La francophonie, un projet "mondialiste" ?

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chantre de la mondialisation, Jacques Attali n'en est pas moins un promoteur de la francophonie. Certaines de ses mises en garde méritent notre attention, afin que la France utilise au mieux ses atouts.

Lors du sommet de Dakar (29 et 30 novembre 2014) devrait être présentée une "stratégie économique pour la Francophonie". S'agira-t-il d'un premier pas vers la création d'une "Union économique francophone" ? Tel est l'espoir de Jacques Attali, revendiqué en conclusion d'un rapport remis fin août au chef de l'État. « Le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France », martèle l'ancien conseiller du président Mitterrand.

« L'ensemble des pays francophones et francophiles représentent 16 % du PIB mondial », souligne-t-il, « avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques ». Naturellement, « le partage par les populations de plusieurs pays d'une même langue augmente leurs échanges » – de 65 % environ, nous précise-t-il. Est-il bien raisonnable de chiffrer pareil phénomène ? Quoi qu'il en soit, s'inquiète Jacques Attali, « des circuits économiques sont en train de se créer dans les pays francophiles et francophones sans la France » : « c'est le cas le secteur minier notamment (Canadiens en Afrique), ou dans l'éducation supérieure (Québec) ». De fait, Paris serait tenté « par un repli sur sa sphère nationale », que traduirait « la baisse significative » de sa contribution au budget de l'OIF, réduite d'un quart depuis 2010. C'est un calcul de court terme, dénonce le rapporteur. Dans l'ensemble des pays d'Afrique, prévient-il par ailleurs, « le déséquilibre entre le nombre d'enfants à scolariser et le nombre d'enseignants va s'accroître dans les prochaines années ». C'est pourquoi, « faute d'un effort majeur, on pourrait assister [...] à un recul de l'espace francophilophone ».

Le français dans l'entreprise

Dans les entreprises se ressentirait « un certain manque de "patriotisme linguistique" ». À tel point que « certaines compagnies françaises installées en Asie du Sud-Est paradoxalement détournent les étudiants de ces pays de l'apprentissage du français en exigeant la connaissance de l'anglais à l'embauche ». Pourtant, « la culture d'une entreprise mondiale d'origine française est plus facile à appréhender pour le personnel local lorsqu'il maîtrise le français ». Renault l'aurait constaté dans la foulée de sa fusion avec Nissan : « L'usage généralisé de l'anglais comme langue de l'alliance avec le groupe japonais s'est avéré être un handicap et a été à l'origine d'un rendement réduit de part et d'autre. Renault a depuis choisi de donner des bourses à des Japonais pour étudier le français en France. » Quant à l'usage accru de l'anglais dans l'Hexagone, « cela aurait des conséquences économiques négatives », estime Jacques Attali ; selon lui, « l'usage d'une langue étrangère au travail crée [...] un déficit de productivité et de cohésion sociale ».

Alors que des entreprises françaises « choisissent de contracter entre elles en anglais selon des modèles de contrats anglo-saxons », les cabinets d'avocats français, « malgré leur expertise reconnue », seraient « très peu implantés à l'étranger en comparaison avec les cabinets anglo-américains », dont l'influence est telle qu'ils « structurent l'imagination des financiers ». Le droit continental s'en trouve affaibli, ce dont pourrait pâtir le développement de l'Afrique. Le droit anglo-saxon « étant jurisprudentiel », explique Jacques Attali, « son bon fonctionnement requiert l'existence d'une justice efficace et d'une jurisprudence abondante, permettant aux avocats d'assurer une certaine sécurité juridique aux entreprises ». Or, « en l'absence de tels pré-requis, l'insécurité juridique pourrait désinviter les entreprises à investir dans ces pays ».

Les frontières périmées ?

Afin d'accroître ces investissements, Jacques Attali propose, sans surprise, de « favoriser la mobilité » des travailleurs. « Le nombre d'expatriés français est plus faible que le nombre d'expatriés britanniques ou allemands », regrette-t-il : « respectivement 2,5 millions, 3 millions et 4 millions ». Quant à l'immigration professionnelle, elle est jugée « peu développée en France ». Indifférent aux pressions de l'opinion, Jacques Attali vante même les mérites des délocalisations. Selon lui, « l'externalisation d'une partie de la chaîne de valeur française dans les pays du sud de la Méditerranée pourrait être bénéfique, aussi bien aux entreprises françaises qu'aux pays d'accueil ». En effet, « cette stratégie permettrait aux entreprises françaises [...] d'améliorer leur compétitivité, et répondrait aux forts besoins en croissance et en emplois des économies nord-africaines ». Les implantations au Maroc de Renault, Sanofi-Aventis et Accor seraient autant de réussites illustrant le « caractère potentiellement gagnant-gagnant » des « colocalisations ».

Dans son esprit, donc, la francophonie n'est pas une alternative à la mondialisation. Au contraire. De son point de vue, « la tendance de fond de l'économie mondiale est de périmer l'idée d'espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d'échanges et de coopération autour de communautés d'autres natures ». Quoique celles-ci demeurent promues au bénéfice des États : « le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l'Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés », observe Jacques Attali. Puisse la France en faire autant !

Singularité francophone du Vietnam

18 octobre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Devenu un partenaire stratégique de Paris, Hanoï est résolument engagé dans la francophonie.

Vendredi 4 octobre 2013 s'est éteint le général Giáp, héros de l'indépendance du Vietnam, dont le Premier ministre, M. Tan Dung, venait d'effectuer une visite en France. À cette occasion, un "partenariat stratégique" a été signé entre Paris et Hanoï. « Le Vietnam est un partenaire [...] particulièrement cher à la France », a martelé Jean-Marc Ayrault. « D'abord en raison de l'histoire entre nos deux pays », a-t-il expliqué, mais aussi du fait « de notre appartenance commune à la Francophonie ». Comme le souligne Pierre Journoud, chargé d'études à l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire), le Vietnam « a été l'un des rares en Asie, sinon le seul, à jouer avec autant de persévérance la carte de la Francophonie politique, dans sa double dimension bilatérale et multilatérale ».

La langue française vecteur du désenclavement

On compterait aujourd'hui 623 000 francophones au Vietnam, représentant 0,7 % de la population. « On ne saurait [...] voir dans la modestie du nombre de locuteurs de français au Vietnam qu'un lent et inexorable déclin depuis la fin de l'ère coloniale », soutient Pierre Journoud. « Du point de vue purement comptable, la tendance globale paraît même plutôt favorable depuis la fin de la guerre froide : les francophones étaient estimés à 70 000 personnes en 1990, d'âge généralement élevé, soit seulement 0,1 % de la population... Plus surprenant, le nombre d'apprenants de français était moins élevé à l'époque coloniale qu'aujourd'hui. » « Résolument engagée dans la francophonie », la République socialiste du Vietnam « a renoué par étapes avec la coopération culturelle et linguistique avec la France, avant de marquer son adhésion à la Francophonie institutionnelle » en 1970. Dans les années quatre-vingt-dix, Hanoï « a fait de la langue française l'un des vecteurs de son désenclavement ». Il a d'ailleurs proposé que le français devienne la seconde langue de travail de l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est).

« Le Vietnam n'est pas francophone, au sens linguistique », souligne encore  Pierre Journoud, « mais la volonté que ses dirigeants ont jusqu'à présent manifestée, malgré bien des obstacles, de nourrir une francophonie de qualité et de valoriser la Francophonie institutionnelle témoigne de leur conviction que celle-ci peut servir les grands objectifs de leur politique étrangère : favoriser l'insertion régionale et internationale du Vietnam ; renforcer le glacis stratégique que tente de se constituer ce pays qui a dû affronter par les armes les ambitions impérialistes de la France, des États-Unis... et de la Chine. » Preuve que le français na pas dit son dernier mot !

Perspectives francophones

5 septembre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que s'ouvrent à Nice les Jeux de la Francophonie, l'Irsem propose un aperçu des perspectives ouvertes par cette communauté ayant la langue de Molière en partage.

Samedi prochain, 7 septembre 2013, s'ouvriront à Nice, sous la présidence de François Hollande, les VIIe Jeux de la Francophonie. Cet événement ravivera-t-il l'intérêt pour la francophonie, « qui est un atout considérable quelquefois négligé en France », selon le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius ? Dans sa dernière étude, l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire) en souligne justement la « profondeur stratégique ».

Un fort potentiel

« Dans ce contexte de déterritorialisation de la puissance et de déclassement de la sanctuarisation, la recherche d'influence (soft power) devient nécessairement complémentaire de la puissance pure », affirme Hugo Sada. « Celle-ci doit se construire et se déployer bien au-delà des cadres étatiques, et dans un système international caractérisé par la multiplication des acteurs stratégiques. ». La Francophonie serait « l'un de ces nouveaux acteurs stratégiques, encore relativement mineur, mais doté d'un fort potentiel ».

Dans le Maghreb, annonce Flavien Bourrat, « des possibilités existant de voir le français devenir [...] la langue régionale de coopération y compris en matière de défense et de sécurité ». « Du moment où elle n'est plus perçue comme l'instrument exclusif de projection de la politique française dans la région », la Francophonie « pourrait ainsi constituer la cheville permettant d'articuler et de consolider les liens entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne ». D'ores et déjà, précise Flavien Bourrat, « on constate que les relations denses et les échanges qu'entretiennent les pays du Maghreb avec leurs voisins africains francophones, notamment au Sahel [...], se font le plus souvent en français ». Cela étant, prévient-il, « le contexte de transition politique découlant des révolutions arabes pourrait donner une nouvelle vigueur aux querelles linguistiques et aux orientations idéologiques opposées à la francophonie – en particulier dans le secteur clef de l'éducation ». « Rachid Ghannouchi, leader du parti Ennahdha majoritaire au sein de l'actuel gouvernement tunisien, a ainsi déclaré le 26 octobre 2011 à Radio Express FM : "Nous sommes arabes et notre langue, c'est la langue arabe. On est devenu franco-arabe, c'est de la pollution linguistique." Au Maroc, où existe un fort clivage entre les médias arabophones et francophones, l'actuel gouvernement dominé par le Parti de la justice et du développement (PJD) a tenté de remettre en cause, à travers une réforme de l'audiovisuel, la diffusion à une heure de grande écoute du journal télévisé en français de la chaîne publique 2M. »  

En Afrique, tout particulièrement, les États francophones « présentent des spécificités notamment sur le plan organisationnel (les polices francophones sont fondées sur un système dual composé de la police et de la gendarmerie) ou procédural (tradition romano-germanique et coutumes locales) », souligne Frédéric Ramel. Aussi la Francophonie a-t-elle apporté une contribution indéniable à la réforme des "systèmes de sécurité" en République centrafricaine, en Guinée et en Guinée-Bissau, en collaboration avec les Nations Unies, plus habituées, jusqu'alors, à s'inspirer des traditions britanniques en la matière. Plus de la moitié des effectifs déployés par l'ONU se trouvent d'ailleurs en territoire francophone. Dans ces conditions, annonce Brice Poulot, « l'usage du français en contexte militaire ira croissant ».

Langue militaire

D'ores et déjà, précise-t-il, « les autorités militaires francophones des pays développés ont mis en place de nombreuses actions afin de conforter le rayonnement militaire du français à l'international ». Le "français langue militaire" (FLMI) « tient, depuis le début des années 2000, une place importante, notamment par l'action de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères français, qui finance plus de dix mille formations par an ». Si le français participe « à l'affirmation des capacités opérationnelles des armées », il présente une autre vertu, celle « d'extraire un pays de la sphère d'influence d'un voisin trop puissant : le Brésil favorise par exemple l'apprentissage du français pour s'émanciper des États-Unis, tout comme l'Autriche, membre de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et acteur du FLMI, qui cherche ainsi à se démarquer de son voisin allemand ».

De plus, affirme Brice Poulot, « il existe un lien réel entre la francophilie d'une armée étrangère (ou du moins de son état-major) et la provenance de son matériel de défense », si bien que le FMLI pourrait « participer [...] à l'augmentation des exportations de matériel de défense des pays francophones ». Toutefois, nuance-t-il, « certains exemples à travers le monde nous interdisent tout triomphalisme et suggèrent que le travail à mener auprès des institutions est encore conséquent ». Ainsi la gendarmerie européenne a-t-elle « choisi l'anglais comme seule langue de travail alors qu'elle est composée uniquement de pays de langue latine, et que le modèle gendarmique constitue une spécificité organisationnelle par excellence des forces de police issues historiquement de la tradition ou de l'influence francophone ». Un paradoxe parmi d'autres : comme le rappellent Alexandra Veleva  et Niagalé Bagayoko, le français n'est aujoud'hui « ni la langue maternelle, ni même la langue d'usage de l'ensemble des membres de l'Organisation internationale de la Francophonie ».

Université et langue française sous le vent de la mondialisation

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Quand les parlementaires se penchent sur l'ouverture des universités aux étudiants étrangers ou jugent menacée la pérennité de la langue de Molière.

Les universités françaises manqueraient-elles d'attrait aux yeux des étudiants étrangers ? Telle est, en tout cas, la conviction de Mme Dominique Gillot, sénateur PS du Val-d'Oise, auteur d'une proposition de loi censée remédier à cette situation. En dix ans, le nombre d'étudiants étrangers recensés en France aurait pourtant bondi de 40 %, atteignant deux cent trente-mille en 2010-2011. Cependant, « notre pays reste [...] en retard », déplore Mme Gillot. Devancée désormais par l'Australie, la France aurait été reléguée au quatrième rang de la compétition mondiale qui se jouerait en la matière.

Incohérences

« Notre politique [...] a été entachée d'incohérences », martèle le sénateur, qui pointe « une forte hésitation entre la volonté d'accueillir les meilleurs éléments et l'obsession du "risque migratoire" ». Tandis que ces jeunes gens seraient appelés à devenir « nos meilleurs ambassadeurs », il ne serait « ni dans l'intérêt des pays d'origine, ni dans le nôtre » de les renvoyer chez eux dès la fin de leurs études. Au contraire, plaide Mme Gillot, « c'est après au moins une première expérience professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou à l'international, mettre à profit les compétences acquises en France et en faire la promotion ».

En conséquence, elle propose que leur soient attribués des titres de séjour pluriannuels, dont la durée dépendrait de la formation suivie. Cela afin de « limiter les démarches administratives, souvent vexatoires, qui épuisent et précarisent les étudiants étrangers tout en encombrant inutilement les services préfectoraux ». Selon Mme Gillot, il conviendrait également de porter de six à douze mois l'autorisation provisoire de séjour, période pendant laquelle un étranger peut chercher un premier emploi après l'obtention de son diplôme. En outre, « pour éviter le choix souvent cornélien [...] entre le retour dans le pays d'origine ou une installation quasi-définitive dans notre pays », un « droit illimité au séjour en France » pourrait bénéficier aux titulaires d'un doctorat obtenu en France. Une mesure censée contribuer au développement d'une « coopération économique continue, enrichissante, sans pillage des cerveaux des pays émergents ». Reste à convaincre nos compatriotes, aux yeux desquels il y aurait déjà « trop d'étrangers en France »...

Anglais ou français au choix ?

Par ailleurs, Mme Gillot propose d'introduire une dérogation au code de l'éducation, lequel oblige à dispenser des cours en français. Déjà « contournée par de nombreux établissements », cette disposition constituerait « un obstacle au recrutement d'étudiants étrangers de qualité ». Toutefois, reconnaît le sénateur, on ne saurait s'en affranchir sans s'exposer aux foudres du Conseil constitutionnel. C'est pourquoi, au sein d'un même établissement, les étudiants devraient pouvoir « suivre les mêmes cursus en français et en langue étrangère ». Au risque qu'y soit instituée une certaine ségrégation ?

Quoi qu'il en soit, un tel projet devrait conforter dans sa démarche Jean-Jacques Candelier, député PC du Nord, auteur d'une proposition de résolution « tendant à la création d'une commission d'enquête sur les dérives linguistiques ». « Dans la publicité, les enseignes commerciales, la communication [...] des grandes entreprises et, désormais, dans l'enseignement secondaire et universitaire, on peut redouter que la langue de Molière disparaisse à brève échéance », prévient M. Candelier. Selon lui, « il y a urgence ». D'autant que « la dilapidation de la langue française se couple [...] avec la sape de l'héritage progressiste universel de notre pays, le démantèlement des acquis sociaux et des services publics, la destruction de l'indépendance nationale, avec l'adoption du traité de Lisbonne [...] et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le sacrifice de la défense nationale dans l'Otan, la violation de la laïcité et la substitution de l'euro-régionalisation du territoire à la République une, laïque et indivisible issue de la Révolution ».

Ce discours n'est pas sans rappeler celui de l'ambassadeur Albert Salon... « L'internationalisme des travailleurs ne s'oppose pas au patriotisme populaire », soutient Jean-Jacques Candelier. Au contraire, « parce qu'il n'aspire qu'au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » (que nous contestons toutefois pour notre part), le « patriotisme populaire » s'opposerait, entre autres, « au cosmopolitisme capitaliste » ainsi qu'au « supranationalisme impérialiste ». Pour les pourfendeurs de la mondialisation, l'heure serait-elle à l'union sacrée ?

Nouvelles de Francophonie

15 novembre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que le président de la République célèbre la Francophonie avec un certain enthousiasme, apparemment grisé par l'idéologie, son ministre délégué consolide les liens unissant la France et la Louisiane.

Dans un discours prononcé à l'occasion du sommet de l'OIF, le président de la République a loué « cette belle et grande cause, qui s'appelle la Francophonie ». « Nous n'aurons de cesse » de la défendre, a-t-il promis. « En le faisant, nous n'honorons pas simplement une langue, la langue française, nous faisons en sorte que le français puisse apporter, non seulement un message, mais une part de beauté au monde. » Un lyrisme terni par quelque idéologie : « Parler le français, c'est une façon de penser, de concevoir le monde », a souligné François Hollande. « C'est un message de liberté. C'est en français, que les révolutionnaires de 1789 ont proclamé, et donc écrit, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », s'est-il félicité. « C'est en français, en 1948, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu'a été rédigée la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est en français que s'exprimaient les combattants africains pour l'indépendance, ceux qui refusaient la souffrance des peuples asservis. » Mais n'est-ce pas également en français qu'écrivait Maurras, par exemple ?

Dans le même discours, le chef de l'État s'est prononcé en faveur de quatre priorités assignées à l'OIF : « multiplier les échanges, dans l'espace francophone entre les jeunes, entre les étudiants, les enseignants, les chercheurs, les artistes, les créateurs » ; « faire de la francophonie un outil au service du développement » ; « contribuer au règlement des crises, chaque fois que nous sommes concernés et notamment ici en Afrique » ; « porter la démocratie, les droits de l'homme, le pluralisme, le respect de la liberté d'expression, l'affirmation que tout être humain doit pouvoir choisir ses dirigeants ». Des lubies trop bien connues ! Souhaitant faciliter la circulation dans l'espace francophone, il a annoncé, par ailleurs, que la France défendrait, au niveau européen « la publication des comptes des entreprises minières, extractives, forestières pour que, pays par pays, projet par projet, sans exception, nous puissions être sûrs qu'il n'y a pas de prédation dans les pays d'accueil ».

Le 17 octobre 2012, au lendemain du sommet de de Kinshasa, Yamina Benguigui, ministre délégué chargé de la Francophonie, a présenté au Conseil des ministres un « plan d'action » dont l'application sera censée « mieux fédérer les énergies autour d'une francophonie dynamique, moderne et tournée vers la jeunesse et la société civile ». Le gouvernement entend poursuivre trois objectifs : donner un nouvel élan à la politique en faveur du français, accentuer le rayonnement de la francophonie dans le monde et populariser la francophonie sur le territoire national. Sont annoncés, plus concrètement : la contribution à la formation d'enseignants ; la mobilisation de la diplomatie française pour encourager, à travers le monde, l'enseignement d'au moins deux langues étrangères à l'école ; l'organisation du premier Forum mondial des femmes francophones ; le développement de l'offre pour l'apprentissage du "français des affaires" ; l'organisation des Jeux de la Francophonie à Nice en 2013. En outre, il est question de promouvoir « le rôle du français comme facteur d'intégration ».

Le même jour, Mme Benguigui a reçu Jay Dardenne, lieutenant-gouverneur de Louisiane. À cette occasion, plusieurs accords de coopération éducative, linguistique et culturelle ont été signés entre la France et la Louisiane. Ils prévoient, notamment : un programme de formation initiale de professeurs louisianais francophones en partenariat avec des universités françaises ; la création d'un label qualité des écoles d'immersion et l'extension de ce modèle au lycée ; la certification de compétences linguistiques des élèves avec un diplôme français. Selon le Quai d'Orsay, « ce renforcement de la coopération éducative et linguistique constitue une étape importante de la coopération engagée avec la Louisiane depuis quarante ans ».

Sur l'agenda du ministre délégué chargé de la Francophonie figuraient également, dernièrement : un voyage au Liban les 26 et 27 octobre, afin de participer à l'inauguration du salon du livre francophone de Beyrouth, qui fête cette années ses vingt ans ; l'ouverture le 28 octobre à Addis-Abeba (Éthiopie) d'un cycle de quatre séminaires consacrés aux enjeux des opérations de maintien de la paix, s'inscrivant « dans le cadre d'un programme de mobilisation des francophones en faveur des opérations de paix », organisés conjointement par les ministères des Affaires étrangères, de la Défense, l'OIF et le Centre de politique de sécurité de Genève.

Quand le français bataille aux Nations Unies

19 octobre 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

L'Organisation internationale de la Francophonie donne un aperçu des actions menées en faveur de l'usage du français dans les organisations internationales, et notamment à l'ONU.

À l'approche du sommet de Kinshasa, l'Organsiation internationale de la Francophonie (OIF) a rendu compte de diverses actions menées en faveur de l'usage du français dans les organisations internationales - des offres de formation aux protestations officielles, en passant par les réunions de coordination des fonctionnaires francophones. Abdou Diouf, le secrétaire général de l'OIF, en tire un bilan positif : avec ce rapport, écrit-il, « on constate que la tâche n'est pas facile mais on découvre aussi que le travail de sensibilisation porte peu à peu ses fruits et que les limites d'une tendance qu'on croyait irréversible vers un unilinguisme intégral apparaissent de plus en plus ».

Parmi les bons élèves figurent, au sein des Nations Unies, le département de l'Assemblée générale et de la gestion des conférences, ainsi que celui de l'information, dont les activités, quoique « encadrées par un budget serré », contribueraient « activement au respect et à la promotion du multilinguisme ». Le portail mis en ligne à l'intention personnel du secrétariat de l'ONU serait accessible en français dans son intégralité. Néanmoins, « de réels problèmes liés à l'interprétation et à la traduction persistent ». Les rapporteurs déplorent, notamment : le temps limité de présence des interprètes lors des réunions officielles, « qui entraîne une obligation pratique de passer à l'anglais » après 13 heures et 17 ou 18 heures ; le recours systématique à l'anglais lors des réunions informelles ; la diffusion des textes en priorité en anglais « même quand le rédacteur initial n'est pas anglophone ». À Genève, par exemple, le texte « d'un projet de loi sensible concernant un conflit en cours dans un pays d'Afrique » n'a été distribué qu'en anglais, y compris à l'État concerné, pourtant francophone ! La situation pourrait s'aggraver avec « la pénurie annoncée de personnels linguistiques », consécutive au prochain départ à la retraite d'une proportion importante de leurs effectifs permanents.

Le processus de recrutement constitue un autre écueil auquel se heurte l'usage du français : « De la publication des vacances de postes dans The Economist jusqu'aux entretiens d'embauche, en passant par les exigences linguistiques formulées, il ne fait aucun doute que l'anglophone est clairement favorisé. » Ainsi le remplacement du sous-secrétaire général à la communication et à l'Information a-t-il « fait l'objet de préoccupations » de la part des membres du Groupe des ambassadeurs francophones : la vacance de poste était parue seulement en anglais, sans qu'il soit explicitement exigé du candidat qu'il maîtrise les langues de Shakespeare et Molière. Finalement, c'est un Autrichien francophone qui a été nommé le 31 juillet dernier.

« Il est important de ne pas transiger, et de pouvoir exercer une pression amicale et cordiale afin de faire respecter l'usage du français », prévient l'OIF. « D'autant plus qu'il existe une tendance au renoncement contre laquelle il est nécessaire de lutter. » Toutefois, nuance-t-elle, « la Francophonie ne doit pas jouer un rôle de gendarme ». À bien des égards, en effet, l'apprentissage volontaire du français serait préférable à la défense pointilleuse d'un strict multilinguisme. Quoi qu'il en soit, selon Abdou Diouf, « plus que jamais, nous pouvons affirmer que l'atteinte de nos objectifs en ce qui a trait au respect de la place de la langue française dans la vie internationale dépend d'abord et avant tout de notre propre volonté à faire respecter des règles qui existent déjà ». Qu'on se le dise !

La prise en charge en suspens

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La prise en charge des frais de scolarité des Français de l'étranger menace-t-elle les lycées placés sous la houlette du Quai d'Orsay ?

Constatant leur fragile équilibre budgétaire, beaucoup s'en sont inquiétés. Ce faisant, ils auraient mené « une campagne de dénigrement et de désinformation sans précédent » selon Geneviève Colot, député de l'Essonne, et Sophie Joissains, sénateur des Bouches-du-Rhône, auteurs d'un rapport remis le 3 novembre au président de la République.

L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger regroupe près de cinq cents établissements répartis dans cent trente pays, accueillant plus de 100 000 élèves de toutes nationalités. Moins de la moitié seraient de jeunes Français, dont la prise en charge (PEC) des frais de scolarité figurerait dans les programmes présidentiels depuis 1981. Nicolas Sarkozy se targuera-t-il à nouveau de tenir, outre ses propres promesses, celles de ses prédécesseurs ? De fait, leur mise en œuvre est entamée : débutée il y a trois ans, la prise en charge concerne aujourd'hui l'ensemble du second cycle.

« La presse nationale s'est fait largement l'écho des craintes de voir la PEC provoquer un tel afflux de jeunes Français que les élèves étrangers seraient rejetés », rappellent les rapporteurs. Or, les faits auraient contredit ce pronostic : « Non seulement l'équilibre demeure, mais dans le second cycle, concerné par la PEC le pourcentage des Français a même légèrement baissé. »

Le retrait des entreprises ne serait pas vérifié

Un autre crainte portait sur le désengagement des entreprises. Mais « cet effet pervers supposé ne s'est pas vérifié », affirment encore les parlementaires. « Il n'y a que les entrepreneurs individuels qui pour l'heure se retirent, ce qui est dans la logique de la mesure et concrètement un des objectifs visés par le président de la République. Parmi les grosses sociétés seules cinq sur deux cents se sont retirées sur instructions du siège. Le cercle Magellan, qui regroupe les investisseurs à l'étranger [...] fait remarquer que la politique salariale des grosses entreprises est globale pour l'ensemble des salariés ; ceux-ci étant de nationalités diverses, il est difficilement imaginable qu'elles la modifient spécifiquement pour les français. C'est un des arguments essentiels d'une politique de management attractive. »

Saluant « une mesure appréciée et attendue des familles », Geneviève Colot et Sophie Joissains mettent toutefois en garde contre « le dérapage des bourses », dont il conviendrait de réviser les critères d'attribution. Pour parer aux "effets d'aubaine" observés dans certains établissements, elles proposent également de cantonner la prise en charge aux montant des frais de 2007-2008. Comprenant les exigences budgétaires, les parents d'élèves auditionnés ne seraient pas hostiles au principe du plafonnement par établissement. « Ce système qu'il est nécessaire d'actualiser chaque année par un taux d'inflation de 3 %, est en fin de compte relativement proche de celui appliqué à l'enseignement privé sous contrat tel que nous le connaissons en France », expliquent les rapporteurs. Lesquels préconisent de limiter temporairement la prise en charge aux classes de lycée. Une idée chère aux détracteurs qu'ils ont vilipendés en versant dans une polémique déplacée.

Eurogendfor devant la chambre basse

1 juillet 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Débat à l'Assemblée sur la force de gendarmerie européenne.

La commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale a examiné le 23 juin le projet de loi autorisant la ratification d'un traité entre la France, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal, portant création de la force de gendarmerie européenne Eurogendfor. Laquelle s'est choisi l'anglais comme langue de travail, au risque de froisser Jacques Myard... D'autant que « ce n'est la langue d'aucun des États signataires ! » « Nos forces doivent employer le français », a proclamé le député des Yvelines, qui a prétendu « déposer un amendement en ce sens », fût-il irrecevable.

Tandis que Mme Élisabeth Guigou regrettait que cette force se mette en place en marge des institutions de l'Union européenne, le rapporteur Alain Néri a souligné que « le format restreint de la coopération peut aussi être un gage de réactivité et d'efficacité ».

Patrick Labaune s'est interrogé : « Avec le rapprochement entre police et gendarmerie sous l'autorité unique du ministère de l'Intérieur, faut-il comprendre que ce ministère devient compétent pour des opérations extérieures ? » « J'ai l'impression que le mieux serait encore de rattacher cette force au ministère du tourisme ! », a même lancé Patrick Balkany, sceptique. « Il est vrai qu'il ne s'agit que d'un petit pas », a reconnu Axel Poniatowski, le président de la commission des Affaires étrangères. « Néanmoins, lorsque cette force de gendarmerie européenne est intervenue à Haïti après le tremblement de terre, son action dans la lutte contre les pillards a été très utile et appréciée. »

Le français dans la Babel européenne

18 mars 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que la Francophonie fête son quarantième anniversaire, alors que ses adhérents ont renforcé leur poids dans l'UE, le français perd du terrain en Europe depuis les derniers élargissements. Qu'en est-il, désormais, de son usage dans les institutions de l'Union ?

Samedi 20 mars sera célébrée la journée internationale de la Francophonie, quarante ans après la signature du traité à l'origine de l'organisation éponyme (l'OIF). Plusieurs centaines d'événements sont annoncés sur le Vieux-Continent pour fêter cet anniversaire. Outre la France, l'Union européenne compte quatorze États membres appartenant à l'OIF : cinq membres à part entière avec la Belgique, la Bulgarie, la Grèce, le Luxembourg et la Roumanie ; un membre associé, Chypre ; et huit pays observateurs, l'Autriche, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.

Paradoxe

À la faveur des derniers élargissements, les ressortissants de la francophonie institutionnelle ont accru leur présence dans l'Union. Une chance pour la langue de Molière ? Loin s'en faut. The more languages, the more english ! « La logique est en effet implacable, commente Astrid von Busekist. L'anglais possède la plus grande centralité (la proportion de locuteurs multilingues compétents en anglais en tant que langue seconde), bien qu'il ne possède pas la plus grande prévalence (la proportion de natifs d'une langue, soit les locuteurs des [...] langues européennes). » (Dictionnaire critique de l'Union européenne, Armand Colin)

« L'année 2009 a confirmé la tendance observée depuis plusieurs années au sein de l'UE », souligne le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française diffusé par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). « Sous l'effet de l'élargissement de 2004, on assiste à un renforcement des positions de l'anglais et à une érosion parallèle de celles de notre langue et, plus encore, des autres langues. »

On relève quelques nuances selon les institutions, voire les rotations de la présidence semestrielle. « La part du français est logiquement plus élevée au cours des présidences francophones. Cependant, même lorsque cette langue est le français, il arrive que le projet rédigé par le secrétariat général du Conseil (SGC) soit en anglais, ce qui révèle un affaiblissement de la capacité de rédaction des fonctionnaires du SGC dans notre langue. En matière d'interprétation en revanche, les règles en vigueur font toute sa place au français et demeurent appliquées très strictement. » Selon le sénateur Jacques Legendre, auteur d'un rapport déposé le 11 mars 2009, « un bilinguisme traditionnel anglais-français » caractériserait les réunions des groupes de travail sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Sera-t-il remis en cause par la nomination d'une Britannique au poste de Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité ? La langue de Shakespeare est en tout cas la seule qui lui soit familière.

Un déclin flagrant

Conformément à son "manuel des procédures opérationnelles", la Commission s'appuie sur trois langues de travail. Selon la DGLFLF, « l'examen des documents traduits au cours de cinq dernières années montre que les élargissements et le passage consécutif de onze à vingt-trois langues officielles ont été suivis à la fois d'une accélération du recours à l'anglais et d'un recul sensible du français et de l'allemand ». Entre 1996 et 2008, la proportion de documents rédigés initialement en français est passée de 38 à 11,9 %, tandis que l'anglais progressait de 45,7 à 73,55 %.

Dans la salle de presse du Berlaymont (le siège de la Commission), le français aurait jadis régné sans partage. Dorénavant, il serait utilisé à parts égales avec l'anglais, rapporte la DGLFLF. Le président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, aurait pourtant confié que lorsqu'il pratiquait la langue de Molière devant la presse, « cela créait des remous dans la salle » (Coulisses de Bruxelles, 18/01/2010). Notre confrère Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises.

Le déclin est moindre au Parlement européen, dont le tiers du budget est consacré aux dépenses de traduction et d'interprétation. « L'obligation d'interprétation est systématiquement respectée pour le français », affirme la DGLFLF. Un seul manquement aurait été signalé en 2009, « au sein d'une commission, dû à la configuration technique de la salle et à l'absence attendue de députés français ». Pour autant, poursuit la Délégation, « l'approche plus flexible adoptée concernant les documents et réunions préparatoires contribue à renforcer le rôle de l'anglais [...] comme la langue de travail des contacts informels. [...] Par ailleurs, la possibilité de disposer d'une version en français des amendements aux projets de textes dépend du temps dont disposent les services de traduction. »

Jacques Legendre rappelle « l'importance des usages linguistiques à l'occasion de réunions informelles, que ce soit entre ministres ou encore lors d'interruptions de séance au cours desquelles les délégués des États membres ont l'opportunité de se concerter sur leurs positions ». À cet égard, le français serait « sensiblement plus présent [...], en particulier lorsqu'il s'agit de se consulter entre délégués de pays de langue latine ou de pays associés à l'espace francophone ».

Dans ce contexte, la Cour de justice ferait presque figure d'ilot préservé. Traditionnellement, la langue de Molière y est employée pour délibérer. « Cette situation n'est pas nécessairement neutre en termes d'effets sur la jurisprudence » remarque le parlementaire, « la Cour étant en effet susceptible d'être plus sensible à la tradition du droit romano-germanique qu'à la tradition juridique anglo-saxonne, inspirée de la Common law. Le français dispose ainsi d'une position privilégiée au sein d'une institution de quelque 1 800 agents. »

« La langue ne se résume pas, en effet, à un simple instrument de communication », martèle le parlementaire. « Elle est également le vecteur d'expression de cultures politiques, juridiques et économiques spécifiques aux pays dont elle est la langue naturelle. [...] À l'évidence, la prédominance d'une langue, notamment dans le cadre de négociations diplomatiques, constitue un levier d'influence majeur. »

Une âme québecoise

Nos politiques en ont-ils conscience ? Le cas échéant, ils devraient compter avec de fortes pressions en faveur du "tout anglais". « La traduction des documents officiels coûte 65 millions d'euros par an et par État membre », a estimé Astrid von Busekist. « Pour huit des vingt langues [vingt-trois désormais...], le coût de la traduction dépasse 25 euros par citoyen et [il] atteint 980 euros pour chaque citoyen maltais. »

Jean-Pierre Raffarin s'est rendu à Bruxelles le 14 janvier, où il a rencontré les présidents du Conseil européen, de la Commission et du Parlement. En qualité de "représentant personnel du président de la République, il entendait défendre auprès d'eux l'usage du français dans les institutions européennes. « Le français ne recule que lorsque l'offre de français est insuffisante », a proclamé l'ancien Premier ministre. « Quand, dans une ville du monde, on ouvre une école française, les capacités d'accueil sont immédiatement saturées. Quand dans une institution on fragilise le français, ce sont les valeurs du pluralisme et de l'humanisme qui sont étouffées. » Et de lancer : « Pour le combat du français et de la francophonie, j'ai l'âme résistante, l'âme québécoise ! »

Le secrétariat général aux Affaires européennes signalerait systématiquement les entorses faites au multilinguisme institutionnel en rédigeant une protestation destinée à l'organisme pris en défaut. En règle générale, si l'on en croit la DGLFLF, « ces initiatives portent leurs fruits s'agissant de la publication d'annonces de recrutement spécifiant que les candidats doivent obligatoirement être de langue maternelle anglaise et de la publication d'appels d'offres en anglais, d'autant plus que, dans ce dernier cas, le Commission a l'obligation de les publier au Journal officiel de l'Union européenne. À titre d'exemple, le secrétariat général aux affaires européennes est intervenu, après avoir été saisi par le Centre national de la recherche scientifique, dans le cas d'appels d'offres exigeant une réponse [...] en  anglais. »

Formons, formons !

Astrid von Busekist voudrait imposer la combinaison de l'anglais, du français et de l'allemand « car c'est celle qui exclut le moins : 19 % seulement des citoyens de l'Union des quinze ne possèdent aucune de ces trois langues et ce taux s'élève à 26 % dans l'UE des vingt-cinq ». En soutenant un tel projet, la France s'attirerait toutefois les foudres de moult partenaires. Tout particulièrement l'Espagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas et la Pologne, précise M. Legendre. Lequel « invite les pouvoirs publics français à la plus grande prudence dans leurs démarches en faveur du seul français [...], en soulignant notamment la nécessité de ménager la susceptibilité d'autres langues sensiblement négligées dans le processus décisionnel européen. Il s'agit d'envisager la promotion de la diversité linguistique dans sa globalité et de ne pas se limiter à un combat vain et naïf fondé sur un antagonisme systématique entre le français et l'anglais. »

La priorité doit être accordée à la formation, notamment en direction des fonctionnaires étrangers. La mise en œuvre d'un "plan pluriannuel d'action pour le français en Europe" avec la Communauté française de Belgique, le Luxembourg et l'OIF s'inscrit dans cette démarche. Le budget de ce programme s'est élevé à 2,3 millions d'euros en 2008. Ne négligeons pas non plus la formation de nos compatriotes aux langues étrangères : anticipant de prochains départs en retraite, la Commission européenne s'était inquiétée, le 23 septembre dernier, d'une pénurie sérieuse d'interprètes de langue française pour les cinq à dix ans qui viennent...

Herman Van Rompuy à Paris

25 janvier 2010

Le président du Conseil européen vient d'ouvrir une grand'messe de la francophonie. Aperçu de son intervention.

Le président du Conseil européen était à Paris aujourd'hui. Nous avons assisté à son discours prononcé en ouverture du 23e colloque international de l'Alliance française. Herman Van Rompuy fut introduit par le président de la fondation, Jean-Pierre de Launoit, qui brossa, non sans complicité, le portrait d'un homme au « regard pétillant et malicieux ». Lequel nous confia qu'il avait appris le français dans la rue ; pour ce Belge issu d'une famille néerlandophone, la langue de Molière fut d'abord celle « du quartier et des terrains de football ».

Évoquant « une époque de mutations profondes », l'ancien Premier ministre belge s'est interrogé sur le rapport à la culture qui en émergerait. Tout en observant la « McDonaldisation » de l'Europe et du monde, il s'est prémuni des « oppositions stériles » – « Google contre Proust », « la Silicon Valley contre Venise », etc. « Avec le mot "Amérique", je risque de toucher un point sensible » avait-il prévenu. La culture du Nouveau Monde lui apparaît « riche à bien des égards ». Il n'en demeure pas moins un promoteur des Humanités.

Revenant sur « la longue histoire de notre continent », le président du Conseil européen a retenu quelques périodes d'unification, auxquelles succédèrent des éclatements : la chrétienté du Moyen Âge, où la même liturgie était célébrée partout en Europe dans la même langue – un symbole parmi d'autres d'« une vraie "standardisation culturelle" » ; la République des Lettres, née d'une Renaissance préparée par la redécouverte d'Aristote par saint Thomas d'Aquin ; l'Empire napoléonien. La présent serait « le résultat de ce double mouvement ».  Herman Van Rompuy s'est attaché à décrire « une tension permanente entre l'universel et le particulier » qu'il juge caractéristique de l'héritage européen.

Fustigeant – gentiment – l'utopie de Julien Benda, promoteur d'une langue commune à tout le continent, il a déclaré lui préférer la « sagesse » d'un Denis de Rougemont, qu'il découvrit chez les Jésuites dans les années soixante. « L'Europe ne peut pas fonctionner sur le modèle de l'État-nation », a-t-il observé. D'autant que « les États membres veulent être ensemble ; ils ne veulent pas être un ». Une distinction que les souverainistes jugeront sans doute trop subtile. 😉