Un indice de durabilité ou réparabilité devrait bientôt apparaître sur les emballages des produits. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s'en réjouit sans toutefois apporter aucune contribution aux travaux en cours sur le sujet.
L'« affichage environnemental » vient de faire l'objet d'un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publié le mois dernier (mars 2019). On y relève notamment que « pour le CESE, les notions de "durée de vie des produits" et-ou de "réparabilité" nécessiteraient d'être prises en compte de façon explicite dans l'affichage environnemental ». Mais sur cette question, on n'y trouve pas grand-chose de plus.
Le rapporteur, Philippe Dutruc, se borne en fait à rappeler les objectifs définis dans la feuille de route pour l'économie circulaire (FREC) présentée l'année dernière. Laquelle mentionne effectivement « différentes mesures relatives à la réparabilité des produits : "renforcer les obligations des fabricants et des distributeurs en matière d'information sur la disponibilité des pièces détachées pour les équipements électriques, électroniques et les éléments d'ameublement" (mesure 9) ainsi que "l'affichage obligatoire à partir du 1er janvier 2020 pour les équipements électriques, électroniques d'une information simple sur leur réparabilité" (mesure 10) ».
Les entreprises joueront-elles le jeu ? Selon Alain Pautrot, représentant du groupe SEB, auditionné par le CESE, « l'apposition d'un logo clair sur la réparabilité […] est de nature à convaincre le consommateur » : « les études du groupe montrent en effet que 8 % des clients basculent vers l'achat d'un produit durable sur lequel est apposé ce logo ». Par ailleurs, a-t-il assuré, un affichage de ce type serait bien accueilli par les distributeurs. Reste à préciser et concrétiser ce projet.
Autant le dire tout de suite : la réponse est non. Du moins, si l'on considère l'obsolescence programmée dans son acception la plus stricte et légitime : celle d'un sabotage réalisé à dessein. Explications.
Il y a quelques mois, en octobre 2018, de nombreux journaux ont rapporté qu'Apple et Samsung avaient été condamnés en Italie pour « obsolescence programmée ». Beaucoup d'articles ont été écrits à ce sujet. Mais parmi leurs auteurs, rares sont ceux qui semblent avoir pris connaissance des jugements dont ils ont rendu compte. Émile Meunier, avocat de l'association Hop (Halte à l'obsolescence programmée) a diffusé une traduction (certes un peu approximative) de celui concernant Apple. Merci à lui !
La condamnation d'Apple en quelques lignes
À la lecture de ce document, il apparaît que, selon l'Autorité de la concurrence et du marché italienne (AGCM), Apple aurait « incité les consommateurs disposant d'un Iphone 6, 6 Plus, 6S, 6S Plus à installer le système d'exploitation IOS 10 et les mises à jour ultérieures, sans fournir d'informations adéquates sur l'impact de ce choix sur les performances du smartphone et sans offrir (sinon dans une mesure limitée ou tardive) aucun moyen de restaurer la fonctionnalité initiale des appareils en cas de dégradation avérée des performances après la mise à niveau (par exemple, une dégradation ou un remplacement des piles pour un coût raisonnable) ».
Voilà comment est résumée officiellement la condamnation d'Apple : il lui est reproché d'avoir forcé la main des utilisateurs d'Iphone pour migrer vers une nouvelle version d'IOS, sans les informer correctement des désagréments qui risquaient d'en découler ni leur offrir la possibilité de revenir en arrière. Les reproches faits à Samsung, quoiqu'un peu moindres, sont vraisemblablement du même ordre.
Dans son exposé, l'AGCM va toutefois plus loin. Elle revient sur les arrêts intempestifs dont se sont plaints, à l'automne 2016, des utilisateurs d'Iphone 6, 6 Plus, 6S ou 6S Plus. Elle affirme que ce phénomène était « le résultat de la mise à niveau vers le système d'exploitation IOS 10, en raison de l'incapacité de la batterie d'un grand nombre des modèles précédents – et déjà largement utilisés par les consommateurs – à répondre aux besoins énergétiques accrus du nouveau système d'exploitation et à ses nombreuses nouvelles fonctions ». Autrement dit, la marque à la Pomme aurait commis l'erreur de déployer un système d'exploitation conçu pour des machines récentes sur des appareils trop anciens pour le supporter. Certains utilisateurs y auront pourtant trouvé leur compte, mais l'AGCM n'entre pas dans ce débat.
Elle dénonce « une pluralité de comportements, visant d'abord à inciter les propriétaires de ces smartphones à installer de nouvelles versions du système d'exploitation IOS et, ensuite, à cacher que les dysfonctionnements et les ralentissements des appareils étaient la conséquence de l'installation de ces mises à jour du firmware, accélérant ainsi le remplacement des Iphone par des modèles plus récents ».
De nombreuses insinuations
Dès lors, l'obsolescence programmée n'est-elle pas caractérisée ? Dans cette perspective, plusieurs éléments à charge sont effectivement présentés par l'Autorité italienne. « Dans ce contexte », estime-t-elle, « les inconvénients subis par les utilisateurs (en l'occurrence, les ralentissements, les réductions des fonctionnalités de l'Iphone dues à la mise à jour du firmware), ainsi que le manque d'information et le mauvais service après-vente, font partie d'une politique commerciale dans laquelle le processus de remplacement des anciens modèles par de nouveaux est particulièrement important ». Documents à l'appui, l'AGCM démontre (s'il en était besoin…) « que l'objectif d'Apple est de maintenir et d'augmenter un taux élevé de remplacement des équipements grand public par des équipements neufs et que, dans ce contexte, Apple applique et privilégie une politique de "trade in" des produits par rapport à leur simple réparation, même en donnant des instructions restrictives sur la recevabilité de la réparation et sur les coûts à engager ». Pour bien enfoncer le clou, l'AGCM rappelle « qu'Apple a été le premier fabricant à proposer un smartphone dont la batterie ne peut être retirée et remplacée par son propriétaire, sauf avec l'intervention d'un technicien qualifié et via l'enlèvement de l'écran ». « En ce qui concerne l'architecture de l'Iphone », précise-t-elle cependant, « Apple souligne que cela serait conçu uniquement pour assurer l'attrait esthétique et la légèreté, certainement pas pour le rendre plus difficile à réparer ».
Quoi qu'il en soit, selon l'Autorité italienne, « le processus de remplacement des modèles Iphone 6, 6 Plus, 6S, 6S Plus qui ne sont plus couverts par une garantie légale a été accéléré, dans un contexte où le choix du consommateur est limité, compte tenu également des coûts de transition liés au passage à un smartphone d'un fabricant différent basé sur un système d'exploitation autre qu'IOS, ou caractérisé par un niveau de qualité perçue inférieur ».
Curieusement, si l'Autorité italienne mentionne l'avantage qu'Apple a pur tirer des déconvenues subies par ses clients, elle ne s'intéresse pas aux conséquences négatives qui pourraient peut-être en résulter pour lui. L'AGCM explique que les clients de la marque à la Pomme sont plus captifs que ceux de ses concurrents ; elle souligne « le niveau remarquable de fidélité à la marque Apple de la part des propriétaires d'Iphone », estimé à 70 %. Mais en mécontentant les utilisateurs de ses produits, Apple ne risque-t-il pas de les détourner de sa marque ?
Depuis quand des imprévus sont-ils programmés ?
De toute façon, en droit français, rappelons-le, « l'obsolescence programmée se définit par l'ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement ». Autrement dit, c'est un sabotage. La jurisprudence n'a pas encore eu l'occasion de le confirmer, mais ce sont incontestablement des pratiques de ce type qui étaient visées par l'Assemblée nationale, quand un amendement a été ajouté à cet effet dans la loi sur la transition énergétique.
Dans le cas présent, les dysfonctionnements des Iphone dénoncés par l'AGCM ont-ils été provoqués à dessein par Apple ? La question n'est pas posée par l'Autorité italienne. Dans son exposé, elle mentionne toutefois plusieurs indices susceptibles de nous éclairer à ce sujet.
Par exemple, l'AGCM rend compte « d'une prise de conscience, au sein des structures Apple, des problèmes liés aux batteries et aux mises à jour d'IOS ». Elle rapporte ainsi qu'« au cours de l'année 2016, le système de correspondance et d'information de l'entreprise a montré qu'Apple avait […] constaté l'apparition de pannes imprévues de certains Iphone 6 dues à une insuffisance de piles et avait mis en place un programme limité pour le remplacement gratuit des piles ». Et de poursuivre : « Le problème des arrêts soudains d'exploitation (UPO), cependant, concernait une un ensemble beaucoup plus large de dispositifs […] au point d'inciter Apple à publier une mise à jour logicielle visant à réduire la demande d'énergie de pointe ». Cela s'est traduit par le déploiement de correctifs successifs : « En décembre 2016, Apple a publié la mise à jour 10.2, qui comprend une fonction de diagnostic spéciale pour comprendre le phénomène des UPO. Puis, en janvier 2017, Apple a publié la mise à jour IOS 10.2.1, qui contient une fonction spéciale de "gestion de l'alimentation", visant à réduire les pics de consommation requis par IOS 10 et suivants qui peuvent ne pas être pris en charge par la batterie, provoquant l'"UPO" décrite. » Il est question ici d'une « prise de conscience » consécutive à des pannes « imprévues »… Ce compte-rendu des événements proposé par l'Autorité italienne laisse donc clairement entendre que rien de tout cela n'était "programmé".
En définitive, on relève dans l'exposé de l'AGCM moult insinuations susceptibles de nourrir des accusations d'obsolescence programmée, sans y trouver toutefois les éléments susceptibles de les étayer. Peut-être Apple a-t-il effectivement tiré profit des dysfonctionnements des Iphone. À tort ou à raison, en tout cas, l'Autorité italienne le suggère ouvertement. Mais rien, dans son exposé, ne permet d'affirmer qu'il ait provoqué des pannes de façon délibérée. Au contraire. En matière d'obsolescence programmée, on en reste donc toujours au même point : aucun cas délictueux n'a jamais été avéré.
HOP prétend avoir suscité le lancement d'une nouvelle gamme d'imprimantes. Une gamme dont les premiers modèles ont été commercialisés en 2010. C'était cinq ans avant la création de cette association…
L'association HOP s'honore d'avoir déposé en France les deux première plaintes pour « obsolescence programmée ». Deux enquêtes sont donc en cours, a-t-elle rappelé sur son site Internet aujourd'hui même, 27 juillet 2018. Un jugement sera rendu « prochainement », annonce-t-elle avec optimisme.
En attendant, poursuit-elle, « bien qu'en apparence les grandes industries n'aient pas encore radicalement modifié leurs méthodes d'obsolescence, de (sur)production et (sur)pollution, les lignes sont en train de bouger grâce au travail de toute l'équipe HOP ». La preuve ? « Chez Epson », par exemple, « on tente de se justifier […] et surtout d'innover avec des imprimantes sans encre ».
Sans doute l'association fait-elle allusion à la gamme Ecotank, dont les modèles fonctionnent sans cartouche – et non « sans encre ». Une gamme dont Epson rappelait dernièrement qu'elle avait été lancée en 2010 (avec une commercialisation dans un premier temps en Indonésie selon Les Numériques). C'était ben avant qu'une plainte soit déposée pour obsolescence programmée ! D'ailleurs, à cette date, l'association HOP n'existait pas encore. Elle n'a été créée que cinq ans plus tard, en 2015, selon les informations publiées sur son propre site Internet. Autant dire qu'elle s'attribue des mérites qui ne sont pas les siens.
D'une façon générale, elle prétend « défendre les intérêts des utilisateurs et de la planète ». Mais dans cette perspective, son action s'avère contre-productive. Dans sa cabale contre Epson, elle entretient la confusion entre la nécessité (réelle ou supposée) de changer une pièce et celle de mettre un appareil à la casse, comme on a pu le voir au cours d'un reportage diffusé sur France 2 au printemps dernier ; dans celle contre Apple, elle dénigre une initiative visant, précisément, à prolonger la durée de vie d'un smartphone équipé d'une batterie usagée – un comble !
Peut-être faut-il le rappeler : la demande qu'expriment les consommateurs au gré de leurs achats n'est pas sans incidence sur l'offre qui leur est proposée. Si une proportion plus importante d'entre eux fuyaient les ordinateurs équipés d'une mémoire soudée, par exemple, ou s'ils étaient plus nombreux à privilégier les modèles bénéficiant d'un manuel de démontage, les constructeurs ne manqueraient pas d'en tenir compte. Or, loin de les éduquer, l'association HOP les encourage à se détourner de leurs responsabilités. Elle le revendique même, par la voix de Laetitia Vasseur, selon laquelle « il paraît essentiel de ne pas moraliser le consommateur, avant tout victime de l'obsolescence accélérée des produits ». Dont acte.
Dans une économie appelée à devenir circulaire, les pneus rechapés semblent avoir toute leur place. Boudés par les automobilistes, ils demeurent populaires auprès des transporteurs routiers. Mais il faut compter désormais avec la concurrence des pneus chinois vendus à prix cassé.
Le rechapage a été mis à l'honneur lors d'une conférence organisée à l'initiative du magazine Pneumatique mercredi dernier, 6 juin 2018. Cette activité consiste à remplacer la bande de roulement des pneumatiques, une fois le point d'usure atteint, tout en en conservant la carcasse. Peut-être les automobilistes s'imaginent-ils qu'elle est tombée en désuétude ; il est vrai qu'en France, seule la société Black Star propose encore d'y recourir afin d'équiper des voitures de tourisme. Mais tel n'est pas le cas des transporteurs routiers : en 2017, 40 % des pneus qu'ils ont achetés étaient rechapés.
Depuis cinq ou six ans, ce marché est toutefois ébranlé par la croissance fulgurante des importations en provenance de Chine. L'empire du Milieu casse les prix sur les pneus neufs ! Dans l'Hexagone, mille neuf cents emplois directs seraient en jeu. Le mois dernier, la Commission européenne a érigé des barrières douanières censées rendre cette concurrence plus équitable. « On a une position neutre officiellement, mais pour moi, c'est une bonne nouvelle », s'est réjoui Rodolphe Hamelin, directeur des produits industriels de Bridgestone. La légitimité de ces mesures protectionnistes n'est pas contestée par les professionnels du secteur – au contraire. « Je suis profondément libéral », a déclaré Bruno Muret, représentant du SNCP (Syndicat national du caoutchouc et des polymères) ; cependant, les règles doivent-être les mêmes pour tous, a-t-il expliqué en substance. « Cela aurait dû être fait il y a des années », a renchéri Thierry Dourdet, P-DG de Vulcalor, une entreprise spécialisée dans le rechapage ; toutefois, a-t-il poursuivi, « je préfère qu'on mette en avant ce qu'on est capables de faire ».
« Sans rechapage, on n'a pas de modèle premium »
Des erreurs ont-elles été commises ? « Il y a peut-être de bonnes raisons pour que le pneu chinois s'impose », selon Régis Audugé, directeur général du SPP (Syndicat des professionnels du pneumatique). « On n'a pas su communiquer », a reconnu Thierry Dourdet. Soucieux de rectifier le tir, les syndicats professionnels ont présenté un outil en ligne censé mettre en évidence le « coût total de possession » des pneumatiques. À la différence du prix d'achat, celui-ci serait à l'avantage des pneus "premium" : susceptibles d'être rechapés par deux fois, ces derniers permettraient de couvrir ainsi une distance moyenne 660 000 kilomètres, avec une moindre consommation de carburant – un gage d'économies substantielles.
Ces arguments feront-ils mouche auprès des clients ? Bridgestone en est convaincu. Dans la tourmente, le manufacturier a tenu à soutenir son activité de rechapage, quitte à en sacrifier momentanément les marges. Depuis 2015, il propose une garantie sur la « rechapabilité » des pneus destinés aux véhicules de chantier : si une carcasse s'avère défectueuse, elle est changée. En outre, l'entreprise a investi afin d'automatiser le processus de rechapage ; productivité et qualité ont été significativement accrues par l'emploi d'un robot baptisé Leonardo. De toute façon, « sans rechapage, on n'a pas de modèle premium », a prévenu Rodolphe Hamelin. En tout cas, Thierry Dourdet se montre optimiste : « quelle que soit la situation, on se développera toujours », a-t-il annoncé.
Les syndicats professionnels dénoncent l'inertie des autorités françaises
Il faut dire qu'à ses yeux, les pneus chinois ne valent pas grand-chose : leurs carcasses ne sont bonnes à rien, s'est-il indigné. Il lui semble impossible de leur donner une seconde vie, pas même pour équiper des tracteurs agricoles. Olivier Dusserre, directeur commercial de Doumerc Pneus International, n'est pas du même avis : « il y a des pneus chinois qui sont rechapables », a-t-il souligné. Dans les usines de l'empire du Milieu, « il y a forcément à boire et à manger », a nuancé Bruno Mazzacurati, directeur général de Dipropneu. « Dans les pneumatiques chinois, il y a des mauvais et il y a des bons », a confirmé Pascal Audebert, directeur général de Profil Plus.
Cela étant, comme l'a rappelé Olivier Dusserre, « on a vu arriver sur le marché français des pneus qui n'étaient pas aux normes ». À ce sujet, Bruno Muret a dénoncé l'inertie des autorité françaises, qui auraient manqué de vigilance quant au respect du règlement Reach adopté sous l'égide de l'Union européenne : « on a eu beaucoup de mal à ce que les Douanes fassent leur boulot », a-t-il rapporté. Des difficultés similaires auraient été rencontrées avec la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), qui aurait traîné avant de veiller au bon étiquetage des produits.
La voiture électrique met tout le monde à poil !
Selon Dominique Stempfel, directeur communication et développement d'Allopneus, « il n'y a plus de mauvais pneus qui circulent sur le marché français ». Certains produits sont certes de moindre qualité ; mais il sont aussi moins chers ! Cela répond à une demande qui ne saurait être ignorée. « Le segment "budget" a toujours existé », a rappelé Dominique Stempfel. Jadis, il était d'ailleurs occupé… par les pneus rechapés ! Ceux-ci présentent désormais de bien meilleures performances. Un « saut qualitatif » a été franchi « au prix d'un assainissement de la profession », a constaté Bruno Muret ; la qualité des pneus rechapé est aujourd'hui comparable à celle des pneus neufs, a-t-il assuré. La réutilisation des carcasses répond, de plus, aux attentes de la société : le rechapage constitue « un maillon important de l'économie circulaire » ; en cela, a-t-il martelé, c'est « une excellente illustration de ce que prônent nos pouvoirs publics ».
Les menaces qui planent aujourd'hui sur les vieux manufacturiers s'abattront-elles demain sur les constructeurs automobiles les plus renommés ? « Les voitures ne voyagent pas autant que les pneumatiques », a souligné Bernard Jullien, économiste, maître de conférences à l'université de Bordeaux. L'inquiétude n'en est pas moins légitime : les constructeurs ont multiplié les partenariats dans l'empire du Milieu, mais « l'équilibre des pouvoirs dans les joint-ventures est en train de changer », a-t-il constaté ; autrement dit, les Chinois prennent le contrôle. Depuis quatre ans, la « sinisation » est en marche, a-t-il expliqué. Parallèlement, Pékin canalise l'automobilisation du pays, afin de préserver les terres agricoles ; en outre, il promeut les investissements à l'étranger et pousse au déclin du moteur thermique dans l'espoir de rebattre les cartes au profit de sa propre industrie : « sur l'électrique, tout le monde est à poil », s'est exclamé Bernard Jullien. Nous sommes prévenus.
Lecture critique d'un article signé par une philosophe-militante, censé expliquer la logique à l'œuvre dans une stratégie d'obsolescence programmée déployée à grande échelle.
Ce sont les aléas du métier : Raphaël Enthoven s'est fait planter. Vendredi dernier, 1er juin 2018, alors qu'il s'apprêtait à enregistrer une émission pour Arte, l'animateur-philosophe a dû faire face à la défection d'un participant. En la personne de Jeanne Guien, il croyait avoir invité une philosophe ; mais c'est une militante qui lui a fait faux bond – et qui, surtout, a tenu à le faire savoir. « Immaturité du mouvement étudiant, misandrie des féministes, paresse des abstentionnistes, communautarisme des antiracistes ou encore antisémitisme des antisionistes : il n'est pas un seul des partis pris les plus réducteurs et abêtissants de la droite décomplexée auquel vous ne vous empressiez d'apporter votre soutien », lui a-t-elle reproché dans une lettre ouverte publiée sur Mediapart.
Cela étant, si nous avons eu vent de cette polémique, c'est parce que Jeanne Guien travaille sur un sujet qui nous intéresse : « la réduction de la durée de vie des objets ». Curieux de découvrir comment elle aborde une telle question, nous nous sommes empressé d'arpenter la Toile à la recherche de ses éventuelles publications. Bingo ! Voilà déjà quelques années, elle avait signé un article dans la revue Vivagora, repris par Up Magazine. En introduction, elle propose une définition de « l'obsolescence programmée » : « un procédé technique qui consiste à concevoir un objet en y intégrant le déclenchement de sa panne, de son usure, de sa défaillance définitive » ; dissipant toute confusion, elle précise qu'« il ne s'agit pas seulement de connaître le moment où l'objet deviendra inutilisable […] mais de le générer artificiellement ».
La durée de vie des produits systématiquement limitée ?
Selon Jeanne Guien, « les imprimantes, les ordinateurs, l'électroménager, les téléphones portables ou les lecteurs MP3 […] sont aujourd'hui, pour la plupart, conçus selon ce procédé ; mais aussi de nombreux ustensiles plus communs comme le mobilier, la vaisselle, les ampoules ». Incidemment, elle se montre plus radicale que les militants de l'association HOP (Halte à l'obsolescence programmée), dont la cofondatrice, Laëtitia Vasseur, juge ce phénomène « marginal » (selon la réponse donnée à une question que nous lui avons nous-même posée). Elle se distingue plus encore de Serge Latouche, certes chantre de la décroissance, mais selon lequel « les lobbies industriels […] n'ont pas tout à fait tort de prétendre que l'obsolescence programmée, entendue dans le sens d'un complot ou d'un sabotage, n'existe pas » (citation tirée d'une tribune publiée sur Mediapart au mois de mars). « Si l'usage de ces produits n'est pas "unique", il est artificiellement restreint », martèle Jeanne Guien, « de sorte que la durée de vie de ces produits (le temps durant lequel ils sont utilisables conformément à leur fin, et efficaces comme tel) peut être dite systématiquement limitée ».
Dans son article, elle se garde bien d'étayer ses accusations. Il est vrai que l'exercice eût été difficile, aucun cas délictueux d'obsolescence programmée n'ayant jamais été avéré. Cela en dépit des soupçons régulièrement colportés par des « médias dominants » dont notre philosophe-militante semble pourtant se méfier… Récemment, ces derniers se sont tout particulièrement illustrés en véhiculant des fantasmes à propos des collants. Un seul exemple nous est donné par Jeanne Guien : « Apple a ainsi fait l'objet d'un procès (s'achevant sur un accord à l'amiable…) pour avoir conçu les batteries de ses Ipod selon la technique de l'obsolescence programmée (celles-ci se révélant défaillantes au bout de dix-huit mois). »
Le fantasme d'une économie sous contrôle
Un « procès » s'est-il vraiment tenu à ce sujet ? Nous n'en sommes pas certain, mais nous ne l'avons pas vérifié. Quoi qu'il en soit, la procédure s'est effectivement conclue non par une condamnation d'Apple, mais par un accord avec ses clients qui s'estimaient lésés. À notre connaissance, cependant, la conception des batteries n'était pas en cause. Cela n'aurait eu aucun sens : en dépit des recherches en cours et des progrès d'ores et déjà accomplis, nul ne sait encore produire des batteries inusables ; la technologie nécessaire nous est encore inconnue ! Plus exactement, c'est l'intégration des batteries qui a suscité la polémique, celles-ci étant, paraît-il, impossibles à changer. Simple nuance ? Peut-être. Mais puisque Jeanne Guien prétend être attachée à « la définition et la conceptualisation rigoureuses », nous la prenons au mot ! Reste surtout qu'en l'espèce, l'obsolescence programmée, telle qu'elle la définit elle-même, n'est pas démontrée. En effet, qu'en est-il des arbitrages ayant présidé à la conception du produit incriminé ? Peut-être la priorité a-t-elle été donnée à la baisse des coûts ou bien au design aux dépens de la durabilité, par exemple ; le cas échéant, il ne s'agirait pas d'un sabotage délibéré.
« L'obsolescence programmée permet […] de s'assurer du renouvellement de la demande, de réamorcer un cycle de vie du produit, a priori à l'infini », explique Jeanne Guien. Et de poursuivre : « En faisant advenir de manière prévisible (et prévue) la défaillance de l'objet, elle permet d'organiser ce renouvellement ; et donc de maîtriser, de répartir, l'état de la demande. Elle offre ainsi l'espoir d'un marché toujours ouvert et dynamique ; surtout, d'un marché maîtrisable en ses phases et ses caprices, c'est-à-dire manipulable en son rythme. Elle ouvre sur une maîtrise a priori de l'écoulement des stocks, grâce à cette mainmise sur le rythme même du marché. […] On atteint là comme un idéal du capitalisme marchand : s'assurer l'écoulement du stock, mais aussi la possibilité d'accélérer et de décélérer cet écoulement, par la réduction ou l'allongement de la durée de vie des objets ; maintenir ou accélérer le taux de croissance, en faisant se succéder les objets, et donc les actes de rachat, de plus en plus vite, au moyen d'une durée de vie de plus en plus restreinte. »
Philosophie, militantisme et complotisme
On nage en plein délire constructiviste, sinon conspirationniste ! Jeanne Guien nous donne l'impression de prêter au capitalisme non pas seulement une logique, mais aussi une volonté. Une volonté à laquelle les acteurs du système économique seraient apparemment contraints de se plier. Pour quelle raison ? La question est éludée. Peut-être s'agit-il de répondre à « la seule exigence de croissance ». Cette préoccupation pourrait éventuellement être celle des pouvoirs publics, à supposer qu'ils négligent les "coûts d'opportunité" mis en lumière notamment par Frédéric Bastiat (sophisme de la vitre cassée) ; les primes à la casse censées accélérer le renouvellement du parc automobile s'inscrivent d'ailleurs dans cette logique. Mais qu'en est-il des entreprises, soumises à la pression de la concurrence ? Celles-ci n'ont aucune assurance que leurs clients leur restent fidèles quand survient la nécessité d'un nouvel achat. Si la possibilité leur est offerte de proposer une garantie plus longue, sans réduire leurs marges ni sacrifier aucune fonctionnalité d'un produit mis en vente, elles cédèront fatalement à la tentation, dans l'espoir des gagner des parts de marché. Ce dont la croissance ne pâtira pas forcément, soit dit en passant. Florent Menegaux, nouveau patron de Michelin, vient de le rappeler dans un entretien accordé à L'Usine nouvelle : « Lorsque nous avons lancé le pneu radial, on a crié au fou ! Les gens pensaient qu'en créant un pneu deux fois plus résistant, on allait diviser le marché par deux. Mais non ! À cette période, la mobilité s'est considérablement accrue. La technologie a permis de développer le marché. »
Cinq ou six ans se sont écoulés depuis la publication de cet article, qui remonte à 2012. Peut-être son auteur a-t-il changé d'avis. Ou peut-être pas… À voir la façon dont elle s'adresse aujourd'hui à Raphaël Enthoven, il semblerait que Jeanne Guien soit loin d'avoir renié ses démons complotistes. Dénonçant la dérision avec laquelle ce dernier a évoqué la rumeur de Tolbiac, elle soutient que « la vérité sur cette affaire n'a toujours pas été faite ». Sans doute ne le sera-t-elle jamais, en effet. « Le blessé de Tolbiac est un pur produit de l'esprit complotiste et, dans une théorie de ce type, aucune page ne se tourne jamais », comme l'expliquait Marylin Maeso sur le site Conspiracy Watch ; « c'est un livre qui se réécrit inlassablement pour plier à toute force le réel à ce qu'il entend démontrer ». C'est vraisemblablement le genre de livre que Jeanne Guien signerait volontiers.
Lecture critique du rapport présenté par l'association HOP (Halte à l'obsolescence programmée) le 15 mai 2018.
Les collants sont-ils délibérément fragilisés par leurs fabricants, en application d'une politique d'obsolescence programmée ? Un grand nombre de journaux l'ont prétendu dernièrement, dans le sillage de France Info. Le 15 mai 2018, le média public s'était enorgueilli d'être le premier à rendre compte d'un rapport présenté à ce sujet par l'association HOP. La crédulité avec laquelle nos confrères ont rapporté ces accusations ne leur fait pas honneur.
La nostalgie du temps jadis
C'était mieux avant, clament, en substance, les auteurs de ce document. « Dans son étude, l'association prouve que les collants étaient beaucoup plus résistants il y a plusieurs années », croient savoir nos confrères de Sciences et Avenir. « En effet », expliquent les rapporteurs, « de nombreux témoignages confirment la grande robustesse des produits conçus il y a des années ». Les témoignages effectivement mentionnés, assimilés à des preuves dans un magazine réputé scientifique, sont au nombre de deux. Une femme exprime sa satisfaction des collants hérités du temps jadis : « Je n'en achète plus depuis que ma grand-mère m'a donné les siens – qui datent de sa jeunesse, c'est dire leur durée de vie ! » L'autre témoin n'en est pas vraiment un, puisqu'il en cite un autre – en l'occurrence, sa grand-mère : « Mes premiers collants en nylon, c'était formidable. Les collants en soie se filaient pour un oui ou pour un non, alors que le nylon, c'était indestructible (et beau et brillant). » C'est en fait une grand-mère archétypale qui apparaît ici, sans véritable ancrage dans le temps ; nulle précision n'est donnée quant à l'époque où elle vivait.
Concernant les collants vendus aujourd'hui, HOP invoque les résultats d'un sondage que ses militants ont eux-mêmes réalisé. Leurs conclusions ne sont pas inintéressantes, mais cette enquête n'a pas été menée dans les règles de l'art : les quelque trois mille personnes ayant répondu semblent l'avoir fait spontanément, directement auprès de l'association. C'est un peu comme si le Front national avait mis en ligne un questionnaire sur l'immigration sur son propre site Internet… Les auteurs de ce rapport expliquent s'être appuyés également sur « une dizaine d'entretiens et communications avec des experts textile, des vendeurs, des juristes, des fabricants et chimistes ». Au regard des moyens vraisemblablement modestes de cette association, ce n'est peut-être pas si mal ; mais dans l'absolu, cela ne pèse pas grand-chose.
Un complot royaliste !
Aucun historien ne semble avoir été convoqué par les rapporteurs. Pourtant, racontent-ils, « si la famille du Pont de Nemours n'avait pas été royaliste, nous n'en serions pas là ». « En effet », expliquent-ils, « au moment de la Révolution française, Pierre Samuel du Pont de Nemours, fervent soutien du roi de France a, in extremis, sauvé sa tête en s'exilant aux États-Unis ». Ce sont toutefois ses héritiers qui focalisent les critiques : « Dupont de Nemours se serait-il appliqué dans les années 1940 à réviser la formule originale du bas nylon en diminuant les quantités d'additifs protecteurs du tissu afin de réduire leur solidité et d'augmenter la fréquence d'achat ? » « Probablement », répond HOP, sans autre explication. Cette accusation est pourtant réfutée sur Wikipédia : « aucune preuve ne vient appuyer ce changement de formulation », affirment ses contributeurs.
Qu'en est-il à l'heure actuelle? « Le nylon serait-il à dessein fragilisé ? » La question est évidemment posée par les rapporteurs. « En l'état », regrettent-ils, « faute de lanceurs d'alerte, nous ne connaissons pas les quantités et les compositions exactes des intrants chimiques utilisés par les fabricants, informations hautement confidentielles et protégées par le secret industriel, ce qui ne nous permet pas de démontrer l'obsolescence programmée dans le cadre d'une procédure judiciaire ». De leur point de vue, « le doute reste cependant tout à fait légitime ». Pourquoi ? Parce que « de telles pratiques sont possibles ». Tout simplement. L'obsolescence programmée des collants est même jugée « probable étant donné que des additifs chimiques sont présents pour jouer sur la résistance ou la coloration, et que l'omerta reste de mise sur les dosages ». Quel intérêt les industriels auraient-ils à recourir à de telles pratiques ? « Dans un monde concurrentiel, il faut savoir se démarquer, soit par le prix, soit par la qualité – soit les deux », rappellent les militants de l'association HOP, rattrapés par le bon sens. Dès lors, si un fabricant pouvait produire des collants de meilleure qualité pour moins cher, en faisant l'économie des produits chimiques prétendument destinés à les fragiliser, pourquoi s'en priverait-il ? Bien que des talons plats figurent sur la première page du rapport, on nage en plein fantasme !
Les consommateurs arbitrent
Les rapporteurs s'interrogent naïvement : « Au nom de quelle invraisemblable logique, dans un siècle aussi technologique que le nôtre où les voitures sont en passe d'avancer toutes seules et où même les tissus sont intelligents, devrions-nous perdre temps et argent à traiter ce vêtement si quotidien comme un objet rare et précieux ? » Or tout est toujours affaire de compromis, même dans les domaines les plus pointus : l'avion de combat le plus cher au monde, le F-35 produit par Lockheed-Martin, privilégie la furtivité aux dépens de la maniabilité en combat rapproché, par exemple. Paradoxalement, les auteurs du rapport semblent en avoir conscience : « la matière respectueuse de l'environnement qui viendrait remplacer le nylon et l'élasthanne n'existe pas », reconnaissent-ils, « même si des recherches sont en cours – peu concluantes pour l'instant » car « rien pour l'heure ne donne de résultats équivalents à la souplesse et au confort obtenu avec ce mélange nylon-élasthanne, que l'on ne sait pas recycler aujourd'hui pour en refaire du fil ».
« Ce qui, à coup sûr, a fragilisé le collant d'aujourd'hui », admettent-ils, « c'est l'équation impossible entre un prix trop bas, une extrême finesse et la disparition de la fameuse couture ». Une disparition qui répondait à une réelle demande : « enfiler un bas-couture et faire en sorte que celle-ci soit alignée bien droite obligeait, a priori, à pas mal de contorsions », rapportent les militants de l'association HOP. « La plus grande proportion de nos répondants semble vouloir cibler un compromis entre esthétique et qualité avec la tendance des collants semi-opaques », précisent-ils par ailleurs. Autrement dit, ce sont les arbitrages des consommateurs qui sont en cause.
Le beurre et l'argent du beurre
Certes, observent les rapporteurs, « les marques d'entrée de gamme reçoivent des notes de durabilité bien inférieures aux marques premium ». Cependant, déplorent-ils, « aucune offre sur le marché des grandes marques ne semble correspondre aux attentes des consommateurs d'aujourd'hui en matière de durabilité ». Cela n'a rien d'étonnant, puisqu'ils réclament manifestement le beurre et l'argent du beurre. « Nos répondants déclarent dépenser environ 9 euros en moyenne pour une paire de collants. Mais ils seraient prêts à monter jusqu'à 17 euros (presque le double) pour une paire "durable". » Une somme suffisante? Dernièrement, une entreprise américaine, Sheerly Genius, a lancé une opération de financement participatif avec la promesse de proposer des collants à la résistance exemplaire ; au prix annoncé de 65 euros la paire…
Cela étant, d'ores et déjà, « allant de 1 à 80 euros, voire plus, la palette de choix est immense », constate l'association HOP. Mais les clients « ne se tournent pas pour autant massivement vers les collants de meilleure qualité : les parts de marché des marques les plus durables […] restent faibles par rapport à certains mastodontes low cost ». Les rapporteurs expliquent ce phénomène « par une très grande défiance des consommateurs » : de leur point de vue, « le problème n'est pas tant celui du prix, mais de la confiance dans les marques vis-à-vis de la durabilité ». Dans cette perspective, l'écho médiatique donné à leur thèse fantasque d'une obsolescence programmée des collants ne va pas arranger les choses – au contraire.
Parler d'obsolescence programmée à tort et à travers, cela détourne les consommateurs de leurs responsabilités. Au risque de provoquer la panne des produits et d'accélérer leur renouvellement…
L'obsolescence programmée a fait l'objet d'un débat organisé à l'Institut d'études politique de Paris, le 3 mai 2018, à l'initiative du Centre de sociologie des organisations, sur lequel nous sommes déjà revenu. Dans son intervention, Dominique Roux-Bauhain, professeur à l'université Reims Champagne-Ardenne, a tenu à dissiper une certaine confusion : l'obsolescence programmée désigne une réduction « délibérée » de la durée de vie des produits, a-t-elle souligné ; en cela, a-t-elle expliqué, elle doit être distinguée de l'obsolescence psychologique ainsi que de l'obsolescence d'après-vente. « Attention à ne pas mettre tout et n'importe quoi sous ce terme », a-t-elle prévenu. « Certes, il y a des cas délictueux » d'obsolescence programmée, a-t-elle concédé – à tort selon nous. Cependant, a-t-elle poursuivi, c'est « l'arbre qui cache la forêt ». De son point de vue, il serait même « dangereux » de donner la priorité à la dénonciation d'un tel phénomène : cela conforterait les consommateurs dans l'idée que leurs produits tombés en panne seraient irréparables.
Des consommateurs paranos
Un visite des réseaux sociaux en ligne le confirme : confrontés au dysfonctionnement d'un appareil, les internautes, fatalistes, incriminent volontiers l'obsolescence programmée. Le mois dernier, par exemple, sur le forum associé à 60 Millions de consommateurs, le propriétaire d'un smartphone s'est plaint de ne plus pouvoir passer d'appel à l'issue d'une mise à jour logicielle, s'indignant d'emblée d'un cas d'obsolescence programmée. Or, sans doute était-il victime d'un bug, à moins qu'il ait été déboussolé par un changement d'interface (ce dont nous avons nous-même fait l'expérience). Quoi qu'il en soit, peut-être aura-t-il été tenté d'acheter un nouvel appareil, alors qu'un petit bidouillage aurait vraisemblablement suffi à tout remettre en ordre.
De fait, quand une panne survient, « les gens sont globalement incompétents », a constaté Dominique Roux-Bauhain. « Le premier réflexe, c'est jeter », a-t-elle regretté. C'est pourquoi, selon elle, il faudrait « développer des structures de diagnostic ». Plus généralement, sans doute conviendrait-il de rappeler aux consommateurs qu'ils sont libres de leurs choix – tout en les éclairant à ce sujet. Or le fantasme de l'obsolescence programmée les détourne précisément de leurs responsabilités, les réduisant au statut de victimes impuissantes d'une industrie réputée malfaisante.
Personne ne veut des produits durables
Peut-être ce climat de défiance explique-t-il en partie les difficultés que les fabricants rencontrent parfois pour vendre des produits plus robustes. À l'image de Maped, dont les rapporteurs et autres compas de qualité supérieure n'ont pas trouvé leur public, si l'on en croit les responsables de cette entreprise cités par France Info. Peut-être la conviction, ancrée dans l'esprit des gens, que les produits sont sabotés dans les usines explique-t-elle également que les industriels privilégient le design aux dépens du reste, comme on l'observe avec les ordinateurs portables, de plus en plus fins, mais aussi plus difficiles à démonter et dotés d'une mémoire soudée qui sacrifie l'évolutivité.
Par ailleurs, si l'on s'imagine que les produits sont programmés pour tomber en panne, à quoi bon les entretenir ? Or, selon le Gifam, 70 % des pannes de fers à repasser et de cafetières sont dues à l'entartrage, comme le rapportent Thomas Lombès et Bastien Poubeau dans leur étude publiée en 2014 dans le cadre de l'École des mines. La notoriété croissante de l'association Hop ne va pas arranger les choses, bien au contraire. Sa cabale contre Epson en témoigne : alors que l'industriel japonais prétend changer gratuitement le tampon absorbeur de ses imprimantes, ses militants ignorent délibérément cette promesse (dont il faudrait vérifier qu'elle soit bien tenue) ; dans un reportage diffusé sur France 2 le 29 mars, ils entretiennent même la confusion entre la fin de vie d'un appareil et celle d'un consommable ! Il est vrai qu'en installant un pilote pirate, une imprimante équipée d'un tampon prétendument usagé peut tout à fait continuer à fonctionner quelque temps. Tout dépendra en fait des conditions d'utilisation. Mais il faudra compter avec d'éventuelles déconvenues
Maintenance préventive contre obsolescence programmée
« Il y a quelques années j'ai dépanné une imprimante qui faisait de grosses traces à chaque impression, dont le propriétaire avait, un an auparavant, réinitialisé le compteur […] pour permettre de reprendre les impressions », a raconté un internaute, TeoB, dans un commentaire publié en début d'année sur le site LinuxFr.org ; « le tampon était noyé d'encre qui avait débordé et qui tapissait tout le fond de l'imprimante », précisait-il ; « ça m'a pris quelques heures pour tout remettre en état, plus une nuit de séchage », se souvenait-il. On comprend que son intervention se sera avérée plus coûteuse que celle prônée par le fabricant quelques mois plus tôt.
Les accusations proférées contre Apple sont elles aussi perverses : la possibilité d'utiliser un smartphone équipé d'une batterie usagée, au prix d'un ralentissement, ne devrait-elle pas être préférée à l'obligation d'en changer ? Dans une perspective écologiste, il faudrait assurément se féliciter qu'un tel choix soit proposé aux utilisateurs. En effet, la fabrication d'une batterie n'est pas sans incidence sur l'environnement… Quant aux mises à jour, certes gourmandes en ressources matérielles, il convient plutôt de se réjouir de leur déploiement, le cas échéant. Ce sont les constructeurs qui en font l'économie qui devraient être prioritairement mis en accusation : à quoi bon préserver la réactivité d'origine d'un smartphone si plus aucune application ne peut y être installée ? Dans l'idéal (quoique...), il faudrait certes abolir la loi de Wirth – ou celle de Moore. Mais seules les propriétés de la physique et les limites de la créativité humaine le permettront peut-être un jour. En attendant, c'est un moindre mal.
Tout au plus peut-on parler de quelques cas litigieux… Nouveau rebond sur un débat organisé par l'Institut d'études politiques de Paris.
L'obsolescence programmée a fait l'objet d'un débat à Sciences Po jeudi dernier, 3 mai 2018, à l'initiative du Centre de sociologie des organisations. Dans l'ensemble, l'intervention de Dominique Roux-Bauhain, professeur à l'université Reims Champagne-Ardenne, nous a semblé très pertinente (nous y reviendrons). Un détail nous a toutefois chagriné : « certes, il y a des cas délictueux » d'obsolescence programmée, a-t-elle affirmé, sans toutefois les citer ; cependant, a-t-elle poursuivi, c'est « l'arbre qui cache la forêt ». Ne s'agirait-il pas plutôt d'un mirage ?
Le cartel Phoebus : une banale entente sur les prix
Dans un rapport publié il y a un an, en mai 2017, RDC Environnement rappelait que « seuls trois cas identifiés » avaient alors été « confrontés à la justice pour des raisons liées à l'obsolescence programmée ».
Peut-être Dominique Roux-Bauhain pensait-elle au cartel Phoebus qui s'était constitué dans les années vingt. Or, ses membres « ont fait l'objet d'un rapport de la commission britannique anti-trust dénonçant une entente sur les prix, mais réfutant une entente sur la programmation de la durée de vie ». Comme l'expliquent Thomas Lombès et Bastien Poubeau, auteurs d'une étude publiée en 2014 dans le cadre de l'École des mines, « selon les industriels de l'éclairage […], la baisse de la durée de vie des ampoules à mille heures correspondait en fait à un compromis entre baisse de la consommation électrique, économie de matière première et augmentation de la longévité » ; « il ne semble donc pas y avoir de preuves irréfutables de l'existence d'un complot industriel dans ce cas particulier ».
Appel et HP ont préféré s'épargner la mauvaise publicité d'un procès
Plus récemment, comme le rapporte RDC Environnement, « les trois premières générations d'Ipods d'Apple ont fait l'objet d'un recours collectif auprès de la Cour supérieure de Californie ». Il était reproché à la marque à la pomme d'avoir conçu des appareils dont les batteries n'étaient pas remplaçables. Cependant, « l'action juridique intentée s'est soldée par un accord à l'amiable ».
Enfin, « le fabricant des imprimantes HP Inkjet, Hewlett-Packard, a été poursuivi par une association de consommateurs car ses imprimantes indiquaient un niveau d'encre faible alors [que] les cartouches avaient encore de l'encre, ajoutaient de l'encre issue de la cartouche d'encre couleur pour les impressions en noir, signalaient que les cartouches n'avaient plus d'encre et s'arrêtaient de fonctionner alors que les cartouches n'étaient pas vides ». Mais là aussi, « une entente a été trouvée entre les Hewlett-Packard et les plaignants ».
Par conséquent, en toute rigueur, sans doute serait-il plus juste de parler de quelques cas non pas délictueux, mais litigieux. À l'image de ceux faisant actuellement l'objet d'une enquête en France, visant Apple et Epson. Affaire à suivre !
Un lave-linge à la carte-mère défaillante, un téléviseur dont le condensateur lâche après avoir été exposé à la chaleur… Premier rebond sur un débat organisé dernièrement par l'Institut d'études politiques de Paris.
L'obsolescence programmée vient de faire l'objet d'un débat à Sciences Po, à l'initiative du Centre de sociologie des organisations. Au cours de son intervention, Dominique Roux-Bauhain, professeur à l'université Reims Champagne-Ardenne, a rapporté le témoignage d'un contributeur du site Comment réparer. Deux cent quatre vingts personnes auraient pris contact avec lui, confrontées à la panne de leur lave-linge – la même panne rencontrée à chaque fois sur le même machine : placée près du moteur, la carte-mère qui l'équipait s'était souvent montrée défaillante… Selon les points de vue, on y verra un défaut de conception ou bien un sabotage délibéré.
Le téléviseur de tous les fantasmes
Peut-être le rappel d'un précédent pourra-t-il éclairer les jugements. Dans leur rapport publié en 2014 dans le cadre de l'École des mines, Thomas Lombès et Bastien Poubeau avaient rendu compte du cas suivant : « D'après le Simavelec, le Syndicat des industriels de matériels audiovisuels électroniques en France, une inhomogénéité de la qualité de production a été à l'origine d'un défaut de série sur un téléviseur Samsung qui a alimenté la polémique sur l'obsolescence programmée en 2012. Le téléviseur en question a rencontré un tel succès commercial que le fournisseur habituel de condensateurs n'a pas pu suivre la cadence de production. Samsung a dû se tourner vers un autre fabricant de condensateurs dont les produits se sont avérés être de piètre qualité. Le condensateur en question était par ailleurs situé près d'une source de chaleur, ce qui a accéléré son vieillissement. Il est difficile de dire si ce positionnement provient d'une erreur de conception ou si le condensateur initialement utilisé était dimensionné pour résister à cette agression supplémentaire. Les téléviseurs utilisant le condensateur de substitution sont tombés au champ d'honneur par légions. »
« On voit ici que la responsabilité du fabricant peut bien être engagée au titre d'une négligence dans la gestion des achats et de l'assurance qualité mais pas au titre d'une panne programmée dès la conception », écrivaient les élèves ingénieurs. Selon eux, « il ne faut pas se tromper de combat ». Par ailleurs, poursuivaient-ils, « suivre la robustesse des biens qui sortent d'une usine nécessite de suivre au plus près le processus de production ».
De la complexité des relations avec les fournisseurs
Or les relations entre un assembleur et ses fournisseurs peuvent s'avérer complexes : « Valeo nous a par exemple expliqué que les constructeurs automobiles ne lui donnaient pas toujours d'information sur l'emplacement de l'alternateur dans le bloc moteur. Ils se sont aperçus qu'un constructeur le plaçait derrière une roue de telle sorte que l'alternateur était constamment aspergé d'eau en conduite sur sol mouillé. Une telle exigence sur l'étanchéité et la résistance à la corrosion de l'alternateur n'avait pas été envisagée lors de la conception, ce qui a conduit à des problèmes de fiabilité. De la même manière, les collecteurs électriques de l'alternateur s'endommageront plus vite s'il est situé à proximité de l'embrayage qui génère de la poussière qui perturbe le contact électrique. Une coopération étroite entre les acteurs est donc nécessaire pour traiter efficacement la question de la durée de vie. »
Non contents de venir en aide à ceux qui le sollicitaient, le réparateur cité plus haut aurait interpellé d'autres possesseurs du lave-linge incriminé : des personnes ayant mis leur machine en vente sur le Bon coin, dans l'espoir qu'un acheteur serait intéressé pour y prélever des pièces. Ils ignoraient qu'une quarantaine d'euros auraient suffi à remettre leur machine en marche ! Mais c'était déjà trop tard : ils avaient tous investi dans un nouvel appareil. Reste une question à poser – fondamentale : avaient-ils repris une machine de même marque ? Déçus par leur précédent achat, peut-être auront-ils préféré se tourner vers la concurrence. Preuve, le cas échéant, qu'une politique d'obsolescence programmée n'a pas lieu d'être ; parce que ceux qui seraient susceptibles de la mettre en œuvre n'y auraient de toute façon aucun intérêt.
L'obsolescence programmée vient de faire l'objet d'un débat à Sciences Po, à l'initiative du Centre de sociologie des organisations, en présence de Brune Poirson, secrétaire d'État. Compte-rendu rédigé pour le site Paris Dépêches.
Plusieurs vigiles étaient présents rue Saint-Guillaume ce jeudi matin, 3 mai 2018, à l'entrée de l'Institut d'études politiques de Paris. Mais s'il nous a été demandé de décliner notre identité, celle-ci n'a pas été vérifiée. Les visiteurs étaient priés d'emprunter les escaliers : l'arrivée imminente d'un représentant du Gouvernement justifiait, paraît-il, le blocage de l'ascenseur.
Dans l'amphithéâtre étaient mis en vente quelques exemplaires de l'ouvrage de Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue, qui nous a proposé un décryptage de la « consommation engagée » – laquelle constitue, à ses yeux, « un des moteurs du changement social ».
L'arbre qui cache la forêt
Guillaume Duval, éditorialiste à Alternatives économiques, chroniqueur sur France Culture, a raconté avoir lui-même participé à la mise en œuvre d'une politique d'obsolescence programmée. En cause : des lave-glaces conçus, tout comme les véhicules qu'ils équipaient, pour dix ans ou cent mille kilomètres. Apparemment, il a été témoin d'un arbitrage portant sur les coûts et la qualité, et non d'un authentique sabotage. En cela, peut-être a-t-il contribué à entretenir une certaine confusion.
Dominique Roux-Bauhain, professeur à l'université Reims Champagne-Ardenne, aurait pu le lui reprocher. L'obsolescence programmée désigne aujourd'hui une réduction « délibérée » de la durée de vie des produits, a-t-elle souligné. « Attention à ne pas mettre tout et n'importe quoi sous ce terme », a-t-elle prévenu. « Certes, il y a des cas délictueux » d'obsolescence programmée, a-t-elle affirmé, sans toutefois les citer. Cependant, a-t-elle poursuivi, c'est « l'arbre qui cache la forêt ». De son point de vue, il serait même « dangereux » de donner la priorité à la dénonciation de ces pratiques ; le risque serait de conforter les consommateurs dans l'idée que leurs produits seraient irréparables. Confrontés à une panne, « les gens sont globalement incompétents », a-t-elle constaté. « Le premier réflexe, c'est jeter », a-t-elle regretté. C'est pourquoi il faudrait « développer des structures de diagnostic ». Dans cette perspective, la mise en ligne du site Comment réparer a été saluée comme une heureuse initiative. Par ailleurs, Dominique Roux-Bauhain a précisé qu'en application d'un règlement européen (Reach) visant à protéger l'environnement, « les soudures tiennent moins bien » ; preuve, selon elle, que le problème s'avère « bien plus complexe » qu'il n'y paraît.
Un secrétaire d'État dans l'embarras
Laëtitia Vasseur, cofondatrice de l'association HOP (Halte à l'obsolescence programmée) a souligné que l'incertitude planait sur l'application de la loi censée réprimer l'obsolescence programmée ; tout dépendra de l'interprétation plus ou mois large qu'en feront les juges. Interrogée sur la réalité de ce phénomène, elle a concédé qu'il était « marginal » sans toutefois répondre à notre question : dans une économie libre, soumise à la concurrence, les fabricants n'auraient-ils pas intérêt à soigner leur réputation, voire étendre la garantie de leurs produits, plutôt qu'à provoquer leur panne – cela dans l'espoir de gagner des parts de marché ? Flirtant avec la décroissance, elle a dénoncé « une forme d'aliénation » par la technique. Surtout, a-t-elle martelé, « il ne faut pas donner l'impression que toute la responsabilité repose sur les consommateurs ».
S'agissait-il d'une pique lancée en direction du Gouvernement ? Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, entend « donner au consommateur le moyen de pouvoir choisir ». C'est pourquoi un indice de durée de vie devrait bientôt permettre d'établir des comparaisons quant à la robustesse et la réparabilité des produits. En attendant, la loi sur le secret des affaires réduira-t-elle au silence les hypothétiques lanceurs d'alerte susceptibles de révéler les complots ourdis par les industriels ? Un membre de l'assistance s'en est inquiété. Brune Poirson a reconnu ne pas savoir à quoi il faisait allusion. Les chantiers ne manquent pas, s'est-elle justifiée…