Depardieu et le fait du prince

16 janvier 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Décidé à collectionner les nationalités, sinon à les troquer, Gérard Depardieu joue les nomades dans un monde toujours façonné par les rivalités d'États souverains.

À la faveur du différend l'opposant à Jean-Marc Ayrault, Gérard Depardieu n'a pas cessé de le marteler : « je suis un citoyen du monde », a-t-il encore déclaré début janvier (2013), alors qu'il venait de recevoir un passeport russe des mains du président Vladimiir Poutine. « Il montre effectivement que grâce à la mondialisation nous sommes, dans une certaine mesure, libres d'échapper à la main lourde d'un État », s'est félicité Emmanuel Martin, dans un billet publié par l'Institut Turgot, arguant que « la concurrence institutionnelle, et particulièrement la concurrence fiscale est une composante essentielle de notre liberté ». De fait, constate Élie Cohen, « l'accumulation de taxes nouvelles sur le capital au moment de sa formation, de sa détention, de sa transmission, et de sa distribution n'est pas soutenable à long terme dans une économie ouverte ». De ce point de vue, souligne-t-il sur Telos, « Gérard Depardieu met le doigt sur les contradictions européennes de nos gouvernants ».

Citoyen du monde ?

Mais bien qu'il se proclame « citoyen du monde », Gérard Depardieu n'en est pas moins réduit à se placer sous la juridiction d'un État, comme tout un chacun, quoique son aisance financière lui procure quelque facilité quand il s'agit de solliciter sa protection, et non d'en hériter par naissance. En cela, il ferait plutôt figure de nomade. Un nomade au déracinement somme toute relatif. « J'ai un passeport russe, mais je suis français », a-t-il également proclamé, nuançant ses propos précédents. Amateur de bonne chère, souvent aigri mais volontiers débonnaire, il « fait partie de notre patrimoine cinématographique », comme l'a observé Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication. Qu'il le veuille ou non, l'interprète d'Obelix incarne la France aux yeux du monde.

Paradoxalement, c'est vraisemblablement la raison pour laquelle il a été accueilli si chaleureusement en Russie. On a beau vivre dans un village global, les États continuent de se tirer dans les pattes. « L'intelligence économique [...] de Vladimir Poutine est une démonstration concrète de la façon de saisir des opportunités pour affaiblir une nation », souligne un contributeur de l'Alliance géostratégique (AGS). « Et peu importe les déclarations diplomatiques de rose et de miel quand les faits illustrent que les nations dites "amies" sont néanmoins concurrentes avec leurs intérêts propres à promouvoir et à développer. »

Souveraineté

Dans ces conditions, « ce passeport est moins un document juridique qu'un symbole », comme le remarque Yannick Harrel, lui aussi contributeur de l'AGS. C'est pourquoi on ne s'attardera pas sur la faculté, pour Gérard Depardieu, de bénéficier effectivement d'une double nationalité franco-russe, en dépit des doutes planant à ce sujet. Par ailleurs, à supposer qu'il souhaite à nouveau se défaire de sa nationalité française - « je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale », avait-il déclaré à l'intention de Jean-Marc Ayrault - il lui faudrait engager des démarches sans trop tarder, et justifier d'une résidence effective à l'étranger. Autrement dit, sa nationalité dépend du bon vouloir de l'État – c'est-à-dire, selon les cas, des dispositions du droit ou des largesses du prince.

« C'est donc l'État souverain qui décide qui est un de ses nationaux. C'est sans doute l'expression la plus pure de sa souveraineté, car elle ne suppose pas l'accord d'un autre État », selon Me Eolas, l'animateur du Journal d'un avocat. Mme Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, ne s'y est pas trompée : « c'est le pouvoir discrétionnaire de Vladimir Poutine d'offrir la nationalité russe à qui il l'entend », a-t-elle observé, se refusant à tout autre commentaire sur BFM TV.

« Quand un citoyen français a une autre nationalité, deux souverainetés se heurtent, et aucune ne peut l'emporter », explique Eolas. « L'autre État a tout autant que la France le droit de décider qui sont ses ressortissants, et le législateur français n'a aucun pouvoir pour limiter la transmission de cette autre nationalité. Qui n'est tout simplement pas son affaire. » Tout au plus la France pourrait-elle « s'attaquer aux Français par acquisition », selon notre avocat. « Ceux-là devraient, pour pouvoir acquérir la nationalité française, renoncer préalablement à leur nationalité d'origine. Et on se casse à nouveau les dents sur la souveraineté des États étrangers. Quid si l'État en question ne prévoit pas la possibilité de renoncer à cette nationalité ? [...] On aura des enfants nés en France, y ayant grandi, voire y passant toute leur vie, mais qui ne seront jamais Français à cause d'une loi votée dans un autre pays. Tandis que son voisin, lui, aura la nationalité française dès l'âge de treize ans. En somme, la nationalité française dépendra de la loi d'un État étranger. » C'est dire la prudence avec lequel devra manœuvrer le législateur, si d'aventure il se décide à bannir la double nationalité.

Le mariage dans tous ses États

2 janvier 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

L'union des couples homosexuels et l'homoparentalité sont d'ores et déjà consacrées par la loi à l'étranger, où se vérifie par ailleurs la désaffection pour le mariage. Petit tour d'horizon.

A la faveur du "mariage pour tous" et de son corollaire, l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe, des enfants pourraient, demain, se voir réputés nés de deux pères ou deux mères. Une situation ubuesque qui ne serait pas sans précédents. Au Québec, une "présomption de parentalité" a été instituée en faveur des femmes unies devant la loi. Modifié à cet effet en 2002, le code civil appliqué dans la Belle Province envisage le recours à la procréation médicalement assistée, mais aussi les cas où « l'apport génétique se fait par relation sexuelle » - autrement dit avec la complicité d'un homme consentant généreusement à quelque ébat susceptible de palier la stérilité du ménage. Dans ces conditions, le droit québécois le stipule explicitement, « l'enfant, issu [...] d'un projet parental entre époux [...] qui est né pendant leur union ou dans les trois cents jours après sa dissolution ou son annulation est présumé avoir pour autre parent le conjoint de la femme qui lui a donné naissance ».

Accrocs en série

En novembre, Le Figaro avait signalé quelques « accrocs du mariage gay » recensés à l'étranger. Notamment au Royaume-Uni. « Ann avait tout d'abord consenti à ce que son mari Michael fasse don de son sperme », racontent nos confrères Agnès Leclair et Stéphane Kovacs. « Mais à l'annonce de la naissance d'une petite fille chez un couple de lesbiennes, elle a craqué : le sperme ne fait-il pas partie des "biens matrimoniaux" ?, s'interroge-t-elle, bouleversée "comme si [son] mari l'avait trompée". Les lesbiennes étant trop âgées, elles avaient fait appel à une mère porteuse, tout en entamant une procédure d'adoption. Laquelle échouera, justement à cause de leur âge... La mère porteuse accouchera donc sous le nom de l'une d'entre elles. Et le tribunal, devant lequel Ann et Michael tentèrent de récupérer l'enfant, donnera finalement raison au couple de lesbiennes. » Et d'évoquer, un peu plus loin, « le donneur qui voulait juste rendre service », auquel on réclame désormais le versement d'une pension alimentaire : « "Pourquoi ne poursuit-on pas la deuxième mère, qui les a élevées, et qui, elle, a les moyens ?", s'énerve-t-il. Quant aux filles de douze et quatorze ans, elles sont très perturbées psychologiquement. "Jamais je ne pourrai me marier ni avoir des enfants", assène l'aînée. » Beau travail !

Cependant, tandis que la France s'apprête à marier des couples homosexuels, « des États-Unis à l'Inde, en passant par les Pays-Bas, l'Italie et le Liban, de plus en plus de voix s'élèvent contre une norme sociale jugée dépassée ». C'est en tout cas le constat dressé par le Courrier international dans son dernier numéro de l'année 2012. « Katie Bolick a tenté de cerner ce phénomène en retraçant l'histoire du mariage et de son déclin dans un article publié dans The Atlantic. [...] Le refus de convoler en justes noces est-il représentatif d'un courant de fond ? se demande la journaliste américaine. Faut-il vraiment idéaliser le mariage d'amour ? s'interroge à son tour une humoriste à Bombay. Ne devrait-on pas autoriser les unions avec... des appareils ménagers ? propose même un écrivain à Milan. » De fait, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe serait demeurée inenvisageable si le mariage lui-même ne s'était pas trouvé préalablement remis en cause.

Crime contre l'humanité

Cela dit, tous les habitants du village global ne sont pas logés à la même enseigne. Le 12 décembre, le Parlement d'Uruguay a certes approuvé un projet de loi légalisant le mariage homosexuel. « Le petit pays sud-américain a pris une position progressiste envers les droits des homosexuels au cours des six dernières années, approuvant les unions civiles, les adoptions par des couples gays et lesbiens, les changements de sexe dès l'âge de dix-huit ans et la présence des homosexuels au sein des forces armées », souligne l'AFP. Mais la veille de ce vote, le secrétaire général de Nations Unis, Ban Ki-moon, avait exprimé son indignation : « C'est un scandale que dans le monde d'aujourd'hui, tant de pays continuent de [poursuivre] leurs citoyens au prétexte qu'ils aiment une personne du même sexe », a-t-il déclaré. Soixante-seize pays seraient visés par ses récriminations.

C'est le cas du Cameroun, où les paroles de Mgr Bakot, l'archevêque de Yaoundé, prononcées pendant la messe de minuit, n'ont pas dû choquer grand monde : « le mariage entre personnes du même sexe est un crime sérieux contre l'humanité », a-t-il martelé, selon les propos rapportés par Pierre de Bellerive sur Nouvelles de France. « Nous devons nous lever pour le combattre, avec toute notre énergie », a-t-il poursuivi. Rendez-vous le 13 janvier !

Le volontarisme à l'épreuve du feu

6 juillet 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Un traité sur le commerce des armes se négocie sous la pression des ONG et l'œil inquiet des industriels.

Lundi dernier, 2 juillet 2012, s'est ouverte à New York la conférence diplomatique des Nations Unies où sera négocié, quatre semaines durant, un traité sur le commerce des armes (TCA). Quelques jours plus tôt, Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement, avait reçu les représentants de diverses ONG venus lui délivrer « les 60 000 signatures de citoyens demandant au président de la République de défendre une position française ambitieuse », selon un communiqué du Quai d'Orsay.

Qu'en est-il de l'influence des pétitionnaires sur la diplomatie française ? Les industriels la jugeraient excessive. « Les services de notre diplomatie [...] appréhendent mal la réalité du marché de l'armement, la concurrence des autres pays et les enjeux industriels et économiques pour notre activité », déplore l'un d'entre eux, cité dans La Tribune par notre confrère Michel Cabirol.

Selon le souhait de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, ce traité « devra être juridiquement contraignant tout en étant mis en œuvre au niveau national » et « couvrir tous les types d'armes classiques, y compris notamment les armes légères et de petit calibre, tous les types de munitions et les technologies associées ». Mais en quoi son adoption changerait-elle la donne pour les Dassault, Nexter et consorts ? Un contrôle très strict s'exerce d'ores et déjà sur leurs exportations, à la discrétion des plus hautes autorités de l'État. Or, celles-ci pourraient disposer d'une moindre liberté d'arbitrage à l'avenir. Du moins le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) semble-t-il s'en inquiéter.

Quoi qu'il en soit, un accord présenterait l'intérêt de « mettre sur un pied d'égalité le secteur de l'armement européen avec celui d'autres régions, qui ne bénéficient pas d'un contrôle aussi serré », comme le suggère Mieszko Dusautoy sur Bruxelles 2. « Notamment les États-Unis et la Russie », poursuit-il. Reste à les convaincre... « Au-delà de la simple notion de pression politique et de sanction, les ONG pensent que Washington, Moscou et Pékin se laisseront séduire par l'intérêt collectif », expliquait Romain Mielcarek, dans un article publié par l'Alliance géostratégique (AGS). « Plus que l'isolement collectif, ce serait la volonté de soutenir la sécurité globale qui intéresserait les deux géants du Conseil de sécurité. Le tout dans l'idée de lutter contre les copies. » Une vision jugée « un poil simpliste ». En effet, « si certains acheteurs ne peuvent plus se tourner vers ces États vendeurs, pourquoi ne pas revenir aux fondamentaux en s'adressant au marché parallèle ? » C'est une conséquence bien connue des tentatives de régulation, un phénomène dont l'émergence du shadow banking, dans le domaine financier, n'est pas la moindre illustration.

Hollande face à Poutine

21 juin 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

À l'issue d'un entretien avec Vladimir Poutine, le président de la République s'est présenté devant la presse aux côtés de son homologue russe, offrant aux journalistes un contraste saisissant...

Le président russe, Vladimir Poutine, a rencontré François Hollande le 1er juin 2012. Devant la presse, tandis que son homologue français nageait dans les vacuités, il s'est risqué à aborder les questions les plus épineuses.

À commencer par celle du bouclier antimissile. À ce propos, a-t-il déclaré, « la France est un des rares pays qui non seulement nous écoute [mais] nous entend aussi ». Paris semble d'autant mieux placé pour jouer les médiateurs avec Washington qu'il est peut-être le seul, en Europe, à disposer des compétences industrielles en jeu dans la défense antimissile, et donc de l'expertise requise pour une discussion "d'égal à égal". « Il nous faut [...] des garanties militaires et technologiques qui seraient consacrées par des textes juridiquement contraignants », a martelé Vladimir Poutine, qui ne se satisfera pas de quelques paroles rassurantes. « On nous a promis de ne pas élargir l'Otan, ensuite de ne pas déployer les bases militaires », a-t-il rappelé, « mais l'Otan continue à s'élargir vers l'Est, et les bases militaires poussent comme des champignons autour de nos frontières ».

Évoquant la Syrie, le président russe s'est gardé d'apparaître comme un thuriféraire insensible de la Realpolitik : « Lorsque j'entends que la Russie a des intérêts spécifiques dans ce pays, je peux vous dire que c'est une erreur totale », a-t-il déclaré. Les victimes civiles le préoccuperaient davantage. Or a-t-il laissé entendre, les perspectives d'ingérence doivent être abordées avec prudence : « Regardez ce qui se passe en Irak, en Libye, dans d'autres pays de la région. Est-ce que ces pays sont devenus plus sûrs, vers quoi évoluent-ils ? Nous proposons, s'agissant de la Syrie, d'agir de façon très correcte, de façon très pondérée. »

Enfin, alors qu'un journaliste lui demandait si Moscou accepterait d'accueillir le président syrien et sa famille, Vladimir Poutine a lancé cette pique contre la France : « S'agissant de Monsieur Assad, je peux vous dire qu'il a visité beaucoup plus souvent Paris que Moscou. » « Sur les visites du président Assad père et fils, je n'ai aucune responsabilité » a répondu François Hollande, manifestement décidé à incarner, courageusement, la continuité de l'État.

L'Argentine, un pays rebelle

21 mai 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Au milieu du village global, un pays résiste, encore et toujours, aux canons de la mondialisation promus par les artisans de la gouvernance planétaire...

À la faveur de l'élection présidentielle, la France aurait « réaffirmé sa profonde vocation républicaine, qui fait primer la volonté politique sur la fatalité des marchés, la sensibilité sociale sur les recettes financières, et la justice et la solidarité sur l'exclusion », selon Hugo Chavez. S'agit-il d'un soutien de poids pour François Hollande ? Affaibli par la maladie, bientôt sur le départ, le président du Vénézuela s'est fait voler la vedette, sur la scène latino-américaine, par son homologue argentin, Cristina Kirchner.

Repsol exproprié

Celle-ci s'attire les éloges des pourfendeurs de la mondialisation, tel Aymeric Chauprade : « l'Argentine [...] apporte au monde une preuve supplémentaire que la voie du redressement et de la liberté des peuples passe par l'indépendance nationale et la rupture » avec le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne, etc., a-t-il écrit sur son blog. Il y a dix ans, déjà, Buenos Aires s'était distingué en cessant de rembourser quelque 100 milliards de dollars de dette extérieure. Aujourd'hui, il pratique « un protectionnisme décomplexé », comme le relevaient, début mars, nos confrères de La Tribune. De fait, « pour exporter en Argentine, on doit s'engager à importer des produits argentins ou à investir dans le pays pour ne pas risquer de voir ses produits bloqués aux douanes. Parmi les cas les plus connus, le constructeur automobile allemand Porsche a dû en 2011 s'engager à acheter du vin et de l'huile d'olive argentins pour faire entrer une centaine de véhicules. Le fabricant canadien Blackberry a dû, lui, annoncer l'ouverture d'une unité de production en Terre de Feu (sud) pour continuer à vendre ses portables. » Cependant, « en janvier, lassée des retards provoqués par les nouveaux contrôles, le constructeur automobile Fiat a arrêté son usine de Ferreyra (Cordoba, centre) pendant 48 heures. Un avertissement pour le gouvernement. »

Celui-ci ne semble pas se laisser démonter, comme en témoigne la nationalisation de la société pétrolière YPF, aux dépens du groupe espagnol Repsol... et dont pourrait profiter Total, qui en était déjà un partenaire habituel. Scandalisés, le Washington Post et le Wall Street Journal ont appelé à exclure l'Argentine du G20, où son voisin chilien mériterait de lui succéder. En réaction, le gouvernement espagnol a annoncé une limitation des importations de biodiesel argentin. Mais selon l'analyse du Fauteuil de Colbert, publiée par l'Alliance géostratégique (AGS), « il va sans dire que Madrid est quelque peu démunie dans cette crise. La Commission européenne a beau dire que... la Commission européenne ne peut rassembler ni coalition, ni moyens de coercitions pour soutenir l'Espagne. Cerise sur le gâteau, le nouveau gouvernement de Mario Rajoy prend à peine ses marques dans une Espagne exsangue, et la contestation sociale gronde. »

Les Malouines

Cela étant, poursuit l'auteur, « il y a [...], forcément, quelques probabilités que la crise argentino-espagnole ne vienne heurter le conflit anglo-argentin ». Voilà tout juste trente ans se déroulait la guerre des Malouines. Depuis, le différend opposant Londres et Buenos Aires ne s'est jamais dissipé. Les tensions se sont même ravivées à l'approche de cet anniversaire, puisque les navires battant le pavillon de l'archipel ne sont plus autorisés à accoster dans les ports argentins... Dans cette affaire, Mme Kirchner bénéficie d'ailleurs du soutien de la Bolivie, du Brésil, du Chili et de l'Uruguay.

Ces deux crises, avec l'Espagne d'une part, le Royaume-Uni d'autre part, « gravitent autour de la question des richesses pétrolières qui gisent au large des côtes du Brésil et de l'Argentine - et en Guyane », explique le Fauteuil de Colbert. « Sous cet angle, il est moins certain que l'action argentine actuelle ne vise qu'à détendre les cours actuels de l'or noir sur le marché argentin. Cette action n'a-t-elle pas quelques visées à plus long terme ? » L'auteur relève encore « des enjeux de puissance car les richesses pétrolières brésiliennes permettrait à Brasilia de produire plus d'or noir que BP ou Exxon ». Quoi qu'il en soit, conclut-il, « il est possible de se demander si Buenos Aires peut faire face à deux crises sérieuses avec deux pays ayant des intérêts voisins dans les deux conflits ».

Facebook rebat les cartes

21 mai 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Les nouveaux services de la Toile présentent une dimension stratégique.

Facebook espérait placer plus de 300 millions d'euros à l'occasion de son entrée en bourse. Une somme à la mesure des bouleversements accompagnant l'émergence des réseaux sociaux. Lesquels affectent les modalités de navigation sur la Toile, mais aussi la sécurité nationale, voire le déroulement des conflits armés.

Le ministère de la Défense vient d'ailleurs de publier un "guide de bonnes pratiques" à l'intention des militaires s'exprimant sur le "web 2.0". « De simples statuts, photos ou vidéos peuvent parfois contenir des informations stratégiques », prévient l'Hôtel de Brienne. De fait, l'année dernière, un marin embarqué sur le Charles de Gaulle avait annoncé sur Facebook son départ pour la Libye avant que le déploiement du porte-avions soit rendu public...

Dans un entretien accordé à Florent de Saint Victor, publié par l'Alliance géostratégique (AGS), Marc Heckern, chercheur à l'Irsem, évoque l'annulation d'une opération programmée par Tsahal, après qu'un soldat israélien eut annoncé sur Facebook : « Mercredi, on nettoie [le village de] Qatana et jeudi, si Dieu le veut, on rentre à la maison. » Quant à la rébellion libyenne, Charles Bwele rapporte, toujours sur le site de l'AGS, qu'elle a pratiqué une utilisation intensive de Twitter et même détruit un véhicule lance-roquettes par la magie du net : « Grâce à leurs ordinateurs portables, à leurs smartphones et à Google Earth », les guérilleros « purent orienter et ajuster précisément leurs tirs », atteignant leur cible en dépit de leur piètre expérience.

Preuve que les cartes sont bel et bien rebattues à l'heure de la révolution numérique.

L'appel pressant de la latinité

2 mars 2012
Article publié dans L'Action Française 2000

Bénéficiant d'une immense popularité en Amérique latine, la France aurait négligé, des années durant, de mettre à profit un tel atout. Il est temps de réparer cette erreur, martèle, plein d'enthousiasme, le député Jean-Luc Reitzer.

La France « compte-t-elle enfin définir et mettre en œuvre la politique latino-américaine qu'elle n'a jamais eue ? » Telle est la question posée par Jean-Luc Reitzer, député UMP du Haut-Rhin, en conclusion d'un rapport d'information enregistré le mois dernier (en février 2012) à la présidence de l'Assemblée nationale. Fervent promoteur d'un rapprochement avec l'Amérique latine, il doute « qu'aucun autre pays ait été aussi adulé que la France l'a été par les élites de la région ». Toute une génération de Brésiliens a d'ailleurs été formée à la culture française, suivant l'enseignement dispensé par les Alliances françaises. Pourtant, regrette le parlementaire, « il n'est pas certain que la France ait toujours su répondre à l'attente qu'elle a suscitée ». Sa présence dans la région souffrirait de la comparaison avec ses voisins européens. Par son silence, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale l'avait confirmé en 2008 : « Le sous-continent latino-américain est clairement le grand absent de notre réflexion diplomatique et stratégique. »

Continuité gaullienne

Cela ne date pas d'hier. À la veille d'un voyage en Amérique latine, le général De Gaulle, alors président de la République, avait confié à Michel Debré qu'il partait « sans programme diplomatique bien précis ». Tout au plus cherchait-il des partenaires susceptibles d'interférer dans le tête à tête de Moscou et Washington. « On ne s'est jamais vraiment intéressé à l'Amérique latine pour ce qu'elle est ou pouvait être, au mieux pour ce qu'elle pouvait apporter dans un équilibre multipolaire », analyse Jean-Luc Reitzer. De ce point de vue, Jacques Chirac s'inscrirait dans la continuité de son prédécesseur, développant des relations bilatérales afin « de trouver des appuis, au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies par exemple, pour peser dans la relation tendue que la France avait avec les États-Unis au long de ces deux présidences ».

De fait, « l'Amérique latine dans son ensemble est désormais vue par la France comme un partenaire obligé, indispensable pour faire avancer les grands dossiers internationaux », tels le réchauffement climatique ou la sécurité alimentaire. Cela étant, en dépit de multiples convergences avec Paris, Brasilia n'a pas caché les réserves que lui inspiraient ses interventions en Côte d'Ivoire et en Libye. Mais les relations commerciales constituent « la première pierre d'achoppement ». D'autant que la France a pris la tête de l'opposition européenne à la conclusion d'un accord avec le Mercosur, dont risqueraient de pâtir les exploitants hexagonaux : « Je ne serai pas le président qui laissera mourir l'agriculture française », a prévenu Nicolas Sarkozy.

Multilatéralisme

Si l'on excepte le "partenariat stratégique" – mais non exclusif, loin s'en faut – mis en œuvre avec le Brésil, « la dimension purement bilatérale de notre action vis-à-vis des pays d'Amérique latine ou, du moins, de certains d'entre eux, [...] semble réduit à une portion de plus en plus congrue », déplore le rapporteur. Selon lui, « la tendance à la multilatéralisation de la relation de la France avec les pays d'Amérique latine, si elle n'est évidemment pas récente, n'a fait que se confirmer au fil du temps, à mesure que l'action bilatérale tendait à décroître ». À l'heure actuelle, la France s'implique plus particulièrement dans la Banque interaméricaine de développement (BID). Elle figure au premier rang des seize pays européens actionnaires de l'institution, à égalité avec l'Allemagne, et dispose d'un siège au Conseil d'administration, partagé par rotation avec l'Espagne. « Il s'agit là évidemment d'un atout considérable », estime le député du Haut-Rhin. Un tel statut permettrait à la France de « conforter sur le long terme sa présence régionale, que ce soit sur des questions relatives à l'APD [l'aide publique au développement], au bénéfice des pays les moins développés de la zone, ou sur des enjeux plus économiques, dans les plus importants ». Selon Jean-Luc Reitzer, « un véritable potentiel s'offre ainsi aux entreprises françaises. Une collaboration s'est d'ailleurs très vite instaurée entre l'AFD [l'Agence française de développement ] et la BID, de plus en plus étroite. » C'est même sur la base d'une étude préalable financée par la BID qu'Alstom a remporté le marché du métro de Panamá, nous dit le rapporteur.

Quoique les marchés n'y soient pas d'un accès toujours aisé, la période actuelle est jugée faste pour les "investissements directs à l'étranger" (IDE) en Amérique latine. « Il apparaît toutefois que les IDE français restent relativement limités et que la France ne profite pas comme elle le pourrait de cette dynamique régionale. De sorte que bien que certaines entreprises françaises aient participé fortement aux privatisations sud-américaines au milieu et à la fin des années 1990, nos IDE ne dépassent que rarement 3 % des flux globaux que reçoit aujourd'hui le sous-continent. » Le rapporteur pointe « une certaine frilosité », sans occulter de « remarquables succès », telles l'implantation durable au Brésil de Carrefour, Casino et Suez, ou la présence de Sodexho au Pérou, où la société est devenue, comme au Chili, le premier employeur. En outre, « si elle est modeste, la présence des IDE français n'est cependant pas anodine ». Elle aurait même tendance à s'accroître ces dernières années.

Le Brésil rafle la mise

La majorité des investissements français en Amérique latine (près de 70 %) sont dirigés vers le Brésil, où ils enrichissent un "stock d'IDE" près de deux fois plus important qu'en Chine ! « Parmi les principales opportunités actuelles, de très gros projets sont envisagés dans les transports – TGV Rio de Janeiro-Campinas –, dans la génération d'énergie, sur laquelle Alstom et GdF-Suez sont sur les rangs avec les projets de barrage de Belo Monte et Jirau, ainsi que dans les domaines spatial ou nucléaire, qui intéressent respectivement des sociétés comme Thalès, Ariane Espace et Areva. PSA, qui a annoncé par ailleurs un investissement de 940 millions d'euros en Amérique latine, produit quelque 150 000 véhicules par an au Brésil. »

En 2010, la part de l'Amérique latine dans notre commerce extérieur se limitait à 2,7 %. Or, soutient Jean-Luc Reitzer, « les milieux d'affaires, qu'ils soient Français expatriés ou non, sont majoritairement désireux d'une présence supérieure de notre pays dans la région ». Le député se fait l'écho d'une exceptionnelle francophilie : « Quand bien même les relations, commerciales notamment, seraient-elles aujourd'hui plus importantes avec d'autres pays européens qu'avec le nôtre, les interlocuteurs, unanimes, n'en soulignent pas moins que "la qualité du dialogue n'est pas la même" et qu'"il n'y a pas la même identification", voire, même, pas les a priori dont d'autres peuvent pâtir. La relation avec la France est toujours présentée comme particulière, voire unique, non stéréotypée, à l'inverse de ce qui se passe pour d'autres, et il ne tient qu'à la France de savoir profiter de cet avantage incomparable. Tel est [...] le message que la mission a continûment entendu. »

Vers un choc des cultures ?

Au-delà des IDE, des transferts de compétences sont escomptés. Le savoir-faire de la France en matière de tourisme constituerait une expérience précieuse pour l'Équateur, par exemple. D'ores et déjà, la collaboration scientifique de part et d'autre de l'Atlantique s'avérerait très fructueuse. Selon le rapporteur, « la France pourrait opportunément tirer profit de son image et de l'attente qu'elle suscite pour compléter son offre actuellement centrée sur la création de lycées d'excellence en échange de la réintroduction de l'enseignement du Français dans les cursus scolaires ». Une carte à jouer parmi tant d'autres...

« De l'avis unanime », explique-t-il, « la proximité culturelle contribue grandement à résoudre les difficultés éventuelles ».En ce sens, poursuit-il, « la latinité est un atout considérable ». Cependant, prévient-il, « l'appui traditionnel des élites sur lequel la France a longtemps compté pour entretenir son image et ses positions en Amérique latine risque d'évoluer et d'être à l'avenir un instrument moins efficace, ne serait-ce que parce nombre d'entre elles sont plus facilement allées étudier aux États-Unis qu'en France ». Aussi celle-ci devrait-elle se mobiliser sans tarder pour « ne pas rater le coche ». D'autant que « si l'Amérique latine se sent aujourd'hui globalement toujours occidentale, certains pays sont désormais sur des registres en partie, voire radicalement, différents. C'est le cas en premier lieu de la Bolivie. » D'une certaine manière, il faudrait tenir compte, dorénavant, « d'une forme de choc des cultures ».