L'Outre-mer au cœur des convoitises

5 septembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que les richesses de la mer acquièrent une nouvelle valeur, la France peine à protéger l'immense zone économique exclusive que lui confèrent ses territoires d'outre-mer.

À l'avenir, « les enjeux maritimes ne vont cesser de croître », a prévenu l'amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine (CEMM), le 18 juillet 2012, lors d'une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. « 70 % de ce que l'on construit, achète ou exporte passe par la mer », a-t-il souligné. « C'est la raison pour laquelle l'embargo maritime est l'un des premiers moyens de pression utilisés : on l'a encore vu récemment lors de la crise libyenne. » Tandis que le trafic maritime poursuit son développement, « la mer devient un espace de richesse et de prospérité industrielles de plus en plus important ». Quant à l'installation de champs éoliens ou hydroliens, elle pourrait « poser des problèmes de sauvegarde et de sécurité ».

Du pétrole en Guyane

La « "maritimisation" du monde » concerne directement la France, dont la zone économique exclusive (ZEE) – la deuxième du monde – s'étend sur près de 11 millions de kilomètres carrés, et pourrait même bénéficier d'une extension, sur laquelle planche le programme interministériel Extraplac, en application de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), plus connue sous le nom de convention de Montego Bay. La Polynésie française, ainsi que les environs de Wallis et Futuna, semblent abriter d'importants gisements de terres rares. Par ailleurs, rappelle l'amiral Rogel, « nous allons devenir une nation pétrolière en mer grâce à la Guyane d'ici un à deux ans ».

Or, prévient-il, « si nous ne surveillons pas notre ZEE et ne montrons pas notre pavillon, nous serons pillés ! » Les rivalités auxquelles se livrent, en mer de Chine, Pékin, Manille et Hanoï, seraient révélatrices : « Dès qu'on trouve un îlot rocheux comportant un certain potentiel en termes de ressources pétrolières, gazières ou minérales, il est susceptible de donner lieu à des tensions. » D'ores et déjà, les ressources halieutiques  suscitent la convoitise. En conséquence, un patrouilleur est déployé au large des îles Kerguelen, pour protéger la légine, un poisson des mers froides australes à forte valeur commerciale, apprécié pour sa chair blanche et fondante. En outre, rapporte l'amiral, « nous observons [...] une contestation de notre souveraineté sur certains de nos îlots outre-mer tels que Clipperton, les îles Éparses ou Matthew et Hunter ».

Missions compromises

Dans ces conditions, le format de la Marine lui apparaît « juste suffisant ». « Après plusieurs encoches budgétaires », a-t-il déploré, « nous nous trouvons dans une situation très compliquée, qui nous oblige parfois à réduire le taux d'activité de nos bâtiments. Ce problème est aggravé par le fait que [...] nous sommes entrés dans une phase de réduction temporaire de capacité (RTC), autrement dit de non-remplacement à temps des bâtiments vieillissants – les programmes étant décalés pour faire des économies budgétaires –, notamment des frégates et des patrouilleurs outre-mer. L'âge moyen de la flotte est de vingt-quatre ans. Son renouvellement [...] va devenir un enjeu important dans la situation budgétaire actuelle. Plus on décalera les programmes, plus on aura des RTC et plus nos missions comporteront des lacunes. »

Lors de l'opération Harmattan (l'intervention en Libye), rappelle l'amiral Rogel, « nous avons dû faire des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, notamment contre le narcotrafic ou l'immigration illégale – dans le cadre de l'opération européenne Frontex –, ou des missions de sûreté au profit de la FOST » (la Force océanique stratégique, chargée de la dissuasion nucléaire). « Si l'on nous demandait des réductions d'effectifs supplémentaires, la situation pourrait devenir grave », a prévenu le chef d'état-major de la Marine. Selon lui, « le livre blanc précédent n'a pas assez pris en compte ce problème de mission de souveraineté, notamment dans les DOM-COM. J'espère que ce point pourra être corrigé », a-t-il conclu. Affaire à suivre.

Les armées déshéritées

10 août 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Le chef d'état-major des armées tire la sonnette d'alarme : d'ores et déjà, reconnaît-il, « la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

Tandis qu'une commission prépare la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA), a mis en garde l'Assemblée nationale : « toute diminution du budget se traduira mécaniquement par un abandon de capacité », a-t-il déclaré le 11 juillet 2012, lors d'une audition en commission.

Notre outil de défense présenterait « un "rapport qualité-prix" exceptionnel » : « L'Allemagne consacre à sa défense un budget comparable alors qu'elle ne dispose pas de dissuasion nucléaire et qu'elle est moins impliquée que nous sur la scène internationale. L'armée britannique, notre armée presque jumelle, dispose d'un budget supérieur de 40 %. » Dans ces conditions, bien que le « plan de déflation des ressources humaines » soit respecté pour l'instant, « le plus dur reste à faire ». Au risque de fragiliser encore le moral des armées, aujourd'hui « au seuil d'alerte » selon le CEMA.

Le rapatriement des troupes engagées en opérations extérieures (Opex) n'y est pas étranger. À la fin de l'année, moins de cinq mille hommes devraient être déployés en Opex – « un étiage historiquement bas » : sur les vingt dernières années, la moyenne dépassait les douze mille soldats. De quoi dégager quelques marges budgétaires ? Il faut se garder de la conclusion selon laquelle « la baisse – conjoncturelle – de nos engagements diminuerait nos besoins », prévient l'amiral Guillaud. « Ce serait oublier que le temps du développement capacitaire est long, très long ! » Pour un char, par exemple, « entre le début de conception et le démantèlement du dernier exemplaire, s'écoulent soixante ans ». En outre, « le recrutement et la formation de spécialistes nécessitent entre cinq et dix ans » – ce qui serait « encore peu au regard du temps nécessaire à une vraie acculturation ». « Notre expertise, notre culture de l'engagement sont les résultats de décennies d'opérations variées, de réflexion, d'expérimentation, de transmission du savoir. » Par conséquent, avertit le CEMA, tout renoncement s'avérerait « potentiellement irréversible ».

Dores et déjà, déplore-t-il, « certaines capacités nous font défaut, comme le SEAD – la suppression des défenses antiaériennes ennemies – en général indispensable pour entrer en premier. D'autres sont notoirement insuffisantes. [...] D'autres, enfin, sont d'une conception suffisamment ancienne pour que leur modernisation, leur entretien ou leur mise aux normes d'exploitation actuelles devienne très coûteuse. [...] La disponibilité de nos matériels devient fragile. Nos stocks de rechanges et de munitions doivent être surveillés avec attention. Nos meilleurs systèmes sont déployés sur les théâtres d'opérations – ce qui est normal – mais en contrepartie, la métropole s'entraîne avec des matériels plus anciens ou partiellement équipés. Il est par conséquent de plus en plus difficile de concilier l'engagement opérationnel et un entraînement de qualité. Or, l'entretien des compétences est un enjeu majeur. » « Au bilan », reconnaît le chef d'état-major des armées, « en termes de capacités, la traduction intégrale de l'ambition politique qui nous a été fixée n'est plus tenable ».

L'Europe, planche de salut de l'industrie militaire ?

19 juillet 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que se prépare la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, semble ne jurer que par l'"Europe", à laquelle il conviendrait de confier, entre autres, les destinées de l'industrie militaire.

La rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été lancée vendredi dernier, 13 juillet 2012. Ce jour-là, le chef de l'État a confié à Jean-Marie Guéhenno, conseiller maître à la cour des Comptes, la présidence de la commission chargée de  mener à bien cet exercice de prospective. À moins qu'il s'agisse d'une « causerie de salon » ? Le cas échéant, celle-ci servirait à justifier des restrictions budgétaires supplémentaires décidées par avance, comme le suggèrent, dans un rapport parlementaire, les sénateurs Jacques Gautier, Alain Gournac, Gérard Larcher, Rachel Mazuir, Jean-Claude Peyronnet, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner et Gilbert Roger. Critiquant le livre blanc établi sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ils déplorent que n'y soit mentionné « aucun élément permettant de comprendre le passage des résultats de l'analyse stratégique au format d'armée ». Toutefois, reconnaissent-ils, « en temps de paix, le budget et l'industrie entrent tout autant que la définition des menaces dans l'équation conduisant in fine à la définition du format des armées. Il est donc normal de les intégrer et de confronter l'outil de défense idéal avec l'outil de défense réaliste, celui qu'on peut se payer. »

La DGA dicte sa loi

N'en déplaise aux thuriféraires du néo-gaullisme, selon lesquels « l'intendance suivra », il n'y a pas lieu de s'en offusquer selon nous. D'autant que les arbitrages en matière de défense ne sont pas sans incidence sur l'économie. Pour un euro investi dans une "capacité militaire industrielle critique", l'État récupérerait 1,60 euro, rapportent les sénateurs. « Une étude sur la filière missile montre en particulier que la contribution économique globale générée par cette filière (605 millions d'euros) est largement supérieure au montant des dépenses de R&D exigé par l'existence de cette filière (350 millions d'euros), dont une partie seulement est financée par le budget de la défense (200 millions d'euros). La France devant de toutes les façons acquérir des missiles, le fait de les produire sur son territoire génère d'importantes retombées économiques en termes d'emplois, de fiscalité, de charges sociales. La seule contribution économique globale générée par l'activité export (331 millions d'euros) est largement supérieure au montant des dépenses de R&D exigés par l'existence de cette filière et financés par le budget de l'État. »

Cela légitime le poids accordé aux considérations industrielles. De fait, la DGA (Direction générale de l'armement) jouerait « un rôle prépondérant et quasi exclusif dans la détermination des orientations d'acquisitions des équipements ». Parfois au détriment des impératifs opérationnels, regrettent les rapporteurs. Ceux-ci « ont pu, par le passé, constater quelques ratés, heureusement rares, d'une politique qui peut dans certains cas con-duire à priver les forces armées des outils dont elles ont besoin, comme ce fut le cas, pour les véhicules haute mobilité, dont l'absence a fait cruellement défaut en Afghanistan ». Aussi conviendrait-il de « savoir comment régler ces conflits, par quelles procédures, avec quelle transparence, selon quels principes ». Dans cette perspective, l'exemple britannique de la "nouvelle stratégie d'acquisition" mériterait d'être étudié.

Dans les pires des cas, les atermoiements politiques peuvent aboutir « à ne disposer ni des capacités industrielles, ni des capacités opérationnelles ». À ce titre, les drones Male (moyenne altitude longue portée) apparaissent emblématiques : « Depuis plus de quinze ans les industriels français et européens se déchirent pour franciser des équipements étrangers [...] sans que, in fine, la France ne dispose d'aucune filière industrielle digne de ce nom pas davantage que d'une capacité opérationnelle à la hauteur de ses besoins. » L'affaire n'en finit pas de rebondir : alors qu'il venait d'entrer en fonction, Jean-Yves Le Drian, le nouveau ministre de la Défense, est revenu sur la décision du gouvernement précédent, qui avait tranché en faveur de Dassault...

Le sort du Rafale

Comme le rappellent les sénateurs, « l'existence de conflits possibles entre stratégie d'acquisition et stratégie industrielle de défense n'est ni nouvelle, ni propre à la France. C'est ainsi que, pour des raisons de stratégie industrielle, la décision fut prise au plus haut niveau d'interdire à l'aéronavale d'acquérir des avions militaires américains F18, alors que les vieux Crusader étaient hors d'âge et que le Rafale marine était loin d'être prêt. » Nul ne conteste, aujourd'hui, les qualités du Rafale, dont la polyvalence fait merveille, et dont l'acquisition s'est avérée moins coûteuse que celle de son rival européen développé par l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Pourtant, soutiennent les rapporteurs, « l'Europe ne peut se permettre le luxe de recommencer les erreurs du combat fratricide Eurofighter-Rafale ». « Le temps des arsenaux de Colbert est révolu ! », clame l'amiral Guillaud, chef d'état-major des armées. À l'échelle de la mondialisation, la France est trop petite, nous dit-on. Qu'en est-il alors de la Suède, un pays comptant seulement neuf millions d'habitants, qui continue néanmoins de produire des avions de combat, et parvient même à en exporter ?

« Le marché des équipements de défense européen est trop fragmenté », poursuivent les parlementaires. « Il est donc temps que l'État mette de l'ordre dans ses participations », préviennent-ils. En freinant vraisemblablement  la montée en puissance de Dassault. Impulsée durant le quinquennat précédent, celle-ci serait critiquable, entre autres motifs, « parce qu'elle ne pourra jamais conduire à la constitution d'une "Europe de la défense" et handicapera les différents champions nationaux européens [...], omnipuissants sur leur marché intérieur, mais d'une taille insuffisante pour entrer en compétition avec leurs concurrents occidentaux ». Jean-Yves Le Drian a enfoncé le clou, le 5 juillet, lors d'une audition à l'Assemblée nationale : « Si nous ne parvenons pas à valoriser notre potentiel industriel de défense par des partenariats intelligents et structurants à moyen terme, si nous ne prenons pas les initiatives qui s'imposent, nous risquons de perdre notre ingénierie et notre savoir-faire », a-t-il déclaré. Manifestement, l'"Europe" constitue sa marotte. Il a d'ailleurs invité des représentants allemand et britannique « à participer aux travaux », du nouveau livre blanc, exception faite de ceux portant sur « quelques particularités comme dans le domaine nucléaire ».

Échecs patents

Gageons qu'il pourrait vite déchanter. En dépit de quelques succès, « les grands programmes d'armement menés en coopération européenne ont donné des résultats mitigés », concèdent les rapporteurs du Sénat. « La coopération européenne dans les industries de défense regorge d'exemples de programmes dont les délais ont été plus longs et les coûts plus chers que s'ils avaient été menés nationalement, qui ont connu des dérapages de prix et ont débouché sur des produits moins cohérents voire si différents que tout partage des coûts de maintenance en est impossible. Cela a été le cas de l'avion de chasse Eurofighter, dont l'assemblage est effectué sur quatre sites différents, des frégates Horizon franco-italiennes qui n'ont plus en commun que le nom, ou encore de l'hélicoptère de transport NH-90 qui a donné lieu à vingt-sept versions différentes. »

« Si l'on souhaite mettre en place une politique de défense européenne », expliquent les parlementaires, il convient, au préalable, « de mener une analyse stratégique partagée ». « Cette analyse existe-t-elle », s'interroge Jean-Pierre Chevènement ? « Non. Pouvons-nous le faire pour le compte des autres ? Non. » Quoique... S'exprimant dans La Tribune, André Yche, contrôleur général des armées, a laissé entendre que la force de dissuasion française pourrait bénéficier à l'Europe entière – ce dont nos voisins n'ont jamais voulu. Commentant le rapport présenté par ses collègues, le sénateur Jean-Louis Carrère a salué le caractère « parfois idéaliste » de leur propos, « car c'est un moteur qui conduit à ne pas renoncer ». Quitte à poursuivre une chimère ?

Le porte-avions en action

6 juillet 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Embarquement à bord du Charles de Gaulle au large des côtes libyennes.

En dépit des controverses politiques, l'intervention française en Libye – l'opération Harmattan – fut un incontestable succès militaire. Le Charles de Gaulle et son groupe aéronaval y jouèrent un rôle de premier plan, salué par la publication, ce mois-ci, d'un album richement illustré.

Celui-ci s'ouvre sur un hommage au président Nicolas Sarkozy, auquel font écho les considérations finales sur « les guerres justes ». Le directeur de l'ouvrage, Antoine Assaf, afficherait-il des sympathies néoconservatrices ? La majorité des contributions s'avèrent plus consensuelles, sinon convenues. Elles mettent en lumière l'intensité des opérations et la prégnance du risque, couru par les pilotes, mais aussi par les équipages des bâtiments croisant au plus près des côtes libyennes. Cette accumulation de témoignages nous est apparue quelque peu décousue, mais là n'est pas l'essentiel de l'ouvrage, qui vaut d'abord pour ses images !

Les photographies soulignent le caractère majestueux du navire, la puissance des aéronefs – surtout celle des Rafale en fait, les vénérables Super-Étendard se faisant plus discrets –, la mobilisation des équipages. L'ouvrage se cantonne toutefois au strict cadre des opérations : convié sur le pont d'envol, admis sur la passerelle et dans les hangars, le lecteur reste à l'écart des quartiers de l'équipage. C'est le principal regret que nous inspire ce bel album, hommage bien mérité rendu à un bâtiment prestigieux, source d'une inépuisable fascination.

Sous la direction d'Antoine Assaf, Le Charles de Gaulle – Des hommes en action, éd. du Rocher, 192 p., 42 euros.

Facebook rebat les cartes

21 mai 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Les nouveaux services de la Toile présentent une dimension stratégique.

Facebook espérait placer plus de 300 millions d'euros à l'occasion de son entrée en bourse. Une somme à la mesure des bouleversements accompagnant l'émergence des réseaux sociaux. Lesquels affectent les modalités de navigation sur la Toile, mais aussi la sécurité nationale, voire le déroulement des conflits armés.

Le ministère de la Défense vient d'ailleurs de publier un "guide de bonnes pratiques" à l'intention des militaires s'exprimant sur le "web 2.0". « De simples statuts, photos ou vidéos peuvent parfois contenir des informations stratégiques », prévient l'Hôtel de Brienne. De fait, l'année dernière, un marin embarqué sur le Charles de Gaulle avait annoncé sur Facebook son départ pour la Libye avant que le déploiement du porte-avions soit rendu public...

Dans un entretien accordé à Florent de Saint Victor, publié par l'Alliance géostratégique (AGS), Marc Heckern, chercheur à l'Irsem, évoque l'annulation d'une opération programmée par Tsahal, après qu'un soldat israélien eut annoncé sur Facebook : « Mercredi, on nettoie [le village de] Qatana et jeudi, si Dieu le veut, on rentre à la maison. » Quant à la rébellion libyenne, Charles Bwele rapporte, toujours sur le site de l'AGS, qu'elle a pratiqué une utilisation intensive de Twitter et même détruit un véhicule lance-roquettes par la magie du net : « Grâce à leurs ordinateurs portables, à leurs smartphones et à Google Earth », les guérilleros « purent orienter et ajuster précisément leurs tirs », atteignant leur cible en dépit de leur piètre expérience.

Preuve que les cartes sont bel et bien rebattues à l'heure de la révolution numérique.

Photos : la Kapisa en trois cents images

31 décembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Un album nous plonge dans le quotidien du 7e BCA.

En début d'année, le photographe Jean-Christophe Hanché s'est mêlé, cinquante jours durant, au quotidien des soldats du 7e bataillon des chasseurs alpins (BCA) qui arpentaient alors la Kapisa, au Nord-Est de Kaboul. De retour d'Afghanistan, il a sélectionné trois cents clichés réunis dans un petit album.

Les compositions cultivent le dynamisme dans la sobriété, et si le style se montre volontiers intimiste, il ne verse jamais dans l'impudeur. Sont évoqués la puissance du feu comme les stigmates de la guerre, mais aussi les moments de détente... Notre confrère nous convie à la rencontre de soldats qui nous apparaissent somme toute familiers : tel est, peut-être, le caractère le plus saisissant de son témoignage, dont on regrettera surtout qu'il ne soit pas promis à une plus large diffusion.

Jean-Christophe Hanché, Kapisa-Afghanistan, 240 p., trois cents images en couleur,  format 15x21 à l'italienne, 25 euros ; livre édité par l'auteur, disponible dans quelques librairies de Reims ou par correspondance ; renseignements et commande : www.jeanchristophehanche.com ; 06 77 06 94 83.

Forces spéciales : quand la Défense s'attaque au cinéma

31 décembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Retour sur un film ayant bénéficié d'une implication inédite des armées.

En salles depuis le 2 novembre, Forces spéciales raconte le sauvetage d'une journaliste prise en otage par des Talibans. Selon son réalisateur, Stéphane Rybojad, ce film constitue un hommage aux militaires français engagés en opérations extérieures. À ce titre, il méritait le détour, en dépit du scepticisme des critiques. En cinéphiles avertis, ceux-ci auront traité avec dédain cette pale imitation des blockbusters hollywoodiens... Bon public, nous avons préféré l'aborder avec une complaisance délibérée : des héros bien français, cela fait plaisir à voir !

À la différence de leurs homologues américains, ceux-ci ne marchent pas sur l'eau. En revanche, de part et d'autre de l'Atlantique, on dépense apparemment les munitions sans compter. Pourtant, le réalisme serait « à peu près tenu », selon notre confrère Jean-Marc Tanguy, auteur d'un album consacré au film. Entres autres incongruités, signalons la mixité de l'équipe engagée par le COS (Commandement des opérations spéciales), où des commandos de marine côtoient des parachutistes de l'air. Par ailleurs, aucun hélicoptère Puma n'a jamais été déployé en Afghanistan...

Cela dit, on le devine à l'écran, cette production a bénéficié d'un soutien inédit des armées. « L'idée consistait [...] à ne pas demander des moyens particuliers (humains et matériels), mais à nous greffer sur des moyens planifiés et engagés sur des séquences réelles d'entrainement », explique Jackie Fouquereau, l'officier dépêché auprès de l'équipe de tournage. Quelques plans ont même été filmés à Kaboul. Notamment un scène de poursuite, où un sous-officier assure la doublure de Diane Kruger.

Bien que la complexité du théâtre afghan soit occultée par la caricature des Talibans, dont l'ambigüité des liens avec la population est passée sous silence, le film donne à réfléchir sur le souci de parer aux réactions de l'opinion publique – un élément clef de la guerre menée en Afghanistan. « C'est un sujet qui suscite l'intérêt partout sauf en France », relève le réalisateur, dont le film constituerait « l'une des meilleures préventes à l'international depuis dix ans ».

Les armées seront-elles appelées à transformer l'essai ? Leur immixtion dans les salles obscures apparaît somme toute naturelle. Ce faisant, peut-être espèrent-elles susciter des vocations, voire contribuer à la résilience de la nation. Reste à trouver le ton juste. Leurs communicants devront se montrer subtils pour parer aux critiques. Un jeune homme a d'ailleurs chahuté la projection à laquelle nous avons assisté : avant de quitter la salle, il a dénoncé une propagande d'État et accusé les militaires français d'avoir perpétré des exactions en Afghanistan.

À la lecture de la dédicace finale, des applaudissements ont balayé son injure. Depuis, nous avons appris le décès de Goran Franjkovic, un légionnaire mort au combat lundi dernier, 14 novembre, alors qu'il venait de rejoindre le théâtre afghan. Il s'était distingué par sa motivation et sa rusticité, témoignant, selon l'armée de Terre, d'une volonté et d'une discipline exemplaires. Il était âgé de vingt-cinq ans : c'était "un jeune Français", dont le sacrifice nous inspire le plus profond respect.

L'Armée envahit les salles obscures

6 novembre 2011

En salles depuis le 2 novembre, Forces spéciales raconte le sauvetage d'une journaliste prise en otage par des Talibans. Selon Stéphane Rybojad, son réalisateur, ce film constitue un hommage aux militaires français engagés en Opex. À ce titre, il méritait le détour.

Nous n'avons pas été déçu, mais il faut dire que nous n'en attendions pas grand chose et que nous sommes (très) bon public : d'emblée, quelques plans d'hélicos arborant la cocarde tricolore ont suffi à nous faire vibrer. Des héros bien français, cela fait plaisir à voir ! D'autant qu'on échappe, dans une mesure certes très relative, à l'aspect parodique affublant moult productions de ce type, succédanés grotesques des blockbusters américains : ici, point de président roulant les mécaniques, ni de commandos marchant sur l'eau, en dépit d'un inévitable sacrifice et de plusieurs affrontements à l'intensité exagérée.

Outre ces échanges de tirs (beaucoup) trop nourris, l'incapacité de l'état-major à localiser ses hommes nous a étonné. Cela dit, nous sommes peu compétent pour juger du réalisme du film. Précisons toutefois que nous l'avons découvert avec un a priori positif, étant donné les antécédents du réalisateur et la bienveillance de l'Armée à son égard : « Ses équipes de tournage ont installé leurs caméras dans les camps de Caylus (Tarn-et-Garonne) et de Djibouti, dans un hélicoptère Tigre du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (4e RHFS) de Pau, dans un avion Transall de l'armée de l'Air et sur le porte-avions Charles-de-Gaulle », précise la Défense nationale. « En juin 2010, les acteurs ont également suivi un stage d'une semaine à la base des fusiliers marins de Lorient pour se former aux techniques des commandos marines. »

Des cinéphiles plus avisés ont pointé les tares du scénario et le manque d'épaisseur des personnages. Dommage, surtout, que la complexité du théâtre afghan soit occultée par la caricature des Talibans, dont l'ambigüité des liens avec la population est passée sous silence. Ils sont d'ailleurs accusés d'avoir raflé les enfants de tout un village. Cela s'est-il effectivement produit ? En revanche, l'accueil sympathique réservé ici ou là aux soldats français fait écho, nous semble-t-il, à des témoignages bien réels : on y verra une forme d'hyperbole ! Quant à l'intrigue, qui rappelle à certains égards celle du Soldat Ryan, elle renvoie ouvertement au débat suscité par la présence de journalistes en Afghanistan. Le spectateur est d'ailleurs conduit à s'indigner de la moindre valeur apparemment conférée à la vie des militaires. Lesquels témoignent d'une abnégation forçant le respect. La timide immixtion des politiques justifie leur sacrifice par la nécessité de parer aux réactions de l'opinion publique – un élément clef e la guerre menée en Afghanistan.

Ce faisant, le film fait œuvre de pédagogie, si l'on peu dire. À nos yeux, ce n'est pas son moindre mérite, et cela tombe à pic, à l'heure où les Français sont suspects de lâcher le terrain pour coller au calendrier électoral. Reste que, parallèlement, les critiques s'en trouvent légitimées. Formaté, vraisemblablement, par un certain communautarisme, un jeune homme a chahuté la projection à laquelle nous avons assisté : avant de quitter la salle, il a dénoncé une propagande d'État et accusé les militaires français d'avoir perpétré des exactions en Afghanistan. À la lecture de la dédicace finale, des applaudissements ont balayé son injure. Mais peut-être les choses se seraient-elles mal passées si nous nous étions retrouvé tout près de lui... Respect pour nos soldats, merde !

À découvrir également, deux entretiens avec le réalisateur, sur le site de la Défense nationale et celui de Jean-Dominique Merchet. Sur l'engagement français en Afghanistan, nous renvoyons également à notre article rendant compte de l'"épopée" de la TF Tiger.

La Marine nationale à bout de souffle

3 novembre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

De l'aveu même de son chef d'état-major, la Marine présenterait un format « juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays ».

Le mercredi 12 octobre, un mois après sa prise de fonction, l'amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine (CEMM), a été auditionné par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. Il a vanté les qualités « d'une marine de premier rang, efficiente et réactive », dont l'activité s'est particulièrement intensifiée ces derniers mois. Au point que la "consommation de potentiel" dépasserait aujourd'hui de 30 % l'allocation annuelle pour le porte-avions, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) et les avions de patrouille maritime Atlantique 2.

Opération Harmattan

L'opération Harmattan, déclenchée en février dernier et menée au large de la Libye, a focalisé l'attention des députés. Selon l'amiral Rogel, « par son caractère littoral et son intensité » elle a nécessité « un niveau d'engagement exceptionnel ». Ce fut « un exercice de vérité » permettant de « mesurer notre réactivité, mais aussi notre capacité à mener des opérations de haute intensité, exigeant un niveau de coopération interarmées, inter-composantes et interalliée, dont très peu de marines sont aujourd'hui capables ». Cet engagement a mis en évidence, aux yeux du CEMM, « la remarquable efficacité, la fiabilité et la polyvalence du Rafale marine, la justesse de nos choix pour le BPC qui ont conduit à privilégier la fonction "porte-hélicoptères d'assaut", la forte implication des frégates et des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) dans l'action vers la terre et notre capacité de frappe dans la profondeur (missile SCALP, complété demain par le MDCN) ».

Cela étant, la Marine n'est pas parvenue à répondre à toutes les sollicitations. Privilégiant des déploiements au Sahel puis en Libye, elle a compromis son action contre la piraterie au large de la Somalie. L'amiral Rogel a regretté également « l'absence de SNA en Atlantique pendant quatre mois, la réduction de la présence en océan Indien à un seul bâtiment de surface à compter du mois de juin, le gel de la mission Corymbe dans le golfe de Guinée en juillet 2011 ainsi que l'annulation de deux missions sur quatre de lutte contre le narcotrafic en Méditerranée ».

Six mois de remise à niveau

Quant à la disponibilité des forces, elle n'a pu être maintenue « qu'au prix d'une tension extrême sur nos moyens de soutien. À titre d'exemple, à peine trois mois après le début des opérations, les taux de prélèvements de pièces sur les bâtiments avaient augmenté de 300 %. » Le Forbin et le Chevalier Paul, les deux frégates de défense aérienne de type Horizon, ont dû échanger des composants majeurs : furent concernés les conduites de tir, le radar de veille aérienne et la propulsion.

Parmi les autres conséquences de l'engagement en Libye, l'amiral Rogel a pointé « une petite baisse d'activité dans le domaine de la formation, notamment pour la lutte anti-sous-marine » et le report de la transformation de la flottille 11F sur Rafale. Un peu plus de six mois seraient nécessaires à la Royale « pour revenir à l'ensemble de ses qualifications opérationnelles ».

Aussi le format de notre Marine apparaît-il « juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays ». Cela s'avère d'autant plus préoccupant que, selon l'amiral Rogel, « la mondialisation se traduira par une "maritimisation" et qu'on verra se multiplier les flux maritimes importants ».

La conquête spatiale, un impératif stratégique

19 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

François Hollande prétend réenchanter la France. À cet effet, peut-être pourrait-il l'encourager à se tourner vers les étoiles !

Ce jeudi 20 octobre 2011 devaient être mis en orbite les deux premiers satellites du système Galileo – l'équivalent européen du GPS américain. Cela grâce à un lanceur Soyouz, la première fusée russe décollant depuis la Guyane française. Située à proximité de l'équateur, la base spatiale de Kourou bénéficie d'une situation géographique plus avantageuse que celle de Baïkonour, au bénéfice de la charge utile des lanceurs. Ainsi Moscou optimise-t-il l'exploitation de ses capacités, tandis que Paris et Bruxelles investissent à moindre coût les segments du marché qui n'étaient pas couverts par Ariane V.

Vulnérabilités

Ce marché se développe à la mesure de la prégnance croissante des technologies spatiales. Laquelle s'avère porteuse de vulnérabilités. Le durcissement des satellites et la redondance des systèmes sont censés y répondre. Il conviendrait néanmoins de préparer les populations à un "blackaout spatial", selon Guilhem Penent, animateur du blog De la Terre à la Lune. D'autant qu'un tel scénario lui semble « parfaitement envisageable », qu'il soit le fait d'une agression délibérée ou d'un catastrophe naturelle (météorites ou tempête solaire). Dans un ouvrage consacré à la Stratégie spatiale (Esprit du Livre, 404 p., 25 euros), le colonel Jean-Luc Lefebvre souligne qu'il est « stratégique [...] de disposer de moyens autonomes pour détecter, identifier et classifier tous les objets spatiaux pouvant représenter une indiscrétion, un risque ou une menace ». La France bénéficie d'ores et déjà d'un système de radar, dont on dit qu'il aurait détecté la destruction d'un satellite par la Chine en 2007. Toutefois, avertit Guilhem Penent, « d'importants efforts restent encore à fournir au niveau européen ». Dans ce cadre, un système autonome de surveillance de l'espace (SSA) pourrait être mis en œuvre à l'horizon 2020. C'est en tout cas le vœu formulé par le Centre d'analyse stratégique, dans un rapport présenté le 11 octobre.

Le lendemain, le Quai d'Orsay a salué la mise en orbite du premier satellite franco-indien, preuve que l'Europe n'est pas un horizon indépassable. Cependant, aux yeux de Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « l'Union européenne doit avoir un rôle de stratège, définir les grandes orientations et les besoins » en matière spatiale. Paris jouerait alors un rôle moteur, nous promet-il. De fait, selon le gouvernement, l'industrie spatiale française représente 50 % du chiffre d'affaires européen et 40 % des emplois. Dans le jeu européen, Paris détient surtout une carte maîtresse. « Les éléments les plus critiques des activités spatiales sont certainement les installations de lancement », souligne le colonel Lefebvre, dans un entretien publié sur le blog Egea. « Les grandes nations spatiales en détiennent plusieurs. [...] Le port spatial européen situé à Kourou, en Guyane française, est unique. Il est donc assurément aussi stratégique pour l'autonomie spatiale de l'Europe que peut l'être l'île Longue pour sa sécurité. »

Du pétrole en Guyane

Dans ces conditions, la découverte de pétrole au large de la Guyane doit être accueillie avec prudence, prévient le géopoliticien Olivier Kempf. « En effet, certains esprits, arguant d'une pauvreté résiliente, pourraient expliquer aisément que la richesse du pétrole doit revenir aux Guyanais, sans même parler de l'exploitation colonialiste de la métropole. [...] Dès lors, il est urgent pour la France, si elle tient à conserver la Guyane dans la collectivité nationale [...], de prendre un certain nombre de mesures : augmenter rapidement les investissements en Guyane de façon à préparer le territoire à son développement futur ; réfléchir à son dispositif maritime et probablement le renforcer ; appuyer plus que jamais l'éducation. L'arrivée du RSA en Guyane le 1er janvier 2011 est certes une bonne chose, mais je ne suis pas sûr que le symbole soit très fort... (8,5 % de la population touche le RMI). Avec 21 % de la population au chômage, le département ne doit pas être loin du record de France. Et en PIB par habitant [...] la Guyane est dernière nationale. » Il appartient aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation.