La francophonie, un projet "mondialiste" ?

19 novembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Chantre de la mondialisation, Jacques Attali n'en est pas moins un promoteur de la francophonie. Certaines de ses mises en garde méritent notre attention, afin que la France utilise au mieux ses atouts.

Lors du sommet de Dakar (29 et 30 novembre 2014) devrait être présentée une "stratégie économique pour la Francophonie". S'agira-t-il d'un premier pas vers la création d'une "Union économique francophone" ? Tel est l'espoir de Jacques Attali, revendiqué en conclusion d'un rapport remis fin août au chef de l'État. « Le potentiel économique de la francophonie est énorme et insuffisamment exploité par la France », martèle l'ancien conseiller du président Mitterrand.

« L'ensemble des pays francophones et francophiles représentent 16 % du PIB mondial », souligne-t-il, « avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques ». Naturellement, « le partage par les populations de plusieurs pays d'une même langue augmente leurs échanges » – de 65 % environ, nous précise-t-il. Est-il bien raisonnable de chiffrer pareil phénomène ? Quoi qu'il en soit, s'inquiète Jacques Attali, « des circuits économiques sont en train de se créer dans les pays francophiles et francophones sans la France » : « c'est le cas le secteur minier notamment (Canadiens en Afrique), ou dans l'éducation supérieure (Québec) ». De fait, Paris serait tenté « par un repli sur sa sphère nationale », que traduirait « la baisse significative » de sa contribution au budget de l'OIF, réduite d'un quart depuis 2010. C'est un calcul de court terme, dénonce le rapporteur. Dans l'ensemble des pays d'Afrique, prévient-il par ailleurs, « le déséquilibre entre le nombre d'enfants à scolariser et le nombre d'enseignants va s'accroître dans les prochaines années ». C'est pourquoi, « faute d'un effort majeur, on pourrait assister [...] à un recul de l'espace francophilophone ».

Le français dans l'entreprise

Dans les entreprises se ressentirait « un certain manque de "patriotisme linguistique" ». À tel point que « certaines compagnies françaises installées en Asie du Sud-Est paradoxalement détournent les étudiants de ces pays de l'apprentissage du français en exigeant la connaissance de l'anglais à l'embauche ». Pourtant, « la culture d'une entreprise mondiale d'origine française est plus facile à appréhender pour le personnel local lorsqu'il maîtrise le français ». Renault l'aurait constaté dans la foulée de sa fusion avec Nissan : « L'usage généralisé de l'anglais comme langue de l'alliance avec le groupe japonais s'est avéré être un handicap et a été à l'origine d'un rendement réduit de part et d'autre. Renault a depuis choisi de donner des bourses à des Japonais pour étudier le français en France. » Quant à l'usage accru de l'anglais dans l'Hexagone, « cela aurait des conséquences économiques négatives », estime Jacques Attali ; selon lui, « l'usage d'une langue étrangère au travail crée [...] un déficit de productivité et de cohésion sociale ».

Alors que des entreprises françaises « choisissent de contracter entre elles en anglais selon des modèles de contrats anglo-saxons », les cabinets d'avocats français, « malgré leur expertise reconnue », seraient « très peu implantés à l'étranger en comparaison avec les cabinets anglo-américains », dont l'influence est telle qu'ils « structurent l'imagination des financiers ». Le droit continental s'en trouve affaibli, ce dont pourrait pâtir le développement de l'Afrique. Le droit anglo-saxon « étant jurisprudentiel », explique Jacques Attali, « son bon fonctionnement requiert l'existence d'une justice efficace et d'une jurisprudence abondante, permettant aux avocats d'assurer une certaine sécurité juridique aux entreprises ». Or, « en l'absence de tels pré-requis, l'insécurité juridique pourrait désinviter les entreprises à investir dans ces pays ».

Les frontières périmées ?

Afin d'accroître ces investissements, Jacques Attali propose, sans surprise, de « favoriser la mobilité » des travailleurs. « Le nombre d'expatriés français est plus faible que le nombre d'expatriés britanniques ou allemands », regrette-t-il : « respectivement 2,5 millions, 3 millions et 4 millions ». Quant à l'immigration professionnelle, elle est jugée « peu développée en France ». Indifférent aux pressions de l'opinion, Jacques Attali vante même les mérites des délocalisations. Selon lui, « l'externalisation d'une partie de la chaîne de valeur française dans les pays du sud de la Méditerranée pourrait être bénéfique, aussi bien aux entreprises françaises qu'aux pays d'accueil ». En effet, « cette stratégie permettrait aux entreprises françaises [...] d'améliorer leur compétitivité, et répondrait aux forts besoins en croissance et en emplois des économies nord-africaines ». Les implantations au Maroc de Renault, Sanofi-Aventis et Accor seraient autant de réussites illustrant le « caractère potentiellement gagnant-gagnant » des « colocalisations ».

Dans son esprit, donc, la francophonie n'est pas une alternative à la mondialisation. Au contraire. De son point de vue, « la tendance de fond de l'économie mondiale est de périmer l'idée d'espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d'échanges et de coopération autour de communautés d'autres natures ». Quoique celles-ci demeurent promues au bénéfice des États : « le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l'Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés », observe Jacques Attali. Puisse la France en faire autant !

Fonds vautours : "politique d'abord" ?

17 septembre 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Les déboires de l'Argentine reflètent-ils la toute-puissance de la finance ? Peut-être faudrait-il plutôt s'interroger sur le primat du droit.

Tandis que Buenos Aires tente d'échapper à la pression des "fonds vautours", l'Assemblée générale des Nations Unies prévoit d'établir « un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine ». Une résolution a été adoptée à cet effet le 9 septembre 2014.

Portée par le Bolivie, avec le soutien de la Chine et de nombreux pays en développement, cette initiative semble avoir été fraîchement accueillie par les États les plus riches. Selon un communiqué de l'ONU, « à l'instar du représentant des États-Unis, qui s'est inquiété des incertitudes qu'un tel texte pourrait faire peser sur les marchés financiers, ceux de l'Union européenne, du Japon, de l'Australie et de la Norvège ont dit qu'ils ne pouvaient l'appuyer compte tenu de la précipitation avec laquelle il a été présenté ».

Paris et ses alliés auraient-ils fléchi, encore une fois, devant la toute-puissance de la finance, que François Hollande avait pourtant érigée en ennemi ? Dans le cas de l'Argentine, peut-être est-ce moins le primat de la finance que celui du droit qui est en cause – quoique cette situation contribue à la confiance des créanciers potentiels. Brossant le portrait d'Elliott, le principal fonds spéculatif en prise avec l'Argentine, Les Échos n'ont-ils pas décrit un organisme « procédurier à l'extrême », qui « détecte les failles juridiques dans les contrats de dette » ? Ainsi fonctionnent les "fonds vautours", qui rachètent des obligations dépréciées dans l'espoir d'obtenir le remboursement de leur valeur nominale.

Or, comme l'explique La Tribune, « un État peut choisir de se référer à une juridiction étrangère dans ses contrats de dette  », et cela indépendamment de la devise à laquelle il recourt. « Le droit de New York et le droit britannique sont les plus courants », précisent nos confrères, « car ils sont bien connus des investisseurs et sont censés mieux les protéger ». À certains égards, donc, Buenos Aires paie le prix de ses propres arbitrages. Bien que la mondialisation ait changé la donne, le politique n'a pas tout à fait perdu la main.

Vol MH17 : un complot américain, c'est une « évidence » !

23 juillet 2014

Chronique du populisme conspirationniste à la botte de Moscou.

Alors que venait d'être annoncé le crash d'un avion survolant l'Ukraine, Marine Le Pen a d'abord fait part d'une réaction relativement mesurée. Dans un communiqué publié le 18 juillet 2014, elle a appelé « à la plus grande prudence quant à toute conclusion hâtive car chacun sait que la guerre de l'information, et donc de la désinformation, est partie intégrante des conflits modernes ». Cela étant, elle n'a pas exclu « des calculs géopolitiques » qui pourraient miser « sur la "stratégie de la tension" ».

Aymeric Chauprade, élu tout récemment au Parlement européen, s'est empressé, quant à lui, de prendre la défense de Moscou : « quant à la Russie, c'est une certitude, elle ne peut en aucun cas être impliquée dans cette tragédie », a-t-il déclaré le même jour. Entre autres hypothèses à ses yeux vraisemblables, il envisageait alors « une erreur de l'armée ukrainienne ».

Quelques jours plus tard, cependant, le 22 juillet, il a appelé à « constater l'évidence » selon laquelle, « depuis 2001, régulièrement, un événement dramatique provoque une accélération de l'Histoire qui profite à l'agenda américain » – cela « pour sauver les suprématies monétaire et géopolitique américaines et faire ainsi échec au nouveau monde multipolaire ».

Autrement dit, selon le conseiller de Marine Le Pen pour les questions internationales, les passagers du vol MH17 seraient morts en raison du cynisme de Washington, tout comme l'auraient été les victimes des attentats du 11 septembre 2001.

Notons toutefois qu'à la différence des communiqués précédents, ces insinuations, mises en ligne sur le site Internet d'Aymeric Chauprade, ne semblent pas avoir été publiées sur celui du Front national.

Le populisme européen, agent d'influence de Moscou

4 juillet 2014

Que l'on considère son électorat, son programme économique ou ses rapports avec l'étranger, le Font national s'impose, décidément, comme un fidèle héritier du Parti communiste...

« Un député européen du parti d'extrême droite Jobbik est clairement soupçonné d'être un agent de renseignement des Russes, non pas dans le passé mais encore aujourd'hui. », rapporte Nicolas Gros-Verheyde, animateur du blog Bruxelles 2. Bien que le Front national se montre distant à l'égard du Jobbik, il n'est pas épargné par des accusations du même genre. « Dominée par le type le plus cru de propagande poutinienne », l'antenne française de la chaîne ProRussia TV emploierait « des journalistes liés au Front national ou même appartenant au FN », selon nos confrères polonais Wojciech Mucha et Dawid Wildstein, dont certains articles ont été traduits pour Nouvelles de France.

« L'alliance des nationalistes européens avec la Russie est même déjà officielle dans une majorité de pays », poursuivent-ils. « Les intérêts réellement poursuivis par cette alliance sont couverts sous le masque de la propagande du combat pour les valeurs communes. [...] Mais la réalité des choses est plus simple : le Jobbik et le FN sont prêts à livrer à Poutine non seulement l'Ukraine mais aussi la Pologne et les pays baltes s'ils peuvent prendre le pouvoir et bénéficier de la considération et de l'argent du président russe. Au XXIe siècle, c'est la droite et non plus la gauche qui sera la cible principale des opérations de propagande et des services secrets russes. »

Autrement dit,  « les nationalistes européens sont à la Russie ce que les communistes étaient à l'Union soviétique ».

Le mirage russe

18 avril 2014

Petite pique lancée en direction des adorateurs de Vladimir Poutine.

Au détour d'un article de La Croix, nous apprenons que la pratique religieuse chrétienne serait encore plus faible en Russie qu'en France ! C'est dire combien doivent être tempérés les espoirs des catholiques se tournant vers Moscou. Relayant activement la propagande du Kremlin, les réactionnaires à sa botte ne sont que les idiots utiles du nationalisme russe. De fait, les dénonciateurs les plus virulents du "parti de l'étranger" ne sont pas les moindres de ses représentants... En cause, comme toujours : la complaisance dans la marginalité et l'illusion volontariste qui l'accompagne.

L'État dans les mailles de la Toile

17 avril 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

Érigé en "bien commun" de l'humanité, l'Internet n'en reste pas moins placé sous la domination des États-Unis. Sa gouvernance est appelée à évoluer, au gré des rapports de forces mondiaux et de leur évolution.

Les 23 et 24 avril 2014 se tiendra à Sao Paulo le forum Net Mundial, dont les participants débattront de l'avenir de la gouvernance de l'Internet. Parviendront-ils à s'accorder sur une feuille de route ? Le cas échéant, celle-ci devra indiquer « une voie à suivre pour faire évoluer et mondialiser les institutions et les mécanismes actuels », selon le vœu des organisateurs brésiliens. Dans ce cadre, la Francophonie a une carte à jouer, plaide Nathalie Chiche, membre du Conseil économique, social et environnemental, dans les colonnes du Monde. Quoi qu'il en soit, beaucoup dépendra du bon vouloir de Washington.

Le rôle clef de l'Icann

Pour l'heure, en effet, le gouvernement américain continue d'exercer un contrôle sur l'Icann (Internet Corporation for assigned names and numbers), un organisme privé régi par le droit californien, qui assure une double mission cruciale : il supervise, d'une part, l'attribution des adresses IP (Internet protocol) - des séries de chiffres identifiant chaque point d'accès au réseau mondial – et, d'autre part, la gestion des noms de domaines – ces adresses intelligibles grâce auxquelles les internautes se repèrent dans les méandres de la Toile. Plus concrètement, c'est sous la houlette de l'Icann que sont mis en vente de nouveaux domaines de premier niveau, venant s'ajouter aux ".com", ".net" et autres ".fr". Ainsi est-il envisagé de créer des domaines en ".vin" et ".wine", par exemple, ce dont Paris s'est inquiété le mois dernier. Selon le Quai d'Orsay, en effet, « des irrégularités sont intervenues dans le cours de la procédure ». Or, rappelle-t-il, « la France [...] attache la plus haute importance à la protection des indications d’origine dans toutes les enceintes, y compris sur Internet ».

À l'inverse, l'Icann peut suspendre des domaines – l'Irak en a déjà fait les frais, tout comme l'Afghanistan. Soucieux de rééquilibrer les forces en présence, Pékin « a émis le souhait de disposer de sa propre racine », comme le rappelle David Fayon dans son ouvrage Géopolitique d'Intenret (Economica, 2013, 220 p., 24 euros). « Outre l'affranchissement de la mainmise américaine et de l'Icann, cela permettrait à l'empire du Milieu de mieux contrôler le contenu de l'Internet chinois », souligne-t-il. De fait, le transfert des prérogatives de l'Icann à l'Union internationale des télécommunications (UIT), rattachée à l'ONU, promu par la Chine, mais aussi par la Russie et l'Arabie saoudite, entre autres, pourrait traduire « une reprise en main des États sur Internet face à une vision ouverte et multipartite de la géopolitique d'Internet ». On n'en est pas encore là, bien que les États-Unis se disent prêts à lâcher du lest. Sans doute sont-ils contraints à pareille annonce pour préserver une influence aussi grande que possible en dépit de la pression croissante des pays émergents. Une partie similaire se joue au Fonds monétaire international (FMI), où Washington tarde d'ailleurs à tenir ses promesses, en raison de l'obstruction du Congrès.

Géographie sous-marine

L'évolution des rapports de forces mondiaux se reflète dans les infrastructures sur lesquelles repose l'Internet. Nombre d'échanges intra-africains continuent vraisemblablement de transiter par les États-Unis – au bénéfice des entreprises américaines qui jouent les intermédiaires. Toutefois, relève David Fayon, le déséquilibre « tend à diminuer au fur et à mesure que les pays du Sud [...] installent leurs propres points d'interconnexion pour ne pas dépendre du Nord ». Ainsi s'esquisse « une "géographie politique" de l'Internet », comme le relève Olivier Kempf, animateur du blog Egea. « Les câbles sous-marins jouent un rôle majeur  », poursuit David Fayon. « Une large majorité de câbles transatlantiques et surtout transpacifiques convergent vers les États-Unis, qui jouent un rôle central. En Amérique, seuls le Canada et le Brésil ne sont pas uniquement tributaires des États-Unis. En Asie, la Chine, le Japon et Singapour sont des nœuds. Les nœuds sont essentiels pour couper (ou non) les flux. L'Afrique et le Moyen-Orient sont dépendants de l'Inde, de l'Égypte, de la France et de l'Espagne. En Europe, le Royaume-Uni joue un rôle essentiel de nœud depuis et vers les États-Unis. En Océanie, l'Australie est le nœud. La Russie jouit d'une situation particulière. Bien qu'à l'écart des câbles sous-marins, elle constitue un pont numérique terrestre de l'Europe vers l'Asie. »

Pour les États, la maîtrise des télécommunications s'inscrit dans la continuité de celle déjà exercée jadis sur les routes ou les mers. L'émergence du cyberespace n'en pose pas moins des défis inédits, tant elle affecte l'exercice des prérogatives régaliennes. Les exemples abondent quant à la sécurité et la défense : mobilisation des pirates de l'Armée électronique syrienne, annulation d'une opération militaire israélienne dévoilée par mégarde sur Facebook, ajustement des tirs de roquettes des rebelles libyens à l'aide de Google Earth, financement par la CIA d'un réseau social subversif à Cuba...

Nouvelle donne

En matière monétaire, le monopole des banques centrales se trouve contesté. Alors qu'il semblait réservé à un public averti, voilà que le bitcoin arrive dans nos supermarchés. « Dans trois à cinq ans, les consommateurs auront changé de façon de payer, leur rapport à l'argent aura évolué », prévient Patrick Oualid, directeur e-commerce de Monoprix. D'ici la fin de l'année, sur le site Internet du distributeur, il sera possible de régler ses achats en monnaie virtuelle, a-t-il annoncé dans un entretien au Journal du Net. « De cette manière », explique-t-il, « si l'éclosion se produit en 2015, nous serons prêts ». Concernant les magasins, précise Clubic, « aucune échéance n'est fixée, mais ces derniers pourraient en bénéficier de façon détournée par la mise en place d'un système de paiement via le mobile ».

La justice n'est pas en reste, puisque l'État délègue plus ou moins à des acteurs privés la responsabilité d'encadrer les libertés en ligne : SOS Racisme, par exemple, mais aussi les représentants des ayants droit collaborant avec l'Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), qui traquent eux-mêmes les internautes suspects de téléchargements illégaux.

« Les nouvelles frontières numériques sont [...] floues du fait du caractère immatériel des données et de leur localisation de plus en plus fréquente sur des serveurs distants », observe encore David Fayon. C'est un nouveau monde qui prend forme. Dans les mailles de la Toile, les ressorts de la souveraineté ne fonctionnent plus selon les canons de l'Europe westphalienne. Ils n'en restent pas moins éminemment puissants.

Outre-mer : la France s'étend sur l'océan

5 mars 2014
Article publié dans L'Action Française 2000

À la faveur du droit international, Paris convoite des ressources maritimes situées au-delà de sa zone économique exclusive, notamment dans l'Atlantique Nord, autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

La délimitation des frontières Amaritimes « est bien l'un des enjeux du XXIe siècle », préviennent les députés Jean-Claude Fruteau (PS), Paul Giacobbi, Annick Girardin et Roger-Gérard Schwartzenberg (affiliés tous les trois au PRG). Dans une proposition de résolution, dont l'Assemblée nationale devait discuter en séance publique mardi dernier,  18 février 2014, ils appellent « à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon ». Au risque de froisser Ottawa, Paris en revendique l'extension, en application du droit international.

Montego Bay

Comme l'expliquent les parlementaires, la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay en 1982 et ratifiée par la France en 1996, « a ouvert la possibilité pour les États côtiers d'étendre leur juridiction sur les ressources se trouvant sur son plateau continental, c'est-à-dire sur les fonds marins et leur sous-sol, et ce, au-delà des deux cent milles marins constitués par la zone économique exclusive de base ». En mai 2009, une lettre d'intention a donc été déposée auprès de la Commission des limites du plateau continental (CLPC), émanation de l'ONU. « Depuis lors les éléments constitutifs de notre revendication se sont renforcés », se réjouissent les députés. « En juillet 2011, une campagne scientifique a été menée au large de l'archipel par le navire le Suroit dans le cadre du grand programme Extraplac, conduit par l'Ifremer, afin de préparer les dossiers de revendication devant la CLPC. Les résultats scientifiques de cette campagne sont probants et montrent que le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon répond bien géologiquement aux critères juridiquement exigés par le droit international pour permettre l'extension d'un plateau continental au-delà de la limite des deux cents milles marins. »

De quoi nourrir quelque espoir de revanche ? « Saint-Pierre-et-Miquelon est la seule collectivité d'outre-mer française située en Amérique du Nord, à vingt-cinq kilomètres de Terre-Neuve au Canada », rappellent les parlementaires. « Peuplé de 6 311 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon a toujours vécu, depuis le XVIe siècle, de la pêche jusqu'à ce que la diminution des ressources halieutiques et un arbitrage désastreux intervenu en 1992 entre le Canada et notre pays, arbitrage donc les conséquences nous furent particulièrement défavorables – il fut vécu comme une injustice dans l'archipel –, aient condamné ce petit territoire à ne plus pouvoir exploiter les richesses de la mer, compromettant gravement sa survie économique et, à terme, la pérennité même de la présence de nos compatriotes sur ces îles. »

Parfum de revanche

« Aujourd'hui, une nouvelle chance est offerte à Saint-Pierre-et-Miquelon et, plus largement, à notre pays », se félicitent Jean-Claude Fruteau, Paul Giacobbi, Annick Girardin et Roger-Gérard Schwartzenberg. Le président de la République semble décidé à la saisir. Le 24 juillet dernier, il avait promis que « la France défendrait les intérêts de l'archipel concernant l'extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon ». « Le cap est donc clairement fixé », se félicitent les députés. « Reste à déposer concrètement ce dossier de revendication auprès de la CLPC, ce qui incombe au gouvernement. » Affaire à suivre.

Singularité francophone du Vietnam

18 octobre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Devenu un partenaire stratégique de Paris, Hanoï est résolument engagé dans la francophonie.

Vendredi 4 octobre 2013 s'est éteint le général Giáp, héros de l'indépendance du Vietnam, dont le Premier ministre, M. Tan Dung, venait d'effectuer une visite en France. À cette occasion, un "partenariat stratégique" a été signé entre Paris et Hanoï. « Le Vietnam est un partenaire [...] particulièrement cher à la France », a martelé Jean-Marc Ayrault. « D'abord en raison de l'histoire entre nos deux pays », a-t-il expliqué, mais aussi du fait « de notre appartenance commune à la Francophonie ». Comme le souligne Pierre Journoud, chargé d'études à l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire), le Vietnam « a été l'un des rares en Asie, sinon le seul, à jouer avec autant de persévérance la carte de la Francophonie politique, dans sa double dimension bilatérale et multilatérale ».

La langue française vecteur du désenclavement

On compterait aujourd'hui 623 000 francophones au Vietnam, représentant 0,7 % de la population. « On ne saurait [...] voir dans la modestie du nombre de locuteurs de français au Vietnam qu'un lent et inexorable déclin depuis la fin de l'ère coloniale », soutient Pierre Journoud. « Du point de vue purement comptable, la tendance globale paraît même plutôt favorable depuis la fin de la guerre froide : les francophones étaient estimés à 70 000 personnes en 1990, d'âge généralement élevé, soit seulement 0,1 % de la population... Plus surprenant, le nombre d'apprenants de français était moins élevé à l'époque coloniale qu'aujourd'hui. » « Résolument engagée dans la francophonie », la République socialiste du Vietnam « a renoué par étapes avec la coopération culturelle et linguistique avec la France, avant de marquer son adhésion à la Francophonie institutionnelle » en 1970. Dans les années quatre-vingt-dix, Hanoï « a fait de la langue française l'un des vecteurs de son désenclavement ». Il a d'ailleurs proposé que le français devienne la seconde langue de travail de l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est).

« Le Vietnam n'est pas francophone, au sens linguistique », souligne encore  Pierre Journoud, « mais la volonté que ses dirigeants ont jusqu'à présent manifestée, malgré bien des obstacles, de nourrir une francophonie de qualité et de valoriser la Francophonie institutionnelle témoigne de leur conviction que celle-ci peut servir les grands objectifs de leur politique étrangère : favoriser l'insertion régionale et internationale du Vietnam ; renforcer le glacis stratégique que tente de se constituer ce pays qui a dû affronter par les armes les ambitions impérialistes de la France, des États-Unis... et de la Chine. » Preuve que le français na pas dit son dernier mot !

Perspectives francophones

5 septembre 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Tandis que s'ouvrent à Nice les Jeux de la Francophonie, l'Irsem propose un aperçu des perspectives ouvertes par cette communauté ayant la langue de Molière en partage.

Samedi prochain, 7 septembre 2013, s'ouvriront à Nice, sous la présidence de François Hollande, les VIIe Jeux de la Francophonie. Cet événement ravivera-t-il l'intérêt pour la francophonie, « qui est un atout considérable quelquefois négligé en France », selon le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius ? Dans sa dernière étude, l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire) en souligne justement la « profondeur stratégique ».

Un fort potentiel

« Dans ce contexte de déterritorialisation de la puissance et de déclassement de la sanctuarisation, la recherche d'influence (soft power) devient nécessairement complémentaire de la puissance pure », affirme Hugo Sada. « Celle-ci doit se construire et se déployer bien au-delà des cadres étatiques, et dans un système international caractérisé par la multiplication des acteurs stratégiques. ». La Francophonie serait « l'un de ces nouveaux acteurs stratégiques, encore relativement mineur, mais doté d'un fort potentiel ».

Dans le Maghreb, annonce Flavien Bourrat, « des possibilités existant de voir le français devenir [...] la langue régionale de coopération y compris en matière de défense et de sécurité ». « Du moment où elle n'est plus perçue comme l'instrument exclusif de projection de la politique française dans la région », la Francophonie « pourrait ainsi constituer la cheville permettant d'articuler et de consolider les liens entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne ». D'ores et déjà, précise Flavien Bourrat, « on constate que les relations denses et les échanges qu'entretiennent les pays du Maghreb avec leurs voisins africains francophones, notamment au Sahel [...], se font le plus souvent en français ». Cela étant, prévient-il, « le contexte de transition politique découlant des révolutions arabes pourrait donner une nouvelle vigueur aux querelles linguistiques et aux orientations idéologiques opposées à la francophonie – en particulier dans le secteur clef de l'éducation ». « Rachid Ghannouchi, leader du parti Ennahdha majoritaire au sein de l'actuel gouvernement tunisien, a ainsi déclaré le 26 octobre 2011 à Radio Express FM : "Nous sommes arabes et notre langue, c'est la langue arabe. On est devenu franco-arabe, c'est de la pollution linguistique." Au Maroc, où existe un fort clivage entre les médias arabophones et francophones, l'actuel gouvernement dominé par le Parti de la justice et du développement (PJD) a tenté de remettre en cause, à travers une réforme de l'audiovisuel, la diffusion à une heure de grande écoute du journal télévisé en français de la chaîne publique 2M. »  

En Afrique, tout particulièrement, les États francophones « présentent des spécificités notamment sur le plan organisationnel (les polices francophones sont fondées sur un système dual composé de la police et de la gendarmerie) ou procédural (tradition romano-germanique et coutumes locales) », souligne Frédéric Ramel. Aussi la Francophonie a-t-elle apporté une contribution indéniable à la réforme des "systèmes de sécurité" en République centrafricaine, en Guinée et en Guinée-Bissau, en collaboration avec les Nations Unies, plus habituées, jusqu'alors, à s'inspirer des traditions britanniques en la matière. Plus de la moitié des effectifs déployés par l'ONU se trouvent d'ailleurs en territoire francophone. Dans ces conditions, annonce Brice Poulot, « l'usage du français en contexte militaire ira croissant ».

Langue militaire

D'ores et déjà, précise-t-il, « les autorités militaires francophones des pays développés ont mis en place de nombreuses actions afin de conforter le rayonnement militaire du français à l'international ». Le "français langue militaire" (FLMI) « tient, depuis le début des années 2000, une place importante, notamment par l'action de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères français, qui finance plus de dix mille formations par an ». Si le français participe « à l'affirmation des capacités opérationnelles des armées », il présente une autre vertu, celle « d'extraire un pays de la sphère d'influence d'un voisin trop puissant : le Brésil favorise par exemple l'apprentissage du français pour s'émanciper des États-Unis, tout comme l'Autriche, membre de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et acteur du FLMI, qui cherche ainsi à se démarquer de son voisin allemand ».

De plus, affirme Brice Poulot, « il existe un lien réel entre la francophilie d'une armée étrangère (ou du moins de son état-major) et la provenance de son matériel de défense », si bien que le FMLI pourrait « participer [...] à l'augmentation des exportations de matériel de défense des pays francophones ». Toutefois, nuance-t-il, « certains exemples à travers le monde nous interdisent tout triomphalisme et suggèrent que le travail à mener auprès des institutions est encore conséquent ». Ainsi la gendarmerie européenne a-t-elle « choisi l'anglais comme seule langue de travail alors qu'elle est composée uniquement de pays de langue latine, et que le modèle gendarmique constitue une spécificité organisationnelle par excellence des forces de police issues historiquement de la tradition ou de l'influence francophone ». Un paradoxe parmi d'autres : comme le rappellent Alexandra Veleva  et Niagalé Bagayoko, le français n'est aujoud'hui « ni la langue maternelle, ni même la langue d'usage de l'ensemble des membres de l'Organisation internationale de la Francophonie ».

Mali : l'Europe au pied du mur

21 février 2013
Article publié dans L'Action Française 2000

Moult commentateurs ont pointé l'inconséquence de l'Europe dans le dossier malien. Peut-être sont-ils coupables d'avoir placé en elle trop d'espoirs.

Dans l'affaire malienne, « l'Europe a été nulle », selon les déclarations d'Alain Juppé au micro d'Europe 1. Fidèle à son tropisme néo-gaullien, l'ancien Premier ministre continue manifestement de projeter ses rêves de grandeur à l'échelle du Vieux-Continent. Peut-être serait-il temps de l'admettre : l'"Europe puissance" n'est rien d 'autre qu'un fantasme hexagonal. Au moins Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, semble-t-il l'avoir compris : « Quand l'Europe de la Défense aura la capacité d'intervenir immédiatement, ce sera dans cent cinquante ans ! », a-t-il déclaré à La Voix du Nord. « Le président du Mali nous a appelé à l'aide le 10 », a-t-il précisé. « La décision d'intervenir a été prise par le président le 11 à 12 h 30, j'y étais. Et nos forces ont commencé à arriver à 17 heures. Que vouliez-vous faire ? Consulter les Vingt-Sept ? [...] La vérité, c'est que nous avons la réactivité militaire et le pouvoir de décision. » La capacité "d'entrer en premier" est d'ailleurs une spécificité de l'armée française, qui profite du primat accordé à l'exécutif, habilité à placer le Parlement devant le fait accompli... Preuve que la nature des institutions s'avère toujours décisive : « politique d'abord », disait Maurras !

Heureuse solitude de la France

Apte à réagir dans l'urgence, la France doit toutefois s'accommoder d'une relative solitude dans l'action. L'opposition n'a pas manqué de s'en inquiéter, par la voix de Jean-François Copé, non sans quelque légèreté. En effet, « pour la guerre, être seul est parfois plus efficace », comme le souligne le géopolitologue Olivier Kempf, animateur du blog Egea. « C'est d'ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses. » La France vient de le vérifier à ses dépens. Les Pays-Bas ont certes mis un avion ravitailleur à sa disposition, mais en en restreignant l'emploi, de telle sorte qu'il lui était interdit d'atterrir à Bamako. Quant au C-17 britannique qui s'est posé à Évreux, son équipage a d'abord refusé d'embarquer les rations des soldats, au motif qu'elles comprenaient des allumettes : dans la Royal Air Force, en effet, « on ne mélange pas munitions et dispositif d'allumage dans le même appareil », explique notre confrère Nicolas Gros-Verheyde. « Il a fallu quelques heures de patience et un coup de fil entre les deux chefs d'état-major pour régler la question », a-t-il rapporté sur le blog Bruxelles 2.

À ses yeux, cependant, « sans l'apport précieux et coûteux des alliés, c'est bien simple, l'opération Serval n'aurait pas duré plus de soixante-douze heures ». Selon ses estimations, ce soutien aurait représenté 60 à 100 millions d'euros au cours du premier mois d'intervention. « Soit tout autant que l'engagement français annoncé par le ministre Jean-Yves Le Drian (70 millions d'euros). » Cela étant, cette aide n'émane pas de l'Union européenne en tant que telle. D'ailleurs, parmi les alliés engagés derrière la France figurent le Royaume-Uni et le Danemark, dont Olivier Kempf rappelle qu'ils sont « les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense ».

Mission formation

L'opération Serval en sanctionnerait-elle alors l'échec ? « Pour moi, l'Europe de la Défense, c'est la mise en commun de certains moyens de défense, c'est l'industrie de défense, un certain nombre d'actions communes », plaide Jean-Yves Le Drian, qui cite en exemple l'opération Atalante, luttant contre la piraterie dans l'océan Indien. « L'Europe de la Défense, ce n'est pas l'Europe militaire », explique-t-il encore. Le cas échéant, peut-être pourra-t-elle contribuer à la reconstruction de l'État malien et plus particulièrement de ses forces armées. D'autant qu'en la matière, l'Europe peut légitimement revendiquer une certaine compétence, illustrée notamment par le précédent somalien. Laborieusement, l'Union européenne prépare donc une mission de formation à cet effet. D'ores et déjà connue sous le nom EUTM Mali, elle sera placée sous le commandement d'un officier français, le général Lecointre. « C'est, en fait, le logiciel de l'armée malienne que nous voulons reconstruire », a-t-il confié à Nicolas Gros-Verheyde. Par conséquent, a-t-il prévenu « il faut [...] considérer les choses sur le temps long, au moins le temps moyen, et non sur le court terme ».

Défi américain

Reste un autre défi qui se présente à l'Europe : celui d'une moindre protection américaine. Comparant l'intervention au Mali à celle survenue en Libye deux ans plus tôt, le politologue Zaki Laïdi relève un élément nouveau, Washington ayant envisagé « de faire littéralement payer à la France la location d'avions de transport de troupes ». « C'est un fait tout à fait inédit dans l'histoire des relations transatlantiques », souligne-t-il sur Telos. « Car même si en définitive cette option a été écartée, elle révèle à la fois l'érosion du soutien américain et la détermination de Washington à envoyer des signaux de non-assistance à Européens en danger. » Ceux-ci sauront-ils en tirer les conséquences ?