Sur le front des Opex

19 octobre 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Libye, Liban, Afghanistan... Le chef d'état-major des armées commente les opérations extérieures de la France (Opex).

Lors d'une audition devant une commission de l'Assemblée nationale, le mercredi 5 octobre 2011, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées (CEMA), s'est livré à un tour d'horizon des opérations extérieures.

« L'Europe désarme quand le monde réarme », a-t-il martelé en préambule. « Si elle devait se confirmer, voire s'amplifier, cette tendance serait lourde de conséquences pour notre avenir comme puissance capable de peser sur les affaires du monde. » Placée en « hibernation », l'"Europe de la défense" ne doit pas faire miroiter de faux espoirs...

Provocations au Liban

Cela nuance l'enthousiasme suscité par l'année écoulée. Selon l'amiral Guillaud, en effet, « peu de pays auraient été capables et auraient eu la volonté de faire ce que nous avons fait [...] en Libye, en Côte d'ivoire, sur le territoire national, ainsi qu'au Japon, où nous sommes intervenus lors du tsunami en envoyant des avions de transport stratégique pour évacuer nos compatriotes vers la Corée du Sud ».

L'engagement au Liban demeurerait « le plus délicat de nos forces », en raison d'une liberté d'action difficile à garantir. « Il arrive aujourd'hui qu'un maire décide que l'on ne peut plus traverser son village », a déploré le CEMA. « Nos soldats – le troisième contingent sur place après ceux de l'Italie et de l'Indonésie – sont régulièrement menacés d'humiliation. La semaine dernière, un véhicule espagnol ayant dépassé de 500 mètres la zone de la FINUL a immédiatement été encerclé par des 4x4 aux vitres fumées ; des civils en armes en sont sortis et ont volé aux soldats leurs papiers, leurs cartes, leurs radios... Effets qui leur ont été rendus cependant le lendemain. » Cela mettrait nos soldats sous pression, une telle situation étant « insupportable, pour un grenadier voltigeur comme pour un général ». Aussi l'amiral juge-t-il « urgent que l'ONU révise le concept stratégique de la présence des casques bleus au Liban ».

Évoquant l'Afghanistan, le CEMA a affiché l'optimisme que requiert sa fonction. « Dix ans après le début de notre intervention, est venu le temps du transfert des responsabilités de sécurité à l'armée nationale afghane », a-t-il rappelé. « Il y a cinq ans, on ne comptait que 30 000 soldats et policiers afghans. Ils sont aujourd'hui 300 000. » Des chiffres censés illustrer « la réalité et le succès, dans le domaine militaire, des opérations de l'OTAN ». D'autant qu'« il n'a jamais été question de battre les insurgés "à l'ancienne" ni de transformer l'Afghanistan en havre de paix ». Le taux de désertion dans l'armée afghane aurait considérablement diminué : « Il était de l'ordre d'un tiers, par mois, il y cinq ou six ans ; il est maintenant inférieur à 10 % et tend à descendre vers 5 %. » Cela grâce au doublement des soldes : « La coalition a payé les hommes à peu près comme les payaient les Talibans, voire un peu plus. » Aussi les questions se posant pour l'avenir portent-elle notamment « sur la soutenabilité financière du budget de la défense afghan, en particulier le paiement des soldes de 300 000 policiers et militaires – chiffre qui se situe dans la norme compte tenu de la taille du pays ».

En tout cas, « nous avons, pour l'essentiel, rempli notre part de la feuille de route internationale », soutient l'amiral Guillaud. « Pour notre part, nous basculons progressivement des missions de contrôle de zone vers des missions d'appui et de soutien des forces afghanes. Ce qui a pour conséquences de réorganiser nos forces – nous n'aurons plus besoin des mêmes spécialistes – et de réduire notre vulnérabilité – nous n'irons plus dans les fonds de vallée. » À l'approche de l'élection présidentielle, cela tombe à pic...

Critique du néo-gaullisme

29 mars 2011

La mise en œuvre de la résolution 1973 du CSNUE a donné lieu à quelques tergiversations sur le rôle de l'Otan. C'est l'objet de notre seconde chronique diffusée par Radio Fréquence royaliste.

Le 17 mars, à la demande de la France, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Liban, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973 – une résolution censée légitimer l'usage de la force pour protéger les populations civiles de Libye.

Aussitôt, une controverse est apparue quant à la contribution de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. En dépit de l'activisme déployé par son secrétaire général, le Danois Anders Fogh Rasmussen, l'Otan est demeurée sur la touche tandis qu'une coalition internationale entamait ses opérations dans le ciel libyen. Cela n'était pas pour déplaire au locataire du Quai d'Orsay : « Les pays arabes ne veulent pas d'une opération sous le drapeau Otan », a martelé Alain Juppé. Il est vrai que l'étoile polaire « a mauvaise presse en Afrique et au Proche-Orient », comme l'a souligné, par exemple, Olivier Kempf, sur son blog consacré aux Études géopolitiques européennes et atlantiques (EGEA).

Cela étant, la bannière américaine bénéficie-t-elle d'une meilleure image ? Bien sûr que non. Or, faute de mobiliser d'emblée les moyens alliés, il a bien fallu confier la coordination des opérations à l'oncle Sam. Lequel n'a pas caché son impatience de céder les rênes. Jean-Dominique Merchet, qui n'a rien d'un atlantiste patenté, s'est interrogé sur son blog Secret Défense : « Quelles structures militaires sont capables de commander une opération multinationale dans la durée ? Soit les Américains, soit l'Otan d'une manière ou d'une autre », a-t-il répondu. « La France n'avait pas les outils de coordination éprouvés et tout le monde avait peur d'un accident », a renchéri Kardaillac. « On a concédé à Zébulon Ier (autrement dit, Nicolas Sarkozy) un "conseil politique" des pays combattants où chacun enverra un sous-fifre pour nous faire plaisir en écoutant l'oracle », a-t-il écrit sur le forum Vive le Roy. Allusion au "compromis" en application duquel une coalition d'États participe désormais au pilotage politique des opérations en partenariat avec l'Alliance atlantique.

Une telle issue apparaissait assez prévisible. C'est pourquoi les réticences exprimées par Alain Juppé semblent s'inscrire dans une certaine tradition gaullienne, en vertu de laquelle la France se devrait de jouer les empêcheur de tourner en rond, mais sans jamais envisager sérieusement la rupture du lien transatlantique. C'est un retour au néo-gaullisme que le président de la République avait mis en sourdine quelques années durant.

À vrai dire, l'ancien Premier ministre avait annoncé la couleur dès son retour au gouvernement. Alors qu'il occupait l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé avait proclamé « notre ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat, qu'il établit lui-même, selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée française », a-t-il reconnu, « et qui ne fait d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».

C'est un énième écho au plan Fouchet... Il s'agit, plus ou moins, d'appliquer à l'Europe la quête d'une pseudo-grandeur chère au général de Gaulle. Un vieux fantasme hexagonal dont on mesure l'inanité à l'heure où Paris et Berlin s'opposent sur la question libyenne. « On va avoir du travail pour préserver l'unité de l'UE », a remarqué un diplomate cité par Les Échos. Et alors ? De toute façon, l'Europe ne parviendrait à parler d'une seule voix qu'en sortant délibérément de l'histoire.

Si nous avons choisi d'évoquer ici cette posture néo-gaullienne, c'est parce qu'elle n'est pas sans exercer une certaine attraction sur les royalistes. En témoigne l'enthousiasme que suscita Dominique de Villepin bravant l'impérialisme américain à la tribune des Nations Unies, tandis que se dessinait une nouvelle invasion de l'Irak. L'arrogance du discours a flatté les sentiments, excité notre fibre chauvine, mais n'était-ce pas le masque de notre impuissance ? Dans l'espoir d'influencer les Américains, la nomination d'un Français a la tête du commandement allié pour la Transformation (en l'occurrence, le général Abrial) nous semble a priori plus efficace que ces vaines gesticulations.

On entretient par l'esbroufe l'illusion d'une puissance perdue, ou l'on espère son retour à la faveur d'une étincelle de volonté qui, une fois jaillie à la tête de l'État, suffirait à embraser la planète entière. La méfiance exprimée régulièrement à l'égard d'une Otan caricaturée ne s'explique pas autrement. À l'entretien du lien transatlantique, on oppose traditionnellement, et bien naïvement, l'approfondissement potentiel des relations avec Moscou. Ce faisant, on feint d'ignorer, par exemple, l'accueil favorable que la presse russe réserva au retour de la France dans les structures alliées intégrées.

Le réel s'avère complexe, mais les royalistes doivent trouver le courage de l'affronter s'ils veulent mener à bien l'un des premiers combats qui se présentent à eux, à savoir, celui de la crédibilité.

Rendez-vous sur le site de RFR pour découvrir les autres interventions :

http://www.radio-royaliste.fr/

La défense européenne à la poursuite des vœux pieux

3 mars 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Avant de quitter l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé a réaffirmé sa volonté de « relancer la défense européenne » - un concept dont les contours flous masquent à peine la faiblesse des avancées.

Une réunion "informelle" des ministres de la Défense de l'Union européenne s'est tenue à Budapest les 24 et 25 février. Au programme des discussions, notamment : la crise libyenne, la lutte contre la piraterie (dont la violence s'accroit au large de la Somalie) et la mutualisation des capacités. Cette rencontre devait être l'occasion de « concrétiser les travaux engagés l'année précédente », selon l'Hôtel de Brienne. Mais tandis que Paris  promet « la relance de la défense européenne », les structures de la Politique européenne de sécurité et de défense (PSDC), intégrées à l'UE, souffriraient déjà de sous-effectifs, pointés par notre confrère Nicolas Gros-Verheyde (Bruxelles 2, 23/02/2011).

Si des avancées sont à observer, c'est plutôt dans les cadres bilatéraux, quoique les engagements restent, là aussi, à concrétiser. Ainsi Berlin et Budapest viennent-ils de signer un protocole d'accord portant sur la logistique. De leur côté, Londres et Ankara négocient un pacte de coopération : « Les Britanniques pourraient ainsi entraîner leurs pilotes d'hélicoptères en Turquie, qui présente un terrain (chaud et montagneux) proche de l'Afghanistan. Des officiers turcs pourraient être admis au Royal College of Defence Studies. Et vice versa. Des exercices en commun pourraient aussi être organisés. Enfin, les Britanniques souhaitent embarquer les Turcs dans la construction des futures frégates Type 26, prévues à l'horizon 2020. » (Bruxelles 2, 16/02/2011) En France, un projet de loi autorisant la ratification d'un traité avec le Royaume-Uni a été présenté en Conseil des ministre le 23 février. Conclu pour au moins cinquante ans, l'accord prévoit la construction et l'exploitation conjointes à Valduc, en Bourgogne. d'une installation de physique expérimentale. « Elle permettra de réaliser des expériences de laboratoire indispensables à la garantie du fonctionnement et à la sécurité des armes nucléaires des deux États », assure l'Exécutif.

Utopies néo-gaulliennes

« L'accord bilatéral avec le Royaume-Uni est un accord de coopération en Europe, mais pas un accord de coopération européenne » analyse Jean-Michel Boucheron, député socialiste d'Ille-et-Vilaine. S'exprimant, le 16 février, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, Alain Juppé a cultivé l'ambiguïté : « Dans ce que les Britanniques définissent comme un accord strictement bilatéral, nous voyons une brique d'une construction plus globale », a-t-il déclaré. Ce faisant, peut-être cherche-t-il à entretenir quelque illusion, tandis qu'il proclame « notre ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée française », a reconnu Alain Juppé, « et qui ne fait d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».

Dans ces conditions, les partisans des vieilles utopies néo-gaulliennes continueront, vraisemblablement, de se raccrocher à quelques symboles. La Cour des comptes ne s'y est pas trompée. Dans son rapport annuel, elle dénombre huit corps militaires européens auxquels la France participe, de nature et d'importance variables (Brigade franco-allemande, Eurocorps, Eurofor, Force navale franco-allemande, Euromarfor, Joint Force air component command, Commandement européen du transport aérien, Eurogendfor). « La réalité est que ces forces n'ont d'européen que le nom », souligne-t-elle. « En face de cela, l'Union européenne ne dispose [...] que d'un état-major général, sans chaîne de commandement. » En outre, « sans méconnaitre les lourdeurs inhérentes à toute décision d'emploi d'un corps multinational », la Cour « s'interroge cependant sur les motifs justifiant le maintien et le développement de ces structures militaires permanentes ». Et d'appeler à « revoir l'ensemble de ces dispositifs, dans une perspective de refonte et de réorganisation, voire de suppression ». Un désaveu cinglant.

Le Renseignement français en mutation

13 février 2011

Deux ans et demi après son entrée en fonction, Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement, a dressé un premier bilan de ses activités. Extraits de son audition par une commission de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2011.

« Point d'entrée privilégié des services auprès du président de la République [...], le coordonnateur doit prendre le recul nécessaire pour lui transmettre les meilleures informations possibles et rester à l'écart de la politique intérieure. [...] Il garantit la prise en compte de la fonction renseignement au sein de l'État. » Occupant ce poste depuis sa création en juillet 2008, Bernard Bajolet assure que « la principale avancée réside dans le fait que les services se parlent et travaillent ensemble ». « Désormais, affirme-t-il, le risque que nous manquions quelque chose par rétention d'information entre les services est quasi inexistant. »

Le spectre terroriste

DCRI et DGSE travailleraient même « en étroite concertation, là où il n'y a pas de frontière entre menace intérieure et menace extérieure. La menace intérieure, quant à elle, est croissante : elle se nourrit d'un phénomène nouveau d'auto-radicalisation qui existe dans la plupart des pays européens ainsi qu'aux États-Unis. [...] L'incident qui s'est récemment produit en Suède montre que le risque d'attentat commis par des individus qui se sont radicalisés eux-mêmes est bien réel. » En revanche, il faudrait « relativiser la relation entre la problématique de l'intégration et celle de la menace terroriste. Ainsi, dans le cas récent de la tentative d'attentat suicide à Stockholm, le terroriste était parfaitement intégré. Il en va de même de l'auteur de la tentative d'attentat sur la ligne Amsterdam–Détroit en décembre 2009. »

M. Bajolet appelle à renforcer les moyens dédiés au renseignement intérieur, dont il conviendrait d'ouvrir le recrutement au-delà des seuls effectifs policiers : « En effet, le renseignement se diversifie et touche désormais les domaines économique ou technique. » D'ailleurs, « la coordination s'est également attachée à renforcer le lien et la complémentarité entre le dispositif de renseignement économique et l'intelligence économique – c'est-à-dire la collecte d'informations par des services autres que les services de renseignement. Il s'agit notamment des informations ouvertes et de celles disponibles dans les administrations. Une délégation interministérielle à l'Intelligence économique a été créée en septembre 2009. [...] Bien que située à Bercy, elle reçoit ses orientations d'un comité directeur établi à l'Élysée, tandis que le suivi des recommandations est assuré par Matignon. »

Défaut de prospective

Mais « l'anticipation ne se limite pas au renseignement », souligne Bernard Bajolet. « Elle touche aussi à la prospective. Hélas, celle-ci n'est pas organisée au niveau interministériel. Nous disposons de différents organismes : le ministère de l'Intérieur et celui des Affaires étrangères ont chacun une direction de la prospective et le ministère de la Défense possède une direction des affaires stratégiques ; mais ces structures ne sont pas reliées entre elles. De surcroît, la prospective n'est pas toujours envisagée de façon opérationnelle. Au-delà de la simple spéculation, elle doit présenter des scénarios et déboucher sur des politiques concrètes. Aujourd'hui, cette fonction n'est pas assumée. Le conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques placé auprès du Premier ministre ne joue pas non plus ce rôle. Celui-ci doit donc être développé au sein de l'État, dans un cadre interministériel, pourquoi pas au sein du SGDSN ? »

Le coordonnateur national du renseignement veille, en outre, « à ce que les services disposent des moyens nécessaires pour accomplir leur mission » : « En ce qui concerne l'investissement, nous avons la charge de piloter des programmes dont certains sont mutualisés entre les services, tels les moyens informatiques et électroniques. Pour ce qui est de l'imagerie spatiale, nous avons décidé d'engager en national le programme Musis – successeur d'Hélios – en raison de l'absence de réponse de nos partenaires européens, tout en leur laissant la porte ouverte. Il nous semblait en effet crucial de ne pas accroître le risque de rupture capacitaire. D'autres programmes vont faire l'objet de décisions prochainement, par exemple le remplacement de nos drones Male – qui viendront en fin de vie vers 2013. » Mais « il faudra procéder à des arbitrages », prévient M. Bajolet : « Tous les projets ne pourront pas être conduits au même rythme. » Pourtant, à l'heure où AQMI et son gourou défient ouvertement la France, les besoins pourraient s'avérer croissants... La vigilance s'impose.

Un "gaulliste" à Bruxelles

4 février 2011
Article publié dans L'Action Française 2000

Actualité de la défense européenne.

Alain Juppé s'est rendu à Bruxelles le 27 janvier. Ce faisant, conformément aux priorités qu'il avait exposées en présentant ses vœux au personnel de la Défense, le ministre entendait « redonner des couleurs à l'Europe de la Défense ». Laquelle, dans son acception la plus stricte (autrement dit, dans le cadre de l'Union européenne), semblait boudée par Paris, en pleine idylle avec Londres.

Reprenant le refrain des gaullistes plus ou moins reconvertis dans la quête d'une Europe puissance, Alain Juppé a martelé que le Vieux Continent « ne [pouvait] prétendre à un rôle au niveau international [s'il n'était] pas en capacité d'assurer sa sécurité de manière autonome ». Incantation somme toute gratuite, que seule la crise finira, peut-être, par enraciner dans quelque timide réalité.

À la faveur des restrictions budgétaires, en effet, la "mutualisation" est dans toutes les bouches, sinon dans tous les esprits. Mais l'Allemagne vient de renoncer à treize des cinquante-trois Airbus A400M qu'elle avait commandés. Quant aux Suédois, « ils achètent US et font la nique à l'hélicoptère européen » selon le constat de notre confrère Nicolas Gros-Verheyde, visiblement désabusé.

Réunis à Bruxelles le 31 janvier, les ministres de la Défense de l'Union européenne ont adopté des conclusions sur la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), réduites à trois paragraphes – ce qui nous épargnera, pour une fois, le verbiage inutile propre à ces documents. Ils invitent Mme Catherine Ashton, Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, à plancher sur les axes de travail que lui avaient soumis la France, l'Allemagne et la Pologne (le triangle de Weimar) en décembre dernier : renforcement des capacités industrielles ; amélioration de la coopération UE-Otan, plombée par le différend opposant Chypre et la Turquie ; mise en place de capacités permanentes de planification et de conduite des opérations, à défaut d'un véritable état-major, récusé par les Britanniques ; élargissement des missions potentielles des groupements tactiques, qui pourraient intervenir pour des opérations humanitaires – ce qui leur donnerait, certes, un semblant d'utilité.

En définitive, l'adoption d'un accord-cadre avec le Monténégro apparaît comme le seule avancée tangible réalisée par la PSDC en ce début d'année. 

Effet d'annonce en Afghanistan

3 décembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que le Charles de Gaulle apporte son soutien à la Force internationale d'assistance à la sécurité, l'Otan et ses alliés lancent officiellement le processus de transition censé transférer aux Afghans la charge de leur sécurité. L'heure du retrait a-t-elle sonné ?

Le Charles de Gaulle croise actuellement au large du Pakistan, moins d'un mois après avoir quitté Toulon. Jeudi dernier, 25 novembre, son groupe aérien embarqué (GAE) a conduit ses premiers vols en appui de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS ou ISAF) en Afghanistan. Ce faisant, la Marine ne répond pas à des considérations strictement opérationnelles, en vertu desquelles ses appareils seraient vraisemblablement basés à Kandahar, au plus proche des zones d'intervention. Il s'agit plutôt d'entretenir un savoir-faire.

Un Rafale s'abime en mer

Si l'on en croit l'état-major des Armées, ce groupe aérien s''intègrerait parfaitement dans le dispositif allié : « La première mission a été réalisée par un avion de guet aérien Hawkeye qui a opéré pendant cinq heures au-dessus du territoire afghan pour coordonner et contrôler les vols d'une centaine d'aéronefs de la coalition. En coordination avec un Hawkeye américain, l'appareil français a notamment géré les circuits de ravitaillement des avions de combat. [Le] 26 novembre, les avions de combat Rafale  et Super Etendard modernisés (SEM) ont réalisé leurs premières missions d'appui aux troupes engagés au sol (CAS ou close air support ). Les avions ont éclairé l'itinéraire d'une patrouille britannique dans le sud de l'Afghanistan, appuyé une évacuation sanitaire et ont assuré une alerte CAS, prêts à être engagés en cas de combat au sol. En deux jours, les aéronefs du GAE ont réalisé une dizaine de sorties totalisant environ vingt-cins heures de vol. » Deux jours plus tard, hélas, un Rafale s'est abimé en mer après que son pilote se fut éjecté. Un problème de jauge de carburant serait à l'origine de cet accident, selon notre confrère Jean-Dominique Merchet.

Les pilotes français devraient néanmoins continuer de survoler l'Afghanistan, un mois durant, alors que les chefs d'État ou de gouvernement de l'Otan ont annoncé, lors du sommet de Lisbonne des 19 et 20 novembre, que les Alliés entraient « dans une nouvelle phase » de leur mission. En effet, selon la déclaration finale, « le processus de transition, qui verra les Afghans assumer la responsabilité totale de la sécurité et le plein leadership dans certaines provinces et certains districts, devrait commencer début 2011 ». En vérité, le transfert des responsabilités est déjà entamé. Il est même très avancé dans la région capitale. « La montée en puissance de l'ANA [l'Armée nationale afghane] lui permet désormais de participer à 85 % des opérations menées par la FIAS et à toutes les opérations menées en RC-Est où est déployée la Task Force La Fayette », soutient l'état-major des Armées.

« La transition sera soumise au respect de conditions, pas d'un calendrier, et elle n'équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS », ont tempéré les Alliés. Cependant, ont-ils promis, « à l'horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble de l'Afghanistan ». « C'est un message très important pour nos compatriotes », a prétendu le chef de l'État. Sans doute l'est-il plus encore pour les électeurs américains... Ne l'oublions pas : quoi qu'on pense de cette guerre, elle se joue, dans une large mesure, devant les opinions occidentales. « Pour des sociétés postmodernes enclines au relativisme et dépourvues du sens de la durée, la guerre d'Afghanistan est une épreuve de vérité », commente Jean-Sylvestre Mongrenier sur le blog de l'Alliance géostratégique (AGS).

« Premier test de ce changement », annoncé par Nicolas Gros-Verheyde : le retrait des troupes canadiennes, en dépit duquel sera maintenue une mission d'instruction forte de 950 hommes. « Cette solution permet de respecter la décision prise en 2008 de retirer les troupes mais ne mécontente pas les alliés de l'Otan », commente notre confrère. « Au passage, comme nous l'expliquent les médias canadiens, cela permet de se passer de l'autorisation du Parlement, la présence en Afghanistan ne relevant plus d'une "mission de combat". » Du moins, officiellement.

Une armée mal préparée

« Une fois intégré par tous, qu'un retrait immédiat est difficilement envisageable, l'envoi de formateurs est vu comme la solution ayant un rapport coût-bénéfice dans le temps le plus sensé », observe Florent de Saint Victor, interrogé par l'AGS. « Et cela, malgré le fait que le rôle des OMLT à la française [operational mentoring and liaison teams, ou équipes de liaison et de tutorat opérationnel] est loin d'être sans risque. Il est possible de voir dans cela une forme d'incohérence, camouflée par la communication stratégique, qui régulièrement fait un effort particulier pour convaincre de l'importance de l'ANA dans la sortie de crise. » Selon cet analyste, « c'est au niveau local que l'action des OMLT se fait le plus ressentir. L'autonomie de l'ANA dépendant largement de l'expérience acquise au contact de la coalition. Les OMLT françaises ne peuvent rougir de leurs résultats. Les unités afghanes mentorées par les Français sont souvent appelées dans les Quick Reaction Force (QRF) de niveau national et ont participé à la dernière grande opération de l'ère McChrystal, l'opération Moshtarak lancée en février 2010. »

Dans ces conditions, la transition annoncée est-elle promise à la réussite ? L'armée afghane semblerait « enfermée dans une manière de faire la guerre (à l'américaine, à l'otanienne) qu'elle ne pourra assumer à terme. On ne s'improvise pas en une dizaine d'années un monstre froid de planification, de normes, de processus. Cet échafaudage construit par la coalition, quoique critiquable, est pourtant incontournable. Décoller progressivement l'ANA de la coalition est le défi du transfert des compétences exécuté district par district. D'ailleurs, et quoique ayant commencé depuis des mois, il ne fait que depuis récemment les gros titres à l'approche du sommet de l'Otan de Lisbonne. C'est d'ailleurs étrange que l'Otan ne communique pas plus sur l'application de ce plan déjà mis en place et qui semble donner, en particulier dans la capitale Kaboul, des résultats probants. » En dépit des effets d'annonce, la France n'est pas encore sortie du bourbier afghan.

La France en porte-à-faux

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La défense antimissile balistique sera l'une des principales questions à l'ordre du jour du sommet des chefs d'État ou de gouvernement des pays de l'Otan qui se tiendra à Lisbonne les 19 et 20 novembre.

De retour aux affaires, Alain Juppé renoncera-t-il à plaider en faveur d'un « désarmement nucléaire mondial » ? L'année dernière, il avait lancé un appel en ce sens, y voyant la « seule réponse à la prolifération anarchique ». Sa nomination à l'hôtel de Brienne pourrait faire jaser dans les rangs de l'Alliance atlantique, où Paris s'oppose régulièrement aux détracteurs de la dissuasion. Bien que celle-ci constitue « l'asurance-vie de la nation » aux yeux du président de la République, nos voisins européens – Allemagne, Belgique, Pays-Bas – se débarrasseraient volontiers des missiles tactiques américains stationnés sur leur sol.

Concept stratégique

Cela devrait alimenter les discussions qui se tiendront les 19 et 20 novembre à Lisbonne, où les chefs d'État ou de gouvernement des vingt-huit pays de l'Otan se réuniront pour entériner un nouveau concept stratégique. À cet effet, ils s'appuieront sur les recommandations du "groupe d'experts" présidé par Madeleine Albright, dont nous avions donné un aperçu en juin dernier. Entre autres propositions figurait l'inscription de la défense antimissile « au nombre des missions essentielles de l'Alliance ». Une perspective ardemment soutenue par le Danois Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'Otan, qui s'estimerait « investi d'une mission quasi évangélique » selon le sénateur Daniel Reiner.

Sa visite en France, le 15 octobre dernier, emporta la conversion de Paris. « Il s'agit d'une inflexion stratégique amorcée par Jacques Chirac en 2006, et prolongée par Nicolas Sarkozy lors du discours de Cherbourg le 21 mars 2008 », souligne le sénateur Josselin de Rohan, auteur d'un rapport d'information déposé le 10 novembre 2010. Unissant sa voix à celle de Londres, Paris précisa sa position le 2 novembre : « Nous soutiendrons à Lisbonne une décision concernant la défense antimissile des territoires, reposant sur le développement du système antimissile de théâtre [...] qui soit financièrement réaliste, cohérente avec le niveau de la menace émanant du Moyen-Orient, et permette un partenariat avec la Russie. »

À cela s'ajoutait cette observation : « La défense antimissile est un complément et non un substitut à la dissuasion. » « Il convient à mon sens de s'opposer à toute logique de substitution, pour des raisons tant intellectuelles - ne pas saper la crédibilité de la dissuasion - que budgétaires », explique Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. « En effet, si la défense antimissile devait se substituer à la dissuasion, le niveau d'ambition serait tout autre, avec la nécessité d'investissements beaucoup plus importants. La logique de complémentarité permet donc aussi d'assigner des limites financières au développement de la défense antimissile. »

Un projet hors de prix

D'ores et déjà, Jean-Pierre Chevènement juge l'investissement « hors de prix dans le contexte actuel » – d'autant qu'il offre une protection somme toute aléatoire. Mais les conditions financières auxquelles pourrait être assurée une couverture du territoire européen demeurent obscures. Michel Miraillet, directeur en charge des Affaires stratégiques au ministère de la Défense, constate « que les travaux en cours manquent toujours de maturité et que l'analyse globale demandée à Strasbourg-Kehl ne sera pas achevée pour le sommet de Lisbonne. [...] Nous n'avons aucune idée de la nature de l'architecture à terminaison, ni de garantie sur le niveau de contrôle politique qui sera accordé aux Européens dans la préparation et la gestion de la bataille balistique. Les coûts avancés restent très approximatifs et certainement largement sous-évalués. [...] Nous avons le sentiment que la "facturation" a été adaptée par les Américains aux interrogations des Alliés. »

Les considérations militaires ne suffisent pas à expliquer la pression exercée par Washington. « La capacité des grandes puissances à offrir à leurs alliés n'ayant pas la volonté ou la capacité de se lancer dans cette course technologique une défense antimissile balistique "clef en main" est devenue un outil diplomatique au service d'une stratégie d'influence », analyse Josselin de Rohan. « Dans le cas européen », poursuit-il, l'approche « retenue par l'administration Obama, avec de premiers déploiements prévus en 2011, va structurer la relation de sécurité qui nous lie aux États-Unis de façon plus puissante encore que l'approche retenue par la précédente administration. À cet égard, le choix du cadre multilatéral, à travers l'Otan, est un progrès car il préserve un tant soit peu une certaine possibilité de partage de la décision avec les Européens. Tel ne serait plus le cas si, faute d'accord à l'Otan, les États-Unis reprenaient des démarches bilatérales analogues à celles engagées par l'administration Bush. » On reconnaît ici la démarche à l'origine du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, et, plus généralement, en faveur d'une implication dans les structures multilatérales. Les gaullistes apprécieront !

Un outil de recherche

Pour le sénateur Jacques Gautier « la défense antimissile est avant tout un formidable outil de recherche et technologie ». Mais la France peut déjà s'enorgueillir de quelques compétences sur les différents segments de la défense antimissile balistique. « Voire de certaines capacités », affirme M. de Rohan. « Conformément au Livre blanc, elle développe une capacité d'alerte avancée (satellite d'alerte et radar très longue portée). Elle a mis en service le SAMP/T, doté d'une première capacité de défense de théâtre contre les missiles balistiques "rustiques". La France possède un savoir-faire unique en Europe en matière balistique. À travers son industrie, elle participe à l'élaboration du système de commandement et de contrôle (C2) de l'espace aérien de l'Otan dont la fonction serait élargie à la défense du territoire européen contre les missiles balistiques. »

En conséquence, selon François Auque, P-DG de EADS Astrium notre pays serait « le seul en Europe et peut-être dans le monde à être en situation de parler sur ce sujet aux États-Unis ». Il pourrait apporter ses petites "briques technologiques" au dispositif de l'Otan. Ce faisant, estime Antoine Bouvier, président de MBDA, « nous gagnerions une capacité d'influence sur la conception et le fonctionnement du système, par exemple en matière de règles d'engagement. Cette contribution spécifique constitue à mes yeux la dernière opportunité pour se positionner sur la défense antimissile. »

La question cruciale du commandement

Il convient d'insister, avec Michel Miraillet, « sur la question-clef du système de commandement » : « L'objectif fondamental des États-Unis reste la protection du territoire américain. Comment décidera-t-on si un missile se dirigeant vers les États-Unis doit être intercepté au dessus du territoire européen ou au dessus de l'Atlantique ? La réponse n'est pas nécessairement la même si l'on se place du point de vue américain ou européen. Or le SACEUR [commandant suprême des forces alliées en Europe] est également commandant des forces américaines en Europe et possède une "double casquette". Il apparait en tout cas essentiel que nous pesions de tout notre poids dans l'élaboration des règles d'engagement de l'Otan. » Camille Grand remarque toutefois qu'« il pourrait être de l'intérêt des Américains de laisser une place aux Européens en matière de commandement, au travers de la définition des règles d'engagement, pour mieux les convaincre de soutenir le développement d'un système de défense antimissile ». Affaire à suivre. 

Des militaires au service du gender

13 octobre 2010

L'Otan se préoccupe du "genre", y compris sur le théâtre afghan.

Nous n'en revenons pas : deux conseillers « pour les questions de genre » sont affectés à l'ISAF, la Force internationale d'assistance à la sécurité engagée en Afghanistan. L'Otan s'en réjouit : c'est « une première » dans une opération placée sous sa responsabilité. À cet effet, le capitaine Ella van den Heuvel a suivi une formation spécifique aux Pays-Bas, complétée par un stage en Suède, avant de rejoindre Kaboul, « où elle aide les commandants pour ce qui est de la prise en compte de la dimension de genre ».

« Il est encore très difficile d'intéresser les femmes à la carrière militaire », déplore cet officier. « Je pense que c'est parce qu'elles se font encore des idées fausses sur l'armée. Lorsque je raconte mon expérience, et que je précise que j'aide les femmes afghanes, la plupart de mes collègues féminines me disent qu'elles aimeraient en faire autant. Mais la dimension de genre n'est pas seulement l'affaire des femmes... » Effectivement : « La dimension de genre devrait faire partie intégrante des activités de chaque division, de chaque opération, qu'elle soit planifiée ou en cours d'exécution ; elle devrait aussi être prise en compte dans les ressources, le renseignement, le budget et les finances », selon l'amiral Giampaolo di Paola, président du Comité militaire de l'Otan.

Dans l'Armée nationale afghane (ANA), la première femme sous-officier viendrait de prendre ses fonctions au commandement des forces multinationales. Sa tenue tranchera avec celle de ses compatriotes, dont l'écrasante majorité portent la burqa (du moins en Kapisa). Mais l'Otan ne gagnera pas « le cœur et les esprits » de la population en s'attaquant de la sorte aux mentalités locales. Bien que ce discours s'adresse vraisemblablement aux opinions occidentales, on s'inquiète de voir l'idéologie pénétrer jusque dans les rangs des armées.

La DGSE communique

12 octobre 2010

La DGSE communique, par la voix de son patron et celle de son directeur technique, à la recherche de nouveaux ingénieurs. Aperçu de la "doctrine officielle" primant dorénavant en matière de renseignement.

« La connaissance et l'anticipation », dont le renseignement est « un élément essentiel », sont appelées à devenir « le cinquième pilier de la défense et de la sécurité nationale », avec la prévention, la dissuasion, la protection et la projection, annonce Érard Corbin de Mangoux, dans un entretien accordé à Isabelle Lasserre. Nommé à la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il a entamé « une petite révolution intellectuelle » : « Pour la première fois, on intègre le renseignement, au plus haut niveau de l'État, dans la panoplie d'outils dont disposent les décideurs de la politique étrangère, de sécurité et de défense. C'est le sens de la création du Conseil national du renseignement qui, sous l'autorité du président, définit les orientations stratégiques en la matière. » (1)

Quelles menaces ?

« Les services français ont développé des coopérations d'abord avec leurs partenaires étrangers, avant de comprendre tout l'intérêt qu'ils avaient à resserrer les liens avec les autres services nationaux qui sont leurs premiers partenaires naturels. » Le monde dans lequel ils opèrent « a profondément changé depuis vingt ans. Les menaces sont devenues beaucoup plus diverses, diffuses et changeantes que naguère. Elles émanent de groupes terroristes, d'organisations criminelles, d'États, de réseaux proliférant et de pirates. Elles prennent leur source dans des conflits déstabilisateurs et des États faillis, sans parler des cybermenaces – nouvelles et en plein développement – et de l'espionnage, toujours aussi actif. »

Mais « contrairement au tableau très sombre que certains médias ou analystes étrangers brossent de la société française, les valeurs démocratiques et laïques qui la fondent, l'habitude qu'a notre pays d'accueillir des populations étrangères depuis plus d'un siècle, le modèle intégrationniste » rendraient la France « moins exposée que d'autres à cette dérive pathologique qu'est le radicalisme violent ». On voudrait le croire ! Quoi qu'il en soit, « on sait que quelques individus seulement peuvent causer des dommages insupportables pour nos concitoyens. Même si la société française en produit infiniment peu, c'est déjà trop, et il faut donc les repérer assez tôt pour les empêcher de nuire. »

Selon son directeur, « le mode de fonctionnement de la DGSE est assez atypique ». Seuls les Allemands seraient organisés de la même façon : « Nous sommes un service intégré, qui réunit à la fois la partie technique, les capacités d'analyse et les opérations plus offensives. Les Britanniques [...] ont trois agences différentes : une agence technique qui travaille pour tout le monde ; un service de renseignement extérieur qui collecte l'information ; et un service d'analyse qui mouline le tout. Plus, bien sûr, un service intérieur. C'est un modèle qui marche bien, mais qui est plus vorace que le nôtre en hommes et en argent. Le système français permet une meilleure coordination et une efficacité accrue. En gros, nous sommes capables de mobiliser l'ensemble de nos équipes sur un thème donné et de traiter tous les aspects d'un dossier, y compris l'analyse. »

Appel à candidatures

Entre autres faiblesses,  Érard Corbin de Mangoux pointe des difficultés de recrutement : « Nous cherchons à recruter des agents qui fassent preuve, dans leur travail, de retenue et de discrétion. Mais parfois nous n'avons pas le choix : certaines langues sont difficiles à trouver sur le marché ou ne sont pratiquées que par des personnes qui ne présentent pas toutes les qualités requises. Dans ce cas, il faut faire des compromis. »

Entre cent et cent cinquante postes d'ingénieurs seraient à pouvoir chaque année jusqu'en 2014. « La plupart des membres de la direction technique effectuent les mêmes tâches que dans le privé », rapporte notre confrère Rémy Maucourt. « On pourrait presque croire qu'ils travaillent pour une société comme une autre, mais les enjeux restent fondamentalement différents. La pression est importante, venant de la hiérarchie mais surtout de la nature des missions. Les contraintes de confidentialité sont extrêmes : un agent ne parle pas de ses activités, ni à ses proches ni à sa famille. Au public, il ne donne que son prénom. Il ne consulte pas ses mails personnels au bureau : pour des raisons de sécurité, son réseau est fermé. »

Si certains jugent « valorisant » de travailler pour le pays, d'autres soulignent que »le patriotisme n'entre pas en ligne de compte dans le recrutement ». Des conditions avantageuses compenseraient l'interdiction de se syndiquer ou de faire grève... « Aujourd'hui, la défense des intérêts de la nation n'est plus le principal argument pour attirer les candidats vers les services secrets. » Selon Bernard Barbier, directeur technique, ceux-ci offriraient simplement « un bon début de carrière ». Une perspective exaltante, sans doute à la mesure de lépoque.

(1) « Le Conseil national du renseignement (CNR) définit les grandes orientations et fixe les priorités assignées aux six services de renseignement français : la DGSE  ; la DRM  (Direction du renseignement militaire) qui traite le renseignement d'intérêt militaire et opérationnel ; la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense) qui veille à la sécurité des informations et du personnel relevant de la Défense nationale ; la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), issue de la fusion de la DST et des RG ; la DNRED (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et financières) qui dépend du ministère de l'Intérieur ; enfin, le TRACFIN, service s'occupant des circuits financiers clandestins et de´pendant du ministère du Budget. Le CNR est anime´ par un coordonnateur national, l'ambassadeur Bernard Bajolet, placé sous l'autorité du président de la République. »

Six mois en Afghanistan

7 octobre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Confrontés au choc des cultures, les soldats du 27e bataillon de chasseurs alpins ont évolué sous le feu des talibans, dans un paysage majestueux, de novembre 2008 jusqu'à juin 2009. Aperçu d'un récit captivant.

« Là-bas, très loin de la France, c'est vraiment la guerre... » Patrick de Gmeline – un historien militaire – l'a constaté au plus près des combats. Intégré dans la réserve du 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA) basé à Cran-Gevrier (Haute-Savoie), il a côtoyé, des mois durant, les soldats de la task force Tiger, engagée en Afghanistan de novembre 2008 à juin 2009. Fort de riches descriptions, son livre (1) nous convie à leur rencontre. « Au-delà du seul récit des faits militaires, qui a ses limites, j'ai voulu proposer au public un récit privilégiant les hommes », annonce-t-il d'emblée.

Huit mois de préparation

L'auteur rend compte des huit mois de préparation intense, ponctués par des événements douloureux, voire tragiques, telle l'embuscade de Surobi, où dix Français trouvent la mort. La nouvelle tombe lors de la permission estivale, nourrissant l'inquiétude du chef de corps, le colonel Nicolas Le Nen. De retour au sein du bataillon, celui-ci ne constate aucune désertion. Sa confiance en ses hommes s'en trouve renforcée : « Ils ont à peine vingt ans, peu d'instruction, certains issus de milieux que l'on appelle maintenant "défavorisés", et ils sont des exemples pour toute une jeunesse. » Un sergent confie que ce drame « ne change rien à sa résolution : il préfère, comme il le dit, "combattre les terroristes chez eux plutôt que d'attendre et de les voir arriver en force chez lui" ».

« Vous servez un pays et une nation qui se sont forgés, au fil des siècles, à coups d'épées », rappelle le chef de corps, à l'approche du départ. « Cette idée de nation est le creuset dans lequel se sont fondues et se fondent encore l'unité et la cohésion de notre peuple, mais aussi nos valeurs essentielles de liberté, d'égalité et de fraternité. Vous verrez dans quelques mois ce que constituent un pays et un peuple qui ne constituent pas une nation, des tribus afghanes qui s'entredéchirent, des seigneurs de la guerre et de la drogue exploiter les paysans, des femmes et des filles asservies par leurs maris, leurs pères et leurs frères... »

Près de sept heures de vol sont nécessaires pour découvrir de « magnifiques paysages, alternant les plaines vertes, irriguées de nombreux cours d'eau, les vastes surfaces arides, rocheuses, dénudées, les montagnes élevées, couronnées de neige sous un ciel qui peut être très bleu ». Dans la vallée de Tagab, où évoluent les compagnies du 27e BCA, « les villages sont composés de maisons à toits en terrasses, construites [...] en terre séchée de couleur ocre. Elles sont séparées par des murs épais, hauts de deux mètres cinquante, qui délimitent des rues ou plutôt des ruelles. Les portes des maisons s'ouvrent, comme des trous sombres, dans ces murs qui protègent des intempéries et défendent en même temps, transformant les habitations en autant de petits fortins. »

Où sont les femmes ?

Les hommes paraissent « dignes et fiers », mais jamais, ou presque, on ne croise le regard de leurs épouses. « La femme, chez le paysan le plus inoffensif – s'il y en a un ! – est vraiment considérée comme moins que rien », constatent les militaires français. « Si un muret se présente [...], elle doit le franchir seule, sans l'aide de l'homme qui marche loin devant, et le faire franchir aux plus jeunes enfants. Sans compter que leurs vêtements ne leur facilitent pas la tâche. Elles sont presque toutes "burqanisés" – terme inventé par les alpins – et leurs longues robes entravent leurs mouvements... » Tandis qu'il dirige une distribution de matériel scolaire, un lieutenant est furieux : « Il s'aperçoit que les filles n'ont pas droit à ces fournitures. L'une d'elle, même, qui tente de s'approcher, reçoit des pierres lancées par des garçons ! » À l'opposé, l'auteur décrit, à l'entrainement, « près de l'un des VAB de la Légion, un caporal féminin, sourcils froncés sous son casque ». Se trouve-t-elle vraiment à sa place ? Une fois n'est pas coutume, des considérations opérationnelles rendent l'engagement des personnels féminins indispensable : ils sont les seuls habilités à fouiller des Afghanes.

Les infirmières françaises doivent attendre un mois avant que des femmes se présentent à elles, après que trois cents hommes eurent déjà défilé dans leur service. « Si elles viennent au début accompagnées d'un mari ou d'un frère, elles vont venir progressivement seules, en confiance. » La distance est de mise lors des premiers contacts avec la population. Patrouillant dans une ambiance qu'ils jugent moyenâgeuse, les soldats ont fière allure, revêtus de leur treillis, encombrés par le Famas, affublés d'un gilet pare-balles... « Des Martiens sur les Champs-Élysées, à Paris, ne feraient pas plus d'effet », commente Patrick de Gmeline. Un officier accepte, non sans hésitation, l'invitation d'un villageois qui le convie à prendre le thé. Pénétrant chez son hôte, qui se révélera très aimable, il veille « à immédiatement retirer ses gants et son casque : il sait que les Américains, dans ces circonstances, ne le font pas, ce qui contribue à les faire (très) mal voir ».

Le passage par la base aérienne de Bagram avait déjà provoqué un semblant de choc culturel. « Une base ? Non, une ville, avec ses 13 000 habitants et, surtout, ses infrastructures si représentatives de la puissance [...] américaine. [...] En somme une petite parcelle des riches États-Unis au milieu sinon du désert, du moins d'un monde oriental dont la pauvreté est flagrante. » Les Français sont partagés entre le rire et la stupéfaction... « Mais cette force matérielle est peut-être aussi une faiblesse. Le ménage [...] est fait par des "locaux", autrement dit des Afghans venus des villages voisins, c'est-à-dire de la misère. Comment perçoivent-ils cette abondance déplacée dans ce pays aux mains des talibans qui ont la part belle pour leur propagande, au moins sur ce point ! » Plus tard, un lieutenant s'indigne : « Les pays riches ont oublié qu'ils ont de la chance... Ils sont devenus fous ! » Pour quelques-uns, en effet, « l'Afghanistan est aussi une sorte de fuite d'un pays, le leur pourtant, où la vie est devenue ultramédiatisée, sans plus de valeurs hormis matérielles, guidée par le seul culte de l'argent, pleine de contradictions. Ce n'est pas en faisant de l'Afghanistan un pays occidentalisé, américanisé, qu'on lui donnera un idéal de vie. »

Sur le terrain, l'attention est requise à chaque instant. Outre les embuscades, plane la menace des IED, les engins explosifs improvisés. Les soldats évoluent avec trente, parfois cent kilos sur le dos. Au cours des arrestations, ils doivent compter avec des policiers afghans témoignant « d'un zèle très relatif », quand la fouille d'une maison ne se transforme pas « en déluge de feu ». Les alpins opèrent souvent de nuit, profitant de l'avantage procuré par les lunettes de vision nocturne, et s'approchant de leur objectif aussi discrètement que possible. Cependant, des veilleurs guettent à la sortie de leurs bases de Nijrab et Tagab...

Point d'orgue des opérations : la conquête de la vallée d'Alasay, « dans laquelle les soldats afghans et alliés ne sont pas entrés depuis un an et où les Soviétiques, il y a quelques années, ne s'aventuraient que difficilement ». Au cours des combats, un soldat afghan est étranglé par un taliban arrivant par derrière. « Ils ont vraiment des couilles ces insurgés », remarque un sergent. Alors qu'un missile Milan atteint sa cible, « un cri de triomphe jaillit des poitrines... comme lorsqu'un joueur de foot marque un but. [...] Tels des gosses, les alpins saluent chaque impact de cris de sioux. » Mais la guerre n'est pas un jeu. En témoigne, dans cette bataille, la mort, à vingt-trois ans, du caporal Nicolas Belda. « Malgré le bruit assourdissant, le silence tombe sur les hommes dont l'œil s'est figé. »

La TF Tiger, une troupe d'élite

« Aveuglés par leur fierté toute moyen-orientale de guerriers, [les talibans] sont tombés dans le piège tendu : accepter un bras de fer qu'ils n'étaient pas capables de remporter. » Cette victoire renforce l'estime gagnée auprès des Américains, qui auraient volontiers confié une telle opération aux forces spéciales. « Les soldats US sont visiblement bluffés par l'esprit traditionnellement débrouillard des "Frenchies", leur sens du système D. Combien de véhicules américains, embourbés ou en panne, ont été remis dans l'axe ou réparés par des alpins techniciens ! » Un sergent ironise : « Des généraux américains [...] doivent encore se demander [...] comment des soldats peuvent faire cela sans porter un t-shirt Navy Seals, des lunettes Ray-Ban et un hélicoptère par personne ! »

Au fil des pages, humour et émotion sont au rendez-vous. Mais on retient surtout la noblesse des caractères dépeints par Patrick de Gmeline, qui forcent l'admiration. D'aucuns jugeront peut-être son ouvrage apologétique. Faut-il s'en offusquer ? « Nous ne sommes pas dupes, la majorité des Français ne comprend pas ce que nous faisons », déplore un lieutenant. « C'est difficile pour un soldat de ne pas se sentir soutenu par un élan national. » Ce livre vient rendre justice à nos soldats. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.

(1) Patrick de Gmeline : Se battre pour l'Afghanistan - Soldats de montagne contre les talibans ; Presses de la cité, mai 2010, 398 p., 21 euros.