par les coûts logistiques. Or, dans un rayon de 350 kilomètres autour de Valenciennes, on a un marché potentiel de 130 millions de personnes ! Le fait de fabriquer en France n'est pas en soi un handicap. Nous avons d'ailleurs quarante-trois fournisseurs pour la Yaris III dans l'Hexagone et 80 % de nos achats sont effectués en Europe occidentale. »

Aux yeux des plus optimistes, la démarche du constructeur japonais apparaîtra comme une illustration flagrante de l'attractivité de la France, dont le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de publier un "tableau de bord" élogieux. « 2010 aura été l'année du rebond », s'enthousiasme l'héritier du commissariat général du Plan : « La France a été choisie, chaque semaine en moyenne, par quinze entreprises étrangères pour des investissements nouveaux, à l'origine de 32 000 emplois. » Le rapport s'intéresse aux investissements d'origine étrangère (IDE), réputés tels s'ils sont réalisés par une société détenue à plus de 50 % par des capitaux étrangers : « Avec 57,4 milliards d'IDE entrants [...] la France est en 2010 la troisième destination mondiale derrière les États-Unis et la Chine-Hong-Kong. [...] Par rapport à la richesse nationale (stocks d'IDE/PIB), la France accueille deux fois plus d'investissements étrangers que l'Allemagne, l'Italie ou les États-Unis. » En outre, « comme en 2009, la France est en 2010, au premier rang européen en matière d'accueil d'implantations industrielles, qui comptent pour 57 % des emplois créés ».

Selon les rapporteurs, « la capacité à former des talents venus de l'étranger traduit, autant qu'elle conditionne le rayonnement, la compétitivité et l'attractivité ». Or, la France serait le quatrième pays mondial d'accueil des étudiants « en mobilité internationale », derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 11 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur en France étaient étrangers en 2008 – une proportion comparable à celle de l'Allemagne, mais nettement inférieure à celle du Royaume-Uni.

Parmi les facteurs de l'attractivité nationale figurent le traitement fiscal de la "recherche et développement" (R&D) et le prix de l'électricité. L'évaluation des compétences scientifiques des élèves de quinze ans, ainsi que la capacité d'innovation des entreprises, placent la France dans la moyenne des pays comparables. Les barrières à l'entrepreneuriat ne la distingueraient pas davantage, quoique la création d'une  entreprise y soit jugée plus facile qu'outre-Rhin : à cet effet, sept jours auraient été nécessaires en 2010, contre quinze en Allemagne. Parmi les États de la zone euro, la France afficherait même « une des meilleures maîtrises de ses coûts salariaux unitaires relatifs », l'Allemagne faisant toutefois « figure d'exception », avec une amélioration de sa "compétitivité-coût" à partir de 2003. À l'avenir, la simplification administrative et fiscale devrait constituer une priorité. Les auteurs rappellent que « la charge fiscale effective pesant sur les entreprises en France apparaît beaucoup plus faible que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne le laisse supposer ». En la matière, la France se trouve dans une situation inverse à celle de l'Irlande.

« Les chiffres rassemblés dans le présent tableau de bord positionnent la France aux premiers rangs européens sur un grand nombre de facteurs objectifs », martèle le Centre d'analyse stratégique. Le jugement pourra fluctuer selon que l'on compare Paris à Berlin ou Athènes... De fait, on ne relève pas vraiment de surprise dans ce rapport, dont la diffusion relève, à certains égards, d'une opération de communication réussie. D'ailleurs, ses auteurs versent ouvertement dans l'apologie du gouvernement, vantant la suppression de la taxe professionnelle « sur les investissements productifs », la consolidation du crédit d'impôt recherche, « l'utilisation offensive de la fiscalité pour servir la compétitivité des entreprises », le succès du statut d'auto-entrepreneur, le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail et le lancement du programme d'"investissements d'avenir".

Cela étant, la méthode Coué présente parfois quelque vertu. C'est pourquoi nous accueillons avec avec bienveillance la volonté de rompre avec la sinistrose. Mais la quête d'attractivité participe de l'inscription dans la mondialisation, dont les critiques ou adversaires sont légion, notamment parmi les royalistes. Le CAS semble d'ailleurs le revendiquer : « La croissance de 22 % du nombre de projets étrangers en 2010 vaut reconnaissance de l'ouverture de notre pays », affirme-t-il. Cela ne manquera pas d'alimenter les débats politiques au cours des prochains mois. « À l'approche des échéances électorales, propices aux contestations systématiques et aux utopies de tous ordres, nous maintiendrons notre ligne de vérité et de réalisme », a prévenu François Fillon, visant vraisemblablement Marine Le Pen. « Ceux qui font croire que l'on pourrait "démondialiser" l'histoire, et se ménager le confort d'une politique solitaire, sans contraintes extérieures, ceux-là entretiennent une illusion dangereuse », a-t-il poursuivi. Aux yeux du Premier ministre, en effet, « la mondialisation, c'est un fait ; ça n'est pas une hypothèse, que l'on pourrait accepter ou refuser selon son bon plaisir ». Alors qu'il affublait chacun de ses modèles d'un style « universel », Toyota annonce qu'à l'avenir « chaque région du monde aura la possibilité de le personnaliser ». Preuve que l'édification du "village global" ne va pas sans flux et reflux.

Quoi qu'il en soit, selon le rapport du CAS, la part de la capitalisation boursière des sociétés françaises du CAC 40 détenue par des non-résidents se serait élevée à 42 % fin 2010 ; en dix ans, le flux d'IDE serait passé de 17 à 42 % du PIB ; enfin, près d'un salarié sur sept du secteur marchand travaillerait dans la filiale d'un groupe étranger, et même un sur quatre dans l'industrie manufacturière. C'est dire le défi que constituerait, aujourd'hui, la mise en œuvre d'une véritable politique de "patriotisme économique".