Mali : l'Europe au pied du mur

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Moult commentateurs ont pointé l'inconséquence de l'Europe dans le dossier malien. Peut-être sont-ils coupables d'avoir placé en elle trop d'espoirs.

Dans l'affaire malienne, « l'Europe a été nulle », selon les déclarations d'Alain Juppé au micro d'Europe 1. Fidèle à son tropisme néo-gaullien, l'ancien Premier ministre continue manifestement de projeter ses rêves de grandeur à l'échelle du Vieux-Continent. Peut-être serait-il temps de l'admettre : l'"Europe puissance" n'est rien d 'autre qu'un fantasme hexagonal. Au moins Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, semble-t-il l'avoir compris : « Quand l'Europe de la Défense aura la capacité d'intervenir immédiatement, ce sera dans cent cinquante ans ! », a-t-il déclaré à La Voix du Nord. « Le président du Mali nous a appelé à l'aide le 10 », a-t-il précisé. « La décision d'intervenir a été prise par le président le 11 à 12 h 30, j'y étais. Et nos forces ont commencé à arriver à 17 heures. Que vouliez-vous faire ? Consulter les Vingt-Sept ? [...] La vérité, c'est que nous avons la réactivité militaire et le pouvoir de décision. » La capacité "d'entrer en premier" est d'ailleurs une spécificité de l'armée française, qui profite du primat accordé à l'exécutif, habilité à placer le Parlement devant le fait accompli... Preuve que la nature des institutions s'avère toujours décisive : « politique d'abord », disait Maurras !

Heureuse solitude de la France

Apte à réagir dans l'urgence, la France doit toutefois s'accommoder d'une relative solitude dans l'action. L'opposition n'a pas manqué de s'en inquiéter, par la voix de Jean-François Copé, non sans quelque légèreté. En effet, « pour la guerre, être seul est parfois plus efficace », comme le souligne le géopolitologue Olivier Kempf, animateur du blog Egea. « C'est d'ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses. » La France vient de le vérifier à ses dépens. Les Pays-Bas ont certes mis un avion ravitailleur à sa disposition, mais en en restreignant l'emploi, de telle sorte qu'il lui était interdit d'atterrir à Bamako. Quant au C-17 britannique qui s'est posé à Évreux, son équipage a d'abord refusé d'embarquer les rations des soldats, au motif qu'elles comprenaient des allumettes : dans la Royal Air Force, en effet, « on ne mélange pas munitions et dispositif d'allumage dans le même appareil », explique notre confrère Nicolas Gros-Verheyde. « Il a fallu quelques heures de patience et un coup de fil entre les deux chefs d'état-major pour régler la question », a-t-il rapporté sur le blog Bruxelles 2.

À ses yeux, cependant, « sans l'apport précieux et coûteux des alliés, c'est bien simple, l'opération Serval n'aurait pas duré plus de soixante-douze heures ». Selon ses estimations, ce soutien aurait représenté 60 à 100 millions d'euros au cours du premier mois d'intervention. « Soit tout autant que l'engagement français annoncé par le ministre Jean-Yves Le Drian (70 millions d'euros). » Cela étant, cette aide n'émane pas de l'Union européenne en tant que telle. D'ailleurs, parmi les alliés engagés derrière la France figurent le Royaume-Uni et le Danemark, dont Olivier Kempf rappelle qu'ils sont « les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense ».

Mission formation

L'opération Serval en sanctionnerait-elle alors l'échec ? « Pour moi, l'Europe de la Défense, c'est la mise en commun de certains moyens de défense, c'est l'industrie de défense, un certain nombre d'actions communes », plaide Jean-Yves Le Drian, qui cite en exemple l'opération Atalante, luttant contre la piraterie dans l'océan Indien. « L'Europe de la Défense, ce n'est pas l'Europe militaire », explique-t-il encore. Le cas échéant, peut-être pourra-t-elle contribuer à la reconstruction de l'État malien et plus particulièrement de ses forces armées. D'autant qu'en la matière, l'Europe peut légitimement revendiquer une certaine compétence, illustrée notamment par le précédent somalien. Laborieusement, l'Union européenne prépare donc une mission de formation à cet effet. D'ores et déjà connue sous le nom EUTM Mali, elle sera placée sous le commandement d'un officier français, le général Lecointre. « C'est, en fait, le logiciel de l'armée malienne que nous voulons reconstruire », a-t-il confié à Nicolas Gros-Verheyde. Par conséquent, a-t-il prévenu « il faut [...] considérer les choses sur le temps long, au moins le temps moyen, et non sur le court terme ».

Défi américain

Reste un autre défi qui se présente à l'Europe : celui d'une moindre protection américaine. Comparant l'intervention au Mali à celle survenue en Libye deux ans plus tôt, le politologue Zaki Laïdi relève un élément nouveau, Washington ayant envisagé « de faire littéralement payer à la France la location d'avions de transport de troupes ». « C'est un fait tout à fait inédit dans l'histoire des relations transatlantiques », souligne-t-il sur Telos. « Car même si en définitive cette option a été écartée, elle révèle à la fois l'érosion du soutien américain et la détermination de Washington à envoyer des signaux de non-assistance à Européens en danger. » Ceux-ci sauront-ils en tirer les conséquences ?

Le mariage dans tous ses États

2 janvier 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

L'union des couples homosexuels et l'homoparentalité sont d'ores et déjà consacrées par la loi à l'étranger, où se vérifie par ailleurs la désaffection pour le mariage. Petit tour d'horizon.

A la faveur du "mariage pour tous" et de son corollaire, l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe, des enfants pourraient, demain, se voir réputés nés de deux pères ou deux mères. Une situation ubuesque qui ne serait pas sans précédents. Au Québec, une "présomption de parentalité" a été instituée en faveur des femmes unies devant la loi. Modifié à cet effet en 2002, le code civil appliqué dans la Belle Province envisage le recours à la procréation médicalement assistée, mais aussi les cas où « l'apport génétique se fait par relation sexuelle » - autrement dit avec la complicité d'un homme consentant généreusement à quelque ébat susceptible de palier la stérilité du ménage. Dans ces conditions, le droit québécois le stipule explicitement, « l'enfant, issu [...] d'un projet parental entre époux [...] qui est né pendant leur union ou dans les trois cents jours après sa dissolution ou son annulation est présumé avoir pour autre parent le conjoint de la femme qui lui a donné naissance ».

Accrocs en série

En novembre, Le Figaro avait signalé quelques « accrocs du mariage gay » recensés à l'étranger. Notamment au Royaume-Uni. « Ann avait tout d'abord consenti à ce que son mari Michael fasse don de son sperme », racontent nos confrères Agnès Leclair et Stéphane Kovacs. « Mais à l'annonce de la naissance d'une petite fille chez un couple de lesbiennes, elle a craqué : le sperme ne fait-il pas partie des "biens matrimoniaux" ?, s'interroge-t-elle, bouleversée "comme si [son] mari l'avait trompée". Les lesbiennes étant trop âgées, elles avaient fait appel à une mère porteuse, tout en entamant une procédure d'adoption. Laquelle échouera, justement à cause de leur âge... La mère porteuse accouchera donc sous le nom de l'une d'entre elles. Et le tribunal, devant lequel Ann et Michael tentèrent de récupérer l'enfant, donnera finalement raison au couple de lesbiennes. » Et d'évoquer, un peu plus loin, « le donneur qui voulait juste rendre service », auquel on réclame désormais le versement d'une pension alimentaire : « "Pourquoi ne poursuit-on pas la deuxième mère, qui les a élevées, et qui, elle, a les moyens ?", s'énerve-t-il. Quant aux filles de douze et quatorze ans, elles sont très perturbées psychologiquement. "Jamais je ne pourrai me marier ni avoir des enfants", assène l'aînée. » Beau travail !

Cependant, tandis que la France s'apprête à marier des couples homosexuels, « des États-Unis à l'Inde, en passant par les Pays-Bas, l'Italie et le Liban, de plus en plus de voix s'élèvent contre une norme sociale jugée dépassée ». C'est en tout cas le constat dressé par le Courrier international dans son dernier numéro de l'année 2012. « Katie Bolick a tenté de cerner ce phénomène en retraçant l'histoire du mariage et de son déclin dans un article publié dans The Atlantic. [...] Le refus de convoler en justes noces est-il représentatif d'un courant de fond ? se demande la journaliste américaine. Faut-il vraiment idéaliser le mariage d'amour ? s'interroge à son tour une humoriste à Bombay. Ne devrait-on pas autoriser les unions avec... des appareils ménagers ? propose même un écrivain à Milan. » De fait, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe serait demeurée inenvisageable si le mariage lui-même ne s'était pas trouvé préalablement remis en cause.

Crime contre l'humanité

Cela dit, tous les habitants du village global ne sont pas logés à la même enseigne. Le 12 décembre, le Parlement d'Uruguay a certes approuvé un projet de loi légalisant le mariage homosexuel. « Le petit pays sud-américain a pris une position progressiste envers les droits des homosexuels au cours des six dernières années, approuvant les unions civiles, les adoptions par des couples gays et lesbiens, les changements de sexe dès l'âge de dix-huit ans et la présence des homosexuels au sein des forces armées », souligne l'AFP. Mais la veille de ce vote, le secrétaire général de Nations Unis, Ban Ki-moon, avait exprimé son indignation : « C'est un scandale que dans le monde d'aujourd'hui, tant de pays continuent de [poursuivre] leurs citoyens au prétexte qu'ils aiment une personne du même sexe », a-t-il déclaré. Soixante-seize pays seraient visés par ses récriminations.

C'est le cas du Cameroun, où les paroles de Mgr Bakot, l'archevêque de Yaoundé, prononcées pendant la messe de minuit, n'ont pas dû choquer grand monde : « le mariage entre personnes du même sexe est un crime sérieux contre l'humanité », a-t-il martelé, selon les propos rapportés par Pierre de Bellerive sur Nouvelles de France. « Nous devons nous lever pour le combattre, avec toute notre énergie », a-t-il poursuivi. Rendez-vous le 13 janvier !

Critique du néo-gaullisme

29 mars 2011

La mise en œuvre de la résolution 1973 du CSNUE a donné lieu à quelques tergiversations sur le rôle de l'Otan. C'est l'objet de notre seconde chronique diffusée par Radio Fréquence royaliste.

Le 17 mars, à la demande de la France, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Liban, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973 – une résolution censée légitimer l'usage de la force pour protéger les populations civiles de Libye.

Aussitôt, une controverse est apparue quant à la contribution de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. En dépit de l'activisme déployé par son secrétaire général, le Danois Anders Fogh Rasmussen, l'Otan est demeurée sur la touche tandis qu'une coalition internationale entamait ses opérations dans le ciel libyen. Cela n'était pas pour déplaire au locataire du Quai d'Orsay : « Les pays arabes ne veulent pas d'une opération sous le drapeau Otan », a martelé Alain Juppé. Il est vrai que l'étoile polaire « a mauvaise presse en Afrique et au Proche-Orient », comme l'a souligné, par exemple, Olivier Kempf, sur son blog consacré aux Études géopolitiques européennes et atlantiques (EGEA).

Cela étant, la bannière américaine bénéficie-t-elle d'une meilleure image ? Bien sûr que non. Or, faute de mobiliser d'emblée les moyens alliés, il a bien fallu confier la coordination des opérations à l'oncle Sam. Lequel n'a pas caché son impatience de céder les rênes. Jean-Dominique Merchet, qui n'a rien d'un atlantiste patenté, s'est interrogé sur son blog Secret Défense : « Quelles structures militaires sont capables de commander une opération multinationale dans la durée ? Soit les Américains, soit l'Otan d'une manière ou d'une autre », a-t-il répondu. « La France n'avait pas les outils de coordination éprouvés et tout le monde avait peur d'un accident », a renchéri Kardaillac. « On a concédé à Zébulon Ier (autrement dit, Nicolas Sarkozy) un "conseil politique" des pays combattants où chacun enverra un sous-fifre pour nous faire plaisir en écoutant l'oracle », a-t-il écrit sur le forum Vive le Roy. Allusion au "compromis" en application duquel une coalition d'États participe désormais au pilotage politique des opérations en partenariat avec l'Alliance atlantique.

Une telle issue apparaissait assez prévisible. C'est pourquoi les réticences exprimées par Alain Juppé semblent s'inscrire dans une certaine tradition gaullienne, en vertu de laquelle la France se devrait de jouer les empêcheur de tourner en rond, mais sans jamais envisager sérieusement la rupture du lien transatlantique. C'est un retour au néo-gaullisme que le président de la République avait mis en sourdine quelques années durant.

À vrai dire, l'ancien Premier ministre avait annoncé la couleur dès son retour au gouvernement. Alors qu'il occupait l'Hôtel de Brienne, Alain Juppé avait proclamé « notre ambition d'édifier une Europe politique ». Ce serait, selon lui, « un objectif réaliste », en dépit du constat, qu'il établit lui-même, selon lequel « l'idée de l'Europe comme pôle d'influence, sans même parler d'une Europe puissance, n'est pas partagée par tous ». « C'est essentiellement une idée française », a-t-il reconnu, « et qui ne fait d'ailleurs même pas l'unanimité chez nous ».

C'est un énième écho au plan Fouchet... Il s'agit, plus ou moins, d'appliquer à l'Europe la quête d'une pseudo-grandeur chère au général de Gaulle. Un vieux fantasme hexagonal dont on mesure l'inanité à l'heure où Paris et Berlin s'opposent sur la question libyenne. « On va avoir du travail pour préserver l'unité de l'UE », a remarqué un diplomate cité par Les Échos. Et alors ? De toute façon, l'Europe ne parviendrait à parler d'une seule voix qu'en sortant délibérément de l'histoire.

Si nous avons choisi d'évoquer ici cette posture néo-gaullienne, c'est parce qu'elle n'est pas sans exercer une certaine attraction sur les royalistes. En témoigne l'enthousiasme que suscita Dominique de Villepin bravant l'impérialisme américain à la tribune des Nations Unies, tandis que se dessinait une nouvelle invasion de l'Irak. L'arrogance du discours a flatté les sentiments, excité notre fibre chauvine, mais n'était-ce pas le masque de notre impuissance ? Dans l'espoir d'influencer les Américains, la nomination d'un Français a la tête du commandement allié pour la Transformation (en l'occurrence, le général Abrial) nous semble a priori plus efficace que ces vaines gesticulations.

On entretient par l'esbroufe l'illusion d'une puissance perdue, ou l'on espère son retour à la faveur d'une étincelle de volonté qui, une fois jaillie à la tête de l'État, suffirait à embraser la planète entière. La méfiance exprimée régulièrement à l'égard d'une Otan caricaturée ne s'explique pas autrement. À l'entretien du lien transatlantique, on oppose traditionnellement, et bien naïvement, l'approfondissement potentiel des relations avec Moscou. Ce faisant, on feint d'ignorer, par exemple, l'accueil favorable que la presse russe réserva au retour de la France dans les structures alliées intégrées.

Le réel s'avère complexe, mais les royalistes doivent trouver le courage de l'affronter s'ils veulent mener à bien l'un des premiers combats qui se présentent à eux, à savoir, celui de la crédibilité.

Rendez-vous sur le site de RFR pour découvrir les autres interventions :

http://www.radio-royaliste.fr/

La prise en charge en suspens

18 novembre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

La prise en charge des frais de scolarité des Français de l'étranger menace-t-elle les lycées placés sous la houlette du Quai d'Orsay ?

Constatant leur fragile équilibre budgétaire, beaucoup s'en sont inquiétés. Ce faisant, ils auraient mené « une campagne de dénigrement et de désinformation sans précédent » selon Geneviève Colot, député de l'Essonne, et Sophie Joissains, sénateur des Bouches-du-Rhône, auteurs d'un rapport remis le 3 novembre au président de la République.

L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger regroupe près de cinq cents établissements répartis dans cent trente pays, accueillant plus de 100 000 élèves de toutes nationalités. Moins de la moitié seraient de jeunes Français, dont la prise en charge (PEC) des frais de scolarité figurerait dans les programmes présidentiels depuis 1981. Nicolas Sarkozy se targuera-t-il à nouveau de tenir, outre ses propres promesses, celles de ses prédécesseurs ? De fait, leur mise en œuvre est entamée : débutée il y a trois ans, la prise en charge concerne aujourd'hui l'ensemble du second cycle.

« La presse nationale s'est fait largement l'écho des craintes de voir la PEC provoquer un tel afflux de jeunes Français que les élèves étrangers seraient rejetés », rappellent les rapporteurs. Or, les faits auraient contredit ce pronostic : « Non seulement l'équilibre demeure, mais dans le second cycle, concerné par la PEC le pourcentage des Français a même légèrement baissé. »

Le retrait des entreprises ne serait pas vérifié

Un autre crainte portait sur le désengagement des entreprises. Mais « cet effet pervers supposé ne s'est pas vérifié », affirment encore les parlementaires. « Il n'y a que les entrepreneurs individuels qui pour l'heure se retirent, ce qui est dans la logique de la mesure et concrètement un des objectifs visés par le président de la République. Parmi les grosses sociétés seules cinq sur deux cents se sont retirées sur instructions du siège. Le cercle Magellan, qui regroupe les investisseurs à l'étranger [...] fait remarquer que la politique salariale des grosses entreprises est globale pour l'ensemble des salariés ; ceux-ci étant de nationalités diverses, il est difficilement imaginable qu'elles la modifient spécifiquement pour les français. C'est un des arguments essentiels d'une politique de management attractive. »

Saluant « une mesure appréciée et attendue des familles », Geneviève Colot et Sophie Joissains mettent toutefois en garde contre « le dérapage des bourses », dont il conviendrait de réviser les critères d'attribution. Pour parer aux "effets d'aubaine" observés dans certains établissements, elles proposent également de cantonner la prise en charge aux montant des frais de 2007-2008. Comprenant les exigences budgétaires, les parents d'élèves auditionnés ne seraient pas hostiles au principe du plafonnement par établissement. « Ce système qu'il est nécessaire d'actualiser chaque année par un taux d'inflation de 3 %, est en fin de compte relativement proche de celui appliqué à l'enseignement privé sous contrat tel que nous le connaissons en France », expliquent les rapporteurs. Lesquels préconisent de limiter temporairement la prise en charge aux classes de lycée. Une idée chère aux détracteurs qu'ils ont vilipendés en versant dans une polémique déplacée.

Six mois en Afghanistan

7 octobre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Confrontés au choc des cultures, les soldats du 27e bataillon de chasseurs alpins ont évolué sous le feu des talibans, dans un paysage majestueux, de novembre 2008 jusqu'à juin 2009. Aperçu d'un récit captivant.

« Là-bas, très loin de la France, c'est vraiment la guerre... » Patrick de Gmeline – un historien militaire – l'a constaté au plus près des combats. Intégré dans la réserve du 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA) basé à Cran-Gevrier (Haute-Savoie), il a côtoyé, des mois durant, les soldats de la task force Tiger, engagée en Afghanistan de novembre 2008 à juin 2009. Fort de riches descriptions, son livre (1) nous convie à leur rencontre. « Au-delà du seul récit des faits militaires, qui a ses limites, j'ai voulu proposer au public un récit privilégiant les hommes », annonce-t-il d'emblée.

Huit mois de préparation

L'auteur rend compte des huit mois de préparation intense, ponctués par des événements douloureux, voire tragiques, telle l'embuscade de Surobi, où dix Français trouvent la mort. La nouvelle tombe lors de la permission estivale, nourrissant l'inquiétude du chef de corps, le colonel Nicolas Le Nen. De retour au sein du bataillon, celui-ci ne constate aucune désertion. Sa confiance en ses hommes s'en trouve renforcée : « Ils ont à peine vingt ans, peu d'instruction, certains issus de milieux que l'on appelle maintenant "défavorisés", et ils sont des exemples pour toute une jeunesse. » Un sergent confie que ce drame « ne change rien à sa résolution : il préfère, comme il le dit, "combattre les terroristes chez eux plutôt que d'attendre et de les voir arriver en force chez lui" ».

« Vous servez un pays et une nation qui se sont forgés, au fil des siècles, à coups d'épées », rappelle le chef de corps, à l'approche du départ. « Cette idée de nation est le creuset dans lequel se sont fondues et se fondent encore l'unité et la cohésion de notre peuple, mais aussi nos valeurs essentielles de liberté, d'égalité et de fraternité. Vous verrez dans quelques mois ce que constituent un pays et un peuple qui ne constituent pas une nation, des tribus afghanes qui s'entredéchirent, des seigneurs de la guerre et de la drogue exploiter les paysans, des femmes et des filles asservies par leurs maris, leurs pères et leurs frères... »

Près de sept heures de vol sont nécessaires pour découvrir de « magnifiques paysages, alternant les plaines vertes, irriguées de nombreux cours d'eau, les vastes surfaces arides, rocheuses, dénudées, les montagnes élevées, couronnées de neige sous un ciel qui peut être très bleu ». Dans la vallée de Tagab, où évoluent les compagnies du 27e BCA, « les villages sont composés de maisons à toits en terrasses, construites [...] en terre séchée de couleur ocre. Elles sont séparées par des murs épais, hauts de deux mètres cinquante, qui délimitent des rues ou plutôt des ruelles. Les portes des maisons s'ouvrent, comme des trous sombres, dans ces murs qui protègent des intempéries et défendent en même temps, transformant les habitations en autant de petits fortins. »

Où sont les femmes ?

Les hommes paraissent « dignes et fiers », mais jamais, ou presque, on ne croise le regard de leurs épouses. « La femme, chez le paysan le plus inoffensif – s'il y en a un ! – est vraiment considérée comme moins que rien », constatent les militaires français. « Si un muret se présente [...], elle doit le franchir seule, sans l'aide de l'homme qui marche loin devant, et le faire franchir aux plus jeunes enfants. Sans compter que leurs vêtements ne leur facilitent pas la tâche. Elles sont presque toutes "burqanisés" – terme inventé par les alpins – et leurs longues robes entravent leurs mouvements... » Tandis qu'il dirige une distribution de matériel scolaire, un lieutenant est furieux : « Il s'aperçoit que les filles n'ont pas droit à ces fournitures. L'une d'elle, même, qui tente de s'approcher, reçoit des pierres lancées par des garçons ! » À l'opposé, l'auteur décrit, à l'entrainement, « près de l'un des VAB de la Légion, un caporal féminin, sourcils froncés sous son casque ». Se trouve-t-elle vraiment à sa place ? Une fois n'est pas coutume, des considérations opérationnelles rendent l'engagement des personnels féminins indispensable : ils sont les seuls habilités à fouiller des Afghanes.

Les infirmières françaises doivent attendre un mois avant que des femmes se présentent à elles, après que trois cents hommes eurent déjà défilé dans leur service. « Si elles viennent au début accompagnées d'un mari ou d'un frère, elles vont venir progressivement seules, en confiance. » La distance est de mise lors des premiers contacts avec la population. Patrouillant dans une ambiance qu'ils jugent moyenâgeuse, les soldats ont fière allure, revêtus de leur treillis, encombrés par le Famas, affublés d'un gilet pare-balles... « Des Martiens sur les Champs-Élysées, à Paris, ne feraient pas plus d'effet », commente Patrick de Gmeline. Un officier accepte, non sans hésitation, l'invitation d'un villageois qui le convie à prendre le thé. Pénétrant chez son hôte, qui se révélera très aimable, il veille « à immédiatement retirer ses gants et son casque : il sait que les Américains, dans ces circonstances, ne le font pas, ce qui contribue à les faire (très) mal voir ».

Le passage par la base aérienne de Bagram avait déjà provoqué un semblant de choc culturel. « Une base ? Non, une ville, avec ses 13 000 habitants et, surtout, ses infrastructures si représentatives de la puissance [...] américaine. [...] En somme une petite parcelle des riches États-Unis au milieu sinon du désert, du moins d'un monde oriental dont la pauvreté est flagrante. » Les Français sont partagés entre le rire et la stupéfaction... « Mais cette force matérielle est peut-être aussi une faiblesse. Le ménage [...] est fait par des "locaux", autrement dit des Afghans venus des villages voisins, c'est-à-dire de la misère. Comment perçoivent-ils cette abondance déplacée dans ce pays aux mains des talibans qui ont la part belle pour leur propagande, au moins sur ce point ! » Plus tard, un lieutenant s'indigne : « Les pays riches ont oublié qu'ils ont de la chance... Ils sont devenus fous ! » Pour quelques-uns, en effet, « l'Afghanistan est aussi une sorte de fuite d'un pays, le leur pourtant, où la vie est devenue ultramédiatisée, sans plus de valeurs hormis matérielles, guidée par le seul culte de l'argent, pleine de contradictions. Ce n'est pas en faisant de l'Afghanistan un pays occidentalisé, américanisé, qu'on lui donnera un idéal de vie. »

Sur le terrain, l'attention est requise à chaque instant. Outre les embuscades, plane la menace des IED, les engins explosifs improvisés. Les soldats évoluent avec trente, parfois cent kilos sur le dos. Au cours des arrestations, ils doivent compter avec des policiers afghans témoignant « d'un zèle très relatif », quand la fouille d'une maison ne se transforme pas « en déluge de feu ». Les alpins opèrent souvent de nuit, profitant de l'avantage procuré par les lunettes de vision nocturne, et s'approchant de leur objectif aussi discrètement que possible. Cependant, des veilleurs guettent à la sortie de leurs bases de Nijrab et Tagab...

Point d'orgue des opérations : la conquête de la vallée d'Alasay, « dans laquelle les soldats afghans et alliés ne sont pas entrés depuis un an et où les Soviétiques, il y a quelques années, ne s'aventuraient que difficilement ». Au cours des combats, un soldat afghan est étranglé par un taliban arrivant par derrière. « Ils ont vraiment des couilles ces insurgés », remarque un sergent. Alors qu'un missile Milan atteint sa cible, « un cri de triomphe jaillit des poitrines... comme lorsqu'un joueur de foot marque un but. [...] Tels des gosses, les alpins saluent chaque impact de cris de sioux. » Mais la guerre n'est pas un jeu. En témoigne, dans cette bataille, la mort, à vingt-trois ans, du caporal Nicolas Belda. « Malgré le bruit assourdissant, le silence tombe sur les hommes dont l'œil s'est figé. »

La TF Tiger, une troupe d'élite

« Aveuglés par leur fierté toute moyen-orientale de guerriers, [les talibans] sont tombés dans le piège tendu : accepter un bras de fer qu'ils n'étaient pas capables de remporter. » Cette victoire renforce l'estime gagnée auprès des Américains, qui auraient volontiers confié une telle opération aux forces spéciales. « Les soldats US sont visiblement bluffés par l'esprit traditionnellement débrouillard des "Frenchies", leur sens du système D. Combien de véhicules américains, embourbés ou en panne, ont été remis dans l'axe ou réparés par des alpins techniciens ! » Un sergent ironise : « Des généraux américains [...] doivent encore se demander [...] comment des soldats peuvent faire cela sans porter un t-shirt Navy Seals, des lunettes Ray-Ban et un hélicoptère par personne ! »

Au fil des pages, humour et émotion sont au rendez-vous. Mais on retient surtout la noblesse des caractères dépeints par Patrick de Gmeline, qui forcent l'admiration. D'aucuns jugeront peut-être son ouvrage apologétique. Faut-il s'en offusquer ? « Nous ne sommes pas dupes, la majorité des Français ne comprend pas ce que nous faisons », déplore un lieutenant. « C'est difficile pour un soldat de ne pas se sentir soutenu par un élan national. » Ce livre vient rendre justice à nos soldats. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.

(1) Patrick de Gmeline : Se battre pour l'Afghanistan - Soldats de montagne contre les talibans ; Presses de la cité, mai 2010, 398 p., 21 euros.

La mémoire, un enjeu mondial

7 octobre 2010
Article publié dans L'Action Française 2000

Le passé de la France irrigue jusqu'à la rhétorique des terroristes islamistes à l'origine des dernières prises d'otages. Preuve que le "travail de mémoire" ne relève pas seulement des polémiques nationales.

L'esprit des cinéastes est loin d'être le seul hanté par le souvenir de la colonisation. En témoigne la rhétorique d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui détient les sept otages – dont cinq Français – enlevés au Niger dans la nuit du 15 au 16 septembre. L'organisation a réactivé « la figure de l'ennemi traditionnel de l'Algérie », selon l'analyse de Mathieu Guidère (1), en « exploitant le sentiment de frustration populaire face aux conditions de vie difficiles ». On retrouverait les principaux arguments invoqués jadis pour légitimer les attentats de 1995. Ceux-ci avaient été perpétrés par le GIA (Groupe islamique armé), dont une dissidence, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), fit depuis allégeance à Oussama ben Laden, formant la quatrième branche d'Al-Qaïda, après celles établies en Arabie saoudite, en Afghanistan et en Irak.

L'Irak, dont l'invasion, et l'insurrection qui s'ensuivit, auraient « contribué, depuis 2003, à mélanger les combattants originaires de tous les pays du Maghreb », et fourni aux islamistes « un argument de recrutement très porteur ». Autant de facteurs préparant le ralliement du GSPC, réalisé par l'entremise des terroristes tchétchènes. Ce faisant, « il a entamé une mutation vers les attentats-suicides à visée internationale », offrant « une base arrière pour tous les islamistes en Afrique du Nord et au Sahel ».

La France apparaît comme une cible prioritaire, étant donné son implication au Maghreb, synonyme d'ingérence, et même de pillage, dans la bouche des islamistes. Souvent désignée comme « la mère nourricière du régime algérien », elle est stigmatisée par l'entretien d'« une certaine confusion historique entre la période des croisades et celle des colonisations ». Dans une vidéo diffusée le 11 septembre 2006, Zawahri avait salué en ces termes le rapprochement des réseaux terroristes : « Cette union bénie sera un os dans la gorge des croisés américains et français, ainsi que de leurs alliés, et fera naître la peur dans le cœur des traitres et des fils mécréants de France. » Le 3 janvier 2007, Abdelwadoud dénonçait, quant à lui, « l'axe du mal conduit militairement par l'Amérique et culturellement par la France, avec le soutien de l'Otan ». Entre autres méfaits commis par Al-Qaïda au Maghreb islamique figurent deux attentats contre l'entreprise française Razel (BTP), l'attaque du siège d'Interpol en Algérie, l'assassinat de touristes français en Mauritanie fin 2007, le meurtre de Michel Germaneau en juillet dernier... Sombre bilan.

(1) Mathieu Guidère : « La tentation internationale d'Al-Quaïda au Maghreb », Focus stratégique n° 12, décembre 2008. Un document de 55 pages disponible gratuitement sur le site Internet de l'IFRI.